SECTION Ve. - Les livres poétiques ( Psaumes, Cantique des cantiques, Ecclésiaste).

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§ 62. L'Ecclésiaste. L'auteur, l'objet et le plan de l'Ecclésiaste. - Le nom français de ce livre est emprunté des Septante ; il signifie proprement en hébreu le « prédicateur, » celui qui convoque et rassemble un auditoire pour lui adresser la parole.

Le grand roi, auteur de ce livre, bien qu'il eût reçu de Dieu une sagesse extraordinaire , avait fini , sous l'influence des sens, par se détourner de Dieu, et mettre son bonheur dans des jouissances sensuelles et des pratiques idolâtres ( 1 Rois, XI, 1-13) ; mais il reconnut plus tard sa folie et son égarement, et l'on suppose que l'Ecclésiaste est le recueil de ses expériences passées. Peut-être même fit-il une confession publique de ses péchés, et les vérités proclamées dans ce livre furent-elles exprimées, prêchées, professées publiquement par lui. Sa réputation de sagesse attirait de toutes parts à sa cour des nationaux et des étrangers, et après les avoir scandalisés par ses dérèglements, il leur devait une réparation publique qui ne laissât aucun doute sur la manière dont il comprenait le monde et ses rapports avec Dieu.

Le grand objet de ce livre est évidemment de faire ressortir la complète insuffisance de toutes les choses terrestres, richesses, honneurs , sciences , affections, pour procurer à l'homme un bonheur solide, véritablement digne de ce nom. L'Ecclésiaste veut, en montrant la vanité des choses terrestres et qui n'ont que l'apparence, amener les hommes à rechercher le seul bien réel et permanent, la crainte de Dieu et la communion avec lui. Vanité des vanités, voilà sa première leçon. Crains Dieu et garde ses commandements, voilà sa dernière, la conclusion de son livre. - Pour atteindre son but, l'auteur donne un abrégé pittoresque et dramatique de sa vie, rappelant non-seulement les faits extérieurs , mais encore les phases successives de ses expériences morales dans la poursuite du bonheur, et le faisant avec une vivacité d'expressions qui ne permet pas toujours de bien distinguer le vieil homme qui se souvient et le nouvel homme qui se repent. Il montre aussi , mais sur le second plan de son livre, comment les hommes devraient apprendre à se conduire, au milieu des contrariétés diverses et nombreuses qu'ils peuvent rencontrer dans le cours de leur existence. De là tous ces conseils de détail, ces exhortations, ces avertissements, qui commencent par la vanité des choses visibles et finissent par l'importance des choses invisibles.

La rapidité, et avec elle l'obscurité du récit, est augmentée par la forme particulière que l'auteur lui a donnée. Il parle au présent des choses passées. On le voit enthousiaste de la science (I, 12-18), livré à tous les plaisirs (II, 1-11 ) , aux sensualités les plus délicates, on les plus grossières, tour-à-tour social et misanthrope , ayant la manie de bâtir, puis celle d'écrire, et tous ses goûts aboutissant régulièrement aux plus amères déceptions. On voit tour-à-tour l'homme de science et l'homme de plaisir, le fataliste, le matérialiste, l'épicurien , le stoïcien , parlant chacun avec son caractère , se résumant ensuite en quelques paroles plus sérieuses, illuminées d'une sagesse supérieure , et s'éclaircissant tout-à-coup pour finir, des rayons les plus sublimes et les plus purs, de l'humble et repentante confession d'un pécheur devenu croyant. Ajoutons que le portrait qu'il trace n'est, ni un portrait de fantaisie, ni celui d'un individu exceptionnel, mais, avec quelques nuances de détail, celui de tous les hommes.

Les observations qui précèdent aideront à comprendre le sens de. plusieurs passages qui, sans cela , resteraient obscurs. Il y a , en effet, à côté de conclusions tirées par le sensualisme le plus grossier , d'autres conclusions éminemment pures et spirituelles ( V, 1-3 ; VII, 29 ; XI, 5; XII , 1, 7) ; d'autres, en revanche , ne sont qu'à moitié vraies; d'autres enfin sont complètement fausses (III, 19; II, 16; IX, 2). On a fait des efforts inutiles pour trouver l'accord de ces dernières avec d'autres portions des Ecritures, ou pour les expliquer par d'autres paroles de Salomon lui-même. Ce n'est pas là que se trouvera la solution de ces difficultés. Chaque tableau est le portrait d'un mondain intelligent et désappointé, mais éclairé des reflets d'une lumière céleste et divine. L'Ecclésiaste est l'histoire d'espérances fantastiques et de complètes et amères déceptions; c'est par conséquent, plus ou moins, l'histoire de chacun. La conclusion : « Crains Dieu et garde ses commandements, » est vraie, ainsi qu'un grand nombre d'appels et de réflexions incidentes; mais il importe de se rappeler qu'un grand nombre de paroles ou de maximes sont mises dans la bouche du vieil homme , du pécheur égaré, et qu'elles ne doivent être comprises que dans ce sens. Le psaume LXXIII, comparé à l'Ecclésiaste , le fera peut-être mieux comprendre; il en est un diminutif, un abrégé, de même que le psaume XLV est un diminutif du Cantique.

Si l'on est d'accord à reconnaître que le but principal de ce livre est de recommander la religion comme étant « le tout de l'homme, » on varie sur les détails, sur leur interprétation et sur la valeur des arguments. Selon quelques-uns, Salomon voudrait dire qu'en dehors de la religion tout est vanité, mais qu'avec la religion toutes choses acquièrent une importance réelle. Luther, au contraire, pense que l'idée de Salomon est celle-ci : Soyez pieux, et, pour tout le reste, ne vous en inquiétez pas ; il n'en vaut pas la peine. Ces deux idées ont du reste l'une et l'autre un côté vrai. En dehors de la religion, toutes choses, en effet, ne sont que vanité, mais elles ne le sont ni au même titre, ni au même degré; et avec la religion rien ne peut nous être nuisible, quoique cependant la folie et la sagesse soient loin d'être indifférentes, et qu'un même accident n'arrive pas également à tous.

Le mot sagesse dans l'Ecclésiaste signifie science, tandis que dans les Proverbes il a davantage le sens de piété.

Plusieurs incrédules modernes, et à leur tête le grand Frédéric et Voltaire, appréciaient et applaudissaient hautement les passages les plus matérialistes de l'Ecclésiaste, ceux où Salomon raconte ses anciens égarements. Quant à la conclusion du livre (chap. XII), ils paraissent l'avoir entièrement ignorée et passée sous silence. Etrange symptôme de la dépravation de la nature humaine !

La canonicité de l'Ecclésiaste a été reconnue par les plus anciens écrivains de l'Eglise chrétienne, et si ce livre n'est pas cité formellement par notre Seigneur ou par ses apôtres, il y est fait plusieurs allusions dans le Nouveau-Testament. - Les Juifs le comptaient parmi les livres poétiques du canon , bien qu'il soit écrit en prose, à l'exception de quelques fragments (III, 2-8; VII, 1-14; XI, 17; XII, 7).

Voyez en français le Commentaire de Rougemont.


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