SECTION XV. - Les exemples de l'Ecriture.

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§ 137. Réserves à faire dans l'étude des exemples rapportés dans l'Ecriture. - Quand on étudie les nombreux exemples que l'Ecriture présente à nos réflexions et à nos méditations , il est important de prendre certaines précautions et de se rappeler les points suivants :

Plusieurs choses sont rappelées avec blâme, non pour être imitées, mais pour être évitées. Il y a des faits d'injustice ou d'idolâtrie qui étaient ou condamnés par la loi , ou expressément défendus d'une autre manière à l'époque où ils ont été commis. En rappelant ces faits, l'Ecriture n'entend nullement les justifier, les approuver, ou les présenter à notre imitation, cela va sans dire, mais faire ressortir par des exemples la perversité de la nature humaine et la grandeur de la justice divine, et provoquer ainsi des pensées sérieuses et solennelles.

Quelquefois l'Ecriture rapporte sans les blâmer certaines actions d'un homme pieux qui sont cependant mauvaises, ou qui, pour d'autres motifs, ne sauraient nous être proposées en exemples à suivre. A cette classe appartiennent les équivoques d'Abraham devant Pharaon, les ruses et tromperies de Jacob et de Sara, la folie simulée de David (1 Sam., XXI, 13) , et les massacres de Jabès de Galaad ; de même que certaines actions qui , permises sous la loi, sont condamnées par l'Evangile; ainsi la polygamie , ou le divorce, permis aux Juifs « à cause de la dureté de leurs coeurs, » mais jamais ordonnés. Notre Seigneur condamne ces faits (Marc, X, 6)et, d'ailleurs, ce n'est pas sur la conduite des enfants que des hommes faits doivent régler la leur ou prendre leurs modèles.

Plusieurs actes , en eux-mêmes répréhensibles, sont justifiés sous l'ancienne alliance par l'ordre exprès de Dieu ; ainsi le sacrifice d'Isaac, la destruction des Cananéens par Josué, les lévites égorgeant les idolâtres dans le camp, la rébellion de Jéhu contre la maison d'Achab (2 Rois, IX ). Mais tous ces faits se sont accomplis en vertu d'un commandement spécial et positif de l'autorité souveraine, ce qui leur ôte le caractère d'exemples à suivre. Pour faire des actions semblables, il faut y être autorisé par la même puissance qui les a ordonnées une première fois. - Ajoutons que dans presque tous ces cas, le motif du commandement est indiqué, et il emporte avec lui l'idée d'un fait entièrement temporaire et passager. Le sacrifice d'Isaac était une épreuve de la foi d'Abraham ; Josué détruisit les Cananéens parce que le temps de la patience de Dieu était passé et que leur idolâtrie était sans remède; les idolâtres en Juda furent mis à mort parce que là l'idolâtrie était une trahison contre l'autorité suprême du roi invisible.

Il faut encore, dans l'Ancien-Testament, se rendre bien compte du principe même qui a présidé à l'accomplissement de certains actes. Cette règle nous est suggérée par le onzième chapitre de l'épître aux Hébreux où divers faits sont rappelés qui, certainement, ne peuvent être imités que dans les mêmes circonstances, et surtout dans le même esprit que celui qui les a inspirés. Sans cette précaution l'Ecriture aurait une sanction pour les choses les plus contradictoires. On voit , par exemple (Gen. , XXI , 9) , Ismaël se moquer d'Isaac, et l'Apôtre nous explique (Gal., IV, 29) que cette moquerie était l'expression d'un esprit persécuteur, et du mépris des promesses divines. Ailleurs on voit au contraire Elie se moquer des prêtres de Bahal , mais c'est pour constater la folie et la perversité de l'idolâtrie. Dans les deux cas la moquerie provient d'une source différente. - De même la conduite d'Elie appelant le feu du ciel (2 Rois, I) , et celle des disciples Jacques et Jean demandant à Jésus-Christ d'en faire autant, ne saurait être jugée du même point de vue. Il s'agissait pour Elie de convaincre un roi méchant et un peuple idolâtre , et non point de se défendre ou de se venger lui-même ; quant aux disciples , non-seulement ils appartenaient à une dispensation qui proscrit les moyens matériels et violents , mais encore ou peut supposer qu'ils agissaient sous l'influence d'un caractère violent et vindicatif.

Pour récapituler, comme règles, ces diverses considérations, nous dirons donc : que nous ne devons pas imiter les actes que l'Ecriture rapporte en les condamnant ; ni ceux qu'elle rapporte sans les blâmer, à moins qu'ils ne soient aussi saints dans leur nature que légitimes dans leur forme ; ni ceux qui ont été faits en vertu d'un ordre spécial et temporaire de Dieu ; ni ceux qui étaient le résultat et la conséquence d'un état spirituel peu avancé ; et que, là même où de bons exemples nous sont donnés de la part d'hommes de Dieu, nous ne devons les imiter que dans le même esprit et en vue du même but à atteindre.

Ou bien, pour nous résumer plus brièvement encore, il nous faut, quant à l'Ancien -Testament, juger les actes de chacun d'après la loi, générale ou particulière, sous l'empire de laquelle il a vécu et agi ; et, comme règle négative d'imitation, nous abstenir de tout acte qui n'est pas en harmonie avec les principes du Nouveau-Testament. - On trouvera plus loin la règle positive qui doit régler l'imitation des exemples cités dans l'Ecriture.

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§ 138. De l'utilité des exemples et de l'usage qu'on en doit faire. - Après toutes les réserves qui viennent &être indiquées, on peut se demander maintenant quel est le but de ces nombreux exemples que l'Ecriture présente à nos méditations. La réponse est facile.

Ils servent quelquefois à fixer le sens et la portée de certains préceptes scripturaires dont la signification exacte est douteuse. Si des hommes inspirés nous proposent des exemples, et que ces exemples soient conformes au précepte ou à la règle dont il s'agit , nous avons une interprétation exacte de sa signification. La conduite de Paul s'opposant à Pierre sur la question de la circoncision, et la pratique des apôtres en général, jette une grande lumière sur plusieurs passages dont, sans cela, le sens pourrait être discuté. Dans ces cas, nous suivons l'exemple , non point parce qu'il nous a été donné par des hommes de Dieu, mais parce qu'il sert à nous faire comprendre quelle est l'intention du Seigneur.

On trouve ainsi souvent l'explication du sens des Ecritures dans la conduite même des hommes inspirés. Ces paroles , par exemple : « Ne jurez en aucune manière , » sont un commandement de Jésus (Matth. , V, 33-37). Dans le même chapitre le Seigneur dit qu'il n'est point venu pour abolir la loi (versets 17 , 18) , et comme la loi autorisait le serment, on peut supposer déjà que Jésus n'entend pas interdire d'une manière absolue toute espèce de serment. L'examen de 2 Cor., XI, 31-33. Rom., I, 9, vient encore confirmer cette manière de voir, en restreignant la défense du maître aux actes et communications ordinaires de la vie , pour lesquelles le oui et le non suffisent. Jésus n'avait en vue que la coupable légèreté avec laquelle les Juifs de son temps avaient coutume de prodiguer le serment. - Ne résistez pas au mal, nous est-il dit encore, verset 39 ; cette parole signifie simplement : ne nourrissez pas au-dedans de vous un esprit de rancune et de vengeance. Notre Seigneur ne défend pas à ses disciples d'en appeler à la loi quand il s'agit d'une question de justice ; lui-même n'hésita pas à protester contre un traitement injuste (Jean, XVIII, 23) ; Paul protesta pareillement au nom de la loi contre un supplice dont il était menacé, et dans une autre circonstance il en appela à César (Actes , XXV, 11 ). Ces exemples nous montrent le sens réel du commandement ; ce qui nous est ordonné c'est de souffrir plutôt que de nous venger nous-mêmes.

Ils nous enseignent comment, en certains cas, les règles de l'Ecriture doivent être appliquées. Le Nouveau-Testament est au plus haut degré un livre de principes généraux, plutôt que de directions particulières, et leur mise en pratique exige beaucoup de sagesse et de circonspection. - On peut se demander, par exemple, jusqu'à quel point c'est un devoir pour tous les chrétiens de parler du vrai Dieu et de son Fils, et d'exhorter les autres à croire en lui. Pour répondre, nous en appelons aux préceptes de l'Evangile, préceptes adressés à tous les saints, et nous les expliquons ou les développons par des exemples tirés de l'Ecriture : Abraham (Gen., XVIII, 19), la jeune fille captive (2 Rois, V, 3), le démoniaque guéri (Marc , V, 20), Anne (Luc , II, 38), André et Philippe (Jean , I, 41, 46), la femme samaritaine (Jean , IV, 29), les chrétiens persécutés (Actes, VIII, 4), Apollos (Actes, XVIII, 25), Aquilas et Priscille (XVIII, 26) , Phébé et d'autres à Rome ( Rom., XVI, 42. Philém., 6).

L'importance des exemples, à cet égard, ressortira surtout de la comparaison des principes moraux renfermés dans les Proverbes, avec les différents faits et caractères rapportés dans l'Ecriture. Prenons , par exemple, Prov., XIII , 7 : « Tel se fait riche qui n'a rien du tout , et tel se fait pauvre qui a de grandes richesses. » Nous trouvons des exemples du premier dans Achab (1 Rois, XXI, 4, 16, 22) , dans Haman ( Ester, V, 11-13) , dans le pharisien plein de sa propre justice (Luc, XVIII, 11 - 14), dans les Corinthiens satisfaits d'eux-mêmes (1 Cor., IV, 8), dans les faux docteurs (2 Pierre, II, 18, 19). -Et des exemples du second dans Matthieu (Luc, V, 27, 28), Zachée (Luc, XIX, 8, 9), Paul (2 Cor., VI, 10. Philip., III, 8), les Ephésiens convertis (Actes, XIX, 19. Ephés., II), et dans l'Eglise de Smyrne comparée à celle de Laodicée (Apoc., II, 9; III, 17).

Mais plus encore que d'aider à l'interprétation de l'Ecriture, les exemples bibliques ont pour but de hâter et de développer l'oeuvre de notre sanctification. Ils éclairent la vérité divine, ils montrent à l'homme le chemin du devoir, et la possibilité de l'obéissance; ils condamnent nos imperfections, et, en nous montrant les péchés des hommes pieux , ils nous excitent à la vigilance et à la charité.

Le chrétien peut se demander quelquefois s'il lui est possible de servir Dieu au milieu de ses occupations et de ses travaux, aussi bien que s'il vivait dans le recueillement, ou s'il se consacrait au service public de la religion. Il trouve pour réponse l'exemple d'Enoch, qui vécut avec Dieu et qui eut des fils et des filles; celui d'Abraham, qui avait de grands biens; de Joseph, qui était gouverneur de l'Egypte; de Moïse, qui a été roi à Jésurun (Deut., XXXIII, 5) ; de Jérémie, qui vivait à la cour; de Daniel , qui gouvernait le royaume de Babylone; et de notre Sauveur lui-même , qui n'était ni moins saint ni moins consacré au service de Dieu lorsqu'il était charpentier que lorsqu'il exerçait son ministère et qu'il offrit le grand sacrifice de la croix.

Voulons-nous nous assurer que notre repentance est la véritable, qu'elle est spirituelle et non point apparente et charnelle ? nous pouvons en examiner les fruits, nous pouvons aussi la comparer avec celle dont l'Ecriture nous fournit des exemples. Nous trouvons la vraie repentance chez David (2 Sam., XII, 13. Ps. LI), chez Manassé (2 Chron., XXXIII, 12, 13), chez Job (XLII , 6), chez les Ninivites (Jonas, III, 5, 8), chez Pierre (Matth., XXVI, 75), et chez le péager de Luc (XVIII). Nous avons au contraire des exemples de la fausse repentance, en Pharaon, en Saül ( 1 Sam., XV, 24),. en Achab (1 Rois, XXI, 27), en Johanan (Jér., XLIII, 2), etc. et en Judas (Matth., XXVII , 3 , 5).

Si enfin, tout en veillant avec soin sur les tentations auxquelles nous nous sentons le plus exposés, nous sommes disposés à manquer de vigilance relativement à d'autres péchés dont nous redoutons moins les assauts, rappelons-nous qu'Abraham , le père des croyants, douta un moment de la providence divine; que Moïse, le plus doux des hommes, parla légèrement de ses lèvres; que Job murmura (VI, 8), et que le plus vif et le plus courageux des disciples de Jésus jura, par trois fois, qu'il ne l'avait jamais connu.

Le profit qu'on peut retirer de ces exemples est naturellement en proportion de leur actualité; il est plus grand quand il s'agit de faits qui ont plus d'analogie avec notre propre position. Le contraste que présente si souvent la conduite de personnes différentes placées dans des conditions semblables fait ressortir aussi la portée des leçons pratiques qui nous sont ainsi données. L'humilité du fidèle et puissant prédicateur Jean-Baptiste est rendue plus frappante par sa comparaison avec l'orgueil du faux docteur Simon le magicien qui se disait être un grand personnage (Jean, I, 19-27. Actes, VIII, 9). La colère de Jéroboam et d'Hosias, quand ils sont repris, contraste également avec la prompte soumission de Josaphat (1 Rois, XIII, 4. 2 Chron., XXVI, 19 ; XIX, 2, 4).

Dans tous les temps on a compris l'importance de l'exemple sur l'éducation de l'homme. Saint Paul, parlant des faits de l'histoire juive , disait : Ces choses ont été écrites pour notre instruction. Luther ajoute : Tout ce que la philosophie, la raison humaine, les sages peuvent nous apprendre d'utile et de profitable, l'histoire nous le présente en exemple et en actions. Et si nous y faisons bien attention , nous verrons que c'est de là, de l'expérience, comme d'une source vive et jaillissante , que sont sortis presque tous les biens, les bons conseils, les craintes salutaires, les consolations, les directions de vie, la sagesse, la prudence , la force pour le bien , etc. Et Néander : Les exemples sont ainsi une morale en action; c'est Christ et son Evangile prêchés par les annales de son propre royaume, et par l'expérience de son Eglise.

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§ 139. Règle d'imitation. - On peut dire, en général, que si l'objet dont il s'agit, et auquel l'exemple se rapporte, est d'une nature morale, nous devons imiter l'exemple des hommes inspirés pour autant du moins que les raisons d'agir comme eux sont les mêmes dans leur cas et dans le nôtre. Si les circonstances ne sont pas semblables, la fidélité consistera à s'inspirer du même esprit dont ils étaient animés, sans s'attacher aux détails de leur conduite. Voici, par exemple, un principe général: les chrétiens doivent s'entr'aider les uns les autres par amour ; si donc une Eglise est dans l'abondance, tandis qu'une autre est dans la disette, elle doit obéir au principe, au commandement général en faisant des collectes pour ses frères pauvres , comme le faisaient aussi les Eglises primitives (Actes, XI, 28-30. 1 Cor., XVI, 1). Elles suivront l'exemple littéralement et tel qu'il est donné. Mais si, au nom de l'exemple de la primitive Eglise, on veut nous obliger à nous laver les pieds les uns aux autres, nous invoquerons le principe d'exception rappelé tout-à-l'heure; les temps ne sont plus les mêmes, et ce qui à cette époque et sous ce climat brûlant était une politesse ordinaire , souvent une affaire de nécessité, serait chez nous une superfétation ridicule. Il en est de même du baiser de paix ou du baiser de charité, qui était beaucoup plus dans les moeurs orientales qu'il ne l'est en général chez certains peuples du continent, et l'on doit se borner à recommander le principe de l'affection mutuelle , sans insister sur le mode de sa manifestation. De même encore pour les repas de charité ou agapes : nous n'avons aucune donnée certaine sur l'époque et la nature de leur institution ; ils étaient probablement une démonstration tout-à-fait spontanée dans l'origine. Lorsqu'ils perdirent leur caractère et dégénérèrent en abus, les apôtres n'hésitèrent pas à les condamner : ce sont des taches dans vos repas de charité, dit Jude. Ils condamnèrent également les abus qui s'étaient introduits dans la célébration de la cène; mais ils maintinrent l'institution. De semblables fêtes chrétiennes peuvent être reproduites dans l'Eglise, si l'on pense qu'elles servent à développer les sentiments dont elles sont l'expression , mais elles ne sauraient avoir aucun caractère obligatoire.

S'agit-il au contraire de préceptes simplement positifs, la valeur de l'exemple est nulle pour tout ce qui n'est que détails ou accessoires. On le comprendra par un seul fait. Le souper du Seigneur a été célébré dans une chambre haute, avec des pains sans levain , les convives assis ou couchés autour de la table, le cinquième jour de la semaine, le soir. De ces cinq circonstances, trois sont expressément indiquées; les deux autres ne sont pas douteuses, et néanmoins il est évident pour chacun qu'elles n'ont aucune espèce d'importance et qu'on ne saurait être tenu de suivre l'exemple apostolique jusque dans ces détails. - Presque toutes les assemblées de croyants mentionnées dans le Nouveau-Testament avaient lieu le premier jour de la semaine (Actes, XX, 7. 1 Cor. , XI, 20). La plupart des prédications adressées aux Juifs et à ceux qui se réunissaient avec eux avaient lieu le septième jour (Actes, XIII , 42 ; XVIII , 4 ; XVI, 13). Vouloir se régler en cela sur la conduite des apôtres, sans tenir compte de leurs motifs pour agir ainsi , serait confondre ce qui est essentiel dans l'obéissance avec ce qui est purement accidentel. Les apôtres s'adressaient surtout aux chrétiens le premier jour de la semaine, parce qu'il n'y avait qu'eux qui fréquentassent le service public ce jour-là. Ils prêchaient le samedi, parce que c'était le jour où les Juifs se réunissaient et qu'ils avaient en général le plus grand nombre d'auditeurs.

Quoi qu'il en soit, il importe de se rappeler pour tous les cas, soit qu'il s'agisse de morale ou d'institutions, que le devoir de l'obéissance est fondé sur le commandement seul, que le précepte est la seule loi, et que l'examen des mots ou des phrases, aussi bien que l'exemple des hommes inspirés (avec les règles que nous venons d'indiquer) , ne peut avoir d'autre objet que de déterminer le sens et la portée exacte du commandement.


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