CHAPITRE IV.

DE L'INTERPRÉTATION DES ÉCRITURES.

 

SECTION I. - Des précautions à prendre dans l'étude de l'Ecriture

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§ 78. Etude des circonstances dans lesquelles chaque livre a été écrit. - La nécessité d'une étude attentive et spéciale des Ecritures

 

ressort du fait que les différents livres de la Bible ont été écrits dans des circonstances différentes les unes des autres.

Ces livres ont été composés par des hommes de conditions et de cultures diverses, par des prêtres comme Esdras, des poètes comme Salomon, des prophètes comme Esaïe, des hommes de guerre comme David, des bouviers comme Amos, des hommes d'Etat comme Daniel, des hommes instruits comme Moïse et Paul, des pécheurs ignorants et sans lettres comme Pierre et Jean.

Le premier de ces auteurs , Moïse, vivait quatre cents ans avant le siège de Troie, neuf cents ans avant les plus anciens sages de la Grèce et de l'Asie , Thalès , Pythagore, Confucius; le dernier, Jean, est venu quinze cents ans après.

Ces livres ont été écrits en des lieux différents : au centre de l'Asie, au milieu des sables de l'Arabie, dans les déserts de la Judée, sous les portiques du temple, dans les écoles des prophètes à Béthel et Jérico , dans les palais de Babylone , sur les rivages idolâtres du Kébar, au milieu des villes civilisées de l'Occident ; les allusions, les figures , les expressions , les comparaisons étant puisées dans des moeurs, des coutumes, des contrées si différentes entre elles, et si différentes des nôtres, nous ne pouvons les comprendre que par une étude sérieuse et parfois laborieuse.

Ajoutez encore à ces difficultés celles qui résultent de la diversité des sujets : Moïse écrivant des lois, Josué de l'histoire, David des psaumes, Salomon des proverbes, Esaïe des oracles, les apôtres une monographie ou des épîtres ; la diversité des auditeurs ou des lecteurs auxquels ces livres sont adressés ; quelques-uns comme Esaïe ou Nahum, écrits en partie du moins pour des païens, d'autres exclusivement pour des Juifs; un Evangile pour les chrétiens d'entre les Hébreux, un autre pour les chrétiens d'entre les Gentils; les épîtres aux Corinthiens pour des gens qui ne veulent souffrir aucun joug ni aucune autorité, l'épître aux Galates pour ceux qui voulaient replacer les prosélytes chrétiens sous le joug de la loi mosaïque , l'épître aux Romains en partie pour des gens pleins d'une propre justice pharisaïque, celle de Jacques pour des professants extérieurs qui se croyaient dispensés. de la pratique des oeuvres.

Il est évident qu'un lecteur attentif devra tenir compte de ces diverses circonstances , et qu'un travail préliminaire sera toujours indispensable à la saine intelligence d'un livre ou d'un fragment quelconque de la Parole de Dieu.

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§ 79. Le langage des hommes appliqué aux choses de Dieu. - Indépendamment des diverses circonstances qui précèdent, il se rencontre une nouvelle difficulté non moins grande dans le fait que la Bible ne contient que des vérités spirituelles et religieuses , et qu'elle n'a pour les exprimer et les rendre intelligibles que des expressions humaines et terrestres.

Déjà le langage vulgaire des hommes, dès qu'il s'élève à des sujets spirituels, est obligé d'emprunter aux choses extérieures des expressions, des comparaisons ou des analogies ; cela est vrai dès qu'il s'agit de la pensée ou de ses actes ; cela était vrai surtout aux premiers âges du monde , et lorsque les langues étaient encore peu formées et lieu développées. Le langage est toujours plein de figures quand il est encore jeune, qu'il s'agisse des peuples ou des individus. L'esprit, dans son étymologie, n'est autre chose que le souffle. L'intelligence voit , aperçoit , découvre la vérité, son travail consistant à faire dans le domaine de la pensée la même opération que l'oeil dans le domaine de la nature. Réfléchir, signifie proprement ployer en arrière, disposer autour de soi ses pensées comme pour les examiner mieux. L'attention, la tension vers, la direction, est un travail de l'esprit pareil à celui de l'oeil qui se dirige incessamment, qui est tendu vers un même objet. C'est un fait, ou, si l'on veut, une faiblesse de l'esprit humain qu'il ne puisse saisir les notions abstraites qu'autant qu'elles sont revêtues de formes empruntées aux objets visibles et extérieurs.

Dieu a approprié ses communications à cette nécessité de notre nature; il procède des choses connues à la révélation des choses inconnues; il se révèle lui-même, et, pour se faire connaître, il se sert de mots, de termes , d'expressions qui représentent à notre intelligence une idée qui nous soit familière. S'il parle de lui , c'est avec des images humaines; s'il parle des cieux, il les décrit en empruntant aux scènes de la nature terrestre quelques-unes de ses comparaisons.

Il y a même plus. Dieu ayant fait l'homme à son image et ayant imprimé à la terre son cachet , il se sert de ces copies terrestres , de ces manifestations matérielles pour élever jusqu'à lui nos pensées et nous rappeler sa propre image. Le monde visible est un reflet du monde invisible. Les pensées spirituelles ont d'abord pris corps dans des symboles terrestres; ces symboles sont devenus à leur tour les moyens de nous rappeler les vérités spirituelles. Pour l'homme pieux, les deux mondes, visible et invisible, sont si intimement unis qu'il lui est difficile de les séparer dans sa pensée. Le monde de la nature lui est un emblème et un témoin vivant du monde des esprits. Ils sortent tous deux de la même main; la terre est l'ombre du ciel et nous parle de Dieu. Les saints hommes de tous les temps ont retrouvé sur la terre les souvenirs du paradis, comme ils y ont entrevu les promesses du monde à venir. De là aussi le langage figuré de la Bible, et tant §expressions qui ne se comprennent que par cette analogie.

Il n'est pas nécessaire de faire remarquer tout ce qu'il y a de vivant, de riche et de poétique dans ce style plein d'images, et combien il parle davantage au coeur, à l'imagination et à l'intelligence que ne ferait un style sec et dogmatique, une description prosaïque en langage vulgaire.

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§ 80. Exemples.

Quelquefois des choses terrestres sont associées dans l'Ecriture à des pensées spirituelles. Dieu habite une lumière inaccessible. Il établit son royaume. Le ciel est son trône. De même il est dit du chrétien qu'il marche dans la vérité, qu'il voit Dieu, qu'il vient à Christ, qu'il s'appuie sur lui.

D'autres fois la Bible parle de Dieu dans des termes qui ne peuvent littéralement s'appliquer qu'à l'homme. Elle lui prête des mains, des pieds, des yeux, une bouche; elle dit de lui qu'il cache sa face; elle lui attribue des affections et même des passions humaines : Dieu se repentit d'avoir fait l'homme (Gen., 6). Dieu dit : Je descendrai et je verrai (Gen., XVIII, 21). Je vous ai parlé, me levant dès le matin (Jér., VII, 13). Il fait ce qui lui plaît (Dan., IV, 35).

Il est bien évident, du reste, que ce langage d'analogie n'implique nullement une similitude complète, et que, malgré l'emploi des mêmes mots, les affections de Dieu, son amour, sa connaissance, sa colère, se distinguent toujours des affections humaines par leur grandeur et leur sainteté.

Les figures de la Bible n'ont jamais pour résultat, comme cela peut arriver en parlant des choses humaines, de donner une idée exagérée des choses qu'elles représentent. Au contraire, elles restent toujours encore en deçà de la vérité, soit qu'elles nous parlent des vues de Dieu ou de la lumière qu'il habite, soit qu'elles donnent à l'Eglise le nom d'épouse de Jésus-Christ.

Remarquons encore , et ceci est une conséquence générale du langage figuré, que quelquefois une même image est prise dans deux sens différents et souvent contraires. Ainsi , quand il est dit que Dieu se repentit, la signification de ce mot n'est pas la même que lorsqu'il est dit, Nomb., XXIII, 19 : Le Dieu fort n'est pas fils d'homme pour se repentir. - 1 Tim., VI, 16 : Dieu habite une lumière inaccessible; mais, Ps. XVIII, 11 , il fait « des ténèbres sa demeure secrète. » - Moïse a vu Dieu face à face (Exode, XXXIII, 11); mais au verset 20 nul ne petit voir sa face et vivre. - On comprend le sens particulier que dans chaque cas il faut donner à l'image employée.

Souvent la Bible se sert, pour exprimer une vérité spirituelle, d'expressions empruntées à l'histoire juive ou aux institutions mosaïques. - Les hommes sont dans la servitude du péché. lis voyagent dans le désert; ils passent le Jourdain; ils entrent dans le repos destiné au peuple de Dieu; ils ont un précurseur qui marche devant eux, leurs prophètes, leurs prêtres, leur roi. L'idée même de la sainteté, mot complètement étranger aux païens est empruntée à la distinction des animaux en purs et impurs, à la mise à part d'une tribu, et, dans cette tribu, d'une famille; aux lieux mêmes peut-être qui, par leur sainteté, rappelaient aux Israélites l'indignité naturelle de l'homme.

Beaucoup de mots sont pris dans le Nouveau-Testament dans un sens tout-à-fait différent de celui qu'ils ont dans la langue vulgaire et dans le grec des écrivains profanes. - Le mot d'humilité, sauf deux ou trois fois dans Platon, signifie toujours bassesse d'esprit : ridée de l'humilité comme vertu ne se trouve nulle part chez les Grecs, et Cicéron fait remarquer que la douceur même était plutôt considérée comme une faiblesse (De off., 111, 32). La grâce dans le sens de faveur imméritée, la justification comme bénédiction divine, Dieu comme un être saint et personnel, la foi comme un moyen de sanctification et comme essentielle au pardon sont tout autant de mots qui se rencontrent avec une signification différente dans les auteurs profanes et dans les écrivains sacrés. Ce sont de vieux mots avec un sens nouveau. Toutes les langues présentent dans leur développement des changements analogues : calamité signifiait primitivement perte §une récolte de blé (calamus) ; sincérité, absence de tout mélange de cire (sine cerâ) dans l'apprêt des vases du potier. Mais ces changements sont plus nombreux dans l'Ecriture, et en outre ils ont été introduits dans la langue, non point graduellement, mais par une soudaine révolution. Heureusement que toute erreur ou toute confusion de sens est impossible , l'Ecriture ayant pris soin de définir les mots qu'elle emploie dans un nouveau sens, tantôt d'une manière indirecte, tantôt en les rattachant aux souvenirs de l'ancienne alliance.

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§ 81. Classification des différentes figures. - S'il importe peu de savoir les noms que les grammairiens donnent aux différents genres de figures connues en rhétorique, il importe cependant de bien distinguer ces figures les unes des autres, au moins dans la plupart des cas.

On appelle trope, ou figure proprement dite, remploi d'un mot dans un sens qui ne lui est pas ordinaire (soyez fervents d'esprit) , à moins que l'usage n'ait à la longue remplacé le sens primitif par le sens nouveau. Ainsi, Bénir signifie proprement en hébreu ployer le genou; mais ridée religieuse nouvelle s'est tellement substituée à ridée matérielle qu'on ne peut plus dire qu'il y ait trope dans l'emploi de ce mot.

Il y a métaphore quand il y a quelque ressemblance entre l'objet désigné et le mot signifiant autre chose par lequel on le caractérise. Juda est un faon de lion (Gen., XLIX, 9). Je suis le vrai cep (Jean, XV, 1). Vous êtes le labourage de Dieu et l'édifice de Dieu (1 Cor., III, 9).

L'emploi d'un mot pour un autre est appelé synecdoque lorsqu'il a, non pas ressemblance, mais rapport entre l'objet désigné et le mot par lequel on le désigne; ainsi, quand on dit la coupe pour dire ce qu'elle contient (1 Cor., XI, 27), ou quand une partie est prise pour le tout, ma chair pour mon corps (Ps. XVI, 9).

Quand ce rapport n'est pas visible ou quand il n'existe que dans la pensée, comme, par exemple, quand on met la cause pour l'effet, ou le signe pour la chose signifiée, on dit qu'il y a métonymie. Ainsi , Jean , XIII, 8 : Si je ne te lave, tu n'auras point de part avec moi. Cette figure trouve son explication (1 Pierre, III, 21) dans ces paroles: Le baptême (qui nous sauve), c'est l'engagement d'une bonne conscience devant Dieu.

Ce ne sont cependant pas les mots seulement, ce sont quelquefois des phrases entières qui sont prises dans un sens figuré; on doit distinguer alors :

L'allégorie, c'est-à-dire un enchaînement de métaphores bien soutenues qui, à côté du sens naturel, semblent exiger une interprétation spirituelle ou morale. Quelquefois l'allégorie est pure, c'est-à-dire qu'elle ne renferme aucun mot qui laisse entrevoir directement l'application qui en doit être faite; ainsi la parabole de l'enfant prodigue; d'autres fois elle est mixte, c'est-à-dire qu'elle finit par trahir son sens réel et profond, comme au Ps. LXXX. Les versets 16 et 17 disent clairement que c'est des Juifs qu'il est question sous l'image de la vigne.

La parabole : c'est une allégorie sous forme de récit restreinte dans les limites de faits possibles et naturels ; la parabole du semeur, etc.

La fable, allégorie historique, dont les détails, par leur nature même, indiquent que la chose n'a pu avoir lieu telle qu'elle est racontée (Juges, IX, 6-21. 2 Rois, XIV, 9. 2 Chron., XXV, 18).

L'énigme, allégorie dont la signification est profonde, cachée et difficile à découvrir (Juges, XIV, 14. Prov., XXX , 15-21).

Quand la ressemblance entre la chose signifiée et la chose qui la représente ne se trouve pas dans les mots, mais dans les faits, dans quelque personne on dans quelque institution, par exemple, on donne le nom de type à l'objet ou à la personne qui, outre sa valeur et sa signification propre, a encore une valeur figurée. Le type est une métaphore, non en paroles, mais en action. Il joint au sens littéral un sens moral.

Le symbole est un type en quelque sorte rétroactif; au lieu de diriger la pensée et les désirs vers les choses futures , il rappelle le souvenir des choses passées , ou bien encore il se présente sous une forme extérieure et sensible , la perpétuité des promesses divines et des grâces spirituelles qui s'y rattachent. C'est ainsi que le baptême est le signe visible et matériel , le symbole des biens spirituels que Dieu a promis aux fidèles. Le pain et le vin de la communion sont également les symboles du corps et du sang de Christ, offerts en expiation pour nos péchés (Voyez aussi 1 Rois, XI, 30. 2 Rois, XIII, 14-19. Jér., XXVII, 2-8; XIII, 1-7; XVIII, 2-10).

La Pâque est tout à la fois un symbole et un type, Elle rappelait aux Israélites une délivrance passée, elle leur annonçait pour l'avenir une délivrance plus grande.

Ces figures si nombreuses et si diverses (que l'on peut du reste ramener à quatre genres principaux , le trope , ou figure de mois, l'allégorie le type et le symbole) se retrouvent dans toutes les langues , mais surtout dans les langues anciennes et dans les langues orientales en particulier. La Bible en est pleine, et si l'on veut éviter toute erreur, il importe avant tout de se rendre bien compte de la valeur réelle de chaque figure, et de la portée qu'on peut lui donner dans l'interprétation.

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§ 82. Résumé. - Qu'on se rappelle maintenant ces différentes circonstances, diversité d'auteurs, diversité d'époques, diversité de pays, diversité de sujets, diversité de styles, histoire, législation, prophéties , oracles mystérieux et précis tout ensemble , langues mortes , langage habituellement figuré; qu'on se rappelle aussi l'étendue d'un sujet qui embrasse le temps et l'éternité , le monde physique et le monde moral ; on comprendra que l'étude de l'Ecriture-Sainte soit véritablement une étude, et qu'elle exige des soins et une attention particulière. On comprendra aussi combien est juste et belle cette définition de Locke qui appelle la théologie « la direction de toutes les études vers leur véritable fin, qui est la gloire de Dieu et le bonheur éternel de l'humanité. »


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