71. Il serait aisé de faire ressortir d'une autre manière encore les désagréments d'une vie de plaisirs, ses conséquences, son indécence, en énumérant les maladies dont elle infecte l'âme, maladies beaucoup plus nombreuses et plus pénibles que celles du corps.
Mollesse, lâcheté,
insolence,
suffisance, libertinage, violence, intempérance,
irascibilité, cruauté, bassesse d'âme,
cupidité, servilité, incapacité pour toutes les
choses utiles et nécessaires, voilà son lot :
résultats exactement contraires à ceux de la
frugalité. Mais j'ai hâte d'en arriver maintenant
à un autre point, aussi me bornerai-je à ajouter cette
simple observation, avant de reprendre les paroles de l'apôtre.
Si les choses qui passent pour enviables débordent à ce
point de maux, si elles exposent l'âme et le corps à un
tel déluge de maladies, que penser des vraies misères,
par exemple, la crainte des magistrats, les mouvements populaires,
les intrigues des sycophantes et des envieux - misères qui
assiègent principalement les riches, et dont les femmes
reçoivent nécessairement une part plus importante,
parce qu'elles n'ont pas le courage de supporter ce genre de
vicissitudes.
72. Et pourquoi parler des femmes. Les hommes eux-mêmes sont les proies malheureuses de ces misères.
Quiconque pour vivre se
contente de ce qu'il a,
ne redoute aucun revers de fortune; mais celui qui s'épuise
dans cette vie voluptueuse et débauchée, qu'il arrive
une catastrophe, un coup du sort pour le précipiter dans
l'indigence, et il sera mort avant de s'être accommodé
de ce changement auquel il n'est ni préparé ni
entraîné. Aussi le bienheureux Paul disait-il :
"Ceux-là souffriront tribulations dans leur chair; et moi, je
cherche à vous les épargner", puis il ajoute : "Le
temps qui reste est court. (1 Cor 7,28-29).
73. Quel rapport avec le mariage ? m'objectera-t-on peut-être.
Très étroit assurément. Car si le mariage ne dépasse pas les bornes de la vie présente, si, dans la vie future, on n'épouse ni on n'est épousé, si le temps présent touche à son terme et que le jour de la résurrection est à notre porte, ce n'est pas le temps de songer au mariage ni aux biens de ce monde, mais à notre indigence et à tous les autres éléments de sagesse qui nous seront utiles dans l'autre vie. Il en est comme de la jeune vierge : tant qu'elle reste au logis avec sa mère, elle s'intéresse vivement à toutes les choses de l'enfance, elle dépose son coffret dans la resserre, garde même par-devers elle la clé de ce qu'elle y a enfermé, en a l'entière jouissance et consacre à veiller sur ces babioles et amusettes autant de sollicitude qu'on en met à administrer de grandes maisons. Mais quand il lui faut se fiancer et que le temps du mariage l'oblige à quitter la maison paternelle, elle doit renoncer à ces vils et humbles objets pour s'inquiéter du gouvernement d'une maison, de biens et de domestiques nombreux, du soin d'un époux et de tous les autres soucis plus graves encore que ceux-là, si nombreux.
Ainsi devons-nous procéder nous aussi : puisque nous parvenons à la maturité et à la vie qui convient à des hommes, nous devons abandonner tous les biens de la terre qui sont réellement des jouets d'enfants et tourner nos pensées vers le ciel, la splendeur et toute la gloire de l'existence céleste. Car nous avons été unis, nous aussi, à un époux qui exige de nous un tel amour que nous sacrifions pour lui non seulement les choses de la terre, non seulement ces choses insignifiantes et sans valeur, mais notre vie elle-même, s'il est besoin. En conséquence, puisqu'il nous faut quitter ce séjour pour l'autre, affranchissons-nous de cette vaine préoccupation. Si nous devions échanger pour un palais une misérable demeure, nous ne serions pas en souci des bibelots d'argile et de bois, des meubles et des autres pauvres objets de la maison. Alors, ne nous inquiétons pas non plus aujourd'hui des choses de la terre : car le temps est venu qui nous appelle vers le ciel, selon le bienheureux Paul dans son Épître aux Romains : "Maintenant le salut est plus proche de nous que lorsque nous avons reçu la foi; la nuit est bien avancée et le jour est proche." (Rom 13,11-12). Et puis encore : "Le temps qui reste est court, que ceux qui ont une femme soient comme s'ils n'en avaient pas." (1 Cor 7,29).
Alors, à quoi bon le
mariage, pour des
gens qui ne doivent pas en profiter, qui se trouveront comme ceux
qui
n'ont pas de femme ? Oui, à quoi bon la fortune, à quoi
bon les possessions, à quoi bon les biens de la vie, puisque
l'usage en est désormais hors de saison et inopportun ? Si les
accusés qui doivent comparaître devant un de nos
tribunaux pour y rendre raison de leurs fautes, à l'approche
du jour crucial, ne songent ni à leur femme ni même
à la nourriture, à la boisson, à tout autre
souci, mais n'ont en tête que leur défense, bien
davantage encore nous, qui devons comparaître non devant un
tribunal terrestre, mais devant le trône céleste pour y
rendre compte de nos paroles, de nos actes et de nos pensées,
devons-nous faire abstraction de tout, de la joie, du chagrin que
nous causent les choses du monde et ne nous inquiéter que de
ce jour redoutable. "Si quel qu'un vient à moi, dit le
Seigneur, et ne hait pas son père, sa mère, sa femme,
ses enfants, ses frères, ses soeurs et même sa propre
vie, il ne peut être mon disciple. Et quiconque ne porte pas sa
croix et ne me suit pas, ne peut être mon disciple."
(Lc
14,26-27). Mais
toi, tu restes
là, occupé de la passion d'une femme, de rire, de
mollesse, de luxe. "Le Seigneur est proche", et toi, c'est l'argent
qui est l'objet de tes soucis et de ta sollicitude. "Le royaume des
cieux est tout près, mais toi, tu ne rêves que maison,
luxe et autres plaisirs. "Elle passe, la figure de ce monde."
(1
Cor 7,31).
Pourquoi donc te tourmenter
des choses de ce monde qui ne restent pas, mais se dissipent, tandis
que tu négliges celles qui restent et sont stables ? Il n'est
plus question de mariage, de parturition, de plaisir, d'union
charnelle, de profusion d'argent, de gestion de fortune, de
nourriture ni de vêtements, de travaux des champs ni de
navigation, de métiers ni de construction, de cités ni
de maisons, mais d'un état nouveau, d'une existence nouvelle.
Toutes ces choses très bientôt vont disparaître.
Car c'est bien là le sens de la parole : "Elle passe, la
figure de ce monde." Pourquoi donc, comme si nous devions pour tous
les siècles rester sur cette terre, pourquoi manifester une
telle hâte à nous inquiéter de ce dont il nous
faudra, bien souvent, nous séparer avant le soir ? Pourquoi
préférons-nous notre vie d'épreuves, quand le
Christ nous appelle à une vie de loisirs ? "Je veux, dit-il en
effet, que vous soyez exempts d'inquiétude; l'homme non
marié s'inquiète des choses du Seigneur." (1
Cor 7,32).
74. Comment veux-tu que nous soyons exempts d'inquiétude, si tu nous imposes un autre souci ?
Parce que ce n'est pas là un souci, de même que souffrir pour le Christ n'est pas souffrir; non que la nature des choses soit changée, mais la détermination de ceux qui supportent avec joie ces souffrances permet de triompher même de la nature. Se soucier de choses dont la jouissance sera brève, souvent même inexistante, mérite avec raison le nom d'inquiétude; mais celui qui doit recueillir de ses soucis des avantages qui les compensent largement, en toute logique, il serait juste, je pense, de le ranger parmi les gens exempts d'inquiétude. De plus, la différence entre ces deux formes d'inquiétude est telle que la seconde comparée à la première ne mérite même pas le nom d'inquiétude, tant elle est plus légère que l'autre et en tous points plus supportable. Tout cela, nous l'avons démontré précédemment : "L'homme non marié s'inquiète des choses du Seigneur, l'homme marié s'inquiète des choses du monde", (1 Cor 7,32) mais le monde passe et Dieu reste. Cette raison n'est-elle point suffisante à elle seule pour prouver la haute valeur de la virginité ? Car la distance de Dieu au monde, c'est toute la supériorité de ce souci par rapport à l'autre. Comment peux-tu donc permettre le mariage, qui nous rive aux soucis et nous éloigne des choses spirituelles ? C'est bien pourquoi j'ai déclaré, dit l'apôtre : "Que ceux qui ont des femmes soient comme s'ils n'en avaient pas", que ceux qui déjà sont enchaînés ou qui vont l'être, par quelque autre moyen rendent leur lien plus lâche.
Puisqu'il ne t'est plus possible, en effet, de le rompre une fois que tu en es chargé, rends-le plus supportable. Car nous pouvons, si nous le voulons, retrancher tout ce qui est superflu et ne pas ajouter aux soucis qui nous viennent de la nature du mariage, d'autres soucis encore plus grands causés par notre nonchalance. 75. Si l'on veut connaître plus clairement encore ce que veut dire "en ayant une femme, ne pas en avoir", que l'on songe à la vie de crucifiés de ceux qui n'en ont pas. Quelle est-elle donc, cette vie ? Ils ne sont pas obligés d'acheter une foule de servantes, des bijoux d'or et des colliers, des demeures luxueuses et vastes, tant et plus de plèthres de terrain; négligeant tous ces biens, ils n'ont souci que de leur unique vêtement et de leur nourriture. II est possible aussi à l'homme qui a une femme d'accéder à cette sagesse; car le mot cité plus haut : "Ne vous refusez pas l'un à l'autre", concerne les seuls rapports charnels. Sur ce point en effet, l'apôtre ordonne aux époux une obéissance réciproque et il ne permet à aucun d'eux d'être son propre maître; mais pour la pratique des autres règles de sagesse, relatives aux vêtements, au genre de vie, et tout le reste, aucun des époux n'a plus de compte à rendre à l'autre, il est permis aux maris, même contre la volonté de leur femme, de supprimer tout luxe, ainsi que la foule des tracas qui l'accompagnent. Et à la femme de son côté on ne peut pareillement imposer contre son gré les parures de la vaine gloire et les soucis superflus. Et c'est avec raison : car la concupiscence est un instinct naturel qui de ce fait a droit à une grande indulgence, et l'un des époux n'a pas pouvoir de frustrer l'autre contre son gré; tandis que le désir du luxe et des commodités superflues, des soucis inutiles, n'a pas une origine naturelle, mais est l'effet de la paresse et d'une grande présomption.
C'est pourquoi l'apôtre ne
contraint pas
les époux à être mutuellement asservis en ce cas
comme ils le sont dans l'autre. Voici donc ce que signifie "en ayant
une femme n'en pas avoir" : c'est refuser les soucis inutiles dont
les caprices et la mollesse des femmes sont les causes, et
n'agréer que le seul surcroît de souci que nous impose
normalement la charge d'une seule âme, et encore, d'une
âme qui se prononce pour une vie de sagesse et de
simplicité. Que ce soit la pensée de l'apôtre, la
suite le montre bien : "Que ceux qui pleurent soient comme s'ils ne
pleuraient pas, ceux qui se réjouissent de leur fortune comme
s'ils ne se réjouissaient pas". (ibid 30) Car ceux qui ne se
réjouissent pas ne se préoccuperont pas non plus de
leur fortune et ceux qui ne pleurent pas ne pourront ni souffrir de
la pauvreté ni avoir en aversion la frugalité.
Voilà ce que c'est que d'avoir une femme et n'en pas avoir,
voilà ce que c'est qu'user du monde sans en abuser. "L'homme
marié s'inquiète des choses du monde". (ibid 33).
Ainsi, puisque d'un côté comme de l'autre il est
question d'inquiétude, mais ici vaine et inutile ou
plutôt source d'affliction - car "ceux-là souffriront
tribulations dans leur chair " - et là au contraire source de
biens ineffables, pourquoi ne préférons-nous pas ce
dernier souci, qui non seulement nous offre tant de magnifiques
rémunérations, mais qui est, de nature, beaucoup plus
léger que l'autre ? De quoi s'inquiète en effet la
femme qui n'est pas mariée ? Est-ce d'argent, de domestiques,
d'intendants, de propriétés, et autres choses ?
A-t-elle à surveiller cuisiniers, tisserands, et tout le
personnel domestique ? Fi donc ! Rien de cela n'effleure son esprit,
elle n'a qu'un seul souci, édifier sa propre âme,
décorer ce temple sacré non de torsades, d'or, de
perles, de fards, de maquillages et autres incommodités et
misères, mais de sainteté du corps et de l'esprit.
Tandis que "celle qui est mariée, dit l'apôtre,
s'inquiète des moyens de plaire à son mari".
Très habilement, il n'aborde pas l'examen des choses
mêmes et il ne dit pas ce que les femmes, pour plaire à
leurs maris, ont à souffrir dans leur corps et dans leur
âme - ce corps qu'elles torturent, qu'elles ravalent, qu'elles
tourmentent d'autres supplices encore; l'âme qu'elles ouvrent
toute grande à la bassesse, à la flatterie, à
l'hypocrisie, à la mesquinerie, aux soucis superflus et
inutiles. D'un seul mot il a suggéré tout cela,
laissant à la conscience de ses auditeurs le soin de
l'approfondir; après avoir montré l'excellence de la
virginité et l'avoir exaltée jusqu'au ciel même,
il en revient à parler de la permission du mariage, redoutant
toujours qu'on ne voie dans la virginité un précepte.
Aussi ne s'est-il pas contenté des exhortations
précédentes, mais après les mots "Je n'ai pas
d'ordre du Seigneur", et "Si la vierge se marie elle ne pèche
pas", il dit encore en cet endroit : "Ce n'est pas pour vous mettre
la corde au cou." (1
Cor 7,25).
76. Sur ce point on aurait droit d'être embarrassé : comment, puisqu'il dit un peu plus haut de la virginité qu'elle affranchit de tous liens, qu'il déclare nous la conseiller dans notre intérêt, pour nous préserver des tribulations, pour que nous soyons sans inquiétude, puisqu'il cherche à nous épargner et que par tous ces motifs il nous montre comme elle est légère et facile à porter, comment peut-il prétendre ici :
"Ce n'est pas pour vous
mettre la corde au
cou." Que veut-il dire ? Ce n'est pas la virginité qu'il
appelle une corde - non, bien sûr - mais c'est de choisir ce
bien sous la violence et la contrainte. Et c'est bien vrai : tout ce
que l'on accepte sous la violence et à contrecoeur, quelle
qu'en soit la légèreté, devient absolument
intolérable et étouffe notre âme plus cruellement
qu'un lacet. De là ces mots : "Ce n'est pas pour vous mettre
la corde au cou", c'est-à-dire : tous les avantages de la
virginité, je vous les ai énumérés et
dévoilés, néanmoins, après tout cela, je
vous laisse libres de choisir, je ne vous entraîne pas contre
votre gré vers la vertu. Car mon intention, en vous donnant
ces conseils, n'est pas de vous accabler; je veux éviter
seulement que votre belle assiduité (auprès du
Seigneur) n'ait à souffrir du contact des choses du monde. Et
remarque, là encore, je te prie, la sagacité de Paul,
vois comme il joint de nouveau l'exhortation aux prières et
sous la permission glisse le conseil. En disant : "Je ne vous
contrains pas, je vous conseille", et en ajoutant : "Pour vous
porter
à ce qui est digne et vous rend assidus" (auprès du
Seigneur), il montre ce qu'il y a d'admirable dans la
virginité et le profit que nous en retirons pour notre vie
selon Dieu. Car il est impossible à la femme
embarrassée de soucis temporels et tiraillée de toutes
parts d'être assidue (auprès du Seigneur) : toute son
activité, tous ses loisirs, se partagent entre trop de choses,
je veux dire son mari, le soin de sa maison et tout ce que, par
ailleurs, le mariage entraîne d'ordinaire à sa suite.
77. Que dit-il là ? Quand la vierge est chargée, elle aussi, d'occupations et qu'elle a des soucis temporels - à Dieu ne plaise - il la soustrait donc au choeur des vierges ?
C'est qu'il ne suffit pas de
n'être point
mariée pour être vierge, il faut encore la
chasteté de l'âme; j'entends par chasteté non pas
seulement d'être exempte d'un désir mauvais et honteux,
de parures et de soins superflus, mais d'être pure aussi de
tout souci temporel. Sans cela, à quoi bon la pureté du
corps ? De même qu'il ne saurait y avoir chose plus honteuse
qu'un soldat jetant ses armes pour passer son temps dans les
cabarets, de même il n'y a pas non plus pire inconvenance que
des vierges enchaînées dans les soucis temporels. Ainsi,
les cinq jeunes filles avaient bien leurs lampes et elles avaient
pratiqué la virginité, elles n'en retirèrent
pourtant aucun avantage, la porte leur fut fermée, elles
durent rester dehors et périrent. Oui, ce qui rend si belle la
virginité, c'est qu'elle retranche toute occasion de vain
souci et qu'elle offre un complet loisir pour s'occuper des oeuvres
de Dieu; sinon, elle est au contraire de beaucoup inférieure
au mariage, car elle couvre l'âme d'épines et
étouffe la pure et céleste semence.
78. "Si quelqu'un, dit l'apôtre, croit manquer aux convenances à propos de sa fille vierge, en lui laissant passer l'âge, et s'il est obligatoire que les choses se fassent, qu'il agisse comme il l'entend, il ne pèche point, qu'on se marie." (1 Cor 7,36).
Comment ? Qu'il agisse comme
il l'entend, loin
de corriger cette opinion fausse, tu autorises le mariage. Pourquoi
n'avoir pas dit : s'il croit manquer aux convenances à propos
de sa fille vierge, c'est un pauvre malheureux de juger
blâmable un état aussi admirable. Pourquoi ne pas lui
avoir conseillé de se défaire de ce
préjugé et d'éloigner sa fille du mariage. Parce
que, dit l'apôtre, de telles âmes appartenaient à
des êtres très faibles et rampant sur la terre; avec de
telles dispositions, il eût été impossible de les
élever d'un seul coup à la doctrine de la
virginité. Un homme assez passionné par les choses du
monde, assez admirateur de la vie présente pour estimer digne
de honte, après une telle exhortation, un état digne du
ciel et proche de la condition des anges, comment aurait-il pu
tolérer un conseil qui l'y engageait ? Est-il d'ailleurs
surprenant que Paul ait agi de la sorte à propos d'une chose
permise, lorsqu'il procède de la même façon pour
un objet défendu et contraire à la loi ? Par exemple :
établir une distinction entre les aliments, admettre les uns,
rejeter les autres, était une faiblesse judaïque, et
pourtant chez les Romains il y avait des fidèles atteints de
cette faiblesse. Or, Paul non seulement ne les condamne pas
rigoureusement, mais il fait mieux encore; négligeant les
coupables, il critique ceux qui essayaient de les empêcher,
disant : "Mais toi, pourquoi juges-tu ton frère"
(Rom 19,10)
(Romains
14:
10). Mais
tout autre est sa
manière quand il écrit aux Colossiens; avec une grande
liberté il les reprend et leur fait la leçon en ces
termes : "Que personne ne vous juge sur la nourriture et la
boisson",
et plus loin : "Si vous êtes morts avec le Christ aux
éléments du monde, pourquoi, comme si vous viviez dans
le monde, décrétez-vous : ne prends pas, ne goûte
pas ! Tout cela se détruit par l'usage qu'on en fait."
(Col
2,16).
Pourquoi cette façon de procéder ? C'est que les Colossiens étaient affermis dans la foi, alors que les Romains avaient encore besoin d'une très grande indulgence; l'apôtre attendait que la foi fût d'abord profondément implantée dans leurs âmes, de crainte qu'à chercher prématurément et trop vite à arracher l'ivraie, il n'arrachât en même temps jusqu'à la racine les plantes de la saine doctrine. Voilà pourquoi il ne veut ni les reprendre sévèrement, ni les laisser sans avertissement; il les réprimande certes, mais d'une manière voilée, à leur insu, sous le blâme dirigé tenir ce langage : car assurément, il n'est pas permis, même lorsqu'il y a contrainte, d'interdire à la jeune fille qui l'a décidé, de rester vierge; nous devons au contraire nous opposer généreusement à tout ce qui peut briser ce beau dessein; écoute en effet ce qu'en dit le Christ : "Celui qui aime son père et sa mère plus que moi n'est pas digne de Moi" : lorsque nous poursuivons une entreprise conforme aux Volontés de Dieu, tenons pour notre ennemi, notre adversaire, quiconque y met obstacle, qu'il soit notre père, notre mère ou toute autre personne. Paul cependant, parce qu'il avait encore à supporter l'imperfection de ses auditeurs, écrivait : "Celui qui s'est fermement résolu, sans contrainte. " Et il ne s'en tient pas là, quoique les expressions "sans contrainte" et ayant l'exercice de sa volonté soient synonymes. Mais par l'insistance du propos et les constantes concessions, il rassure l'esprit simple et médiocre, ajoutant même encore à tout cela une autre condition : "Celui qui a décidé dans son coeur." Car il ne suffit pas d'être libre, ce n'est pas assez pour être engagé; seuls le choix réfléchi et la décision peuvent faire la bonne action. Et puis, de crainte que sa grande indulgence ne te semble réduire à néant la distance qui sépare virginité et mariage, à nouveau il en indique la différence, timidement sans doute, mais il l'indique cependant en ces termes : "Ainsi, celui qui marie sa fille agit bien, celui qui ne la marie pas agit mieux." Mais ici, et pour le même motif encore, il ne révèle pas dans quelle mesure c'est mieux agir. Si tu désires le savoir, écoute les paroles du Christ : "On n'épouse pas, on n'est pas épousé, mais on est comme des anges dans le ciel." (Mt 22,30).
Tu vois la distance qui les
sépare,
à quelle place la virginité élève d'un
seul coup l'être mortel, la vraie virginité, s'entend.
79. En quoi, s'il te plaît, différaient-ils des anges, Élie, Élisée, Jean, ces authentiques amants de la virginité ?
En rien, sinon par les seuls
liens de leur
condition mortelle. Qu'on examine bien les autres points, on ne
trouvera pas ces prophètes moins bien partagés que les
anges. Cela même qui paraît une infériorité
contribue grandement à leur louange. Car habiter sur la terre,
être soumis aux contraintes d'une nature mortelle, et avoir pu
s'avancer à ce degré de vertu, songe à
l'énergie, à la sagesse qu'il a fallu pour cela. Et
qu'ils le doivent à la virginité, en voici la preuve :
s'ils avaient eu femme et enfants, il ne leur eût pas
été si facile d'habiter le désert, ils
n'auraient pas fait fi d'une maison et des autres commodités
de la vie. En réalité, parce qu'ils étaient
affranchis de tous ces liens, ils vivaient sur la terre comme s'ils
étaient dans les cieux, ils n'avaient nul besoin de murs, de
plafond, de lit, de table et autres choses de cette espèce;
leur toit, c'était le ciel, leur lit, la terre, leur table, le
désert. Et ce qui paraît condamner les autres hommes
à la famine, la stérilité du désert,
était pour ces saints hommes source d'abondance. Ils n'avaient
nul besoin ni de vignes, ni de pressoirs, ni de champs de blé
ni de moissons. Mais sources, rivières, nappes d'eau leur
fournissaient un breuvage suave et abondant; un ange dressait pour
l'un d'eux une table étonnante, extraordinaire, plus grande
que celles auxquelles les hommes sont accoutumés : "Ce pain
unique, dit l'Écriture, te suffit pour te soutenir pendant
quarante jours." (1
Roi 19,6-8). La
grâce de l'Esprit
apaisait souvent la faim de cet autre prophète, qui
accomplissait ainsi des miracles, et pas seulement la sienne, mais
par son intermédiaire celle de plusieurs autres. Et Jean, qui
était plus qu'un prophète, le plus grand des enfants de
la femme, n'eut pas besoin non plus de nourriture humaine; ce
n'était ni le froment, ni le vin, ni l'huile, mais des
sauterelles et du miel sauvage qui entretenaient sa vie corporelle.
Voilà des anges sur la terre. Voilà la puissance de la
virginité ! Ces êtres pétris de chair et de sang,
marchant sur le sol, assujettis aux exigences de la nature mortelle,
la virginité les rendait aptes à agir en toutes choses
comme s'ils n'avaient point de corps, comme si déjà le
ciel leur était échu, comme s'ils avaient
déjà obtenu l'immortalité.
80. Tout était pour eux superfluité, non seulement les biens réellement superflus - plaisirs, richesse, puissance, gloire et toute la séquelle de ces chimères - mais ceux qui passent pour indispensables - maisons, villes et métiers.
Voilà ce qu'il faut entendre par "ce qui est digne et rend assidu (auprès du Seigneur)", voilà ce qu'est la vertu de virginité. Chose admirable, certes, et digne de nombreuses couronnes, que de maîtriser la rage des passions, de réprimer la nature en folie; mais ce n'est chose réellement admirable que lorsqu'on y joint une pareille vie, tandis que réduite à elle-même, la virginité n'est que faiblesse et ne suffit pas pour sauver ceux qui la possèdent. Témoins toutes les femmes qui encore aujourd'hui pratiquent la virginité et qui sont aussi éloignées d'Élie, d'Elisée et de Jean que la terre l'est du ciel. De même, en effet, que si l'on retranche "ce qui est digne et rend assidu (auprès du Seigneur)", on enlève son nerf à la virginité, de même, lorsqu'on joint à sa possession une conduite parfaite, on détient la racine et la source des biens. Comme le fait pour la racine une terre grasse et fertile, une conduite parfaite sait nourrir les fruits de la virginité, ou plutôt une vie crucifiée est à la fois racine et fruit de la virginité.
C'est elle qui frotte
d'huile ces êtres
généreux pour leur course admirable, coupant autour
d'eux tous les liens et leur permettant de prendre d'un pied agile
et
léger, comme des êtres ailés, leur essor vers le
ciel. Lorsqu'on n'a point d'épouse à entourer de soins,
ni d'enfants à sa charge, le dénuement est très
facile à supporter; or, le dénuement nous rapproche des
cieux en nous délivrant non seulement des craintes, des
soucis, des dangers, mais de toutes les autres
contrariétés.
81. Celui qui n'a rien, comme s'il possédait tout, méprise tout; il agit avec une grande assurance vis-à-vis des magistrats, des princes, de celui même qui est ceint du diadème.
Car celui qui méprise les
richesses,
poursuivant sa route, en viendra facilement à mépriser
la mort. Bien au-dessus de ces considérations, à tous
il parlera avec assurance, sans redouter ni craindre personne. Mais
celui qui n'a que l'argent en tête n'est pas seulement
l'esclave de cet argent, il l'est aussi de la gloire, de l'honneur,
de la vie présente, en bref de toutes les choses humaines.
Aussi Paul dénonce-t-il l'amour de l'argent comme "la racine
de tous les maux". (cf 1
Tim 6,10). Or,
cette racine, la
virginité est à même de la dessécher et
d'en implanter une autre en nous, la racine parfaite d'où
germent tous les biens, liberté, assurance, courage,
zèle de feu, amour ardent des choses du ciel, mépris de
toutes les choses de la terre. C'est ainsi qu'on parvient à
"ce qui est digne et rend assidu (auprès du Seigneur)".
82. Mais quel est le sage propos de la plupart des gens ?
Le patriarche Abraham, dit-on, avait une femme, des enfants, de la fortune, des troupeaux de moutons et de boeufs; et malgré tout cela Jean le Baptiste, Jean l'Évangéliste, tous deux vierges, et Paul et Pierre qui brillèrent par leur continence, souhaitent de s'en aller dans le sein d'Abraham. Qui t'a raconté cela, mon cher ami ? Quel prophète ? Quel évangéliste ? Le Christ lui-même. Devant la grande foi du centurion, il disait : "Beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident et prendront place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob." (Mt 8,11). Et le riche ne voit-il pas Lazare partager alors la félicité du patriarche ? Et quel rapport y a-t-il avec Paul, quel rapport avec Pierre ? Quel rapport avec Jean ? Paul et Jean n'étaient pas Lazare, et cette "foule de ceux qui viennent de l'Orient et de l'Occident" ne formait pas le collège des apôtres. Aussi ton raisonnement est-il sans fondement et sans valeur. Désires-tu connaître exactement les trophées réservés aux apôtres, écoute la parole de celui qui doit les leur distribuer : "Vous qui m'avez suivi, lorsque le Fils de l'homme siégera sur son trône de gloire, vous siégerez vous aussi sur douze trônes et vous jugerez les douze tribus d'Israël." (Mt 19,28). Il n'est nulle part question ici d'Abraham, ni de son fils, ni de son petit-fils ni du sein qui les accueillera, mais d'une dignité bien plus considérable, puisqu'ils siégeront sur leurs trônes pour juger les descendants de ces patriarches. La différence ne se borne pas à cela d'ailleurs : la récompense d'Abraham, beaucoup l'obtiendront. "Beaucoup viendront, dit le Christ, de l'Orient et de l'Occident et prendront place aux côtés d'Abraham, d'Isaac et de Jacob", mais sur ces trônes nul ne prendra place en dehors du choeur des saints apôtres.
Et après cela, dis-moi, vous
me parlez
encore de troupeaux de brebis et de boeufs, de mariage et d'enfants
?
Eh quoi ?, me dira-t-on, si, parmi ceux qui ont pratiqué la
virginité, beaucoup, après tant de sueurs, ne
souhaitent d'en venir que l. Je vais vous dire, moi, quelque chose
de
plus grave : nombre de ceux qui ont pratiqué la
virginité n'obtiendront même pas le sein d'Abraham ni
même une récompense moindre, ils s'en iront dans la
géhenne, ce que prouve bien l'exemple des vierges exclues de
la chambre nuptiale. Est-ce alors, à ce compte, que le mariage
vaut la virginité et même que celle-ci lui est
inférieure ? Car l'exemple que tu invoques la rend
inférieure : si Abraham, qui a été marié,
jouit maintenant du repos et du bien-être tandis que ceux qui
ont pratiqué la virginité sont dans la géhenne,
c'est la seule conclusion que nous fasse supposer ton raisonnement.
Mais non, pas du tout, pas du tout. Loin de lui être
inférieure, la virginité est de beaucoup
supérieure au mariage. Comment cela ? Parce que ce n'est pas
au mariage qu'Abraham doit son sort, ce n'est pas la virginité
qui a perdu ces malheureuses, ce sont les autres vertus morales du
patriarche qui ont assuré sa gloire et c'est la vie par
ailleurs perverse de ces vierges qui les a livrées au feu.
Abraham, quoique vivant dans le mariage, s'est efforcé de
cultiver les vertus de la virginité, je veux dire "ce qui est
digne et rend assidu (auprès du Seigneur)", et ces vierges,
bien qu'elles eussent choisi la virginité, sont tombées
dans les tempêtes du siècle et les embarras du mariage.
Eh bien ? qu'est-ce qui empêche, maintenant encore, un homme
marié, avec des enfants, de la fortune, et tout le reste, de
garder "ce qui rend assidu (auprès du Seigneur)" ? D'abord il
n'y a personne aujourd'hui de comparable à Abraham, ni
même qui en approche, si peu que ce soit. Plus que ceux qui
pratiquent le dénuement, Abraham en effet a
méprisé l'argent, tout riche qu'il fût, et
marié, il maîtrisait aussi le plaisir mieux que les
hommes voués à la virginité. Ces derniers en
effet chaque jour sont embrasés par la concupiscence, mais il
en avait, lui, si bien étouffé la flamme, il
s'était si bien affranchi des liens de la convoitise que bien
loin de toucher à sa concubine, il la chassa de sa maison pour
prévenir toute occasion de querelle et de mésentente.
De nos jours, il serait fort malaisé de trouver une telle
conduite.
83. Et, outre cela, je répéterai encore ici ce que je disais en commençant : on ne réclame pas de nous la même mesure de vertu qu'on réclamait alors.
Aujourd'hui, il est impossible d'être parfait sans avoir vendu tous ses biens, sans avoir renoncé à tout, je ne dis pas seulement à sa fortune, à sa maison, mais à sa propre vie. A cette époque, il n'y avait pas encore d'exemple d'une telle exigence morale. Alors, nous menons aujourd'hui une vie plus exigeante sur le plan moral que celle du patriarche ? Nous le devrions, certes, et c'est le précepte que nous avons reçu, mais nous ne le faisons pas, aussi restons-nous bien loin derrière ce juste; bien loin, car les épreuves qui nous sont proposées sont plus importantes, c'est l'évidence même. Voilà pourquoi l'Écriture, offrant Noé à notre admiration ne le fait pas franchement, elle y joint une nuance : "Noé, homme juste et parfait parmi les hommes de sa génération, fut agréable à Dieu." (Gen 6,9). Il n'était pas parfait tout court, mais eu égard à son temps. Car il y a plusieurs modes de perfection, définis selon la diversité des circonstances, et avec le temps, ce qui était parfait à une époque devient plus tard imparfait. Par exemple : autrefois, vivre selon la Loi était parfait : "Celui qui les mettra en pratique, est-il dit, vivra par elles". (Lev 18,5). Mais le Christ est venu et a montré que cette perfection était imparfaite : "Si votre justice ne surpasse celle des scribes et des Pharisiens, dit-il, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux". (Mt 5,20). En ces temps, seul l'homicide passait pour un crime, aujourd'hui la colère et les injures suffiraient pour nous livrer à la géhenne. En ces temps, l'adultère seul était châtié, maintenant même le regard coupable jeté sur une femme n'est pas soustrait au châtiment. En ces temps, le parjure seul procédait du Malin, maintenant le serment même en procède : "Ce qu'on y ajoute vient du Malin", est-il dit (Mt 5,37). On demandait simplement aux hommes de ce temps, de chérir ceux qui les aimaient, maintenant cet acte, grand et admirable, est si imparfait que son accomplissement ne nous donne rien de plus qu'aux publicains. 84. Pourquoi donc les mêmes actes de vertu ne valent-ils pas même récompense à nous et aux hommes de l'ancienne Loi ? Et pourquoi faut-il déployer une vertu plus grande si nous voulons être traités comme eux ? Parce que la grâce de l'Esprit s'est répandue aujourd'hui avec abondance, immense est le présent de la venue du Christ : des nourrissons que nous étions, il a fait des hommes achevés.
Ainsi en est-il avec nos enfants : lorsqu'ils parviennent à l'adolescence, nous sommes plus exigeants pour leur bonne conduite, et les actes dont nous les félicitions auparavant dans leur première enfance, nous ne les admirons plus autant quand ils les accomplissent devenus hommes, nous réclamons de leur part d'autres témoignages bien plus sérieux; ainsi pour la nature humaine : Dieu ne lui demandait pas, dans les premiers temps, de grands actes de vertu, car elle était en bas âge. Mais quand elle eut entendu la voix des prophètes, des apôtres, et qu'elle eut été touchée par la grâce de l'Esprit, Dieu accrut l'importance des vertus qu'il lui demandait; - et avec raison, puisqu'il nous propose des récompenses plus belles et des trophées beaucoup plus glorieux aujourd'hui; ce n'est plus la terre ni les choses de la terre, mais le ciel et les biens dépassant l'entendement qui sont offerts à ceux qui les accomplissent. Ne serait-ce pas absurde de persévérer dans la même puérilité, une fois devenus hommes ? En ces temps, la nature humaine était intérieurement déchirée, victime d'une guerre implacable. Paul, décrivant cet état, s'exprime ainsi : "J'aperçois dans mes membres une autre loi qui lutte contre la loi de mon entendement et qui me rend captif de la loi du péché qui réside dans mes membres." (Rom 7,23). Mais il n'en est pas ainsi maintenant : "Ce qui était impossible à la Loi, parce qu'elle était sans force à cause de la chair, Dieu, en envoyant son propre Fils revêtu d'une chair semblable à celle du péché et au sujet du péché a condamné le péché dans la chair." (Rom 8,3). Et rendant grâces au Seigneur de ce bienfait, Paul s'écriait : "Malheureux que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Grâces soient rendues à Dieu par Jésus Christ." (Rom 7,24). Aussi, est-ce avec justice qu'on nous châtie parce que nous nous refusons, nous libres d'entraves, à courir aussi vite que les hommes chargés de liens; ou plutôt, même si nous pouvons courir aussi vite, nous ne sommes pas pour autant soustraits au châtiment. Car ceux qui jouissent d'une paix profonde doivent dresser des trophées beaucoup plus grands et éclatants que ceux qu'écrasent les fardeaux de la guerre.
Si nous voulons nous consacrer sans relâche à l'argent, aux plaisirs, aux femmes et au soin des affaires quand serons-nous des hommes ? Quand vivrons-nous de l'Esprit ? Quand nous inquiéterons-nous des choses du Seigneur ? Lorsque nous aurons quitté cette terre ? Mais ce ne sera plus alors le temps des épreuves ni des combats, mais celui des couronnes et des châtiments. Alors, si une vierge n'a pas d'huile dans sa lampe, il sera pour elle impossible d'en emprunter à autrui, elle restera dehors. Et celui qui se présentera vêtu d'habits sordides ne pourra sortir pour changer de vêtements, il sera rejeté dans le feu de la géhenne. Et s'il appelle à son aide Abraham lui-même, cela ne lui servira de rien désormais. Car le grand jour arrivé, le tribunal dressé, le Juge sur son trône, le fleuve de feu roulant ses flots, l'examen de nos actions commencé, nous ne sommes plus autorisés à nous dépouiller de nos fautes, mais nous sommes, bon gré mal gré, entraînés vers le châtiment qu'elles méritent; non seulement personne, alors, ne pourra intercéder pour nous, mais se trouverait-il un être possédant l'assurance des grands hommes que nous admirons, serait-il Noé, Job, ou Daniel, supplierait-il pour ses enfants et pour ses filles, tout cela ne servira de rien. Immortel, désormais, sera le châtiment des pécheurs, tout comme la récompense des hommes vertueux. Ni l'un ni l'autre n'auront de terme, le Christ l'a déclaré, disant que si la vie est éternelle, le châtiment lui aussi sera éternel. Après avoir accueilli ceux qui sont à sa droite et condamné ceux qui sont à sa gauche, il ajoute : "Ils s'en iront, ceux-ci, au châtiment éternel et les justes à la vie éternelle." (Mt 25,46). Aussi devons-nous ici-bas déployer tous nos efforts, celui qui a femme pour être comme s'il n'en avait pas, et celui qui effectivement n'en a pas pour pratiquer avec la virginité toutes les autres vertus, afin que nous n'ayons pas, au sortir de cette vie, à nous consumer en d'inutiles lamentations.
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