Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Le premier et le dernier

Ne crains point! Je suis le premier et le dernier, le Vivant. J'ai été mort, mais je suis vivant aux siècles des siècles; et je tiens les clefs de la mort et du séjour des morts.

Apoc. 1. 18.


L'Eternel marche devant vous, et votre arrière-garde, c'est le Dieu d'Israël.

Esaïe 52. 12


Nous entrons, dit-on, dans le printemps le plus sanglant, le plus mortel de l'histoire, où les hommes par milliers vont se précipiter les uns les autres dans l'abîme, où les destructions et les désespoirs et les injustices se poursuivront avec la même infernale monotonie. Et que dire à ce monde livré à la mort ? A ces hommes sans espoirs, ou bien chargés de faux espoirs. Nous sommes tellement muets, tellement las, tellement misérables. L'histoire n'est qu'un perpétuel lendemain du Vendredi-Saint, une suite d'illusions et de désillusions. Et ce que les hommes disent peut être agréable et très encourageant. Ils parlent du printemps de la nature, de reconstruction et de révolution. Mais tout ce que nous disons est déjà saboté secrètement par l'orgueil et la mort. Nos projets ne sont que des rêves de prisonniers.

Il y a deux mille ans, les hommes aussi faisaient des projets ou se désespéraient. Ils ne savaient pas que l'état du monde était beaucoup plus désespéré qu'ils ne le pensaient et qu'il avait coulé sur la croix plus de sang que sur tous les champs de bataille de l'histoire. Mais surtout, au milieu des projets qu'ils faisaient, ils ne savaient pas que Dieu avait, Lui, de son côté, un projet qu'Il était en train d'exécuter, et que ce matin même il allait se passer quelque chose de meilleur que tout ce que nous avons jamais pu rêver et projeter. Quelque chose grâce à quoi on pourra nous dire : Ne crains point ! Il n'y a plus rien à craindre ! - Personne n'en sait rien. Nul ne soupçonne ce qui s'est passé, jusqu'à ce qu'il rencontre Celui que l'on avait éliminé, jusqu'à ce que se lève et parle Celui que l'on avait descendu dans le silence de la tombe. - « J'étais mort, mais je suis vivant aux siècles des siècles. » Celui qui nous parle, parle de la mort au passé. Il est le seul être au monde qui puisse parler de la mort au passé, parler d'une mort terminée. Il n'a pas de mort devant Lui. La mort ne le précède plus. C'est Lui qui va devant. Il est le premier. Il est devant tout. Mais il est aussi le dernier, et cela parce qu'il a subi la mort, Il s'est mis derrière elle; Il ne l'a pas laissée être la dernière chose.

Il est le premier et le dernier. C'est la Révélation de Dieu. Il est, disait Esaïe, notre avant-garde et notre arrière-garde. Nous marchons entre Lui et Lui. Voyez bien ce que cela signifie pour notre vie; voyez quelle bonne nouvelle; car nous sommes comme des soldats qui s'avancent en colonne dans un pays ennemi. C'est une marche angoissante, car toutes les surprises sont à craindre. Pour ceux qui vont devant surtout, c'est l'inconnu, c'est le risque à chaque instant de tomber dans une embuscade. Les soldats savent bien ce que c'est qu'une marche de reconnaissance, et de cette angoisse d'être en avant, quand il faut avancer et que l'on se dit: «Il n'y a personne devant nous, nous sommes les premiers. Il n'y a rien devant nous, pour nous avertir et nous protéger.» Et c'est ainsi pourtant que nous cheminons tous dans notre vie. Nous allons, et qui va devant nous ? Il n'y a devant nous que l'ennemi qui prépare son embuscade, et qui tombera sur nous infailliblement; c'est-à-dire qu'il n'y a devant nous que la mort. Nous pouvons marcher peut-être longtemps encore avant de la rencontrer. Mais nous sommes devant, et il n'y a personne entre elle et nous.

Alors, voici la grande nouvelle, le Ressuscité déclare:

« Je suis le Premier.» Si nous l'entendons vraiment, il faut bien que cela donne à notre coeur cette détente, ce soulagement, cet apaisement, que procure à des soldats la déclaration de leur chef : «Vous savez, vous n'avez rien à craindre, il y a devant nous une avant-garde. Nous ne sommes pas les premiers. L'ennemi ne peut pas tomber sur nous. » Ainsi, Jésus-Christ Ressuscité nous précède toujours, où que nous soyons, où que nous allions. Non seulement Il va le premier, mais Il est le premier. Son essence est d'être le Premier. Il n'est pas un lieu ni un temps où Il ne soit d'abord; Il est le premier-né de la création; Il est le premier-né d'entre les morts.

Mais ce n'est pas tout. Il ne suffit pas à une colonne qui avance en pays inconnu d'avoir une avant-garde. Le danger n'est pas seulement devant. Il est aussi derrière. Il est peut-être plus angoissant encore, pour les hommes, d'être les derniers, de se dire: «Il n'y a rien derrière moi, plus personne que ce grand pays inconnu où l'ennemi peut surgir.» Oui, c'est angoissant et c'est dur d'être le dernier d'une colonne en marche, d'être soi-même l'arrière-garde. Surtout si l'on est fatigué ou blessé et que l'on n'arrive plus à suivre, et qu'il faut s'arrêter au bord du chemin. Et qui donc alors ramassera ces hommes, s'ils sont les derniers, et s'ils ne peuvent pas suivre ? Qui les ramassera s'il n'y a plus personne derrière eux ? Les voilà seuls abandonnés à l'ennemi, livrés à la mort. Nous sommes tous ainsi dans la vie. Qui avons-nous derrière nous ? Personne. Rien. Pas d'arrière-garde. Et l'heure vient toujours, plus ou moins tôt, où la fatigue, où la maladie nous empêchent de suivre la colonne; nous voyons les hommes s'éloigner et nous restons seuls en arrière. Qui nous ramassera ? Que nous arrivera-t-il ? La captivité, la mort ? Il n'y a plus d'autre espoir puisque nous sommes les derniers.

C'est dans cette situation qu'ici encore retentit la nouvelle inespérée: « Je suis le Dernier», Celui qui vient derrière, Celui qui ferme la marche. Jésus-Christ est notre arrière-garde. Si nous l'entendons, il n'est alors plus possible que nous soyons les derniers, nulle part, même si nous sommes assis depuis longtemps sur le bord de la route à ne plus pouvoir avancer. Où que nous nous arrêtions, n'en pouvant plus, Il est encore derrière. Nous ne pouvons aller nulle part sans qu'Il soit derrière nous. Mais comment Lui, qui est le premier dans sa résurrection, peut-Il être aussi le dernier ? Autant demander comment Lui, vivant aux siècles des siècles, peut être mort, sérieusement mort et maudit sur la croix ? Pourtant, c'est la vérité. Le premier, le Prince de la vie, est aussi le dernier. Il l'est sur la Croix, réellement. S'il n'était pas mort, mais s'Il était descendu de la croix, alors nous, en mourant, nous serions derrière Lui. S'il n'était pas mort, il resterait quelque chose derrière Lui. Mais comme Il peut dire: « J'ai été mort», il peut dire aussi: «Je suis le dernier. Quoi qu'il t'arrive, et même si tu es définitivement arrêté dans un cercueil, même si tu es dans l'impossibilité de jamais rejoindre la colonne des vivants, c'est Moi, c'est Moi quand même qui ferme la marche, c'est Moi qui te ramasse, - c'est Moi qui suis toujours et quoi qu'il arrive le dernier, absolument le dernier, puisque jamais personne ne pourra être derrière, là où j'ai été sur la croix. » Ainsi, quand Esaïe proclamait aux captifs de Babylone: «L'Eternel, le Dieu d'Israël ouvrira votre marche, et l'Eternel fermera votre marche, ce n'était pas seulement une image, c'était déjà la réalité de Jésus-Christ. C'était Pâques l'avant. garde et Vendredi-Saint l'arrière-garde.

Mais laissons-nous toucher mieux encore par cette Parole: regardons notre vie. Où commence-t-elle et où finit-elle ? Nous avons beau chercher, nous ne savons pas où nous commençons et où nous finissons. Nous ne savons pas d'où nous venons ni où nous allons. Nous n'avons ni commencement ni fin. C'est notre malheur insondable : ne venir de nulle part et n'aller nulle part; il n'est rien de pis. C'est ce que la Bible appelle la mort. L'homme pécheur, l'homme séparé de Dieu, c'est justement l'homme sans commencement ni fin, sans origine et sans but. L'homme, gouttelette perdue dans l'Océan des âges, caillou lancé dans le silence éternel des espaces infinis, l'homme qui tombe à jamais dans une histoire sans fond. Dieu seul peut vivre sans commencement et sans fin. L'homme ne peut que mourir. Et ce fut la tromperie effroyable du serpent dans le paradis (et ça l'est tous les jours) de dire à Adam: se sera merveilleux pour toi d'être comme Dieu, de n'avoir comme Dieu ni commencement, ni fin, de n'avoir personne devant toi, ni derrière toi. Fais un essai ! Goûte à cette liberté ! Goûte à cet infini ! Adam a essayé et nous avons tous essayé. Et cela n'a pas été merveilleux du tout.

Pour l'homme, pour la créature, être comme Dieu, n'avoir ni commencement ni fin, ni avant-garde ni arrière-garde, cela n'est point la vie, mais la mort; cela n'est point le salut, mais la perdition. Cela n'est point la joie, mais l'angoisse. Et si nous sommes tous ici des hommes pécheurs, des hommes morts, ce n'est pas que nous mentions ou convoitions, ou dérobions, ce n'est pas que nous soyons des gens immoraux ou irréligieux, c'est d'abord parce que nous n'avons ni commencement ni fin. Voilà l'état que la Bible appelle la perdition, notre état d'homme sans limite; d'homme qui plonge indéfiniment ses pensées dans l'univers et dans l'histoire, sans jamais rien trouver qui l'arrête, sans parvenir à aucune frontière. Alors, le message de Pâques, c'est le message inverse de celui du serpent dans la Genèse; c'est le message qui anéantit l'état dans lequel nous a plongés la promesse du malin: «vous serez comme Dieu ». A cette lamentable colonne de marche qui va depuis la chute sans avant-garde ni arrière-garde, à ce troupeau d'hommes sans berger, errants sans direction, Jésus-Christ rend la vie en devenant son avant-garde et son arrière-garde. A la lumière de Pâques, nous comprenons tout cela pour la première fois : Dieu, qui est sans commencement ni fin, a pris en Jésus-Christ un commencement et une fin, pour nous rendre ainsi la vie; car la vie, cela n'est pas, comme le diable veut toujours nous le faire croire, être infini, être soi-même un dieu, c'est au contraire trouver en Dieu son commencement et sa fin. Rentrer dans le Paradis, avoir la vie éternelle, ça n'est pas je ne sais quel prolongement de notre existence après la mort, c'est retrouver aujourd'hui même en Jésus-Christ le commencement et la fin que nous avons perdus, le vrai cadre, la vraie forme, la vraie limite, de notre existence. Avoir la vie éternelle, c'est écouter la voix de Celui qui nous dit: « Je suis le Premier et le Dernier, le commencement et la fin, le Vivant. Je tiens les extrémités du monde. Je tiens les clefs de la mort. Je tiens les deux bouts de ta vie.» Entendez bien le message de Pâques : cet homme crucifié est au commencement de tout, et il est à la fin de tout, je ne puis reculer ni avancer sans tomber sur Lui. Rien ne peut commencer sans Lui, et rien ne peut finir sans Lui. Il est le Vivant, et il n'y a de vivant que ce qu'il commence et termine. C'est Lui qui dit le premier mot, et c'est Lui qui dit le dernier mot. Lui qui ouvre la marche et Lui qui ferme la marche. Le savoir, c'est avoir la paix qui surpasse toute intelligence, c'est avoir la joie que nul ne peut nous ravir.

Entre temps, il peut se passer des choses terribles. Entre temps, les puissances de ce monde peuvent mettre la main sur nous et nous étrangler. Entre temps, chacun peut jouer au maître et s'exercer à dire le dernier mot, chacun peut faire et vivre comme si le tombeau de Joseph d'Arimathée était demeuré scellé. Mais c'est un entre-temps. Un tout petit entre-temps, jusqu'à ce que le Seigneur de toutes choses vienne terminer notre histoire interminable. Amen.


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