Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Les mains de Pilate

Jésus comparut devant le gouverneur, et le gouverneur l'interrogea en disant: C'est toi qui es le roi des Juifs ?... Jésus répondit: Tu le dis. Et pendant que les principaux sacrificateurs et les anciens l'accusaient, il ne répondait rien. Alors Pilate lui dit: N'entends-tu pas tous les témoignages qu'ils déposent contre toi ? Mais il ne répondit rien sur aucun point, de sorte que le gouverneur était fort étonné.

A chaque fête de Pâques, le gouverneur avait coutume de relâcher un prisonnier, celui que le peuple désignait. Or, il y avait à ce moment-là un prisonnier fameux, nommé Barabbas. Pilate dit donc au peuple rassemblé: Lequel voulez-vous que je vous relâche: Barabbas, ou Jésus celui qu'on appelle Christ ? Car il savait bien que c'était par jalousie qu'ils avaient livré Jésus.

Pendant qu'il siégeait à son tribunal, sa femme lui envoya dire: N'aie rien à faire avec ce juste; car j'ai beaucoup souffert, aujourd'hui, en songe, à cause de lui. - Mais les principaux sacrificateurs et les anciens persuadèrent au peuple de demander Barabbas et de faire périr Jésus. Le gouverneur, prenant la parole, leur dit: Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? Ils répondirent: Barabbas ! Pilate leur dit: Que ferai-je donc de Jésus, qu'on appelle Christ ? Tous répondirent: Qu'il soit crucifié! Le gouverneur dit: Mais quel mal a-t-il fait ? Ils criaient encore plus fort: Qu'il soit crucifié!

Pilate, voyant qu'il ne gagnait rien, mais que le tumulte augmentait, prit de l'eau et se lava les mains devant le peuple, en disant: Je suis innocent du sang de cet homme; cela vous regarde. Et tout le peuple répondit: Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! Alors il leur relâcha Barabbas. Quant à Jésus, après l'avoir fait battre de verges il le leur livra pour qu'il fût crucifié.

Matthieu 27. 11-26


Jésus comparait devant Pilate. C'est une scène inconcevable où tout est renversé, où tout est à l'envers. Jésus, la justice de Dieu, cité devant notre justice. Jésus, notre juge éternel que nous allons juger. Celui qui viendra pour juger les vivants et les morts, comparaît devant notre tribunal.

Nous voilà en train de juger le Fils de Dieu - quelle dérision ! Quelle scène étrange On n'ose penser sans frémir à la parole de Jésus : On vous jugera avec la mesure avec laquelle vous aurez jugé.» Ici les hommes vont donner la mesure de leur justice. Que deviendrons-nous au jour du jugement dernier si cette mesure nous est appliquée ? Si Jésus nous juge comme nous l'avons jugé, s'il fait de nous ce que nous avons fait de lui ? Mais ce n'est pas pour nous le rendre que Jésus subit le jugement de Pilate, c'est au contraire pour nous en délivrer, c'est pour qu'apparaisse une fois pour toutes, dans sa condamnation, de quoi notre justice est capable et comment l'homme qui se veut maître et juge de toutes choses, comment le fils d'Adam qui savoure le fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal et qui s'est assis sur le trône de Dieu, utilise maintenant le pouvoir qu'il a usurpé. Toute cette scène est une singulière démonstration de ce qui s'est passé le jour de la chute dans le jardin d'Eden. Nous en voyons là le résultat. D'un côté l'homme qui a cueilli le fruit, qui a pris la place de Dieu et qui juge; et nous voyons comment. Et de l'autre au contraire Jésus-Christ, Dieu qui a pris la place de l'homme et qui vient subir notre justice pour en faire éclater l'injustice et nous conduire à la repentance. A cet égard, la scène où la foule réclame la libération de Barabbas, le chef de bande meurtrier, plutôt que celle de Jésus est une ironie cinglante. Encore une fois, nous voyons agir là les fils d'Adam, les hommes qui prétendent discerner le bien du mal, des hommes éclairés, des hommes dont les yeux sont ouverts. « Allez-y, disait le serpent, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal.» Nous voyons où aboutit le discernement promis par le serpent, quand la justice humaine préfère Barabbas au Fils de Dieu. N'est-ce pas magnifique ? Comme nos yeux sont ouverts ! Est-ce qu'en tout cela c'est bien Jésus qui est jugé ? N'est-ce pas plutôt nous et notre justice qui sommes jugés ? N'est-ce pas plutôt nous qui sommes condamnés ? Quoi de plus cuisant pour le monde que ce jugement qu'il porte sur Jésus, le seul innocent, et qu'il porte sur lui, non pas malgré son innocence, mais à cause de son innocence. C'est l'innocence même du Fils de Dieu, cette innocence reconnue par Pilate, que les hommes ne peuvent supporter, parce qu'elle les accuse tous et ils préfèrent, pour supprimer cette accusation, supprimer l'innocent.

Remarquez bien comment dans cette affaire tout le monde est engagé, tout le monde est responsable. Ce n'est pas seulement Pilate qui fait condamner Jésus, au contraire il tâche plutôt de le tirer d'affaire. Ce ne sont pas seulement quelques sacrificateurs, qui veulent la mort de Jésus par jalousie, mais c'est aussi le peuple, le peuple versatile et stupide, qui s'embrasait le jour des Rameaux, et dont la déception aujourd'hui est aussi grande que le fut son enthousiasme. - Pilate dit au peuple rassemblé : « Lequel voulez-vous que je vous relâche, Barabbas ou Jésus ? » En face de la haine des chefs, Pilate fait appel au peuple. C'est un vrai vote populaire. Le peuple répond: «Barabbas ! » Et Jésus qu'en ferai-je ? - Tous répondirent: «Qu'il soit crucifié ! » Tous ! Unanimité des votants! Evidemment Pilate n'est pas seul responsable, ni les anciens du peuple. Si Pilate est coupable, c'est justement d'avoir cédé à l'opinion publique. Il n'y a donc pas plus de justice dans l'opinion publique que dans l'opinion individuelle, pas plus de justice dans le suffrage universel que dans l'autorité de quelques hommes, pas plus de justice dans la démocratie que dans l'oligarchie ou que dans la monarchie. Toutes les justices humaines concourent à condamner le Fils de Dieu. Toutes les justices humaines s'effondrent dans le procès du Fils de Dieu.

En foule, aujourd'hui, nous serions tous pareils à cette foule qui se laisse persuader n'importe quoi, et qui crie n'importe quoi, le matin vive Jésus-Christ, et le soir vive Barabbas. Mais individuellement, je pense que c'est à Pilate que nous ressemblons le plus, et que c'est vraiment Pilate qui nous représente dans cette histoire. Car nous ne voulons pas la mort de Jésus bien sûr. Nous ne sommes pas jaloux de lui. Et Pilate non plus. Que veut Pilate, au fait ? je vais vous le dire: Pilate veut la paix, sa paix. C'est évident au cours de toute la scène. La paix ! Pas d'histoires! Il voit bien vite que Jésus est inoffensif et qu'il n'a rien à craindre de lui. Dès lors que lui importe le sort de ce petit Juif illuminé ? Qu'il vive ou qu'il meure, la paix avant toute chose. Quand ce ne sont que les sacrificateurs qui demandent la mort de Jésus, Pilate résiste fermement. Car, condamner un innocent pourrait amener un soulèvement populaire. Mais quand Pilate constate que le peuple entier veut sa mort, et que s'il ne l'accorde pas, il y aura des troubles (et l'on sait à quel point un gouverneur colonial craint les troubles), quand Pilate est assuré que l'ordre et la paix seront de livrer Jésus, il cède et le leur livre. La paix avant tout n'est-ce pas ? La paix vaut bien le sang du Fils de Dieu. Et c'est ainsi que le monde construit sa paix et sa tranquillité sur le supplice de Jésus-Christ. Mais Pilate pour se dégager personnellement et pour avoir la conscience tranquille (parce qu'il ne tient pas seulement à sa situation, mais aussi à sa conscience et qu'en outre il entend ménager les rêves de Madame Pilate), Pilate, aux yeux de qui l'innocence de Jésus éclate, prend un bassin et fait le geste fameux de se laver les mains en disant: «Je suis innocent du sang de cet homme, cela vous regarde!» En face de la croix, Pilate se lave les mains.

Non, vraiment, il n'y a pas un homme dans toute cette histoire que nous comprenions mieux que lui, qui nous soit plus proche, plus semblable. Car il n'a pas de mauvaises intentions, il reconnaît même l'innocence de Jésus. Nous pareillement... Il veut la paix, et c'est bien ce que nous voulons aussi. C'est justement ce que veut n'importe quel honnête homme. Ecoutez le raisonnement des Pilate d'aujourd'hui: « Voilà deux mille ans qu'on nous empoisonne l'existence avec ce Jésus. Qu'on nous laisse la paix! Qu'est-ce que cela peut bien me faire après tout le sort de Jésus ? En quoi est-ce que cela me regarde ? je n'y suis pour rien, là dedans. Laissez-moi tranquille. » Et c'est ainsi que l'on se lave les mains. C'est le geste de tous les honnêtes gens, de tous les bien-pensant, notre attitude instinctive: «Je suis innocent du sang de cet homme.» Sa mort regarde les autres. Elle regarde les juifs, elle regarde Pilate, elle regarde les sans-dieux. Moi, je n'aurais pas fait cela. C'est évidemment le vrai moyen, le moyen souverain que nous avons d'échapper à Jésus-Christ, que de nous laver les mains devant lui. Cette attitude correcte, sans reproche, c'est la perfection de l'indifférence, la parfaite tiédeur, le suprême athéisme. «Je n'y puis rien. Je me lave les mains.» Oui, nous nous lavons tous et toujours les mains. Le monde entier passe son histoire à se laver les mains du sang de cet homme, dont il est tout éclaboussé. C'est qu'aussi nous ne pouvons pas faire autre chose jusqu'au jour où nous comprenons ceci: Je n'ai pas à me laver les mains du sang de Jésus, puisque au contraire c'est le sang de Jésus qui me lave. Il ne peut rien m'arriver de pire que d'être lavé du sang de Jésus, parce qu'il ne peut rien m'arriver de meilleur que d'être lavé par son sang. Son sang sur mes mains, c'est l'eau de mon baptême, c'est le vin de la sainte Cène, c'est mon seul espoir dans la vie et dans la mort. Oh, ne me lavez pas de ce sang qui me lave ! Ne m'innocentez pas de cette mort qui me rend innocent !

Ainsi, face au Seigneur crucifié, l'humanité se partage en deux camps (il n'en est pas de troisième), ceux qui se déclarent innocents de la mort de Jésus, et qui se lavent les mains de son sang - et ceux qui se déclarent coupables de sa mort et qui sont lavés par son sang. Et ceux-là crieront plutôt avec les Juifs : «Que son sang retombe sur nous !» Le peuple ne sait pas ce qu'il dit en criant cela, évidemment. Ce n'est dans sa bouche, à ce moment, qu'un cri de haine. Mais c'est un cri prophétique. Sans le savoir, le peuple prononce ici la prière de l'Eglise, il prononce ici la Parole de Dieu. Comme Caïphe. C'est l'étrange destinée du peuple juif de dire la vérité sans y avoir part, de prononcer la Parole de Dieu mais avec un voile qui l'empêche de saisir le sens de cette parole. Et nous n'avons rien d'autre à dire, nous, si nous croyons, rien d'autre à dire que cela, non comme un cri de haine, mais comme la prière de la repentance : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants et nous purifie de tout péché !»

Donc ne vous y trompez pas ! Les paroles de la foi, elles sont ici encore du côté du peuple juif. Et l'attitude de Pilate qui est notre attitude courante, voilà la totale absence de la grâce, voilà le plus grand éloignement de Jésus-Christ. Pilate, ô Pilate ! l'homme de toute la Bible qui me ressemble le plus. Celui qui reconnaît l'innocence de Jésus et qui se lave les mains en le livrant pour être crucifié. Pilate, l'homme que je rencontre tous les jours dans chaque village de la paroisse - des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, tous des Pilate, occupés à se faire une bonne conscience, à se laver consciencieusement les mains, et à vivre comme si la mort du Fils de Dieu ne les regardait pas. Oui, l'Eglise est pleine de Pilate. Est-ce que j'exagère ? Est-ce qu'il y a ici quelqu'un qui en face de cette histoire n'ait pas pour première réaction de se laver les mains et de penser qu'il n'y est pour rien ! Oh, ne demeurez pas là je vous en supplie. Ne refusez pas la grâce ! Si vous vous croyez innocent de la mort de Jésus, comment sa mort vous rendra-t-elle innocents pour l'éternité ? Si vous êtes innocents de la mort de Jésus et que vous vous en lavez les mains, vous n'avez aucune part à sa mort, ni par conséquent à sa résurrection, aucune part à la grâce, aucune part au Royaume de Dieu. Si la mort de Jésus ne nous regarde pas, Jésus nous prendra au mot et nous dira au jour du jugement: «Ta grâce, ton salut ne me regardent pas ! » Mais si nous savons maintenant: ce procès me regarde, cette mort me regarde; alors au dernier jour Jésus nous dira : « Ton salut me regarde et mon sang te l'accorde.»

Encore un mot. Parmi ce tumulte, parmi tout le bruit de nos justices et de nos paroles, parmi toute l'agitation de ce procès, que fait Jésus ?

Il n'a pas voulu se défendre quand on l'a arrêté, et nous le comprenons. Mais au moins va-t-il se défendre par la parole, se justifier devant notre tribunal. Il va tout de même bien dire quelque chose en sa faveur; il ne va pas se laisser accuser comme cela. Pourtant Jésus ne dit rien. A la question de Pilate : «C'est toi qui es le Roi des Juifs ? » il répond : « Je le suis » parce que c'est vrai, parce que Jésus est le Seigneur, le Roi du peuple de Dieu; il se rend témoignage ici à lui-même; mais c'est tout; il n'a rien d'autre à dire que cette affirmation et n'ajoute plus un mot. Il ne répond pas à Pilate, il ne répond pas à Hérode.

L'ombre de cette scène s'étend d'une manière particulière sur notre époque. La haine et la violence commencent à nous toucher de près. Et Jésus nous semble terriblement passif, terriblement silencieux. Nous voudrions le faire parler, et qu'il confonde ses accusateurs, qu'il prouve son bon droit et nous rassure. « Dis donc quelque chose, ô Jésus, dans cette guerre. Dis quelque chose, au milieu de cette violence !»

Mais il a dit tout ce qu'il avait à dire. Que pourrait-il ajouter ? Certes, il aurait un mot à dire encore, mais ce serait un dernier mot, le mot du jugement pour confondre ses adversaires; mais ce mot-là il ne veut pas le dire encore, parce qu'il veut encore mourir pour ses adversaires.

Il ne pourrait dire que ce dernier mot. Ou quoi d'autre sinon ? Une plaidoirie en sa faveur ? Quelle absurdité ! Pilate voudrait bien le faire parler. Et nous le voudrions aussi. Mais on ne fait pas parler Jésus. Sa Parole n'a pas été reçue quand il la prononçait. Il n'a plus qu'à se taire. Il est là, oui, plus que jamais là au milieu de nous et de nos vociférations. Mais il ne répond rien. «Le jour vient où j'enverrai la soif dans le pays, non pas une soif d'eau, mais la soif d'entendre les paroles de l'Eternel. Alors les hommes erreront, ils iront çà et là pour chercher la Parole de l'Eternel et ils ne la trouveront pas» (Amos 8. 11).

C'est le temps du silence, c'est le temps où l'on demande : « Comment Dieu peut-il permettre, comment peut-il souffrir ces choses ?» Mais pour celui qui veut y prendre garde, ce silence est plus éloquent que toute parole. S'il est vraiment le Roi des Juifs, que peut-il faire d'autre à ce moment-là ? Son silence, à cet instant, c'est la manière dont Dieu nous parle, c'est sa patience qu'il nous montre, c'est la Passion qui commence et l'Ecriture qui s'accomplit: « Comme la brebis muette devant ceux qui la tondent, il n'a pas ouvert la bouche» (Esaïe 53. 7).


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