Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PRÉSENCE DU CHRIST (1)

Voici, je suis toujours avec vous jusqu'à la fin du monde.
(MATTH. XXVIII, 26.)

Si je ne croyais pas à la divinité du Christ, j'avoue que la parole que vous venez d'entendre me remplirait d'étonnement. Imaginez en effet un homme, le plus grand et le plus saint des hommes, imaginez un ange et le premier des anges, terminant, comme le fait ici Jésus, la mission qu'il aurait reçue d'évangéliser la terre, quelle serait, mes frères, quelle devrait être sa parole suprême ? Ah! plus il serait saint, plus il serait' élevé dans l'échelle des êtres, plus aussi il aurait de la grandeur de Dieu une idée infinie, plus il redouterait de la diminuer en usurpant une part quelconque de l'adoration et de l'amour qui sont dus à Dieu seul; jaloux de diriger vers Dieu les regards qui s'étaient arrêtés sur son envoyé, il aurait hâte d'effacer la trace de son propre nom et de conduire ses disciples aux pieds de l'Eternel en leur disant avec Jean-Baptiste : « Il faut qu'il croisse et que je diminue. »

Que dit au contraire Jésus-Christ ? « Je suis avec vous jusqu'à la fin du monde. » Avez-vous réfléchi à tout que cette parole signifie? Le souverain pasteur veut renfermer dans un dernier adieu tout ce qui peut affermir et consoler l'âme de ses disciples; il veut les préparer, eux qui ne sont rien, à conquérir le monde, et, pour les en rendre capables, ce n'est pas au Père seulement, c'est à lui-même qu'il les renvoie; c'est lui-même qu'il leur propose comme l'objet de leurs regards, le centre de leurs pensées, la source perpétuelle de leurs espérances, de leur force et de leur consolation.

« Allez, car je suis avec vous, avec vous tous les jours, avec vous jusqu'à la fin. » Supposez donc un homme, une créature quelconque, osant usurper

un tel rôle et se mettre ainsi jusqu'à la fin des siècles à la place du Dieu vivant! Mes frères, si ces paroles ne sortent pas de la bouche d'un Dieu, ayons le courage de le dire : celui qui les prononce est un usurpateur. Dès lors, il ne faut plus parler de son humilité, il ne faut plus le proposer à l'admiration des hommes, car il a cédé à l'entraînement du plus impardonnable orgueil.

Pour nous qui acceptons cette promesse comme celle du Maître que nous adorons, efforçons-nous d'en comprendre aujourd'hui la profondeur et l'étendue, et que Dieu nous donne, à cette heure où nous nous entretenons de la présence du Sauveur au milieu des siens, d'en sentir en nos coeurs la réalité puissante. Ce sera là, n'en doutons pas, la meilleure démonstration de mon texte.

« Je suis toujours avec vous. » Voulez-vous , mes frères, voir l'accomplissement immédiat de cette parole ? Considérez ceux-là mêmes auxquels le Seigneur l'adressa sur la montagne des Oliviers. J'ose affirmer, dût cette pensée vous paraître étrange, que jamais les apôtres n'ont mieux senti la présence de Jésus-Christ qu'à partir du jour où il les a quittés.

Auparavant, il est vrai, leurs yeux le voyaient. Ils contemplaient ses miracles, ils en étaient ravis. Ils l'avaient vu d'un geste calmer la mer furieuse ou rappeler Lazare sur la terre des vivants; ils avaient vu le pain se multiplier entre ses mains et rassasier des multitudes... et, cependant, croyaient-ils ? Si peu, qu'il suffit de l'humiliation de leur Maître, du triomphe momentané de ses ennemis, pour qu'ils se dispersent lâchement, qu'ils s'enfuient ou qu'ils renient Jésus devant une pauvre servante.

D'où vient donc qu'à partir de la Pentecôte, ces hommes, jusque-là timides et tremblants, descendent sur la place publique, que ces pêcheurs de Galilée ne craignent pas d'aborder en face les sophistes les plus habiles de Jérusalem, qu'ils les confondent, qu'ils font trembler sur leur siège judicial les Festus et les Agrippa, que menacés des supplices, ils les bravent et font éclater leur joie dans l'opprobre et la souffrance? D'où vient cette force? C'est qu'ils ne sont plus seuls, Jésus révélé par le Saint-Esprit, Jésus est avec eux. Non, quand ils le voyaient de leurs yeux, qu'ils le touchaient de leurs mains, Jésus leur était moins présent que depuis qu'ils ne le contemplent plus qu'en esprit avec les yeux de l'âme.

Auparavant, il est vrai, quand ils le suivaient sur la terre , leurs oreilles l'écoutaient. 0 privilège incomparable! Quels entretiens que les siens, et comme leur âme devait en conserver une émotion profonde! Que les réalités divines devaient leur apparaître claires et lumineuses dans ces simples paraboles que le Maître leur expliquait lui-même! Qu'ils devaient être subjugués par l'autorité souveraine de cette parole tombant de toute la hauteur du ciel sur la conscience et y imprimant le sceau même de sa divine origine!... Pourtant, voyez-les interroger le Maître après ses sublimes enseignements. Quelle lenteur à croire! Quels préjugés! Quels raisonnements grossiers et charnels! Comme ils comprennent mal ce que Jésus leur enseigne et comme ils l'ont vite oublié!

D'où vient que plus tard tout s'éclaire pour eux, et qu'au lieu de disciples tardifs à croire, je vois des maîtres aux pieds desquels les Saul de Tarse et les Apollos sont assis comme des enfants dociles ? D'où vient que les paroles de Jésus leur apparaissent éclatantes d'évidence et que, les comprenant pour la première fois, ils étonnent à leur tour les foules et les tiennent suspendues à leurs lèvres ?

D'où vient que ces Galiléens dont les préjugés étroits et grossiers nous faisaient sourire, traduisent la pensée de leur Maître, dans leurs discours et leurs lettres, avec une telle profondeur d'intelligence et d'onction, que l'Eglise d'aujourd'hui peut, après dix-huit siècles, s'incliner et boire à la source inépuisable de vie et de sainteté qu'ils ont fait jaillir dans le monde ? D'où vient tout cela ? C'est qu'ils ne sont plus seuls... Jésus est avec eux. Elle s'est réalisée la parole étrange qu'il leur avait adressée dans ses derniers entretiens: « Il vous est avantageux que je m'en aille. » De ce départ, mes frères , dépendait l'effusion du Saint-Esprit. La Pentecôte est venue , et alors s'est accompli ce grand miracle qui explique tout, et sans lequel le christianisme tout entier est un fait que rien ne peut expliquer. Par l'effusion du Saint-Esprit, ces hommes ont été transformés, tellement qu'on ne les reconnaît plus. Jésus s'est révélé à eux avec une grandeur qu'ils n'avaient pas même entrevue. Non, quand ils l'écoutaient dans le temple ou sur les bords du lac de Tibériade, Jésus parlait moins à leur âme; ses pensées, ses sentiments, son amour leur étaient plus étrangers. Pour la première fois, ils le connaissent, ils l'entendent, ils le comprennent. Ainsi s'accomplit cette promesse Voici, je suis toujours avec vous! »

J'en donnerai, mes frères, une autre preuve plus frappante encore, parce qu'elle est plus rapprochée et qu'elle s'impose à nous comme un fait. Connaissez-vous un être qui soit plus présent dans l'humanité que Jésus-Christ? Dix-huit siècles nous séparent de lui, et cependant, aujourd'hui, sur tous les points du globe, il y a des milliers d'hommes dans le coeur desquels Jésus tient la place la plus intime et la plus sacrée. Il y a des milliers d'hommes pour qui la communion de Jésus est une source intarissable de force, de paix, de joie, de telle sorte que tant qu'ils posséderont Jésus-Christ, même dans le dépouillement le plus complet, ils seront heureux, et que si Jésus-Christ leur manquait, l'existence d'ailleurs la plus heureuse serait pour eux sans espérance. Ce matin même, à la voix des prédicateurs et des missionnaires, il y a des hommes qui ont reçu Jésus-Christ, aimé Jésus-Christ, adoré Jésus-Christ, et qui vous diraient que de tous les drames intérieurs dont leur vie fut marquée, aucun n'a été plis solennel et plus émouvant que l'entrée du Roi de paix dans leur coeur et dans leur existence; tellement que je puis affirmer que Jésus, dans les jours de sa chair, entouré des multitudes, était moins présent au milieu des hommes qu'il ne l'est aujourd'hui; que Jésus-Christ absent, séparé de nous par dix-huit siècles, éclaire plus d'esprits, convertit plus de coeurs, réveille plus de consciences et se gagne plus de disciples que lorsqu'il étonnait la terre par ses miracles et que les multitudes lui criaient: « Hosannah! »

Quelle admirable réalisation de cette parole : « Voici, je suis toujours avec vous. » Et, veuillez le remarquer, mes frères, c'est là un caractère unique, étrange du christianisme. Les autres religions n'ont jamais prétendu à rien de semblable. Elles ont fondé des rites, des cérémonies, elles ont dit : « Observez-les, et vous serez sauvés, » elles ont eu des prophètes qui se sont donnés pour les interprètes de la volonté divine, elles ont eu leurs Bouddha ou leurs Mahomet. Mais le Christ seul ose prétendre à ce prodige moral d'être présent dans le foyer le plus intime et le plus sacré des âmes, et seul il y a réussi. Ce caractère est si étrange qu'il a frappé le plus grand génie de notre siècle et que dans son exil de Sainte-Hélène, Napoléon, comparant son règne à celui du Christ, prononça un jour les paroles suivantes: a J'ai passionné les multitudes qui mouraient pour moi mais il y fallait ma présence, l'électricité de mon regard, mon accent, une parole de moi; alors j'allumais le feu sacré dans les coeurs Le Christ lui seul est parvenu à élever le coeur des hommes jusqu'à l'invisible, jusqu'au sacrifice du temps et de l'espace. Lui seul demande à travers dix-huit siècles ce qui est le plus difficile d'obtenir, ce qu'un sage demande vainement à quelques amis, un père à ses enfants, une épouse à son époux, un frère à son frère, en un mot, le coeur. C'est là ce qu'il veut pour lui. Il l'exige absolument, et il y réussit tout de suite. Quel miracle ! A travers le temps et l'espace , l'âme humaine avec toutes ses facultés devient une annexe de l'existence du Christ.

Tous ceux qui croient sincèrement en lui ressentent cet amour admirable, surnaturel, phénomène inexplicable, impossible aux forces de l'homme, feu sacré dont le temps, ce grand destructeur, ne peut ni user la force, ni limiter la durée. Moi, Napoléon, c'est ce que j'admire davantage, parce que j'y ai pensé souvent. Et, c'est ce qui me prouve absolument la divinité du Christ. »

Ainsi, mes frères, il faut le reconnaître, Jésus tient sa promesse, il est présent au milieu des siens. Essayons maintenant de montrer la nature de cette présence éternelle.

En premier lieu, mes frères, cette présence est spirituelle. On le nie, on nous dit que ceux-là seulement peuvent sentir la présence du Christ qui la trouvent dans l'hostie consacrée, dans la sainte victime descendant sur l'autel à la voix du prêtre.

Vous savez tous de quel prestige séducteur cette opinion s'entoure. Voici une cathédrale qui s'ouvre pour une communion solennelle. La foule l'envahit et déborde jusqu'à l'autel; le service commence, et la liturgie déroule lentement les actes successifs du drame religieux. L'encens remplit les airs, l'orgue jette sous les voûtes ses notes majestueuses et l'imagination se laisse attendrir insensiblement par ce grand spectacle. Tout à coup le silence se fait, le prêtre prononce une parole créatrice, et l'hostie se change en un Dieu adorable. Aussitôt le choeur éclate et fait retentir les chants solennels do l'Ave verum corpus ou du Salutaris hostia. Le Christ est descendu, et l'âme accablée par ce mélange d'émotions intérieures et d'impressions sensibles, se perd peut-être dans une ferveur religieuse.

A quelques pas de là, dans une chambre haute, voici des croyants rassemblés. Ici, rien qui s'adresse aux sens ou qui entraîne l'imagination; tel dut apparaître au monde païen, dans sa simplicité première, le culte de l'Eglise à sa naissance. Il y a là des hommes qui ont mis en Jésus-Christ leur ferme espérance, et, confiants dans ses promesses, ils sont venus l'invoquer. Sa parole retentit dans sa simplicité magnifique telle que l'entendirent, il y a dix-huit siècles, les péagers de la Galilée. Elle va chercher dans les refuges où il s'abrite un pécheur irréconcilié. Sa conscience est saisie, aucune impression étrangère ne vient donner le change à l'émotion qu'il éprouve. Qu'en ce lieu, des âmes ainsi touchées se repentent et adressent au Sauveur un cri de ferme confiance, elles entendront sa voix qui leur pardonne, et célébrant leur délivrance, elles diront : « Le Seigneur était avec nous. »

Eh bien, de ces deux émotions, laquelle était la vraie? Où le Seigneur était-il, à l'autel ou dans la chambre haute? Mes frères, il était là où des croyants sincères l'ont appelé, et sans doute plus d'une âme qui l'invoquait avec ardeur l'a senti s'approcher d'elle quand elle communiait à l'autel; mais, les croyants de la chambre haute qui ont été éclairés, sanctifiés, consolés par sa parole et qui ont goûté sa grâce, nierez-vous donc qu'ils aient senti sa présence? Or, s'ils l'ont sentie, c'est que cette présence était spirituelle; c'est qu'à l'autel, comme dans la chambre haute, elle ne dépend ni d'un rite matériel, ni d'une parole magique, c'est que partout elle se fait sentir aux coeurs affamés de justice et de vérité.

Mais, si nous affirmons que la présence de Jésus-Christ est spirituelle, que c'est à l'âme et non pas aux sens qu'elle se manifeste, gardez-vous de croire cependant que nous en fassions quelque chose de vague et d'imaginaire. Le Christ, dont nous réclamons la présence, n'est pas un être idéal, produit de nos émotions passagères, une espèce de Messie humanitaire, tel que chaque génération l'a souvent refait à son image, en lui prêtant le langage de ses propres aspirations. Le Christ que nous invoquons, c'est celui des évangiles et des épîtres, c'est le Christ de saint Pierre, de saint Paul et de saint Jean; tel ils l'ont contemplé, tel nous le contemplons; la parole qu'ils ont entendue tomber de ses lèvres, est celle qui nous parvient à notre tour; toujours le même, il n'y a pas en lui une ombre de changement. Ses disciples du dix-neuvième siècle l'entendent et le comprennent tout aussi bien que ceux du premier; saint Paul a réclamé pour tous les disciples cette égalité fondamentale, lorsque., renonçant à tous les avantages qu'auraient pu lui donner sur ses prosélytes sa qualité de Juif et de frère de Christ selon la chair, il s'écrie : « Pour moi, si j'ai connu Christ selon la chair, je ne le connais plus de cette manière-là. » C'est qu'en effet, c'est par sa parole que Jésus se communique à tous, et c'est par cette parole que tous peuvent le saisir, le voir, l'entendre sans crainte de s'égarer jamais.

Est-ce là tout? Est-ce uniquement par sa parole que Jésus nous révèle sa présence ? Non , mes frères, car alors, ce caractère, il le partagerait avec tout homme de génie qui laisse après lui la trace lumineuse de ses pensées. Il est certain, en effet, qu'on peut dire d'un César ou d'un Platon, d'un Mahomet ou d'un Voltaire que tout morts qu'ils soient, ils parlent encore, que quoique séparés de notre temps par des distances séculaires, ils font sentir leur action d'une manière plus puissante que l'immense majorité des vivants.

Or il y a infiniment plus dans la présence du Christ. Derrière la parole écrite, il y a la Parole vivante; il y a le Sauveur invisible qui se manifeste au coeur, tellement que lorsque je dis qu'il est présent, j'emploie ce mot dans son sens le plus simple et le plus littéral, comme le ferait un enfant.

C'est dans ce sens qu'on peut parler de la présence réelle de Jésus-Christ, et c'est bien cette présence-là qu'il a promise à son Eglise. Ici, mes frères, revient avec une puissance nouvelle la pensée que j'exprimais en commençant. Ayez un Christ qui ne soit qu'une créature, et, si grand que vous le fassiez, sa présence ne sera plus pour vous qu'une figure, qu'une vaine métaphore, car vous ne sauriez, vous ne pourriez lui attribuer l'omni-présence qui n'appartient qu'à Dieu. Il sera présent au milieu de vous par son souvenir, par son exemple, par la parole qu'il a laissée, voilà tout; quant à l'invoquer, quant à croire qu'il s'approche et qu'il intervienne dans vos destinées, vous n'y sauriez songer. Ayez au contraire le Christ des Ecritures, le Dieu-Sauveur, vous croirez à sa présence dans le sens le plus vrai de ce mot. Dès lors comme tout change et dans l'Eglise et dans votre vie! Le lieu où nous l'avons invoqué devient un sanctuaire, bien que nous n'ayons ni prêtre ni autel; la communion n'est plus un vain et froid mémorial, c'est le rendez-vous de prédilection que le Sauveur adresse à nos âmes; tout ce que l'Ecriture nous révèle sur la charité de Jésus, sur cet amour du bon Pasteur qui poursuit sa brebis égarée et qui garde sa brebis fidèle, ce n'est plus pour vous une allégorie, c'est une réalité qui s'accomplit dans votre vie. Il est présent dans votre existence, présent dans le bonheur et dans l'affliction, présent dans votre chambre solitaire comme dans l'église, présent dans l'activité de chaque jour comme dans l'inaction de la maladie, oui, présent quoique invisible jusqu'au jour où vous le verrez « face à face » et où vous trouverez dans cette vue des rassasiements de joie pour l'éternité.

Voilà, mes frères, ce que nous enseigne l'Evangile sur la présence de Jésus au milieu des siens. Cette présence, dans la parole que nous méditons, est spécialement promise à l'Eglise : « Allez, instruisez toutes les nations ... , et voici je suis avec vous jusqu'à la fin du monde. » Mais je ne crois point être infidèle à mon texte, en affirmant que la même promesse s'adresse aussi à chaque âme chrétienne. Consacrons le temps qui nous reste à étudier cette parole dans sa double application.

Jésus est présent dans l'Eglise : « Voici, je suis toujours avec vous. » L'Eglise, ah! c'est bien la nacelle que l'orage menace d'engloutir sans cesse et qui toujours se relève, car elle porte Jésus-Christ.

Voyez les premiers âges de sa vie. Quelle formidable coalition! Que de dangers, que de haines, que de menaces! Toutes les puissances de la terre sont liguées contre elle, la science, le sacerdoce, la royauté, la richesse, et par-dessus tout la corruption. L'Eglise va disparaître! Non, c'est alors qu'elle va conquérant le plus d'âmes, c'est alors qu'elle lance partout ses missionnaires, c'est alors qu'elle se relève de chacun de ses sanglants baptêmes mieux parée de jeunesse, de force et d'immortalité. Jésus est avec elle. Mais plus tard, elle voudra devenir une puissance terrestre, elle se couvrira de la pourpre des Césars. Pompeuse et magnifique, elle revêtira la triple couronne et semblera renier son roi crucifié. Que vois-je alors, Que devient cette Eglise? C'est au moment où elle triomphe en apparence que sa force l'abandonne. C'est alors que tous les lieux où prêcha saint Paul, où retentirent les premières prières et les premiers cantiques, passent sous le joug des infidèles; c'est alors que la croix déracinée en Asie, en Afrique, semble sur le point de disparaître de l'Europe elle-même. Il ne fallait pas moins que cette formidable épreuve pour apprendre à l'Eglise que sa force ne repose sur aucun appui terrestre et qu'elle est tout entière dans la présence invisible de son divin Chef.

« Je suis toujours avec vous. » Il l'a relevée, cette Eglise, toutes les fois qu'abattue, défaillante, elle a crié à lui. Mes frères, il la relèvera toujours. Je vois aujourd'hui d'autres menaces, d'autres orages. Je vois une incrédulité hautaine et dédaigneuse qui descend comme un vent glacial des hauteurs de la science; je la vois s'unir au matérialisme qui vient d'en bas. Voici l'orage qui s'avance, il fond sur le vaisseau de l'Eglise, il déchire ses voiles, il abat sa mâture. J'entends des disciples sans foi qui s'écrient: « Maître, maître, nous périssons. » Nous périssons, mes frères, et pourquoi? N'est-il pas là, Celui qui vous a promis sa présence ? Croyez-vous que celui qui triompha du vieux monde ne saura pas triompher du monde nouveau? Croyez-vous que celui qui du haut d'une croix a confondu la sagesse de la Grèce et le matérialisme de Rome ne saura pas confondre les sophistes et les railleurs d'aujourd'hui ?- Il est avec nous. Croyez-vous que l'incrédulité puisse effacer cette grande figure? Croyez-vous qu'elle puisse se débarrasser de Jésus? Pour moi, je suis tranquille; j'attends toutes les explications et tous les systèmes, je sais qu'ils viendront se briser contre la personne du Christ comme les flots de la mer contre le Rocher des siècles, Je sais qu'ils pourront ébranler nos raisonnements , troubler notre théologie, faire crouler peut-être tous les appuis humains par lesquels nous pensions, hommes de petite foi, soutenir Celui qui soutient toute chose; je suis tranquille, car le Christ est avec nous. Oui, la tourmente est terrible, et parfois nous en sommes accablés... Oui, nous sommes faibles, faibles en science, en foi, en sainteté; oui, dans nos rangs, il y a des défections qui nous déchirent, des trahisons qui nous font saigner le coeur... 0 mon Dieu! du côté de la terre, tout nous manque, mais tu es avec nous, et cela nous suffit... Tu as vaincu par des moyens qui nous confondent, tu as vaincu sous l'opprobre de Nazareth, de Gethsémané et de Golgotha. Divin chef de l'Eglise, tu nous as donné l'humiliation, ne nous donneras-tu pas la victoire?

Je suis toujours avec vous. Mais il me semble entendre ici une objection qui naît dans l'esprit de plusieurs de ceux qui m'écoutent. Ils comprennent que Jésus-Christ puisse être présent dans une Eglise qu'il laisse humiliée ou persécutée, car ce sont des humiliations et des attaques qu'il lui a prédites, mais ce qui les fait douter de cette présence, c'est la vue de l'état intérieur de cette Eglise elle-même. Voici la famille chrétienne divisée, voici en présence d'un monde qui s'en réjouit des communions diverses séparées par un abîme qui va s'élargissant. Voici dans les Eglises même auxquelles nous appartenons des déchirements lamentables. Ou bien , chose plus triste encore, voici l'indifférence religieuse qui s'étend sur les âmes comme un brouillard morne et glacial; la prière, le zèle, la foi s'éteignent peu à peu dans la nuit qui s'avance; on n'entend plus que le bruit monotone d'un culte formaliste. Ici et là seulement se détachent sur le fond de l'obscurité générale quelques vies dévouées qui jettent une lueur bientôt effacée... Oh! mes frères, comment croire alors à la présence du Christ?

Il faut y croire pourtant, et d'autant plus que rien ne semble l'annoncer. Il faut y croire, parce qu'en promettant sa présence à l'Eglise, Jésus savait qu'elle serait faite d'hommes comme nous, et qu'il prévoyait ses défaillances, ses langueurs et ses chutes.

Vous avez peut-être de l'Eglise, mes frères, un magnifique idéal. Vous voyez cette Eglise affranchie du monde, victorieuse par la foi et par la charité. Je m'en réjouis, si cette espérance vous remplit d'une sainte ambition si ce rêve de votre âme vous voulez 'chercher à le réaliser; mais je m'en attriste, si, nourrissant votre esprit du tableau de cette Eglise imaginaire, vous croyez que le Seigneur n'est' plus dans l'Eglise réelle à laquelle vous appartenez et dont vous déplorez avec tant de raison les plaies et les souffrances. Rappelez-vous ce qu'était l'Eglise alors qu'elle ne se composait que de disciples choisis directement par Jésus-Christ. Que vois-je dans la chambre haute?... Des disciples qui vont quitter leur Maître, un Pierre qui va le renier, un Judas qui va le trahir. Est-ce inutilement que la Parole de Dieu a placé sous nos yeux ce spectacle ?... Rappelez-vous ces Eglises apostoliques auxquelles ont été adressées les épîtres... Que de troubles, que de divisions, que de chutes, que de scandales! Pourtant le Seigneur était là... Oui, ces angoisses que vous inspire l'état de l'Eglise, d'autres époques les ont connues. A la fin du moyen âge, dans ce quinzième siècle où de si épaisses ténèbres' s'abaissèrent sur le monde, où, depuis le trône pontifical jusqu'au dernier monastère, d'effroyables scandales déshonorèrent l'Evangile, il sembla un moment que les croyances allaient s'abîmer dans un doute universel. Alors les âmes pieuses, retirées souvent dans les cellules des couvents, pleuraient et gémissaient. « 0 Christ! s'écriaient-elles, où êtes-vous ? Votre gloire a-t-elle disparu pour jamais? Revenez visiter votre Eglise.» Bien des livres de ce temps ont conservé la trace de ces larmes amères. Et pourtant le Christ était là, et l'heure approchait où son Evangile, traduit par la main d'un moine, allait illuminer le monde ..... Et qui nous dit, hommes de petite foi, que nous n'approchions pas d'une de ces époques solennelles où l'Esprit créateur renouvellera l'Eglise? Ces édifices séculaires qui s'écroulent, cette agitation religieuse qui saisit tant d'esprits, ces empires nouveaux qui s'ouvrent à l'Evangile, et surtout, ce besoin d'un réveil, ces aspirations grandissantes du peuple chrétien qui partout croit de nouveau à la prière, ne sont-ce pas autant de preuves de la présence du chef invisible de l'Eglise; ne sont-ce pas autant de voix par lesquelles il nous dit : « Voici, je suis toujours avec vous? »

Il est toujours avec nous, mes frères, il est ici.

Là où deux ou trois coeurs l'appellent, il y descend. Ainsi donc, quand je monte dans une chaire chrétienne, moi qui voudrais m'aller asseoir au dernier rang parmi les plus petits; quand, du sein de ma faiblesse, je rends témoignage à la vérité, et qu'à la pensée de tout ce qui se mêle d'humain, de petit, de misérable à cette mission solennelle, je voudrais fermer ma bouche ...., cette merveilleuse promesse me relève : « Le Seigneur est ici. » Il est ici, et voilà ce qui fait notre force et notre espérance. Il est ici, Celui qui s'appelle le chemin, la vérité et la vie; il est ici, le Prédicateur souverain; il est ici le Maître des coeurs et des consciences... Il est ici, et nous pouvons lui renvoyer vos âmes, et quand notre voix faible , impuissante, se fait l'esclave de la sienne, quand notre sagesse, c'est sa sagesse, notre témoignage son témoignage, notre parole sa parole, alors, ce que nous lions sur la terre est lié dans le ciel; alors à ceux auxquels nous remettons les péchés, leurs péchés sont remis; alors, mes frères, notre autorité devient ce qu'il y a de plus grand, de plus solennel au monde, parce que, derrière l'homme, derrière le prédicateur qui va disparaître, il y a le Christ qui règne aux siècles des siècles. Voici, je suis toujours avec vous.

C'est ainsi, mes frères, que cette promesse s'applique à l'Eglise. Mais ce que Jésus annonce à l'Eglise, il l'annonce à chaque âme individuelle; c'est à chacun de vous qu'il a promis sa présence, et sa présence jusqu'à la fin. Hélas! cette promesse, la plus consolante de toutes, combien peu la réalisent, et si je lisais dans vos coeurs, combien de doutes surgiraient à cette question seule : « Le Seigneur est-il avec vous? »

Comment peut-il être avec nous, me diraient plusieurs de ceux qui m'écoutent, puisqu'il nous laisse en butte à tant d'afflictions, puisque les épreuves viennent fondre incessamment sur nous? Où sont ces soins de sa providence qui attestent sa présence? =u sont ces délivrances inattendues, ces prières exaucées, ces signes auxquels on reconnaît qu'il est là, Voici, nous avions mis en lui notre espérance et souvent tout nous a manqué. Le malheur nous a poursuivis sans relâche, et, si quelque chose nous a distingués peut-être, ce sont les coups qui nous ont frappés.

Lorsqu'on entend de semblables paroles, lorsqu'on voit combien d'âmes sont conduites au doute par l'épreuve, et comment le murmure précurseur de l'incrédulité vient aisément se placer sur nos lèvres, peut-on nier encore qu'il n'y ait dans notre coeur un instinct de mercenaire qui cherche son intérêt jusque dans l'amour? - Et quand, vous répondrai-je, avez-vous vu dans l'Evangile qu'en nous appelant à son service, Jésus-Christ nous ait promis les biens de la terre, la faveur des hommes, tout ce que notre coeur envie? Ecoutez-le plutôt vous déclarant que c'est par beaucoup d'afflictions qu'on entre dans le ciel et que c'est par là qu'il veut nous rendre participants de sa sainteté. Dans ces coups qui vous atteignent, vous trouvez la preuve que Dieu vous oublie; appuyé sur l'Ecriture, j'y vois la preuve qu'il vous aime et qu'il veut vous sauver. Cela est si vrai que si vous pouviez me montrer un homme que nulle affliction n'ait jamais frappé, un homme dont toute l'existence soit un tissu de prospérités continues, l'avenir de cet homme me ferait trembler, car il me semblerait que Dieu l'abandonne. L'épreuve, c'est l'éducation divine. Heureux ceux qui pleurent, vous dit le Seigneur. Oui, suivant l'image d'Esaïe, votre nom est écrit sur la paume de sa main, quand cette main vous frappe aussi bien que quand elle vous bénit. Vous vouliez vous établir sur la terre, vous asseoir à l'ombre et boire paisiblement à la source qui jaillissait à vos pieds. - En marche! vous dit la voix divine, et l'ombrage se dissipe sous les rayons ardents du soleil, et le ruisseau tarit. - En marche à travers le désert! en marche, ô racheté! Etranger et voyageur, reprends le bâton du pèlerin, suis cette voix mystérieuse qui t'appelle; c'est la voix du Seigneur. Il t'appelle là où il t'a précédé lui-même. Il est toujours avec toi.

Oui, me répondrez-vous, oui l'affliction peut être une preuve de la présence du Seigneur. Nous le comprenons, car souvent elle sanctifie. Mais en est-il de même de cet état mystérieux que je traverse? Puis-je croire que le Seigneur est là quand mon âme est desséchée et que rien ne lui rend la vie, quand ma foi ne peut prendre son vol, quand les réalités du ciel flottent devant mes yeux comme de vagues fantômes et que les promesses de Dieu n'éveillent plus en moi aucune joie? Ah! la présence du Seigneur, autrefois je l'ai connue, alors tout m'était facile, alors ma foi me donnait des ailes, la prière s'échappait ardente de mon coeur, mais aujourd'hui, cette parole même que vous méditez ne dit plus rien à mon âme.

Plus rien! En êtes-vous bien sûr ? Et qu'est-ce donc que la tristesse qui remplit votre âme en prononçant ces paroles? Plus rien! 0 disciples d'Emmaüs, vous croyez que le Sauveur vous a quittés à jamais et vous ne le voyez pas cheminant à vos côtés jusqu'au moment béni où il vous révélera sa présence. Plus rien! 0 vous qui croyez avoir perdu votre Dieu et qui le cherchez comme à tâtons, ne l'entendez-vous pas qui vous dit par la bouche de Pascal : «Tu ne me chercherais pas ainsi, si tu ne m'avais trouvé. » Mais cette présence vous laisse dans les ténèbres! Ecoutez:

Dans un sombre jour d'hiver, aucun arbre n'agite dans nos champs sa cime verdoyante, aucune fleur ne jette au vent ses parfums ; tout paraît mort dans la nature. Direz-vous pourtant que le soleil ne s'est pas levé? Non, bien qu'il ait disparu derrière un rideau de nuages, il fait sentir partout son action puissante, et sans ce soleil que vous ne voyez pas, il ne nous resterait plus qu'un linceul glacial et que l'effroyable obscurité d'une nuit sans réveil. Mes frères, l'âme a ses hivers aussi où le Soleil de justice ne répand plus sur elle qu'une lueur triste et pâle, où le ciel est voilé, où l'obéissance s'accomplit sans joie, où le vent âpre du découragement nous pénètre et nous glace jusqu'aux os. Je sais que souvent on n'en parle pas dans ces théories de la vie chrétienne imaginées d'après un système et selon lesquelles tout chez le croyant serait joie, paix et lumière. Mais ceux-là nous le diront qui ont peint le coeur de l'homme tel que l'Esprit de Dieu l'a sondé. Interrogez les David et les Esaïe. Certes si jamais hommes ont été honorés de la présence de Dieu, ce furent bien ces hommes-là; et, pourtant, connaissez-vous un livre quelconque qui ait exprimé, mieux qu'ils ne l'ont fait, la langueur, la misère, l'angoisse, l'épouvante même de l'âme qui sent que Dieu l'abandonne? Dans vos heures douloureuses, connaissez-vous un langage qui traduise mieux que le leur vos combats et vos gémissements ? Eh bien, ce sont ces hommes-là dont l'Esprit de Dieu a fait ses interprètes. Vous qui souffrez comme eux, de quel droit direz-vous que Dieu vous abandonne?

Ici, mes frères, nous côtoyons un abîme. J'ai cherché à rassurer vos âmes; j'ai rappelé, pour les dissiper, les causes qui vous empêchent de sentir la présence du Seigneur. Ai-je tout dit, ai-je dit ce qu'il fallait dire avant tout? Non, je ne l'ai pas nommée, la vraie, la grande cause qui nous cache Jésus-Christ. Vous qui vous plaignez que le ciel flotte devant vos regards troublés, et que la figure du Sauveur s'efface et disparaisse, cherchez d'où viennent les nuages qui vous la dérobent. D'où montent-ils avant tout si ce n'est de la source impure du péché? Ce culte secret mais ardent de votre propre gloire, cette recherche fiévreuse de la fortune et d'un rang élevé, ce tourbillon des affaires où va se dissipant votre âme, cette haine et cette amertume où se délecte honteusement votre coeur, cette lâche complaisance pour l'opinion des autres, cet amour de la dissipation, de la toilette et de l'ivresse mondaine, ces convoitises tolérées et chéries, ces liens coupables que vous ne voulez pas rompre, voilà ce qui vous aveugle, voilà ce qui vous empêche de voir la présence de Dieu.

Vous souvient-il au contraire des heures calmes et bénies où, comme les apôtres sur le Thabor, vous avez contemplé le Seigneur face à face? Que sa divine figure était aimable et comme votre regard s'y arrêtait avec ravissement! Mais ces heures n'avaient pas apparu dans votre vie comme un éclair inattendu; c'était la prière qui les avait préparées, c'était la fidélité qui les avait produites. Alors vous sentiez la vérité de cette parole: Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu. » La sanctification, voilà donc la voie étroite qui conduit sur les hauteurs où Jésus se manifeste à l'âme. Non, ce n'est pas, comme on l'a cru, aux imaginations égarées par l'extase qu'est promise cette vision de Dieu dont les saints ont chanté la douceur, c'est aux âmes sanctifiées. Vous qui vous plaignez d'avoir perdu le Sauveur, vous ne savez donc pas qu'il est là et qu'il vous attend à cette place connue de vous, où doit se consommer le sacrifice que vous avez jusqu'ici refusé; il vous attend, non pas au sein de vos aises et de vos joies coupables, mais dans la solitude austère du renoncement; il vous attend dans la voie étroite où vous l'aviez rencontré et que vous avez quittée, il vous attend au chevet du pauvre que vous ne visitez plus. Soyez fidèle, vous verrez qu'il est fidèle, et qu'il tient sa promesse Voici, je suis toujours avec vous! »

Encore quelques instants d'attention, mes frères. Je ne puis quitter cette magnifique parole sans vous montrer les consolations et les devoirs qui en découlent. « Je suis avec vous, dit le Seigneur, toujours avec vous, avec vous jusqu'à la fin. »

Y a-t-il sur la terre quelque chose de plus grand que l'amour fidèle? Quand un attachement sorti de deux coeurs avec la sève de la jeunesse a traversé toutes les espérances, tous les enchantements de la vie à son printemps; quand, fortifié par des joies, et plus encore par des afflictions et par des larmes communes, il est allé grandissant; quand ni les changements de goût et de fortune, ni les froissements de chaque jour, ni les déceptions de l'expérience n'ont pu l'affaiblir, et qu'à l'âge où tout semble s'éteindre, l'affection jette encore une lueur ardente et joyeuse, n'y a-t-il pas dans ce spectacle quelque chose qui relève et qui honore notre pauvre humanité?

Mais, grand Dieu, que ce spectacle est rare! Combien de nos affections qui sont mortes en route! L'une nous a quittés avec l'enivrement de la jeunesse, l'autre a fui devant la pauvreté ou les autres amertumes de la vie. Plus nous avançons sur la route, plus leur nombre diminue. Et ceux que nous aimions le plus, et sur lesquels nous pensions nous appuyer à jamais, où sont-ils? Que de vides dans le passé et, dans l'avenir, que de vides encore! Oh ! si nous possédions un amour sur lequel notre coeur pût s'appuyer comme sur un rocher; si toujours, à toute heure, nous pouvions en saisir la réalité puissante, quelle force dans notre vie, et quelle consolation! a Voici, je suis toujours avec vous, » nous répond Jésus-Christ. Oui, toujours, car en lui, il n'y a pas une ombre de variation. Tel il nous apparut pour la première fois sur notre route, tel il est encore aujourd'hui. Les êtres que nous aimions, nous les avons suivis peut-être jusqu'à leur dernière demeure, et nous avons écrit sur leur tombe : « Il n'y a point ici-bas d'affection permanente, » mais, quand nous quittions le cimetière pour rentrer dans la cité des vivants, l'invisible Ami s'est penché vers nous et a murmure a notre oreille : «Voici, je suis toujours avec vous. » Rien n'a pu l'écarter; la pauvreté ne l'a point banni comme tant d'autres; la maladie, le deuil, l'angoisse qui lassent si vite les amitiés de la terre, l'ont fait venir, lui, avec plus d'empressement. Et, voici, la mort elle-même ne l'éloignera plus, car il a dit: « Je suis avec vous jusqu'à la fin. » Oui, quand je traverserai la vallée des ténèbres, la sombre vallée de la mort; quand la terre n'aura plus pour moi de consolation ni d'espérance, il sera là, toujours là. Prends donc ton vol, ô mon âme, et puisque tout s'efface et que tout change, attache-toi pour toujours à celui dont rien ne pourra te séparer. Et vous, mon frère, ma soeur qui cheminez seuls dans la foule indifférente, vous qui, au milieu d'une vie agitée, sentez si bien le vide intérieur que rien de terrestre n'a pu combler, serrez dans votre coeur cette promesse : «Voici, je suis toujours avec vous. »

Voilà les consolations et voici le devoir.

Mes frères, si Jésus était ici en ce jour, où vous conduirait-il? Serait-ce dans cette société mondaine et frivole qui vous attend peut-être? Serait-ce auprès de ceux dont la vie le contriste ? Pourriez-vous en sa présence vous mêler encore à leurs plaisirs coupables, pourriez-vous trouver quelque joie au milieu d'hommes qui n'éprouveraient pour lui qu'indifférence? Pourriez-vous mendier lâchement leur approbation? Pourriez-vous courir au-devant d'une tentation, chercher ce qui flatte votre vanité et vos convoitises, lire ce livre qui va souiller votre âme? Pourriez-vous enfin persévérer un seul jour de plus dans une vie que Dieu condamne? Que votre conscience réponde!

Si Jésus était ici en ce jour, où vous conduirait-il? Mes frères, où allait-il sur la terre, où vous mènerait-il aujourd'hui? Aux devoirs humbles, ignorés. Non pas à la voie large de l'orgueil, mais à la voie étroite de l'obéissance; non pas à la jouissance, mais au renoncement; non pas à la gloire, mais à l'humilité; non pas aux couronnes de la terre, mais à la croix. Il vous conduirait à ce pauvre, à ce malade qui vous attend peut-être, à ce coeur brisé qui a besoin de vous, à toutes ces souffrances qu'il vous ordonne de comprendre et de consoler. Allez, mes frères, là où il vous appelle. Aujourd'hui dans l'humiliation et demain dans la gloire, mais dans l'humiliation comme dans la gloire, avec lui, toujours avec lui!

1 Ce discours est le seul de ce volume qui ait été publié à part avant la première édition. Nous en avons du reste modifié quelques passages.
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