Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

La France et la Suisse - (suite)

 
2. Farel en Suisse et dans les Vallées vaudoises

Durant le séjour de Farel en Dauphiné, ses trois frères devinrent des disciples du Christ, ainsi qu'un jeune chevalier, Anemond de Coct, et beaucoup d'autres. Farel prêchait constamment, soit en plein air, soit dans des bâtiments disponibles. Beaucoup de gens étaient surpris, voire scandalisés d'entendre prêcher un laïque. Pourtant c'était un prédicateur idéal: instruit, hardi, éloquent, intensément convaincu de la vérité et de l'importance de son message, très versé dans les Écritures, pleinement conscient de sa responsabilité envers Dieu et rempli d'amour compatissant envers les hommes. Il avait un extérieur frappant: de taille moyenne, maigre, avec une longue barbe rouge et des yeux flamboyants. Sa voix puissante et sa manière, solennelle autant qu'animée, retenaient l'attention, tandis que sa parole éveillait la conviction dans les âmes. Chassé de Gap et poursuivi jusque dans les lieux retirés du pays qu'il connaissait si bien, il franchit la frontière par des sentiers solitaires et atteignit Bâle. Il fut reçu dans la maison d'Oecolampade et les deux hommes devinrent grands amis. Cependant Farel ne voulut même pas visiter Erasme qu'il considérait comme infidèle et tiède dans son témoignage chrétien. Ce dernier lui en voulut et devint son adversaire. Farel et Oecolampade eurent l'occasion de tenir une dispute publique à Bâle. Ils y démontrèrent avec succès la suffisance de la Parole de Dieu. Farel avait gagné la plupart de ses auditeurs par sa chaude éloquence. Toutefois, en rentrant de Zurich, après une courte visite à Zwingli, il apprit qu'en son absence des influences hostiles avaient obtenu son expulsion de la ville. Il se rendit alors à Strasbourg, fut reçu sous le toit hospitalier de Capiton et y rencontra Lefèvre, ainsi que d'autres exilés français.

Ce fut en Suisse romande surtout que Farel accomplit sa grande oeuvre. Par son labeur persévérant et intense, il transforma ce beau pays, resté si longtemps dans les ténèbres spirituelles, dont la plus grande partie devint et resta jusqu'à ce jour un centre de christianisme évangélique éclairé. Parmi les nombreux succès de la prédication de Farel, ce qui se passa à Neuchâtel est particulièrement frappant. Il n'y avait, semblait-il, aucune porte ouverte dans cette ville, mais le curé du petit village voisin de Serrières lui permit de prêcher dans le cimetière autour de son église. On l'apprit à Neuchâtel, et, avant longtemps, il parlait à la foule sur la place du marché. L'effet fut extraordinaire. Beaucoup de gens reçurent le message, tandis que d'autres faisaient une violente opposition; toute la ville et les environs furent en ébullition. Le réformateur dut s'absenter pendant quelques mois. Puis il revint, accompagné de plusieurs compagnons, et l'oeuvre S'étendit, non seulement dans la ville, mais à Valangin, tout à travers le Val-de-Ruz, dans les villages qui bordent le lac, à Grandson, jusqu'à Orbe. A Valangin, lui et Antoine Froment faillirent être noyés dans le Seyon par le peuple furieux. Ils furent battus dans la chapelle du château jusqu'à laisser des traces de sang sur les murs, puis, temporairement jetés en prison, d'où ils furent libérés par les hommes de Neuchâtel. En octobre 1530, moins d'une année après la première prédication de Farel à Serrières, les habitants de Neuchâtel furent appelés à voter pour le choix d'une religion. Le catholicisme romain fut aboli par une faible majorité de 18 voix et la religion réformée fut adoptée, mais avec la liberté de conscience pour tous.

Les Vaudois (82) entendirent parler de la Réformation, soit dans les vallées piémontaises, soit en d'autres lieux où ils s'étaient établis : en Calabre et dans les Pouilles, en Provence, en Dauphiné, et. en Lorraine. D'autre part, dans les pays voisins gagnés à la Réforme, on apprit qu'il se trouvait, dans d'obscurs villages alpestres et ailleurs, des gens qui avaient toujours maintenu les vérités qu'eux-mêmes étaient en train de défendre. Les Vaudois donnaient à leurs anciens le nom de Barbes. L'un d'entre eux, Martin Gonin, d'Angrogne, fut si touché par les rapports qui lui parvenaient, qu'il résolut de se rendre en Suisse et en Allemagne pour visiter quelques-uns des réformateurs; ce qu'il fit (1526). Il en revint avec toutes les informations qu'il avait pu recueillir, ainsi qu'avec quelques ouvrages des réformateurs. Les nouvelles qu'il rapporta excitèrent grand intérêt dans les vallées, et, lors d'une réunion tenue (1530) à Mérandol, les frères décidèrent de déléguer deux de leurs Barbes, Georges Motel et Pierre Masson, pour essayer de nouer des relations avec ces frères.

En arrivant à Bâle, ils se rendirent chez Oecolampade et se présentèrent eux-mêmes à lui. D'autres croyants furent convoqués et ces simples et pieux montagnards témoignèrent de leur foi remontant aux temps apostoliques. «Je bénis Dieu - s'écria Oecolampade - de ce qu'Il vous a appelés à une si grande lumière.» Au cours de la conversation, des divergences furent découvertes et discutées. En réponse à certaines questions, les Barbes dirent: «Tous nos ministres sont célibataires et exercent quelque honnête métier.» - «Mais le mariage - répliqua Oecolampade - convient à tous les croyants, et spécialement à ceux qui doivent être en tout les modèles du troupeau. Il nous semble aussi que les pasteurs ne devraient pas consacrer à des travaux manuels, comme vous le faites, le temps qui pourrait être mieux employé à l'étude de l'Écriture. Le ministre a beaucoup de choses à apprendre. Dieu ne nous enseigne pas miraculeusement, sans effort de notre part. Il faut travailler pour s'instruire.» Quand les Barbes reconnurent que parfois, à cause de la persécution, ils avaient laissé baptiser leurs enfants par des prêtres catholiques et avaient même assisté à la messe, les réformateurs furent surpris et Oecolampade dit: «Mais Christ, sainte victime, n'a-t-Il pas satisfait la justice éternelle à notre place? Quel sacrifice serait encore nécessaire après celui de Golgotha? En disant «Amen» au sacrifice de la messe vous reniez la grâce de Jésus-Christ.» Parlant de la condition de l'homme depuis la chute, les visiteurs dirent. «Nous croyons que tous les hommes ont quelque vertu naturelle, comme les herbes, les plantes ou les pierres.» - «Nous croyons - répondirent les réformateurs - que ceux qui obéissent aux commandements de Dieu ne le font pas par leurs propres forces, mais par la grande puissance de l'Esprit de Dieu, renouvelant leur volonté.» - «Ah! - dirent les Barbes - nous, pauvres gens, sommes profondément troublés par l'enseignement de Luther sur le libre arbitre et la prédestination... Nos doutes viennent de notre ignorance, instruisez-nous donc.» Ces différences d'opinions ne séparèrent pas ces frères. Oecolampade dit: «Nous devons éclairer ces chrétiens et par-dessus tout les aimer.» «Christ est en vous comme en nous - dirent les réformateurs aux Vaudois - nous vous aimons comme des frères.»

Morel et Masson se rendirent ensuite à Strasbourg. En rentrant chez eux, ils visitèrent Dijon, où leur conversation attira l'attention de quelqu'un qui les dénonça comme dangereux, et ils furent incarcérés. Morel put s'échapper avec les documents dont ils étaient chargés; mais Masson fut exécuté. Quand Morel relata sa conversation avec les réformateurs, il y eut une vive discussion et l'on décida de convoquer une conférence générale des églises et d'y inviter des représentants des réformateurs, afin de pouvoir débattre ces questions avec eux. Martin Gonin et un Barbe de la Calabre, nommé Georges, furent envoyés en Suisse pour transmettre l'invitation. A Grandson, durant l'été de 1532, ils rencontrèrent Farel et d'autres prédicateurs conférant ensemble sur la propagation de l'Evangile en Suisse romande. Ils expliquèrent aux frères réunis les divergences, dans la doctrine comme dans la pratique, existant entre eux et les réformateurs. Puis ils demandèrent que quelqu'un voulût bien se rendre avec eux à la conférence projetée dans leur pays, pour qu'ensemble ils puissent arriver à une entente commune sur les points débattus et combiner ensuite leurs efforts pour évangéliser le monde. Farel accepta l'invitation et se mit en route avec Saunier et un autre.

Après un voyage dangereux, ils atteignirent Angrogne, où vivait Martin Gonin, et visitèrent plusieurs des hameaux vaudois, dispersés aux flancs des collines. Celui de Chanforans fut choisi comme lieu de rencontre et, comme il ne s'y trouvait aucun bâtiment assez vaste, la conférence se tint en plein air, des bancs rustiques servant de sièges. Les Vaudois étaient restés en dehors du mouvement de la Déformation, mais ils avaient toujours maintenu leurs anciennes relations avec de nombreux croyants dispersés et avec des églises qui avaient existé avant la Réforme. Tout en s'intéressant vivement à la Réformation, ces églises n'avaient été en aucune manière absorbées par elle. La conférence réunit donc des anciens des églises d'Italie, même de l'extrême sud de la péninsule. D'autres étaient venus de France, des pays allemands et surtout de la Bohême. Au milieu d'un grand nombre de paysans et de journaliers se trouvaient quelques gentilshommes, les seigneurs de Rive Noble, de Mirandole et de Solaro. Ce fut à l'ombre des châtaigniers et entourés de la muraille des Alpes que les frères ouvrirent leur conférence «au nom de Dieu», le 12 septembre 1532. Farel et Saunier exposèrent éloquemment les doctrines des réformateurs, tandis que deux Barbes, Daniel de Valence et Jean de Molinos, furent les principaux orateurs en faveur des pratiques adoptées par les Vaudois des vallées. Farel mentionna les points sur lesquels ces frères montagnards avaient fléchi sous l'intense persécution de Rome: leur participation à certaines fêtes, à des jeûnes ou à des rites ; leur fréquentation occasionnelle de la messe, et même une soumission extérieure à certains actes cléricaux. Il leur montra qu'ils s'étaient ainsi écartés de leurs anciennes pratiques religieuses et les exhorta fortement à se séparer absolument de nome.

Les réformateurs maintinrent qu'il faut rejeter tout ce qui, dans l'Église romaine, ne s'appuie pas sur les Écritures. Les Vaudois estimaient suffisant de rejeter ce qui est absolument défendu dans la Bible. Les questions d'observances furent aussi examinées. Mais ce fut la doctrine qui provoqua les plus vives discussions. Farel enseignait que « Dieu a élu, dès avant la fondation du inonde, tous ceux qui ont été ou seront sauvés; qu'il est impossible que ceux qui ont été destinés au salut soient perdus. Celui - disait-il - qui défend le libre arbitre de l'homme, renie absolument la grâce de Dieu». Jean de Molines et Daniel de Valence insistaient sur le double fait de la capacité de l'homme, et aussi de sa responsabilité de recevoir la grâce divine. Sur ce point, ils étaient appuyés par les gentilshommes et par beaucoup d'autres qui déclaraient que les changements suggérés n'étaient pas nécessaires et qu'ils jetteraient un blâme sur ceux qui avaient si longtemps et si fidèlement dirigé les églises. L'éloquence de Farel et son affectueuse insistance impressionnèrent puissamment les auditeurs et la majorité accepta son enseignement. On élabora une confession de foi selon les principes du réformateur. Elle fut signée par la plupart des participants. Quelques-uns s'abstinrent.

On montra aux réformateurs les Bibles manuscrites employées dans les églises et quelques documents anciens: la «Noble leçon», le «Catéchisme», «l'Antichrist», et d'autres encore. Ils montrèrent un vif intérêt pour ces écrits et en comprirent la valeur, mais ils virent le besoin de faire imprimer des Bibles en français, que l'on pourrait faire circuler parmi le peuple. Il en résulta la traduction française de la Bible par Olivétan, qui avait fidèlement collaboré à l'oeuvre de la Réforme à Paris, dès les premiers jours. Les frères vaudois firent un gros effort pour contribuer aux frais de cette publication, et la Bible parut en 1535. Farel et Saunier se remirent en selle, après leur visite si pleine d'événements importants, pour continuer l'oeuvre en Suisse romande, avec Genève comme but. Jean de Molines et Daniel de Valence se rendirent en Bohême. Après une conférence des églises, les frères de Bohême écrivirent aux Vaudois, les priant instamment d'examiner toutes choses avec le plus grand soin avant d'adopter les modifications de doctrine, ou de pratique recommandées par les frères étrangers.

Durant l'automne de 1530, les habitants de Neuchâtel détruisirent les statues de la collégiale, puis, comme nous l'avons vu, la religion réformée fut adoptée par vote populaire. La tyrannie fit ainsi place à la vérité libératrice et la réforme civile obtenue fut de très grande valeur. Pourtant il faut reconnaître que ce n'est ni par le vote du peuple, ni par l'autorité d'un pape, que les églises de Dieu doivent être dirigées. Cette direction doit venir du Seigneur Lui-même. Christ est le centre et la puissance d'attraction de son peuple. La communion des saints entre eux découle de leur communion collective avec Lui, ce qui leur confère l'autorité d'exercer la discipline dans leur milieu. Les églises ne doivent ni dominer sur le monde, ni être dominées par lui. Pour marquer la distinction entre l'Église et le monde, Farel fit placer des tables au lieu de l'autel qui avait été renversé à la collégiale pour la célébration de la Ste-Cène. Ici, disait Farel, les croyants pourront adorer Christ en esprit et en vérité, nettoyés de tout ce qu'Il n'a pas ordonné. Ici Jésus sera manifesté parmi eux et Ses commandements seront mis en pratique. L'année suivante, après que Farel eut prêché à une vaste congrégation à l'église d'Orbe, huit croyants prirent part à la fraction du pain en souvenir du Seigneur.


3. Calvin à la Cour de Navarre, puis à Genève

En 1535, quelques croyants du Midi de la France sentirent la nécessité de se réunir souvent pour la lecture des Écritures. Marguerite, reine de Navarre, venait de quitter Paris pour se fixer sur les terres de son mari. Lefèvre et Roussel l'avaient accompagnée. Ils avaient coutume de fréquenter l'église catholique de Pau et de tenir ensuite au château une réunion dans laquelle on parlait sur une portion des Écritures. Beaucoup de campagnards y assistaient. Quelques-uns d'entre eux exprimèrent le désir de prendre la Ste-Cène, tout en sachant qu'ils s'exposaient au danger. Une vaste salle fut choisie sous la terrasse du château - ce qui permettait de se réunir sans trop attirer l'attention du dehors. On y plaça une table, avec du pain et du vin et tous participèrent à la Cène en toute simplicité, la reine, comme les plus pauvres, se sentant égaux en présence du Seigneur. On lut la Parole et on l'expliqua, puis, après une collecte pour les pauvres, l'assemblée se dispersa.

A la même époque, il y avait à Poitiers un jeune homme qui avait dû quitter Paris, à cause de son enseignement. C'était Jean Calvin. Il y prit contact avec de nombreux croyants et des chercheurs de la vérité, tous s'intéressant profondément aux Écritures. On discutait librement les doctrines de Luther et Zwingli et l'on critiquait l'Église catholique romaine. Comme la fréquentation de ces réunions commençait à devenir dangereuse, les chrétiens se rencontrèrent en dehors de la ville, dans une région où il y avait des grottes, appelées Grottes de St-Benoit. Là, dans une vaste caverne, ils purent sonder les Écritures sans interruption, et l'un des sujets fréquemment traités fut l'absence dans les Écritures de l'institution de la messe. Ceci les conduisit à se souvenir de la mort du Sauveur selon qu'Il l'avait ordonné. Ils se réunirent pour prier, lire la Parole, et prendre ensemble le pain et le vin. Si quelqu'un s'y sentait poussé par le St-Esprit, il était libre de donner une parole d'exhortation ou d'interprétation.

Bientôt ces frères pensèrent aux habitants de ce district et à leur ignorance de l'Evangile et, à l'une des réunions, trois des frères s'offrirent comme évangélistes. On savait qu'ils étaient spirituellement qualifiés pour un travail de ce genre. On fit une collecte pour couvrir leurs frais de voyage et ils se mirent en route. Ils obtinrent des résultats réjouissants. L'un d'entre eux, Babinot, homme doux et instruit, se rendit d'abord à Toulouse. Il avait une vraie puissance d'attraction pour étudiants et professeurs et en amena plusieurs à Christ. Ces hommes, à leur tour, répandirent largement l'Evangile parmi la jeunesse. On surnomma Babinot «le Débonnaire» à cause de son excellent caractère. Il s'occupait activement à découvrir et à visiter de petits groupes de croyants qui se réunissaient pour la prière et la fraction du pain. Véron était un autre évangéliste très zélé. Il passa vingt ans à parcourir à pied des provinces entières de la France. Il chercha si diligemment les brebis perdues et glorifia si bien le Bon Berger qu'on l'appela «I'Assembleur». Quand il arrivait en quelque lieu, il s'informait des personnes les plus respectables et s'efforçait de les gagner à la foi. Il s'intéressait aussi tout spécialement aux jeunes,, dont plusieurs devinrent de fidèles disciples du Christ et le prouvèrent en souffrant pour Lui. Le troisième évangéliste, Jean Vernou, travailla d'abord à Poitiers et se fit une réputation dans toute la France par son influence dans les collèges. Plus tard, il fut arrêté en Savoie et brûlé à Chambéry pour avoir confessé Christ.

La puissance de salut de l'Evangile commença à se manifester abondamment à Genève après qu'Antoine Froment y eut ouvert, avec grande appréhension, une école (1532). Il attira la foule par ses histoires bibliques aux enfants et par ses connaissances médicales. Parmi les convertis se trouvaient quelques dames, appartenant aux meilleures familles de la ville, puis des négociants et des gens de toutes classes. Ils ne tardèrent pas à se réunir en diverses maisons pour l'étude des Écritures et la prière. Ces assemblées s'accrurent rapidement. Le ministère s'y exerçant librement, l'un ou l'autre lisait la Parole et quelqu'un l'expliquait, selon sa capacité, puis on priait. On faisait aussi des collectes pour les pauvres. Parfois un étranger particulièrement doué passait par Genève; en l'invitait alors à parler dans la maison la plus spacieuse et un nombreux auditoire s'entassait pour l'entendre. Bientôt les croyants désirèrent rompre le pain en mémoire du Seigneur. Pour éviter tout désordre, ils se rassemblèrent dans un jardin clos, propriété de l'un d'eux et en dehors des portes de la ville, à Pré-l'Evêque. Tous ces développements prirent place en dépit d'une constante opposition, qui devint plus violente lorsque ces chrétiens se rencontrèrent autour de la table du Seigneur comme églises. Il y eut alors de dangereuses émeutes. Froment et d'autres furent chassés de la cité, mais les réunions continuèrent. Plus fard, environ quatre-vingts personnes, hommes et femmes, s'assemblèrent à Pré-l'Evêque. Cette fois, l'un des frères lava les pieds des assistants avant la distribution de la Ste-Cène, ce qui augmenta l'irritation populaire contre eux. Ce fut dans ces circonstances difficiles qu'Olivétan travailla à la traduction de la Bible. Désireux de donner une claire interprétation, il traduisit en français des mots auxquels on avait laissé autrefois la forme grecque; ainsi «apôtre» devint «messager», «évêque», «surveillant», et «prêtre», «ancien», ces fermes étant la traduction textuelle des mots grecs. Il dit qu'il ne trouvait nulle part dans la Bible des expressions telles que pape, cardinal, archevêque, archidiacre, abbé, prieur, moine. Il n'y avait donc pas lieu de les changer.

En une succession de temps très troublés, Genève, comme Neuchâtel, avait secoué la domination de nome. Tôt après une forme de gouvernement y fut introduite - qu'on ne saurait trouver dans les Écritures - et qui devait avoir une grande influence sur les églises. Olivétan avait été l'un des premiers à conseiller à Calvin, son parent, l'étude de la Bible. Ce dernier était si remarquablement doué que, déjà tout jeune, il exerçait une grande influence partout où il allait. Ce fut à Bâle, où il s'était réfugié après avoir été chassé de France, qu'il publia, en 1536, son «Institution de la religion chrétienne»; cet ouvrage le fit connaître comme l'un des premiers théologiens de son temps. La même année, se rendant à Strasbourg, il fut obligé, à cause de la guerre, de passer par Genève. Il y descendit dans une hôtellerie, avec l'intention de partir le lendemain matin. Mais Farel, ayant appris son arrivée, alla le visiter et lui montra l'oeuvre merveilleuse qui s'était faite et se poursuivait encore à Genève et aux environs. Il lui dépeignit l'opposition, le besoin de collaborateurs, l'impossibilité pour lui et pour d'autres de répondre à tous les appels, puis lui enjoignit de rester dans cette ville pour les aider. Calvin commença par refuser; il mit en avant son incapacité, son besoin de tranquillité pour l'étude, son caractère enfin, impropre à la tâche à remplir. Farel l'adjura de ne pas permettre à son amour de l'étude, ou à toute autre forme de satisfaction propre, de l'empêcher d'obéir à l'appel de Dieu. Vaincu par la véhémence de Farel et persuadé par ses instances, Calvin décida de rester à Genève, où il passa le reste de ses jours, à l'exception d'une période d'exil de trois ans, et où son nom reste à jamais uni à celui de cette ville. A travers bien des luttes, il imposa à la cité son idéal d'un État et d'une Église organisés largement d'après le modèle de l'A. Testament. Le Conseil de la ville avait pleins pouvoirs en matière de religion comme en matière civile, et devint le docile instrument de Calvin. Tout citoyen qui ne signait pas la confession de foi devait quitter la cité. Des lois sévères réglaient les moeurs et les habitudes du peuple. Les églises qui avaient commencé à grandir en obéissant aux enseignements du N. Testament disparurent presque, absorbées dans l'organisation générale. La domination du pape fut remplacée par la loi du réformateur, et la liberté de conscience ne pouvait se manifester.

Par sa règle sévère, Calvin espérait faire disparaître une forme d'erreur assez répandue, de caractère unitaire. Elle venait de loin et ressemblait à certains égards à l'arianisme. Mais, à cette époque, on parlait de socinianisme, nom dérivé de ceux de Lelio Socin (1525-1562) et de Fauste Socin (1539-1604), porté par un oncle et son neveu, originaires de Sienne, en Italie. Le dernier vécut beaucoup en Pologne, car dans ce pays, comme en Transylvanie, l'enseignement unitaire était permis et très généralisé. Fauste par. vint à unir les sectes divisées d'unitaires polonais. On les appelait «Frères polonais» et le catéchisme «racovien» exprime leurs vues. C'est de ce centre que le socinianisme se répandit et pénétra dans quelques-unes des églises protestantes et finit par exercer une grande influence, surtout sur le clergé protestant. Cette fausse doctrine consistait principalement en une critique de la théologie existante. Sur cette critique elle basait son enseignement qui s'adressait plus à l'intelligence qu'au coeur.

Une doctrine de ce genre était enseignée par un médecin espagnol, nommé Michel Servet. Au cours de ses voyages, il passa par Genève; là il entra en conflit avec Calvin et le Conseil de la ville. Refusant de se rétracter, il fut brûlé vif (1553). C'était le résultat logique du système instauré.

Sous la domination du réformateur, Genève acquit un grand renom, et donna asile à de nombreux réfugiés que la persécution avait chassés de leurs pays respectifs, même d'Angleterre et d'Ecosse. Ceux-ci furent fortement influencés par le génie de Calvin et portèrent au loin son enseignement. Le calvinisme devint bientôt une puissance dans le monde et l'on ose affirmer que sa sévère discipline a contribué à former les plus nobles caractères. Farel se soumit aux ordres de Calvin, mais il résista à toutes les sollicitations de se fixer à Genève, ou d'accepter une position lui procurant honneurs ou rémunération. Il fit de Neuchâtel son centre et se maria. Toutefois il continua son dur travail de prédicateur itinérant et mourut paisiblement, âgé de septante-six ans.


82) «La Réformation en Europe au temps de Calvin», par Merle d'Aubigné.

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