Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE X

La France et la Suisse

(1500-1800)

Lefèvre. - Groupe de croyants à Paris. - Meaux. - Prédication de Farel. - Metz. - Destruction de statues. - Exécutions. - Augmentation de la persécution en France. - Farel en Suisse romande. - A Neuchâtel. - Vaudois et réformateurs se rencontrent. - Visite de Farel et de Saunier aux Vallées vaudoises. - Progrès à Neuchâtel. - Fraction du pain au Midi de la France. - Jean Calvin. - Fraction du pain à Poitiers. - Envoi d'évangélistes. - Froment à Genève. - Fraction du pain hors de Genève. - Calvin à Genève. - Socinianisme. - Servet. - Influence du Calvinisme. - Les placards. - Sturm à Mélanchton. - Organisation des Églises en France. - Les Huguenots. Massacre de la &-Barthélemy. Édit de Nantes. - Les dragonnades. Révocation de l'Édit de Nantes. Fugitifs français. - Prophètes des Cévennes. - Guerre des Camisards. - Les églises du Désert réorganisées. - Jacques Roger. - Antoine Court.




1. Début de la Réforme en France
A la fin du quinzième et au début du seizième siècle, vivait à Paris un petit homme d'âge mûr, aux manières vives, qui observait dévotement tous les rites de l'Église catholique romaine (80). C'était Jacques Lefèvre, le docteur en théologie le plus érudit et le plus populaire de l'université. Né en 1455, dans la petite ville d'Étaples en Picardie, il étudia à Paris et en Italie. Il se montra si doué, et si actif que, lorsqu'en 1492 il devint professeur à l'université de Paris, il prit bien vite place au premier rang parmi ses collègues. La Renaissance avait attiré à Paris des étudiants enthousiastes de tous pays. Lefèvre encouragea l'étude des langues et, ne trouvant satisfaction ni dans les classiques, ni dans la scolastique, il conduisit ses étudiants à la Bible, qu'il expliquait avec tant de sagesse et de ferveur que beaucoup d'entre eux furent gagnés en même temps par le maître et par le Livre. Le charme de la personnalité de Lefèvre en fit bientôt des amis.

Il avait déjà enseigné dix-sept ans à la Sorbonne et ses écrits étaient largement répandus, lorsqu'un tout jeune homme, Guillaume Farel, ayant alors vingt ans, quitta son foyer montagnard du Dauphiné, entre Gap et Grenoble, pour venir à Paris. Dans le plaisant manoir familial, occupé de longue date par des Farel, vivaient les parents, les trois frères et la soeur de Guillaume, tous, comme lui, élevés dans l'Église romaine et attachés à ses pratiques. Farel fut épouvanté en voyant le dévergondage et la vie de péché des gens à Paris. En revanche, il fut frappé de la dévotion exceptionnelle de Lefèvre. Les deux hommes firent connaissance. Le jeune étudiant fut captivé par l'intérêt bienveillant que lui témoignait l'éminent professeur, et une amitié pour la vie s'établit entre eux. Ils lurent la Bible ensemble. Lefèvre avait consacré beaucoup de, temps à un ouvrage intitulé: « Vies des Saints», en arrangeant ses biographies d'après l'ordre du calendrier. Il en avait déjà publié les deux premiers mois; mais il fut si impressionné par le contraste entre les absurdités contenues dans certaines de ces vies et la puissance et la vérité des Écritures qu'il abandonna les «Vies» pour l'étude des Écritures, surtout des épîtres de Paul, dont il publia des commentaires.

Il enseignait nettement que: «c'est Dieu seul qui, dans sa grâce, justifie par la foi pour la vie éternelle». Une doctrine de ce genre, prêchée à Paris avant même que Luther et Zwingli l'eussent proclamée, provoqua de très vives discussions. C'était pourtant le vieil Évangile primitif prêché par le Seigneur et ses apôtres, mais qui avait été remplacé si longtemps par l'enseignement romain du salut par les sacrements qu'il paraissait nouveau aux auditeurs. Farel, dont l'âme avait été profondément exercée, fut l'un de ceux qui saisirent alors le salut par la foi au Fils de Dieu et la pleine suffisance de son oeuvre expiatoire. Il dit: «Lefèvre m'a fait sortir de la fausse opinion des mérites humains; il m'a enseigné que tout vient de la grâce, et je l'ai cru aussitôt que je l'ai entendu.»

Même à la cour du roi François 1er, quelques personnes reçurent l'Evangile, entre autres Briçonnet, évêque de Meaux, et Marguerite de Valois, duchesse d'Alençon et soeur du roi, à laquelle François 1er était très attaché. Cette femme, déjà célèbre par son esprit comme par sa beauté, se fit alors connaître par sa foi fervente et ses bonnes oeuvres. Un autre adhérent fut Louis de Berquin, originaire de l'Artois, réputé comme l'homme le plus savant dans la noblesse, aimant les pauvres et observant fidèlement les rites de l'Église romaine. Ce furent les violentes attaques dirigées contre la Bible qui attirèrent son attention vers ce Livre. Après l'avoir lu, il se convertit et se joignit au petit groupe de croyants dont faisaient partie Arnaud et Gérard Roussel, nés, comme Lefèvre, en Picardie. Berquin se mit tout de suite à répandre en France les livres et les traités qu'il avait écrits ou traduits lui-même, pour attirer l'attention des lecteurs sur l'enseigne~ ment de la Bible. Tout ceci provoqua une opposition, à la tête de laquelle se trouvaient le chancelier Duprat et Noël Bède, se rattachant à l'université. Elle devint si violente que les témoins les plus en vue de l'Evangile durent quitter Paris. En 1521, plusieurs d'entre eux, y compris Lefèvre et Farel, se réfugièrent à Meaux, sur l'invitation de l'évêque qui avait entrepris une énergique réformation de son diocèse.

Lefèvre y publia sa traduction française du N. Testament et des Psaumes. Les Écritures devinrent bientôt le grand sujet de conversation de toute la ville, peuplée d'ouvriers et de marchands drapiers, ainsi que des villages environnants, parmi fermiers et journaliers. Farel prêchait partout, dans les églises et en plein air (81). « Quels sont - disait-il - les trésors de la bonté de Dieu, que nous recevons par la mort de Jésus-Christ? Si nous considérons attentivement ce que fut la mort de Jésus, nous y verrons comment tous les trésors de la bonté et de la grâce de Dieu, notre Père, sont magnifiés, glorifiés et exaltés par cet acte de miséricorde et d'amour. N'y a-t-il pas là pour les plus misérables pécheurs une invitation à venir à Celui qui les a tant aimés qu'Il n'a pas épargné son propre Fils, mais l'a livré pour nous tous? Cet acte ne nous assure-t-il pas que les pécheurs sont les bienvenus auprès du Fils de Dieu qui les a aimés et s'est livré Lui-même pour eux: sa vie, son corps, son sang en sacrifice parfait, en rançon intégrale pour tous ceux qui croient en Lui?... Lui, le Fils de, Dieu, la puissance et la sagesse de Dieu, oui, Dieu Lui-même, s'est humilié jusqu'à mourir pour nous, Lui, le Saint et le juste, pour des impies et des pécheurs. Il s'est offert pour nous rendre purs. Et c'est la volonté de Dieu que ceux qu'Il sauve par le don précieux de son Fils, soient assurés de leur salut éternel, sachant qu'ils sont absolument purifiés de toute iniquité... Il fait le don précieux de son Fils au misérable prisonnier de Satan, du péché, de l'enfer, de la condamnation...

Le Dieu de la grâce, le Père des miséricordes choisit un tel être pour faire de lui son enfant... Il le change en une nouvelle créature, Il lui donne les arrhes de l'Esprit qui lui communique la vie et l'unit à Christ en le faisant membre de son corps... Ne craignons donc pas de perdre notre vie mortelle, pour l'honneur du Père et en témoignage au saint Évangile... Oh! qu'il sera béni, qu'il sera glorieux, triomphant, heureux entre tous, le jour qui vient! Alors paraîtra le Seigneur et Sauveur en son propre corps, - ce corps dans lequel Il a tant souffert pour nous, crachats, coups, verges et torture, au point que son visage en était défiguré, plus que celui d'aucun homme. - Il viendra dans ce corps, appelant à Lui les siens, ceux qui sont participants de son Esprit, en qui Il a habité par son Esprit. Il les entraînera à la gloire, en se montrant à eux dans son corps de gloire. Il prendra à Lui leurs corps, vivant d'une vie immortelle, semblables au sien, et ils régneront à jamais avec Lui. Toute la création soupire après ce jour béni, ce jour de la venue triomphante de notre Sauveur et Rédempteur, où tous ses ennemis seront mis sous ses pieds et où son peuple élu ira à sa rencontre dans les airs.»

Meaux était alors un centre de vie spirituelle et l'évêque Briçonnet pourvoyait à la distribution des Écritures dans tout son diocèse. Parmi les convertis se trouvaient deux cardeurs de laine, Pierre et Jean Leclerc, ainsi que leur mère. Puis Jacques Pavannes, étudiant, en visite chez l'évêque, et un homme appelé l'Ermite de Livry. Ce chercheur de la vérité vivait d'aumônes dans une hutte, dans la forêt de Livry près Paris, aujourd'hui disparue. Il rencontra quelqu'un de Meaux, qui lui remit une Bible. Il trouva le salut en la lisant et sa hutte ne tarda pas à devenir un lieu de réunions pour ceux qui désiraient être instruits dans la Parole.

Les franciscains de Meaux se plaignirent bientôt à l'Église et à l'université de Paris de ce qui se passait dans leur ville. Bède et ses collègues prirent de promptes mesures pour écraser le témoignage grandissant de l'Evangile. Berquin fut arrêté dans son château à la campagne. Il confessa brave. ment sa foi et allait être exécuté, lorsque le roi le sauva par son intervention, ce qu'il fit aussi pour Lefèvre, qui put rester à Meaux avec une liberté restreinte. Menacé de perdre et ses biens et sa vie, l'évêque de Meaux céda et consentit à la réintroduction du système catholique romain dans son diocèse. Troublé à la pensée que ses amis de Meaux s'arrêtaient à mi-chemin dans leur obéissance à la Bible, Farel avait déjà regagné son foyer, près de Gap, après une courte visite à Paris.

Dès le début, les croyants de Meaux avaient compris que les dons de l'Esprit ne sont pas limités à une certaine classe d'hommes mais accordés à tous les membres du corps de Christ. Aussi, quand la soudaine persécution enleva leurs chefs, ou les réduisit au silence, ils n'en furent pas troublés, mais continuèrent à tenir, aussi souvent que possible, des réunions secrètes où les frères expliquaient la Parole selon leurs capacités. Jean Leclerc était zélé et qualifié pour ce ministère, ainsi que pour faire des visites de maison en maison. Non content de cela, il écrivit un jour, et fixa aux portes de la cathédrale, des placards condamnant l'Église de Rome, ce qui lui attira un sévère châtiment. Trois jours durant, il fut fouetté le long des rues de la ville, puis marqué au front avec un fer rouge, comme hérétique. Mais une voix s'éleva de la foule: «Vive Jésus-Christ et ses enseignes». C'était la mère de Leclerc. L'évêque dut consentir à toutes ces choses, sans mot dire.

Leclerc, le visage cautérisé, se rendit à Metz, où il gagna sa vie en cardant de la laine et continua à expliquer les Écritures à tous ceux qu'il rencontrait. Un homme instruit, Agrippa de Nettesheim, s'était établi dans cette ville, où il était alors un de ses meilleurs citoyens. En lisant les oeuvres de Luther, il fut attiré vers l'Écriture et, une fois éclairé, commença à rendre témoignage à la vérité reçue. De cette façon un grand intérêt pour l'Evangile se manifesta dans les classes aisées comme chez les ouvriers. Jean Chaistellain, moine augustin qui avait appris à connaître Christ dans les Pays-Bas, vint également à Metz et impressionna beaucoup de gens par sa prédication éloquente et émouvante. François Lambert aida aussi au développement de l'église nouvelle. Il avait été élevé par les franciscains à Avignon et, déjà comme enfant, avait souffert du mal qui s'affichait tout autour de lui. Une impulsion secrète le poussa à lire la Bible. Christ lui fut ainsi révélé. Il crut en Lui et prêcha la vérité divine. De son couvent, il entreprit des tournées de prédication qui portèrent des fruits, mais qui lui valurent l'hostilité moqueuse de ses compagnons. Il reçut beaucoup de bien des écrits de Luther et, profitant d'une occasion de quitter le couvent, il alla jusqu'à Wittenberg et fut très bien reçu par le fameux réformateur. Il y rencontra des imprimeurs de Hambourg, arrangea avec eux l'impression de traités français et de Bibles qui devaient être envoyés dans diverses parties de la France. Puis il se maria, deux ans avant Luther, et fut ainsi le premier prêtre ou moine français qui fonda un foyer. Sa femme consentit à courir le risque de rentrer en France et l'accompagna à Metz (1524). Ils en furent bientôt chassés, mais d'autres vinrent à la lumière: un chevalier bien connu, d'Esch; puis un jeune homme, Pierre Toussaint, qui aurait dû occuper une haute position dans l'Église de Rome, et d'autres encore.

Lors de la célébration d'une grande fête, les habitants de Metz avaient coutume de se rendre en pèlerinage à une chapelle à quelques kilomètres de la ville, fameuse par ses statues de la Vierge et des saints. A cette occasion, Leclerc, l'esprit rempli des censures de l'A. Testament contre l'idolâtrie, se glissa hors de Metz, la nuit avant le pèlerinage, et détruisit toutes les statues de la chapelle. Le lendemain, les adorateurs furent consternés et furieux en découvrant les débris des statues jetés de ci de là dans la chapelle. Leclerc ne dissimula pas son action. Il exhorta le peuple à adorer Dieu et déclara que Jésus-Christ, Dieu manifesté en chair, est seul digne d'adoration. Il fut condamné au bûcher, mais dut subir, avant d'être brûlé, d'abominables tortures. Tandis que l'on mutilait ses membres l'un après l'autre, il continua, aussi longtemps qu'il le put, à réciter solennellement et à haute voix les paroles du Psaume cent-quinzième: «Leurs idoles sont de l'argent et de l'or; elles sont l'ouvrage de la main des hommes. Elles ont une bouche et ne parlent point, elles ont des yeux et ne voient point, elles ont des oreilles et n'entendent point, elles ont un nez et ne sentent point, elles ont des mains et ne touchent point, des pieds et ne marchent point; elles ne produisent aucun son dans leur gosier. Ils leur ressemblent, ceux qui les fabriquent, tous ceux qui se confient en elles. Israël, confie-toi en l'Éternel ! Il est leur secours et leur bouclier.» Le martyre de Leclerc fut promptement suivi de celui du moine Chaistellain, qui fut dégradé et brûlé. D'Esch, Toussaint et d'autres ne sauvèrent leur vie que par la fuite, et pourtant les croyants de Metz allèrent en augmentant, ainsi que dans toute la Lorraine. A Nancy, un prédicateur de l'évangile nommé Schuch fut condamné au bûcher par l'ordre du due Antoine-le-Bon. En apprenant son sort, Schuch dit simplement: «Je suis dans la joie quand on me dit: Allons à la maison de l'Éternel.»

En 1525, le roi de France, François 1er, fut vaincu et fait prisonnier par l'empereur Charles-Quint, à la bataille de Pavie. On en profita pour tâcher d'extirper de la France les croyants séparés de nome. L'influence bienfaisante de Marguerite, soeur du roi, fut neutralisée. Le Régent se laissa aisément persuader, et l'Église, le Parlement et la Sorbonne s'unirent pour l'attaque. Le Parlement présenta au Régent une adresse dans laquelle il affirmait que la négligence du roi de faire périr les hérétiques était la cause réelle du désastre dont souffraient le trône et la nation. Avec l'autorisation du pape, on nomma une commission dont les quatre membres étaient des ennemis jurés de la Réforme, et à laquelle les autorités ecclésiastiques devaient déférer toutes les personnes contaminées par le luthéranisme. On les livrait ensuite au bras séculier pour être brûlées. On commença par Briçonnet, évêque de Meaux, principal coupable, pensant faire plus d'impression en frappant un grand coup. Une fois déjà, il s'était plié à toutes les exigences de l'Église, mais ensuite il avait abondamment prouvé qu'il n'avait agi que par la contrainte et que son attachement à l'Evangile était resté le même. La commission comprit qu'elle servirait mieux sa cause en amenant l'évêque à se rétracter qu'en le mettant à mort. Elle mit donc tout en oeuvre pour atteindre ce résultat et y réussit. L'évêque, dont les convictions ne peuvent être mises en doute, fit sa soumission extérieure à nome, et passa par toutes les cérémonies prescrites pour obtenir son pardon.

On s'attaqua ensuite à Lefèvre, mais il fut prévenu à temps et partit pour Strasbourg, où Capiton le reçut chez lui, et, avec Bucer, se réjouit de son arrivée. Farel et Gérard Roussel se trouvaient déjà à Strasbourg et Lefèvre put ainsi jouir, comme jamais auparavant, d'une communion bénie avec le peuple de Dieu. Lermite de Livry fut un de ceux qui, à cette époque, souffrirent l'emprisonnement et la mort. Depuis le jour où il avait trouvé la paix en Christ, il avait visité sans relâche tout le district et reçu dans sa hutte ceux qui désiraient connaître la voie du salut selon les Écritures. Les inquisiteurs l'amenèrent en grande pompe sur la place où s'élève la cathédrale de Notre-Dame, à Paris. Une foule immense y avait été convoquée au son de la grosse cloche pour le voir mourir par le feu. Il endura son martyre avec un noble courage. Louis de Berquin avait aussi été arrêté, jeté en prison et condamné à mort. Mais, au retour du roi (1525), il fut relâché. Grâce en grande partie à l'influence de la duchesse Marguerite, les prédicateurs exilés en Allemagne et en Suisse furent rappelés en France - excepté Farel, dont l'enseignement, plus avancé que celui de ses frères en la foi, inspirait quelque crainte à ceux qui espéraient encore un compromis avec Rome.


80) «Histoire de la Réformation», par J. H. Merle d'Aubigné.

81) «Life of William Farel», Frances Bevan.

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