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 EZECHIEL

 

Mieux encore que le livre de Daniel, celui d'Ezéchiel nous permet de nous rendre compte de la vie d'Israël en exil. Avec Daniel, nous sommes surtout initiés à la cour du roi, à la civilisation babylonienne, à son faste, à son culte, à sa puissance politique, et, par-dessus tout, à l'attitude de quelques Israélites d'élite, remarquables par leur intelligence, leurs capacités, leur piété. Avec Ezéchiel, la vision s'élargit. C'est la vie même du peuple qui nous apparaît, ses tristesses, les dangers qu'il court au point de vue physique et moral, comme aussi ses espérances, son ardent patriotisme. En parcourant le livre d'Ezéchiel, nous revivrons cette période si douloureuse pour Israël, mais aussi si nécessaire pour son éducation, pour son retour au Dieu trop longtemps délaissé, pour sa préparation à la grande oeuvre qui l'attend.

L'archéologie ne nous donne point de documents mentionnant le séjour des enfants de la Promesse en Babylonie, ni, par conséquent, le nom d'Ezéchiel. Mais elle nous apporte de nombreuses confirmations de la parfaite véracité de tous les détails donnés par le prophète concernant les moeurs, les cultes de Babylone et, non seulement de Babylone, mais aussi des pays alors sous sa domination, de l'Egypte, de Tyr, de Sidon.

Nous allons indiquer quelques-unes de ces confirmations qui mettent en lumière l'honnêteté et la science de l'auteur sacré.

Nous ferons d'abord cette remarque générale que tout, dans le livre d'Ezéchiel, indique un homme qui a vécu en Chaldée et qui était au courant de la vie chaldéenne, exactement comme le Pentateuque indique un auteur qui a séjourné en Egypte. Le livre d'Ezéchiel, composé par un Israélite convaincu et fidèle est aussi l'oeuvre d'un homme qui a su se servir des habitudes du pays où il se trouvait captif, pour illustrer sa pensée et rendre ses appels plus saisissants et plus compréhensibles. Un tel livre n'aurait pu être composé à Jérusalem, ni composé pour des Juifs de Palestine ; mais il est sorti d'un serviteur de Jéhovah en exil et s'adressant à des compatriotes en exil comme lui sur la terre de Nébucadnetsar. Ainsi que le dit la « Bible annotée » : « Ce genre imagé, symbolique, où l'allégorie prend des dimensions colossales et se revêt en même temps des contours les plus minutieux et les plus précis, répondait-on ne peut mieux aux besoins des auditeurs d'Ezéchiel, familiarisés depuis leur séjour en Babylonie avec les figures de ces animaux fantastiques dont les Chaldéens aimaient à peupler l'entrée de leurs temples et les vestibules de leurs palais (1). »

Plusieurs traits de la mission du prophète sont en harmonie avec les coutumes chaldéennes.

C'est ainsi qu'Ezéchiel est appelé par le Seigneur à 4 prendre une brique, à la mettre devant lui et à y dessiner une ville » (IV, 1). Les briques, généralement en argile, appelées tablettes par les archéologues, étaient communément employées dans l'Antiquité, surtout en Mésopotamie, pour l'écriture et le dessin. On a trouvé et l'on trouve encore un nombre considérable de ces tablettes dont on constituait dans les grandes villes, de véritables bibliothèques. On écrivait ou l'on dessinait, avec un poinçon, sur l'argile ou la brique molle, qui était ensuite séchée au four ou au soleil. L'écriture ou le dessin devenait ainsi indélébile.

Ezéchiel est particulièrement précis dans sa manière de décrire les cultes idolâtres qui s'étaient introduits à Jérusalem, jusque dans le temple du Seigneur. Il fait allusion aux « colonnes solaires » (VI, 6) qui étaient soit des colonnes élevées en l'honneur du soleil, colonnes figurant, comme les obélisques, les rayons de l'astre, soit des statues élevées en l'honneur de Baal, la divinité phénicienne qui était la personnification du soleil. Le chapitre VIII est un tableau saisissant de toutes les « abominations » païennes qui avaient envahi la Palestine. Chaque trait est pris sur le vif. Le rôle des femmes est mis justement en lumière dans le culte de Thammuz (VIII, 15), l'Adonis des Grecs et des Phéniciens. L'expression : « Voici, les femmes étaient là assises, pleurant le Thammuz » fait allusion à la coutume des femmes qui, en effet, pendant plusieurs jours, se lamentaient à la recherche du dieu. « Des femmes, les cheveux épars, d'autres rasées, d'autres se meurtrissant la poitrine, donnant les signes d'une violente consternation, erraient dans les rues comme cherchant quelqu'un, ou se tenaient assises en cercle autour d'un catafalque sur lequel se trouvait un sarcophage destiné à recevoir la statue en bois peint qui représentait le corps du dieu Thammuz. Le mort était pleuré pendant plusieurs jours, puis inhumé (2). »

Ezéchiel parle aussi des adorateurs du soleil (VIII, 16). Ils se tournaient vers l'Orient, ce qui obligeait les sacrificateurs qui pratiquaient ce culte infâme à tourner le dos au Temple.

Il y a une allusion frappante à une particularité du culte du soleil, dans le verset 17 du même chapitre : « Ils portent le rameau à leur nez. » Les Pusans, adorateurs fanatiques du feu et de la lumière, avaient l'habitude, au cours des cérémonies religieuses, de porter à la main un faisceau de branches de l'arbre sacré appelé hom. Ce bouquet, appelé barsum, ils l'approchaient de leur bouche, comme une amulette destinée à éloigner les mauvais esprits.

Dans ce chapitre, qui contient cette extraordinaire dénonciation des péchés de Jérusalem qu'il est impossible de lire sans une profonde émotion, nous trouvons aussi plusieurs indications d'ordre historique qu'il importe de relever.

« Ainsi parle le Seigneur l'Eternel à Jérusalem: Ton père était un Amorrite et ta mère une Hittite. » (XVI, 3). Cette définition des origines de Jérusalem et de la Palestine juive est rigoureusement exacte. Nous avons déjà parlé en détail de ces deux empires amorrites et hittites qui avaient successivement dominé en Canaan avant l'arrivée des Israélites. M. le Dr Contenau écrit à ce sujet, dans son livre remarquable sur la « Civilisation Phénicienne » : « Les Amorrites comme les Hittites sont partout en Canaan; la célèbre apostrophe d'Ezéchiel à Jérusalem (XVI, 3) : « Ton père était un Amorrite et ta mère une Hittite », le résume, en une formule saisissante. »

Dans la « complainte sur les princes d'Israël », nous avons une allusion à une coutume particulièrement barbare des rois assyriens et babyloniens : « Ils le mirent dans une cage, avec des crochets, et le conduisirent au roi de Babel. » (XIX, 9). On a trouvé un bas-relief représentant deux rois captifs et privés de la vie, que le monarque assyrien a fait attacher ensemble par des crochets passés dans leurs mâchoires, comme on avait coutume de le faire aux animaux féroces.

Dans l'accusation portée par le prophète contre les deux soeurs criminelles, Samarie et Jérusalem, Ezéchiel cite un trait confirmé par de nombreuses fouilles. Il parle de Oholiba s'extasiant en face des bas-reliefs qui représentaient les Chaldéens: « Elle vit des hommes dessinés sur le mur, des images de Chaldéens peints au vermillon, la ceinture aux reins, la tête couverte d'amples turbans, tous paraissant de grands seigneurs ; c'étaient des portraits des fils de Babel ; la Chaldée était leur patrie. » (XXIII, 14-15). Cette description des Chaldéens est rigoureusement exacte ; ce qui est exact aussi, c'est l'allusion aux peintures « sur les murs » que les Chaldéens affectionnaient. Les Assyriens et les Chaldéens aimaient à reproduire sur les murs de leurs palais des scènes de guerre ou de chasse, par le moyen de sculptures, de dessins et de peintures dont quelques-uns sont remarquables par leur art et leur coloris. Au moment où le prophète écrit ces lignes, il a tout autour de lui des édifices abondamment décorés de ces bas-reliefs qui faisaient l'admiration des Israélites avant l'Exil.

 

L'une des parties les plus connues du livre d'Ezéchiel est sans contredit la série de chapitres qu'il consacre à la Phénicie, en particulier à Tyr. Le Dr Contenau écrit à ce propos : « L'intensité du commerce et de l'émigration des Phéniciens nous est affirmée par les témoignages concordants de tous les Anciens ; mieux encore, par les objets de style phénicien indéniable que l'on a trouvés dans les endroits où la tradition assure que « les vaisseaux de Tharsis » ont fait escale ; la Bible s'est fait l'écho de cette prospérité lorsqu'Ezéchiel, après avoir décrit l'opulence de Tyr, prédit sa désolation. Cette apostrophe fait revivre avec une intensité extraordinaire la foule qui se pressait dans le port d'une ville phénicienne, au milieu du premier millénaire avant notre ère, et donne une idée des innombrables marchandises qui s'entassaient sur ses quais (XXVII et XXVIII) » Après avoir donné une longue citation du chapitre XXVII, le Dr Contenau ajoute, confirmant ainsi au nom de l'archéologie les données bibliques : « En résumé, le trafic des Phéniciens portait principalement sur les objets suivants : fruits confits, vins de côte, tissus et broderies, cuirs, cèdres, bitume (de Judée), encens, esclaves, parfums, pourpre, pierres précieuses, verrerie ; plutôt donc des objets de luxe que ceux d'utilité (3). »

Pour illustrer l'extraordinaire précision de la prophétie relative à Tyr, nous citerons les versets 23 à 25 du chapitre XXVII: « Haran, Canné et Eden, les marchands de Schéba, Assour et Kilmad trafiquaient avec toi. Ils trafiquaient avec toi en objets de luxe, en manteaux de pourpre et de brocart, en coffres à vêtements, en cordes tressées et fortes et en planches de cèdre pour tes expéditions. Les navires de Tharsis étaient les caravanes qui t'apportaient tes marchandises; tu t'es remplie de biens ; tu es devenue très puissante au sein des mers. » Haran ou Caran était une ancienne ville de Mésopotamie au sud d'Edesse, où mourut Taré, le père d'Abraham. C'était là le point de rencontre de plusieurs routes de caravanes, qui se dirigeaient du sud au nord, le long du Tigre et de l'Euphrate, et de l'est à l'ouest. Canné est sans doute la Calné de Genèse, X, 10, près du Tigre. Eden était une localité située en Mésopotamie.

Schéba, nom d'une contrée de l'Arabie. Pline déclare que les marchands de Schéba, les Sabéens, apportaient eux-mêmes leurs marchandises aux grandes foires annuelles de Haran et passaient de là jusqu'en Phénicie. Assour est sans doute l'ancienne Sura, aujourd'hui Essurich, à l'ouest de l'Euphrate, sur la route des caravanes allant de Palmyre (Tadmor) à Haran. Kilmad est sans doute la ville de Charmande, dont parle Xénophon comme d'une grande cité située au delà de l'Euphrate. Enfin la mention des « vaisseaux de Tharsis », grâce auxquels Tyr est devenue « opulente et glorieuse au sein des mers », car « ses rameurs l'avaient conduite sur les grandes eaux », cette mention est des plus instructives. Elle confirme ce que l'antiquité nous apprend de la puissance de la flotte phénicienne et surtout de son audace. Les « vaisseaux de Tharsis » allaient beaucoup plus loin que la colonie de Tharsis, en Espagne ; ils s'élançaient sur la grande mer et ont plusieurs fois franchi et dépassé de beaucoup le détroit de Gibraltar. Ici encore citons le Dr Contenau : « Nous savons par la Bible que l'expression « navires de Tharsis » s'appliquait à des navires allant dans des points tout différents ; on voulait seulement indiquer par là une classe de navires comme les Anglais nomment « Indianer », des bateaux qui ne vont pas forcément aux Indes mais sont du type de ceux qui y vont (4). » Le Dr Contenau ajoute qu'on a trouvé un sarcophage, à Sidon, sur lequel figure une silhouette de bateau qui est sans doute celle d'un « navire de Tharsis » (5).

Tout le passage relatif à l'Egypte (XXIX-XXXII) est aussi frappant de vérité historique. Voici le Pharaon qui est comparé « au grand crocodile » et qui s'écrie, dans son orgueil : « Mon fleuve est à moi, et c'est moi qui me le suis fait » (XXIX, 3), parlant du Nil et de ses bienfaits. Ezéchiel nomme aussi des villes d'Egypte bien connues : Noph, qui est Memphis, siège du culte du dieu Phtah et Tsoan (Tanis), ville où résidaient les Pharaons au temps de Moïse (Nombres, XIII, 23) et No, qui est Thèbes, centre du culte d'Ammon. Et aussi: Sin, la Péluse des Grecs, forteresse entourée de marais ; Aven ou On ou Héliopolis, centre du culte du dieu Ra ; Pibéseth, Pibast en égyptien et Bubastis, centre du culte de la déesse Past ; enfin Tachpanés, la Daphné des Grecs dont Jérémie parle au chapitre XLIII (v, 7-13) de son livre, forteresse à l'est du Delta.

Quant à la réalisation de la prophétie d'Ezéchiel, nous savons qu'elle a eu lieu par le moyen de Nébucadnetsar. Plusieurs historiens anciens font allusion à la conquête de l'Egypte par le grand roi : Mégasthènes, Abydénus, Bérose, Josèphe. On a aussi deux inscriptions égyptiennes qui relatent la conquête babylonienne. Il est certain que Nébucadnetsar a porté un coup fatal à la puissance de l'Egypte. Désormais l'Egypte n'est plus à craindre et elle est à peine mentionnée dans les livres qui racontent les périodes postérieures. Nébucadnetsar fera pour elle ce qu'il a fait aussi pour Tyr. Il sera l'instrument de Dieu pour punir ces deux pays, prospères mais ingrats, de leur idolâtrie, de leur corruption, de leur résistance à la Voix Divine.

Ainsi les Israélites trouveront dans les malheurs qui surviennent à d'autres, aussi bien qu'à eux-mêmes, une manifestation nouvelle de la juste colère de Dieu contre l'impiété et l'immoralité, un nouveau motif de repentance et de vigilance.


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1) Bible annotée, « Ezéchiel », p. 9.
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2) TIELE. Histoire comparée des anciennes religions. p. 291
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3) « La Civilisation Phénicienne », p. 307.
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(4) La Civilisation Phénicienne, p. 297.
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(5) Dr CONTENAU, Un vaisseau de Tharsis sur un sarcophage phénicien.