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 LES JUIFS EN EGYPTE

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JEREMIE

Les relations de Jérémie avec l'Egypte offrent plusieurs sujets d'intérêt à l'historien. Nous apprenons, par le livre de Jérémie lui-même (XLIII, 5-7), que Jérémie alla, à contre-coeur, en Egypte, avec un certain nombre de Juifs qui l'entraînèrent de force : « Jochanan, fils de Karéach, et tous les chefs des troupes prirent tous les restes de Juda, qui, après avoir été dispersés parmi toutes les nations, étaient revenus pour habiter le pays de Juda, les hommes, les femmes, les enfants, les filles du roi, et toutes les personnes que Nebuzaradan, chef des gardes, avait laissées avec Guedalia, fils d'Achikam, fils de Schaphan et aussi Jérémie, le prophète, et Baruc, fils de Nérija. Ils allèrent au pays d'Egypte, car ils n'obéirent pas à la voix de l'Eternel, et ils arrivèrent à Tachpanès. » Il est intéressant de savoir que Tachpanès, dont Jérémie parle encore à deux reprises (II, 16 ; XLVI, 14) et dont parle aussi Ezéchiel (XXX, 14-18), a été identifiée il y a quelques années.

Tachpanès (ou Tehaphnehes) était une importante garnison, que les Juifs fugitifs du temps de Jérémie furent heureux de trouver pour s'y abriter. Les Grecs l'appelaient Daphnoe ; les Indigènes l'appellent maintenant Tell Defneh. Elle était située sur la route de Palestine en Egypte. Cette garnison servait à protéger l'Egypte de l'invasion assyrienne. Cette précaution fut particulièrement nécessaire à partir de 670, lorsque Esarhaddon réussit à aller jusqu'à Memphis et surtout lorsque son fils Assurbanipal put conquérir et piller Thèbes, ce qui mit un terme à la puissance éthiopienne dans le nord de l'Egypte.

Cette localité importante était le rendez-vous des voyageurs, des commerçants et voyait souvent arriver des Juifs dont plusieurs s'y établissaient à demeure. Il s'y était formé toute une colonie très active et prospère. Il dut sembler tout naturel aux fugitifs dont parle Jérémie d'aller tout droit à Tachpanès où ils étaient sûrs de rencontre. des compatriotes, peut-être des amis. Les « filles du roi » dont parle le texte sacré s'adressèrent sans doute au roi d'Egypte qui était alors Hophra et qui avait été allié de Juda contre Babylone, mais avait été vaincu par Nébucadnetsar. Elles furent logées sans doute dans la forteresse. Chose curieuse, le monticule qui couvre à l'heure actuelle les ruines de la forteresse s'appelle « Qasr Bint el Yehudi », c'est-à-dire le palais de la fille du Juif, allusion évidente au fait raconté par le livre de Jérémie.

Quand Jérémie arriva à Tachpanès, il continua, avec beaucoup de courage, à mettre en garde ses compatriotes contre l'alliance avec l'Egypte dont il prévoyait l'effondrement prochain et, poussé par l'Esprit, il prophétisa que le roi de Babylone s'avancerait bientôt contre l'Egypte et s'emparerait de Tachpanès. Sa prophétie est très précise : « La parole de l'Eternel fut adressée à Jérémie à Tachpanés, en ces termes : Prends dans ta main de grandes pierres et cache-les en présence des Juifs, dans l'argile du four à briques qui est à l'entrée de la maison de Pharaon à Tachpanès. Et tu diras aux Juifs: Ainsi parle l'Eternel des armées, le Dieu d'Israël : voici, j'enverrai chercher Nébucadnetsar, roi de Babylone, mon serviteur, et je placerai son trône sur ces pierres que j'ai cachées, et il étendra son tapis sur elles (XLIII, 9-11 ; XLVI, 13). »

Or, l'égyptologue Flinders Petrie assure avoir retrouvé la place de ces « grandes pierres » placées par le prophète, à l'entrée de la maison du Pharaon. Voici comment il raconte lui-même sa remarquable découverte : « Quand je me mis à déblayer le fort de Defneh, je m'aperçus qu'il n'y avait qu'une entrée à la maison du Pharaon. En face de cette entrée se trouvait un large emplacement pavé, au nord de la forteresse. C'était sans doute un emplacement réservé à la garde extérieure, et aussi à l'arrivée des chameaux des caravanes, et autres usages de la vie égyptienne hors des habitations. Une bonne partie de ce pavé avait été emportée par les pluies, et les grosses pierres avaient disparu de ce qui restait de l'emplacement... Cependant cette plate-forme correspondait exactement à la description de Jérémie et son identification ne laisse place à aucun doute (1). »

Voici une autre confirmation frappante du texte sacré. Jérémie prophétise que le Pharaon Hophra sera « livré entre les mains de ses ennemis » (XLIV, 30). Cette prophétie s'est réalisée à la lettre. En 570 Aahmès se révolta contre Hophra qui avait déplu aux Egyptiens en s'alliant avec les Grecs. Il l'emmena captif. Hophra s'échappa au bout de trois ans et alla de nouveau avec les Grecs et essaya de les établir à l'ouest du Delta. Six mois plus tard il fut de nouveau battu par Aahmès et étranglé par ceux « qui en voulaient à sa vie ». Les Grecs furent chassés d'Egypte... Daphnoe fut abandonnée. Puis ce fut l'arrivée de Nébucadnetsar qui fit la guerre à Aahmès. Il est certain qu'il occupa la forteresse de Tachpanès et que, dans ce cas, conformément à la prophétie de Jérémie, il étendit son pavillon royal sur les pierres placées à l'entrée de la maison du roi.

Les Juifs n'étaient pas seulement à Tachpanès. On en trouvait aussi à Syène (Aswan) dans la Haute-Egypte, dans le territoire que Jérémie (XLIV, 13) et Ezéchiel (XXIX, 14) appellent Pathros. Il y avait une colonie assez importante à Eléphantine, une île qui se trouve en dessous de la première cataracte. Or, on a découvert il y a quelques années, dans cette île, des papyrus juifs qui relatent, en araméen, certains événements importants pour eux, surtout la destruction de leur Temple, construit en l'honneur de Jéhovah, sur le modèle du Temple de Jérusalem. Parmi ces papyrus, notons le plus intéressant de tous : celui qui contient la lettre adressée par les Juifs au gouverneur perse de Judée, Bagoas, pour lui demander aide et secours contre leurs ennemis et pour obtenir sa protection en vue de la reconstruction du sanctuaire dévasté. Nous donnons ici des extraits de cette lettre : « A notre seigneur Bagoas, gouverneur de Judée, ses serviteurs Yedouiah et ses compagnons les prêtres de la forteresse de Yeb... Dans le mois de Tammuz, la quatorzième année du roi Darius (juillet 410), les prêtres du dieu Chnub, dans la forteresse de Yeb, conspirèrent avec Hydarnès, qui était ici le chef, dans le but suivant: faire disparaître le Temple du Dieu Yaho de la forteresse du Yeb... Ils envahirent le Temple et le rasèrent... Depuis que ceci nous a été fait, nous, nos femmes et nos enfants, nous avons porté des vêtements de deuil, nous avons jeûné et nous avons prié Yaho, le Seigneur du Ciel. Qu'une lettre soit envoyée par toi, concernant le Temple du Dieu Yalo, disant qu'il soit reconstruit dans la forteresse de Yeb, comme il était bâti auparavant. En ton nom ils apporteront sur l'autel du Dieu Yalo des offrandes de farine, d'encens et des holocaustes et nous prierons pour toi en tout temps, et nos femmes et nos enfants, et tous les Juifs qui sont ici, quand il sera arrivé que ce Temple soit de nouveau rebâti. » »

Il ressort de cette lettre que l'Egypte était alors sous la domination perse et que les Juifs, établis en pleine Egypte, étaient restés fidèles au Dieu de leurs pères. Il ressort aussi qu'ils avaient adopté l'Araméen, la langue de la Syrie, la langue de leurs ancêtres par Léa et Rachel, filles de Laban l'Araméen, femmes de Jacob. Ils parlaient et écrivaient la langue qui était devenue la langue internationale. Surtout, il ressort de cette lettre que, longtemps avant Darius, par conséquent longtemps avant Esdras, on célébrait dans leTemple de Jérusalem (dont celui de Yeb était une copie) le culte lévitique, le culte tel que le Lévitique l'avait organisé. Cette constatation vient à l'encontre de la thèse critique d'après laquelle le culte lévitique serait une invention des prêtres au temps d'Esdras, au retour de l'Exil. Voici ce qu'écrit à ce sujet M. Edouard Naville: « Il est impossible de lire l'exposé de ces rites (2) par lesquels ils résument leur culte, sans être frappé du fait qu'ils sont exactement ceux que prescrivent les deux premiers chapitres du Lévitique, livre attribué en entier par les critiques au Code sacerdotal. Dans le Lévitique, ces rites sont décrits tout au long jusque dans les plus minimes détails. Et ces rites sont censés être une loi décrétée au Ve siècle, avec l'autorité du roi de Perse, pour régler la célébration du culte dans le Temple nouvellement rebâti à Jérusalem!

« Les Juifs d'Eléphantine supplient le gouverneur de les laisser ressusciter leurs antiques traditions, de les autoriser à vivre de la vie religieuse à laquelle ils tiennent, comme étant celle de leurs pères. Ils n'auraient pas parlé sur ce ton-là si leur culte eût été une importation étrangère provenant de Perse, établi depuis peu dans le Temple de Jérusalem (3). »

« Nous reconnaissons dans cette lettre non seulement la forme, mais l'esprit de la vieille loi mosaïque, et il n'est pas possible d'admettre que tout cela soit le résultat d'une composition d'Esdras, apportée de Babylone et importée en Palestine quarante ans auparavant. En dépit de la brièveté de la lettre à Bagoas, nous pouvons dire que les faits mentionnés sont en opposition marquée avec la date tardive du Code sacerdotal, et tout en faveur de l'origine mosaïque de la loi (4). »

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LA FIN DU ROYAUME DE JUDA ET L'EXIL

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LE PHARAON NÉCO

A partir de la mort d'Assurbanipal, l'empire d'Assyrie entra dans une période de décadence qui devait aboutir à sa ruine définitive. Les guerres d'Assurbanipal, en particulier contre les Elamites, avaient épuisé les ressources de Ninive. L'Egypte, grâce aux Libyens, s'était affranchie du joug assyrien. Babylone était menaçante. Cependant la puissance de Ninive s'exerçait encore en Palestine, puisque nous voyons le roi Josias continuer à considérer le roi d'Assyrie comme son suzerain et chercher à le défendre contre les attaques du Pharaon Néco (II, Rois, XXIII, 29).

Avant l'effondrement total de Ninive, le royaume de Juda a surtout affaire avec l'Egypte qui, avec Néco, essaie de profiter de la décadence assyrienne. Le livre des Rois nous apprend que, vers la fin du règne de Josias, « Pharaon Néco, roi d'Egypte, monta contre le roi d'Assyrie vers le fleuve de l'Euphrate ». Cette campagne coïncide exactement avec l'affaiblissement rapide de Ninive. L'archéologie nous a appris à connaître le Pharaon Néco, l'un des derniers Pharaons illustres. Il était le second roi de la XXVIe dynastie; il travailla à développer la marine égyptienne et fit, pour la première fois, exécuter le tour de l'Afrique par ses navires. Il est vraisemblable que ce fut au moyen de sa flotte qu'il transporta son armée au nord de la Palestine, pour se diriger ensuite sur l'Assyrie. Ce qui nous le fait supposer, c'est l'emplacement de la bataille que lui livra Josias. S'il débarqua, comme nous le pensons, dans la baie d'Acco, il était naturel qu'il passât par la plaine d'Esdraélon, et, par conséquent, par Méguiddo où il tua Josias.

Cette victoire de Méguiddo et la pensée que la puissance assyrienne n'était plus à redouter en Palestine furent sans doute les deux mobiles qui poussèrent Néco à exercer son contrôle sur Juda. Le Pharaon crut pouvoir détrôner Joachaz, fils de Josias. « Il l'enchaîna à Ribla, dans le pays de Hamath, et lui imposa une contribution de cent talents d'argent et de un talent d'or. » (II, Rois, XXXIII, 33). Il établit Eliakim à la place de Joachaz et il prit Joachaz et l'emmena en Egypte où il mourut. Néco changea le nom d'Eliakim en celui de Jéhojakim. « Jéhojakim donna l'argent et l'or à Pharaon ; mais il taxa le pays pour donner l'argent selon l'ordre de Pharaon ; il leva de force sur le peuple du pays l'argent et l'or, sur chacun selon son estimation, pour le donner à Pharaon Néco. » (II, Rois, XXXIII, 34-35). La Palestine fut ainsi pendant quatre ans au pouvoir de l'Egypte. Mais ce triomphe du Pharaon ne fut que momentané. Il ne se doutait pas que l'effondrement de Ninive allait susciter un nouvel empire plus redoutable encore, et que Nébucadnetsar allait mettre pour toujours un terme à l'ambition conquérante de l'Égypte.

Néco fut battu à Karkémish, par Nébucadnetsar, la quatrième année du règne de Jéhojakim, fils de Josias, roi de Juda. C'est ce que nous apprend Jérémie (XLVI, 2). Et c'est ce que confirme indirectement le livre des Rois lorsqu'il déclare qu'après la mort de Jéhojakim, « le roi d'Egypte ne continua' plus à sortir de son pays, car le roi de Babylone avait pris, du Torrent d'Egypte jusqu'au fleuve de l'Euphrate, tout ce qui avait appartenu au roi d'Egypte » (II, Rois, XXIV, 7).

L'Egypte mise hors d'état de nuire, le royaume de Juda incapable de résister, Ninive ruinée pour toujours, le roi de Babylone n'eut pas de peine à établir définitivement son autorité absolue en Syrie et en Palestine et, désormais, les destinées du royaume de Juda seront intimement unies à la volonté, à la puissance de Babylone. L'histoire des derniers jours du royaume de Juda et de l'Exil sera celle des rapports de Babylone avec Jérusalem.

L'Ecriture Sainte ne nous parle pas de la chute de Ninive, mais elle l'annonce. Les prophéties de Nahum se sont trouvées réalisées à la lettre : « Malheur à la ville sanguinaire, pleine de mensonges, pleine de violence, et qui n'a jamais cessé de piller. Avec des flots qui déborderont, Jéhovah détruira la ville et il poursuivra ses ennemis presque dans les ténèbres. Les portes des fleuves sont ouvertes et le palais s'écroule. Tous ceux qui te verront fuiront loin de toi et l'on dira: Ninive est détruite! Qui la plaindra ? » (Nahum, III, 1 ; I, 8 ; II, 17 ; III, 7). Nous savons, en effet, que Ninive ne céda pas uniquement aux armes coalisées de Mèdes et des Babyloniens, mais qu'elle fut envahie par une très forte inondation du Tigre qui emporta une portion considérable des remparts. Le roi désespéré se brûla dans son palais avec ses femmes et ses trésors (5). Cette catastrophe, sans précédent dans l'histoire, prit place en 606. Elle fut si totale que peu d'années après on ne savait plus discerner même l'emplacement de cette ville pourtant immense et que pendant des siècles elle passa inaperçue, ensevelie sous le sable du désert.

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DANIEL ET NEBUCADNETSAR

La gloire de Babylone fut de moins longue durée encore que celle de Ninive et elle se concentre en un seul règne, celui de Nébucadnetsar (604-561). L'Ecriture Sainte parle à diverses reprises de ce grand monarque. Nous le connaissons par le livre des Rois, le livre des Chroniques, mais surtout par le livre de Daniel qui nous fait pénétrer jusque dans sa vie intime et nous livre les secrets de sa cour fastueuse. Pendant de longs siècles, il n'a guère été connu que par les données bibliques. Depuis les fameuses découvertes de Babylonie, il est connu aussi par l'archéologie. Nous pouvons dire sans la moindre exagération que tout ce que l'archéologie nous a révélé de Nébucadnetsar est en pleine harmonie avec ce que le texte sacré nous en avait révélé. Il est impossible de ne pas être frappé par cette admirable collaboration des deux sources. Les fouilles n'ont pas fait seulement ressortir la parfaite exactitude de tous les détails historiques donnés par la Bible, mais elle a, plus encore, montré combien le récit biblique était remarquable par sa vérité psychologique, par les notions qu'il nous donne sur l'âme de Nébucadnetsar et sur la civilisation babylonienne. Beaucoup mieux que les fouilles ne peuvent nous le permettre, la Bible fait passer devant nos yeux, en tableaux vivants, toute cette époque et toute cette gloire. Elle ressuscite vraiment tout ce passé, de telle sorte, que nous connaissons le roi et le royaume mieux que beaucoup de personnages ou de nations de l'ère chrétienne. Ici encore les narrateurs sacrés nous apparaissent comme inimitables, infiniment supérieurs à tous les autres, par la précision rigoureuse de leur information, par la perspicacité de leur méthode, par la simplicité et la puissance évocatrice de leur style et par l'unité de leur inspiration. En ne se plaçant qu'au point de vue purement historique, la Bible est une merveille et manifeste pleinement que ses auteurs ont été conduits par l'Esprit de vérité.

On a retrouvé dans les ruines de Babylone un grand nombre de briques provenant des palais et des temples de Nébucadnetsar et portant son nom. Son nom, en cunéiforme, s'épelle ainsi: Nabium-Kudurri-utsar, ce qui signifie:

0 Nébo, protège la couronne. »

Nébucadnetsar n'était pas encore roi quand il remporta la victoire décisive de Karkémish. Son père Nabopolassar, qui avait réussi à donner à Babylone son indépendance longtemps perdue, mourut très peu de temps après cette victoire. Le jeune Nébucadnetsar se trouva tout à coup à la tête d'un vaste empire, qui succédait à celui de Ninive. Au reste, il étendit la puissance de son père et attacha surtout son nom à la soumission totale de la Syrie et de la Palestine. C'est surtout par l'Ecriture sainte que nous connaissons cette campagne célèbre dont l'aboutissement fut la ruine de Jérusalem, la destruction du Temple et la déportation de Juda en Babylone.

C'est surtout comme exécuteur des justes jugements du Seigneur, que le grand roi nous est connu. L'Ecriture sainte le présente comme le moyen dont Dieu s'est servi pour vaincre l'orgueil des Israélites et pour les châtier de leurs révoltes, de leurs idolâtries, de leurs abominations. L'année même où Nébucadnetsar prenait possession de son trône Jérémie prophétisait sa gloire et son intervention dans les affaires du Peuple élu: « Parce que vous n'avez point écouté mes paroles, j'enverrai chercher tous les peuples du septentrion, dit l'Eternel, et j'enverrai auprès de Nébucadnetsar, roi de Babylone, mon serviteur, je le ferai venir contre ce pays et contre ses habitants et contre toutes ces nations à l'entour, afin de les dévorer par interdit, et d'en faire un objet de désolation et de moquerie, des ruines éternelles. » (Jérémie, XXV, 1, 8-9) Nous savons, par le livre des Rois et celui des Chroniques, que cette prédiction s'est accomplie à la lettre.

L'archéologie est venue confirmer de plus en plus le portrait si caractéristique que le récit sacré nous donne de Nébucadnetsar. Tout d'abord, son immense orgueil a été mis en pleine lumière par les inscriptions. C'est ainsi que nous lisons ces déclarations du monarque tout plein de ses exploits, et, en particulier, de la beauté de sa capitale : « Au-dessus de Babylone et de Borsippa, je n'ai placé aucune ville, dans le royaume de Babylonie,, comme ville de ma haute fondation... J'ai vaillamment recueilli les dépouilles, pour servir d'ornement à la maison où elles étaient rangées et réunies ensemble, trophées, trésors royaux.

Quant à changer ma royauté dans une autre ville, le désir ne m'en est point venu. Au milieu d'un autre peuple, je n'ai pas bâti de palais royal. Deux terrassements en ciment et en brique, une forteresse, comme une montagne, j'ai fait et, dans leurs substructions, j'ai bâti un ouvrage en briques; alors, sur le sommet, un grand édifice, pour la demeure de ma royauté, avec du ciment et de la brique, j'ai artistement bâti et l'ai placé à côté du Temple, exactement au milieu. Au second jour, ses fondements, à une forte profondeur, j'ai établi et son sommet j'ai élevé, et au quinzième jour, sa beauté j'ai parfaitement achevée et je l'ai exaltée comme la demeure de ma royauté. Cette maison, pour être un objet d'admiration, je l'ai fait bâtir (6). »

Cette déclaration peut se rapprocher de l'exclamation vaniteuse rapportée par Daniel : « N'est-ce pas ici Babylone la grande, que j'ai bâtie, comme résidence royale, par la puissance de ma force et pour la gloire de ma magnificence. » (Daniel, IV, 30).

Il est probable que Nébucadnetsar, lorsqu'il prononçait ces paroles qui entraînèrent son humiliation (Daniel, IV, 33» contemplait les fameux « Jardins suspendus » dont la grandeur et la beauté ont laissé des traces dans le souvenir des peuples et qui étaient considérés comme l'une des sept merveilles du monde. L'Ecriture ne mentionne pas ces Jardins mais ce qu'elle dit de Babylone nous donne une idée de sa magnifique puissance et de l'art prestigieux de ses monuments.

Un autre trait biblique est aussi confirmé par les documents babyloniens : c'est la religiosité de Nébucadnetsar. Il se vante bien plus volontiers de ses constructions et de ses réparations de sanctuaires et de son attachement à la divinité que de ses exploits guerriers. Même dans une inscription que l'on a retrouvée, en Syrie, Nébucadnetsar parle de sa piété et de son zèle plus que de son expédition elle même. C'est bien là le roi que nous révèle le texte sacré, jaloux de son culte, convoquant tout son peuple pour se prosterner devant une statue d'or colossale qu'il avait fait élever dans la vallée de Dura. C'est là le roi que nous voyons si profondément impressionné par la manifestation de la sagesse et de la puissance du Dieu de Daniel et ordonnant que tous ses sujets se prosternent devant l'Eternel. C'était certainement un roi à l'âme religieuse et capable de sentiments de piété sincère qui pouvait publier ce décret extraordinaire du chapitre IV de Daniel : « Béni soit le Dieu de Schadrac, de Méschac et d'Abed-Négo, lequel a envoyé son ange et a délivré ses serviteurs qui ont eu confiance en lui. Il n'y a aucun autre dieu qui puisse délivrer comme lui. » (Daniel, III, 28-29). Et encore, quelle magnifique explosion de foi et de soumission que celle du roi après sa folie momentanée : « J'ai béni le Très-Haut, j'ai loué et glorifié celui qui vit actuellement. Tous les habitants de la terre ne sont à ses yeux que néant ; il agit comme il lui plaît avec l'armée des cieux et il n'y a personne qui résiste à sa main et qui lui dise: Que fais-tu ? Maintenant, moi, Nébucadnetsar, je loue, j'exalte et je glorifie le Roi des cieux, dont toutes les oeuvres sont vraies et les voies justes, et qui peut abaisser ceux qui marchent avec orgueil. » (Daniel, IV, 34-37).

L'Archéologie, surtout en ces dernières années, nous a permis de mieux comprendre les renseignements donnés par Daniel sur la vie administrative, sociale et intellectuelle de la Babylonie, à son époque, comme aussi de voir combien tous ces renseignements, sans la moindre exception, sont rigoureusement exacts.

En ce qui concerne la vie intellectuelle, toutes les informations du chapitre I sont pleinement confirmées par l'histoire profane. Voici ce qu'écrit à ce sujet l'abbé Vigouroux : « Les rois de Chaldée et d'Assyrie, pour être en état de gouverner plus facilement leurs sujets de race et de langues étrangères, avaient la coutume de choisir parmi les jeunes gens de bonne famille et de les faire élever à la cour, où ils recevaient la même éducation et la même instruction que les enfants des grands officiers indigènes. Cet usage qui ne nous était connu jusqu'ici que par le livre de Daniel, nous est attesté maintenant par les documents cunéiformes. Nous savons aujourd'hui que la bibliothèque établie par Assurbanipal à Ninive était principalement destinée aux maîtres et aux disciples de l'école du palais.

Une partie notable des livres d'argile, qui ont été retrouvés, sont des livres classiques, des livres d'enseignement, syllabaire, grammaires, dictionnaires, cours d'histoire, de géographie et de science. Les élèves étaient obligés d'apprendre l'acadien (l'ancienne langue des Chaldéens) en même temps que les caractères cunéiformes assyriens. Daniel s'exprime donc avec une exactitude parfaite quand il dit qu'on entrait dans ces écoles « pour étudier les livres et la langue des Chaldéens ». Une inscription de Sennachérib nous fait connaître accidentellement qu'on admettait des étrangers à l'école du palais, comme nous le lisons dans le livre de Daniel. Daniel avec ses trois compagnons fut choisi pour recevoir à l'école du palais de Nabuchodonosor une éducation babylonienne, semblable à celle qu'on donnait aux étrangers à Ninive... Par suite de la faveur dont il était l'objet, il devenait en quelque sorte Babylonien, d'où le changement de nom qui lui fut imposé, ainsi qu'à ses trois amis. Celui qui fut plus tard le célèbre roi d'Egypte Psammétique nous en offre en sa personne un exemple remarquable. Assurbanipal, en le plaçant à la tête d'une province lui enleva son nom égyptien et lui donna le nom assyrien de Nabusezi-bami (7). »

En ce qui concerne la vie administrative et sociale de la Babylonie, les données très précises de la Bible ont été aussi pleinement confirmées par les documents cunéiformes. Il ressort, en effet, de ces documents et de l'étude des ruines de Babylone, que la puissance du grand roi était solidement établie et admirablement organisée. Les détails relatifs à cette organisation nous manquent encore et nous n'avons rien de mieux à cet égard que les indications de la Bible elle-même; mais nous pouvons affirmer, tout au. moins, que contrairement aux assertions de certains critiques, rien n'est venu contredire les précisions bibliques. Il est bien certain qu'un empire tel que celui de Babylone, que son activité militaire, architecturale et scientifique incontestable, ne pouvait se développer qu'avec une forte discipline et une répartition sage des diverses fonctions d'autorité. Nous n'avons donc aucune raison pour ne pas accepter la répartition indiquée au chapitre III (v, 2 et 3). « Les satrapes, les chefs et les gouverneurs » désignaient les fonctionnaires de la justice et des finances. Ce n'est pas parce qu'il y a une certaine ressemblance entre cette administration et l'administration perse que nous devons rejeter ce document comme n'ayant point de valeur. L'auteur du livre de Daniel, Daniel lui-même sans doute, montre dans toute son oeuvre une conscience très délicate d'historien et une grande sûreté d'information que beaucoup de fouilles sont venues mettre en pleine lumière. Au lieu de jeter le discrédit sur le texte sacré, sans le moindre argument solide, rien ne nous empêche de croire que les rois perses se sont inspirés, dans l'organisation de leur royaume de l'exemple d'un souverain aussi sage, aussi expérimenté que Nébucadnetsar; supposition d'autant plus plausible que leur domination s'exerçait sur la même contrée que celle du grand roi chaldéen.

On a aussi mis en doute les données de notre livre relativement aux instruments de musique qui sont ici énumérés (III, 7, 10, 15). On a prétendu que ces instruments étant d'origine grecque ne pouvaient avoir été connus à Babylone qu'à l'époque de la domination grecque en Orient. De là à prétendre que le livre de Daniel ne pouvait avoir été composé qu'à cette époque, il n'y avait qu'un pas, qui a été vite franchi. C'est sur des considérations de ce genre que l'on a bâti les théories les plus invraisemblables et les plus offensantes pour la véracité du texte sacré. Mais rien ne prouve que des instruments de musique, même d'origine grecque, ne pouvaient être employés à Babylone au temps de Nébucadnetsar, et même avant. S'il y a un fait que les découvertes archéologiques ont mis en lumière, c'est la fréquence des relations internationales dans 1'Antiquité. On voyageait beaucoup d'un pays à l'autre, soit sur terre, par d'innombrables caravanes, soit sur mer, par une navigation commerciale très étendue et pour laquelle les Grecs se sont montrés de bonne heure les dignes successeurs des Phéniciens. Les marchandises, comme les nouvelles, se répandaient rapidement d'Europe en Asie ou en Afrique. Les nombreuses expéditions des rois de Ninive en Occident, du côté de l'Asie Mineure et de la Grèce, avaient aussi contribué à des rapprochements et à des échanges. Il n'y a rien d'étonnant à ce que des instruments de musique d'origine grecque fussent en usage à Babylone au temps de Nébucadnetsar, alors que, sous le roi Salomon, on pouvait trouver à Jérusalem de l'or, du bois de santal et des singes venant de l'Inde.

Au reste il n'est pas prouvé que tous ces instruments énumérés au chapitre III fussent d'origine grecque. Nous savons quel rôle la musique a toujours joué dans les cérémonies religieuses et politiques des peuples antiques. Il y avait des « cithares » grecques, mais il y en avait aussi d'égyptiennes, en usage depuis des siècles. On trouve des représentations du « psaltérion » sur un fragment de la grande scuplture murale du palais de Koyoundjik, à Ninive. Ce fragment nous montre des musiciens fêtant le retour victorieux d'Assurbanipal.

Encore une fois, même en admettant que plusieurs des instruments mentionnés, tels que la cithare, le psaltérion et la cornemuse fussent d'origine grecque, il n'y aurait rien là pour nous troubler et nous pousser à mettre le récit en doute. « Bien des faits, dit la Bible annotée, prouvent qu'il existait des relations nombreuses entre les colonies grecques de l'Asie Mineure et l'Assyrie. Les rois d'Assyrie eurent plus d'une fois des mercenaires grecs à leur solde. On sait que Nébucadnestar avait dans son armée, probablement comme commandant d'un corps d'auxiliaires grecs, le frère du célèbre poète Alcée. Babylone est appelée (Ezéchiel, XVII, 4) une « ville de marchands » et les produits de l'industrie et de l'art grecs doivent y être arrivés de très bonne heure par l'intermédiaire des Phéniciens, des Syriens ou des Lydiens. Les Lydiens, en particulier, avaient des artistes grecs à leur service, et la Lydie a eu de tous temps des relations avec l'Assyrie, dont elle a toujours été plus ou moins dépendante jusqu'à la fin du VIIIe siècle. Si l'on ajoute à tout cela la circonstance que le peuple grec était le peuple musicien par excellence dans l'antiquité, on peut bien envisager comme possible le fait que les instruments dont il est question dans ce passage aient été en usage en Babylonie au temps de Nébucadnetsar. Ces noms d'instruments sont les seuls mots d'origine grecque que renferme le livre de Daniel (8). »

La précision avec laquelle l'auteur sacré énumère les divers instruments de musique, comme celle avec laquelle il énumère les divers fonctionnaires de l'Etat, indique un historien admirablement renseigné et nous fait penser qu'il décrit ce qu'il a vu lui-même. On ne se représente pas un écrivain vivant plusieurs siècles plus tard et s'appliquant à attribuer à des instruments de l'époque qu'il raconte les noms des instruments de l'époque dans laquelle il vit. Les auteurs sacrés étaient d'honnêtes gens et des gens intelligents ; or les négations de la critique tendent à les présenter ou comme fourbes ou comme dépourvus de tout bon sens et de tout souci historique.

En réalité, le livre de Daniel est un chef-d'oeuvre de l'art de la narration. Aucun écrit n'est plus digne, tant à cause de la noblesse du sujet qu'il traite, qu'à cause de la manière dont il le traite, d'inspirer la plus entière confiance.


Table des matières

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1) Flinders PETRIE, Egypt and Israël. p. 92.
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2) « Ils apporteront sur l'autel du Dieu Yaho des offrandes de farine, d'encens et des holocaustes. »
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(3) Edouard NAVILLE Archéologie de l'Ancien Testament, p. 162, 163, 173 et 174.
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(4) Ibid., p. 179 et 180.
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5) OPPERT. Expédition en Mésopotamie, tome I, p. 292.
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6) Inscription de la Compagnie des Indes (Colonnes VII-IX). - BODWELL, Records of the Past, tome V, p. 129.
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7) Abbé F. VIGOUROUX. La Bible et les Découvertes modernes. tome IV, p. 393 et 394.
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8) Bible annotée, Daniel. p. 260.