Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE PAYS DE GOSEN

Nous ne savons pas grand'chose de la vie des Israélites dans le pays de Gosen. Le texte sacré nous dit simplement que « les enfants d'Israël furent féconds et multiplièrent, qu'ils s'accrurent et devinrent de plus en plus puissants » (Exode, 1, 7). Cette rapide prospérité, qui semble étrange au premier abord, apparaît tout à fait vraisemblable à la lumière des découvertes archéologiques relatives à la géographie et à l'histoire de cette époque :

1° On est arrivé à identifier le pays de Gosen que certains commentateurs du passé avaient situé d'étrange manière, au gré de leur imagination. Ici encore l'archéologie est venue confirmer les conclusions que l'on pouvait dégager d'une lecture attentive du texte. Il ressort du texte, en effet, que les enfants d'Israël, pour se rendre dans le pays qui leur était dévolu, n'avaient pas eu à traverser le Nil et que la région où ils devaient vivre était particulièrement propice à l'élevage des troupeaux. Il était aussi naturel que le Pharaon favorable à Joseph eût placé cette tribu étrangère, mal vue des Egyptiens, sur un territoire isolé de la masse du peuple, de manière à éviter des complications, des conflits possibles. Ces traits divers s'appliquent parfaitement à ce qu'on appelle maintenant le « Wâdy Tumilât », bien connu des égyptologues, en particulier de M. Edouard Naville. Voici, d'ailleurs, ce que M. Naville écrit à ce sujet : « Le pays de Gosen qui s'étendait jusqu'à la mer Rouge, était la clef de la contrée. Là aboutissaient plusieurs routes du désert, par lesquelles le trafic, les caravanes, les voyageurs, et aussi les expéditions militaires avaient accès dans le pays. Le Wâdy Tumilât les conduisait au coeur même du royaume. La première ville atteinte était Bubastis, d'où deux à trois jours de marche les amenaient à Héliopolis et Memphis (1). »

Le pays de Gosen, dont la ville principale devint Ramsès, était alors très fertile ; l'inondation du Nil venait le féconder périodiquement, ainsi que le montrent les restes d'un ancien canal. Un papyrus hiératique, actuellement à Londres, nous informe que le pays de Ramsès (c'est aussi sous ce terme que la Bible désigne parfois la terre de Gosen) était très populeux et remarquable par sa végétation.

Il est facile de comprendre que les enfants d'Israël aient pu se développer et s'enrichir dans une région aussi propice à leur genre de vie et à leurs occupations, surtout si l'on se souvient que leur séjour a duré environ quatre siècles et que, tout au moins pendant deux siècles, ils ont joui d'une parfaite tranquillité sous la protection des Pharaons.

2° Nous avons, en effet, des preuves certaines que, conformément au texte sacré, les Israélites sont restés très longtemps en Egypte. Nous connaissons de mieux en mieux l'histoire des rois hyksos, dont nous avons déjà parlé, et qui régnaient certainement à l'époque de Joseph. Les égyptologues affirment qu'ils ont continué à régner jusqu'à l'époque du roi Aahmès qui réussit à s'emparer de la forteresse Hyksos d'Avaris, dans le Delta, et à débarrasser l'Egypte de la puissance étrangère, si détestée. Mais la période qui s'écoule entre Joseph et Aahmès est assez longue pour avoir permis aux Israélites de s'installer dans le pays de Gosen et d'y prospérer. De plus, il ne semble pas que Aahmès lui-même, ni son successeur immédiat, ait vraiment opprimé le peuple. L'oppression ne commença sans doute qu'avec Ramsès II dont nous allons parler tout à l'heure.

Ce qui indique aussi que les Israélites restèrent longtemps en Egypte, c'est le fait certain que Ramsès et son fils Menephtah, du moins au début de son règne, étaient puissants en Canaan. Nous savons par les lettres de Tel-El-Amarna que Akhounaton (Aménophis IV) était encore le maître d'une bonne partie de la Palestine. Il est vrai que, déjà, son autorité était contestée, mais il est évident que l'Egypte n'entendait pas renoncer à sa domination sur un pays aussi riche. Avec le réveil de la gloire des Pharaons qui marque la XIXe dynastie, nous voyons la politique égyptienne en Palestine s'accentuer. Les annales de Ramsès montrent clairement que Canaan n'était pas encore, de son temps, occupée par les enfants de Jacob. A plusieurs reprises nous voyons ses armées traverser Canaan pour aller combattre les Hittites. Ramsès a élevé un monument en l'honneur de ses victoires près de Beyrouth. Il prit Askalon, Shalam ou Jérusalem, Mérom et Thabor. Il est manifeste que le pays n'appartient pas encore aux Israélites. Les Israélites sont encore dans la terre de Gosen et, ainsi, la longue durée de leur séjour se trouve établie. Au reste, comment, sans cette longue durée, pourrions-nous expliquer que les soixante-dix membres de la tribu de Jacob qui arrivèrent en Egypte avec Joseph aient pu, avec Moïse, devenir un peuple de 600.000 âmes ? (Exode, XII, 37). Les quatre siècles ne sont pas trop pour rendre cet extraordinaire accroissement vraisemblable.

L'archéologie nous permet de comprendre le profond changement qui se produisit dans la situation des enfants d'Israël lorsque « s'éleva sur l'Egypte un nouveau roi qui n'avait pas connu Joseph » (1, 8). Ce souverain appartenait évidemment à la dynastie qui chassa les Hyksos. Nous savons que les rois de cette dynastie libératrice s'appliquèrent à effacer le souvenir des rois oppresseurs ; tous les monuments qui rappelaient leur nom, leur puissance, furent démolis ou mutilés. L'Egypte eut à honneur d'ignorer systématiquement et par hostilité tout ce qui, de près ou de loin, touchait à la race exécrée. La réputation de Joseph, son nom même disparut, sauf du coeur des Israélites. Parler de lui et surtout parler de lui avec respect eût été considéré comme une insulte à la dynastie régnante, car Joseph avait été le ministre d'un Hyksos.

La plupart des égyptologues sont d'accord pour dire que ce Pharaon, le Pharaon de l'oppression, lut Ramsès II, le grand Ramsès, celui que les Grecs appelaient Sésostris (2). Il est le seul Pharaon dont le règne puisse s'accorder avec les données bibliques. L'auteur sacré semble le désigner lorsqu'il écrit: « Longtemps après, le roi d'Egypte mourut. » (11, 23). Nous savons, en effet, que le règne de Ramsès fut exceptionnellement long ; il dura soixante-six ans et encore ne compte-t-on pas dans cette période les années durant lesquelles Ramsès partagea le pouvoir avec Seti 1er, son père. De plus, Ramsès a été remarquable par son goût pour l'architecture, par sa passion de construire. Par tout le pays on trouve des traces de ses oeuvres dont quelques-unes sont admirables, telles que les monuments de Bubastis et la statue de Saft-el-Hennech. Aussi pensons-nous tout naturellement à lui lorsque Moïse nous parle de ce Pharaon qui fit bâtir par le peuple israélite les deux villes de Pithom et de Ramsès. Le nom seul de Ramsès donné à l'une de ces villes indique que Ramsès a bien été le Pharaon du chapitre 1er de l'Exode.

Au reste, les fouilles sont venues donner une confirmation éclatante à cette supposition et ont montré la parfaite exactitude du récit sacré. On a, vers la fin du siècle passé, découvert les ruines des deux villes de Pithom et de Ramsès et l'on a acquis la certitude qu'elles étaient dues l'une et l'autre à l'initiative de Ramsès. Le principal mérite de cette importante découverte revient à M. Edouard Naville. Voici ce qu'il dit de ces travaux : « Pithom, la ville du Dieu Toum, était à une faible distance de l'actuelle Ismaïliah, dans un endroit appelé Tel-el-Maskhouta, c le mont de la statue ». On a pu identifier cette ville par les nombreuses inscriptions trouvées dans les fouilles de cette localité : elles s'échelonnent de l'époque de Ramsès II à celle de l'empire romain. Les inscriptions latines corroborent l'exactitude de l'hypothèse du géographe français d'Anville, à savoir que le nom grec de la cité était Heroopolis ou Ero, que Strabon nous dit avoir occupé le fond du golfe d'Heroopolis. Cela montre que, même au temps des Romains, la mer Rouge s'étendait beaucoup plus au nord et comprenait ce qu'on appelle de nos jours les lacs Amers et le lac Timsah, traversés par le canal de Suez... L'emplacement de Pithom fut découvert en premier lieu. J'avais alors suggéré que Ramsès pouvait bien être la butte appelée Tel Rotâb, à quelques kilomètres à l'ouest de Pithom. Mes fouilles ne donnèrent pas de résultats décisifs. Quant à celles du professeur Flinders Petrie elles établirent de façon concluante que c'était la cité de Ramsès. Nous connaissons maintenant le site des deux villes bâties par les Israélites : elles gardaient la route méridionale de la Palestine et étaient une protection efficace pour l'Egypte. Aussi ne devons-nous pas nous étonner que Pharaon ait employé la nombreuse population établie dans la vallée à renforcer ce point stratégique (3). »

M. Flinders Petrie raconte dans son livre sur Israël en Egypte (Israël in Egypt) que la ville de Ramsès a été identifiée par lui par la découverte des ruines d'un temple bâti par Ramsès. Un large panneau de ce temple, représentant Ramsès frappant un Syrien, se trouve en ce moment à Philadelphie.

Quelques détails sur la persécution dont les Israélites furent les victimes ne seront pas sans intérêt. Le texte sacré nous montre en Ramsès non seulement un grand constructeur mais un diplomate avisé, soucieux de conserver sa puissance et toujours prêt à lutter contre des ennemis possibles. « Pharaon dit à son peuple : Voici les enfants d'Israël qui forment un peuple plus nombreux et plus puissant que nous. Allons! montrons-nous habiles à son égard ; empêchons qu'il ne s'accroisse, et que, s'il survient une guerre, il ne se joigne à nos ennemis pour nous combattre et sortir ensuite du pays. » (Exode, 1, 2-10). Ramsès savait que le peuple était Sémite et risquait de faire alliance avec des envahisseurs qui pourraient venir de Palestine ou de l'Arabie peut-être redoutait-il un retour de l'offensive des Hyksos il se disait que les Israélites feraient cause commune avec leurs anciens bienfaiteurs. Ce qui est certain, en tout cas, c'est que le danger d'une invasion n'était pas imaginaire puisqu'elle se produisit au début du règne du successeur de Ramsès. Il y eut, en effet, sous le règne de Menephtah, une invasion de peuples africains et méditerranéens qui pénétra dans le Delta et s'avança jusqu'aux environs de Memphis. Nous savons aussi par une tablette panégyrique de Menephtah, que ce roi avait considéré les Israélites comme ses ennemis puisqu'il se réjouit d'apprendre qu'ils ont perdu leur puissance.

Il ressort du texte biblique que la crainte ou la jalousie inspira à Ramsès une cruauté de plus en plus implacable à l'égard du peuple. Ce fut une première cruauté que d'arracher le peuple à ses occupations de bergers pour l'obliger à des travaux de construction auxquels il n'était pas habitué. La cruauté se montra surtout dans les procédés employés, non seulement pour obtenir du travail, mais pour accabler les enfants d'Israël d'un fardeau insupportable. Les procédés devinrent de plus en plus injustes et exaspérants. « Alors les Egyptiens réduisirent les enfants d'Israël à une dure servitude. Ils leur rendirent la vie amère par de rudes travaux en argile et en briques et par tous les ouvrages des champs ; et c'était avec cruauté qu'ils leur imposaient toutes ces charges. » (Exode, 1, 14). La souffrance augmente lorsque Moïse et Aaron demandent au Pharaon de laisser le peuple aller au désert pour célébrer une fête en l'honneur du Seigneur. « Pharaon dit: Voici, ce peuple est maintenant nombreux dans le pays, et vous lui feriez interrompre ses travaux! Et ce jour même Pharaon donna cet ordre aux inspecteurs du peuple et aux commissaires: Vous ne donnerez plus de paille comme auparavant au peuple pour faire des briques ; qu'ils aillent eux-mêmes se ramasser de la paille. Vous leur imposerez néanmoins la quantité de briques qu'ils faisaient auparavant... Que l'on charge de travail ces gens, qu'ils s'en occupent, et ils ne prendront plus garde à des paroles de mensonge. » (Exode, v, 7-9).

Nous avons ici encore un trait de vie égyptienne. Plusieurs bas-reliefs représentent l'antique méthode de fabrication pour les briques, méthode qui est encore employée. M. Flinders Petrie pense que la paille devait servir non seulement pour faire des briques dont elle assurait la solidité, mais aussi pour aider les ouvriers à aller plus vite en leur permettant de débarrasser leurs doigts de la terre argileuse comme aussi en leur permettant de nettoyer le sol et d'égaliser les mottes de terre avant de les mettre dans le moule. Les fouilles à Pithom et Ramsès ont permis de se rendre compte que beaucoup de briques étaient, en effet, fabriquées avec de la paille. De plus, on s'est rendu compte que ces deux villes étaient destinées avant tout, comme le dit l'Exode (1, 11), à de vastes magasins dans lesquels d'énormes amas de céréales étaient constitués. L'exactitude des moindres détails du récit biblique a été mise en pleine lumière par ces fouilles, d'autant plus nécessaires que la critique avait longtemps nié l'existence de ces deux cités. Il ressort de toutes ces confirmations que le récit sacré est certainement l'oeuvre d'un écrivain qui était parfaitement au courant des événements racontés.

Notons encore ces particularités frappantes :

1° Moïse distingue fort justement entre les « inspecteurs du peuple » et les « commissaires des enfants d'Israël ». Les premiers étaient Egyptiens et les second Israélites. Les commissaires israélites étaient établis sur le peuple par les inspecteurs de Pharaon (v, 14). Les inspecteurs sont désignés par Moïse sous le terme de « sarmas » et les commissaires sous celui de « shatar ».

2° La cruauté du Pharaon à l'égard des Israélites se manifesta surtout dans ses efforts pour arrêter leur accroissement. Tout ce récit porte la marque égyptienne d'une manière très caractérisée. Les noms des deux sages-femmes mentionnées au chapitre I (v, 15) sont égyptiens : « Schiphra » signifie : « La dignité de Ra » ; « Pua ou Poué » signifie: « La dignité de Man ». Elles étaient évidemment Egyptiennes, mais attachées au service des Hébreux dans le pays de Gosen. Elles refusèrent de se plier aux ordres du roi et furent bénies de Dieu. « Moïse, dit l'abbé Vigouroux, se sert ici d'une locution égyptienne, bien connue des égyptologues et qui signifie: « s'établir, se mettre en ménage ». Dieu fit donc de ces deux femmes des « maîtresses de maison, selon la classification hiéroglyphique ordinaire des femmes mariées ». (Chabas, « Recherches sur la XIXe dynastie », p. 145, 146) (4).


1) Edouard NAVILLE Archéologie de l'Ancien Testament, p. 111.

2) Cette identification généralement admise il y a 20 ans, a été récemment fortement contestée. Mais elle est encore affirmée par plusieurs archéologues et non des moindres. Cette question dépend de la date que l'on assigne à la prise de Jéricho. Il y a un écart d'environ deux siècles entre les dates proposées. C'est le grand conflit du jour dans le monde archéologique. Pour nous. nous continuons à adopter la première thèse. Les arguments présentés en faveur de la seconde ne nous ont pas convaincu. Au reste, la Bible n'est en rien compromise par ce débat, puisqu'elle se contente de l'expression « le Pharaon », sains lui ajouter un nom personnel. (Consulter sur cette question l'Appendice : Q. Divers).

3) Edouard NAVILLE, Archéologie de l'Ancien Testament, p. 111 et 112. Consulter aussi, du, même auteur. l'étude Parue dans le rapport de l'Egypt Exploration Fund (1885), SOUS le titre: « The Store-City of Pithom and the Route of the Exodus ».

4) Abbé F. VIGOUROUX, La Bible et les Découvertes modernes. p. 249.

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