Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !



FRAGMENTS DU JOURNAL

DE LA FEMME D’UN MISSIONNAIRE DANS LES PRAIRIES DE L’OUEST

AUX ÉTATS-UNIS.

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CHAPITRE XI.


15 Juillet. Me voici encore une fois sous le tout paternel. Il me paraît étrange de m’y retrouver, de m’asseoir à la table abondamment servie de mes parents; mais il me paraît plus étrange encore de ne plus voir mon mari, qui a eu besoin de tous mes soins si longtemps; et encore plus étrange, de me reposer, de n’avoir rien à faire.

Je me réveille tous les matins en sursaut, croyant avoir devant moi tous ces devoirs matériels qui ne souffrent aucun délai. Pendant plusieurs jours après mon arrivée, je ne pouvais me mettre à cette table couverte de tant de choses, sans pleurer, en pensant à celui qui est resté seul loin de moi, et qui ne jouit pas de tout le bien-être qui m’est offert. L’argent de New York n’était pas arrivé quand j’ai quitté ma petite maison de la prairie. Le samedi avant notre départ, nous n’avions plus à manger qu’un peu de farine de maïs et un petit reste de mélasse. Le dimanche après-midi, j’en fis une bouillie, dont nous mangeâmes une partie pour le souper, réservant le reste pour le déjeuner.

Nous quittâmes notre demeure sans nous être rassasiés, pour faire un voyage de deux cents milles avec quelques pièces d’argent; mais nous en avions si peu, que nous nous sentions dépendants de la charité de nos amis chrétiens pour subvenir à nos besoins, jusqu’à un endroit où nous devions recevoir l’argent que mes parents m’envoyaient pour les frais de route.

J’avais le cœur bien serré en me séparant de mon mari; je ne savais que trop quels ennuis et quelles difficultés l’attendaient, et je ne pouvais rien pour les lui épargner. Je montai à bord du bateau à vapeur par une nuit obscure et orageuse; et cependant quelle paix, quelles consolations mon pauvre cœur ne trouva-t-il pas en remettant tous ses fardeaux et ses craintes aux pieds de son Dieu! Et enfin, si nous ne devions pas nous revoir dans ce monde, qu’il était doux de penser que nous nous retrouverions auprès de notre Père céleste! Il n’y a rien, pour combattre et lutter dans les ténèbres de ce triste monde, comme la foi et l’espérance du chrétien!

Je fus plusieurs jours à naviguer sur le lac; j'y formai des connaissances agréables. Un après-midi, quelques personnes se mirent à parler des travaux et des difficultés de la vie des missionnaires dans l’Ouest. On raconta quelques anecdotes, et enfin on se tourna vers moi pour me demander de donner mon opinion sur la différence entre les difficultés que la famille d’un ecclésiastique peut avoir à supporter dans l’Est et dans l’Ouest. Je répondis que, n’ayant vu de près que la vie de l’Ouest, je ne pouvais faire de comparaison, mais que j’avais rencontré, dans le peu de temps que j’y avais: passé, des épreuves que je n’aurais jamais cru possibles si on me les avait dites d’avance.

Pressée de m’expliquer, je mentionnai deux ou trois faits qui excitèrent la plus grande surprise. Une personne me témoignait une grande sympathie, lorsqu’un monsieur s’écria: «Oh! oh! elle ne sait pas ce que c’est que la privation et la souffrance. J’ai été chez elle: tout y est joli et confortable, et sa table était abondamment servie.»

Je ne pus répondre; mon cœur était plein. Je me rappelai la visite à laquelle il faisait allusion; et tandis qu’il nous croyait dans l’abondance, nous avions envoyé chercher en toute hâte quelque chose à manger, à crédit, chez un vieux fermier à cinq milles de chez nous. Nous ne le lui avions pas dit; il ne savait pas qu’il avait sous les yeux tout ce qu’il y avait dans la maison.

Combien de fois n’avions-nous pas exercé l’hospitalité envers des enfants de Dieu au prix de sacrifices personnels! On devrait, dans des circonstances ordinaires, avoir à la maison de quoi recevoir les visites inattendues qui vous arrivent; et on devrait aussi considérer comme un privilège d’avoir la facilité de recueillir chez soi de pauvres frères missionnaires qui viennent de parcourir des contrées désolées, où ils ne rencontrent personne pour leur faire un bon accueil.


1er Août. Je reçois de bonnes lettres de mon mari. Il a reçu tout ce qui lui était dû de la Société, avec des témoignages d’affection et de sympathie pour ce qu’il a souffert, et des regrets de ce qu’un malentendu fût venu ajouter aux soucis inhérents à la vie de missionnaire dans l’Ouest. Il viendra me rejoindre dans quelques semaines, pour me conduire à A*** consulter le docteur M***, mes amis désirent que je suive ses conseils. Le repos, le bien-être dont je jouis dans la maison paternelle, m’ont rendu des forces; j’ai repris bonne mine, et mes amis commencent à me reconnaître. Il me semble impossible maintenant que j’aie un mal sérieux.


30 Août. Mon cher mari est arrivé; il m’a trouvée bien heureusement changée.


10 Septembre. J’ai passé par de cruels moments depuis que j'ai écrit; une fois j’ai cru que je ne reverrais plus ma petite maison de la prairie; mais au milieu des plus épaisses ténèbres, j’ai été soutenue par une voix qui m’encourageait et me consolait.

La Providence miséricordieuse a épargné mon inutile vie encore cette fois; puis-je espérer que c’est pour me permettre de travailler dans la vigne de mon Maître? Dès que mes forces me le permettront, nous nous remettrons en route pour l’ouest.

Le temps que j’ai passé avec mes amis bien-aimés m’a été plus doux encore qu’ils ne peuvent le croire; toutefois, nous retournons avec joie au champ de travail que le Seigneur nous a assigné. Oubliant les choses qui sont derrière nous, nous nous avançons avec joie vers celles qui sont devant nous.

Nous ne savons pas si le Seigneur couronnera notre œuvre de ce succès que nous désirons si ardemment; mais ce que nous savons, c’est qu’il est de notre devoir, et c’est aussi notre joie, de nous y consacrer de tout notre cœur, «tenant toutes les autres choses pour moins que rien.»

Nous allons partir une seconde fois, sans savoir ce qui nous attend, et nous ne nous soucions pas de le savoir; il nous suffît de nous rappeler que, quelles que puissent être nos épreuves, nous plantons chaque jour nos lentes plus près de la céleste patrie.

FIN.


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