FRAGMENTS DU JOURNAL
DE LA FEMME D’UN MISSIONNAIRE DANS LES PRAIRIES DE L’OUEST
AUX ÉTATS-UNIS.
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CHAPITRE VII.
Mon pauvre petit garçon s’enrhume presque chaque jour; moi-même, je ne me sens pas bien: je suis toujours fatiguée. Que j’aimerais à voir entrer ma mère, ou ma sœur, ou quelque amie, qui prendrait soin de mon enfant pendant que je me reposerais un instant. Quelquefois mon mari le prend dans ses bras, et me supplie de m’étendre sur mon lit; mais j’ai tant de choses à terminer avant de le faire, que le temps s’écoule, et il est ensuite trop tard.
Une fois ou deux, je venais de poser ma tête sur l’oreiller, lorsqu’on est venu me demander. Je vois bien à la peine que j’ai à faire l’ouvrage de la maison, que ma santé est mauvaise: je ne me sens ni force ni courage. — sans l’argent que mon père nous a envoyé, je ne sais ce que nous deviendrions.
J’avoue que j’ai eu l’autre jour un très mauvais moment. Mon mari doit trente dollars à M. G*** pour des matériaux employés à la bâtisse de la maison; celui-ci s’est engagé à attendre son paiement jusqu’à ce que nous recevions nos appointements de New York, et maintenant il voudrait que mon mari le payât avec l’argent que mon père nous a envoyé; je trouve que ce n’est pas juste. Au reste, ce n’est que la nécessité la plus pressante qui peut me le lui faire refuser dans ce moment.
26 Octobre. Mon petit Willie a crié et pleuré hier presque toute la journée; il y avait des courants d’air si glacés dans la chambre, qu’il a pris froid; j’ai été obligée de le tenir dans mes bras sans pouvoir le poser un instant. J’avais fini la veille tout mon repassage, excepté une chemise pour mon mari; cinq fois hier je l’ai étendue sur la table pour la repasser, et chaque fois j’ai été interrompue: quelqu’un entrait, Willie pleurait; il fallait le prendre, pour le consoler. Enfin, à quatre heures, il s’est endormi; j’en ai profité pour mettre les fers au feu; je venais à peine de commencer à repasser, lorsque j’entendis quelqu’un frapper à la porte de notre plus grande chambre, où j’ai été obligée de transporter notre lit, la petite chambre à coucher étant trop froide pour mon mari et pour Willie.
Je fis faire le tour à Marie en dehors, pour qu’elle fit entrer par la cuisine; à mon grand étonnement, je vis paraître un Monsieur élégamment vêtu, enveloppé d’un grand manteau de drap bien confortable; il me demanda si j’étais Mme A***, puis s’approcha de moi, en me serrant affectueusement la main. «J’étais l’ami de votre mari lorsqu’il était à l’Université, et je suis venu de B*** pour le voir aujourd’hui.»
Mon mari, qui devait partir le lendemain de bonne heure, et qui était sorti pour faire quelques préparatifs, rentra un moment après; je le laissai avec son ami, et m’échappai pour tâcher de me trouver une chaussure, toutes les miennes étant usées. Je me décidai à en emprunter une paire, et je courus chez une voisine, la priant de me prêter quelque chose comme une paire de souliers, n’osant plus reparaître devant notre hôte sans chaussure. La seule chose que je pus trouver fut une espèce de pantoufles qui avaient servi une fois à une noce. Je les pris avec reconnaissance, et me hâtai de retourner pour préparer à souper à ces messieurs.
Préparer quoi? Je n’avais à la maison que du pain, un morceau de beurre gros comme une noix, des tomates conservées, et du thé. Toutefois, je mis sur la table ce que j’avais, et j’invitai notre ami à s’asseoir. Il était trop bien élevé pour exprimer sa surprise à la vue d’un si maigre repas; mais je fus peinée en pensant qu’il se croyait peut-être à charge chez son ancien ami.
Après le souper, M. A*** sortit afin d'emprunter quelques tranches de porc pour le déjeuner; nous espérions pouvoir les rendre dans peu de jours. Il revint avec du porc et des saucisses, que lui avait donnés, et non pas prêtés, la bonne Mme G***.
Après avoir mis Willie au lit, je pu arranger notre chambre à coucher de mon mieux pour que notre hôte n’y souffrît pas trop du froid; après y avoir mis tous mes soins, je retournai auprès de ces messieurs pour jouir de leur conversation. J’appris que notre ami désirait aussi trouver une place au service de la Société des Missions. Il voulait savoir par quelqu’un qui y fût depuis quelque temps, quels étaient les encouragements et les découragements qu’il avait à attendre. Il ne nous demanda pas positivement dans quelles circonstances nous nous trouvions, mais il jugea probablement par notre apparence extérieure qu’elles n’étaient pas dignes d’envie. Après une agréable soirée, nous nous séparâmes d’assez bonne heure, notre ami et mon mari devant partir de bonne heure le lendemain.
J’étais à peine couchée, que j’eus un violent accès de fièvre, et je me réveillai de grand matin, toute brisée et mal à mon aise. À six heures j’avais fait mon lit, arrangé ma chambre aussi proprement que possible, et préparé le déjeuner de mes voyageurs.
Lorsque j’envoyai à la cave chercher mon pain, on n’en retrouva pas un seul morceau; il faut qu’on l’ait volé; cela nous était déjà arrivé une fois, et plusieurs de nos voisins ont eu le même désagrément. Mais je n’avais pas le temps de me désoler; avec le reste de ma farine je fis à la hâte une sorte de galette, et nous nous mîmes à table.
Dès que ces messieurs furent partis, j’eus un nouvel accès de fièvre; je fus plusieurs fois obligée de me recoucher pendant la journée; vers le soir j’attendais mon mari avec inquiétude. Marie dormait dans un coin; il était déjà tard; Willie, que j’avais posé sur le lit, riait tout seul; il n’a pas été malade aujourd’hui; mais je redoute pour mon mari cette course à l’air froid et humide de la nuit.
Samedi. M. A*** est revenu très fatigué et à demi gelé; il n’a pas pu manger, et s’est mis au lit tout de suite. J’avais peur d’un nouvel accès de fièvre, mais il y a heureusement échappé, et quoiqu’il fût ce matin faible et languissant, il est allé à cheval chez M. C*** le maçon pour l’engager à venir lundi crépir l’intérieur de la maison. Le jeune homme qui devait boucher les fentes du mur entre les grosses pièces de bois, ne peut pas le faire à présent; il est fâcheux pour nous d’être obligés de plâtrer avant que ces trous soient refermés; mais le froid nous y oblige: nous pouvons voir le jour entre les morceaux de bois dont les murs sont construits.
Mon mari a donné en paiement à M. C*** une partie de nos bois de construction, espérant qu’en le payant d’avance, il serait plus sûr de son ouvrage. M. C*** est venu chercher son bois cette après-midi; il a promis de venir travailler lundi matin de bonne heure. Un bon voisin nous a invités à passer ce jour-là et la nuit suivante chez lui; et un jeune homme qui est souvent venu à notre secours, nous a offert de travailler avec M. C***, afin que mon mari ne se fatiguât pas.
Nous avons maintenant des provisions pour deux mois, et avant ce moment-là j’espère que nous recevrons notre argent de New York, en sorte que nous ne serons plus dans la misère. Depuis que nous sommes dans cette contrée, je ne me suis jamais vue autant de raisons pour prendre courage et voir l’avenir avec bon espoir.
Jusqu’à présent il me semblait que je marchais sur un terrain mou où j’enfonçais. Oh! que nous puissions être vraiment reconnaissants! Ma bonne mère disait souvent: «Il est facile d’être content, mais il l’est beaucoup moins d’être reconnaissant.»
M. A***essaiera de prêcher demain pour la première fois depuis sa maladie, et nous espérons que dans peu de temps il pourra reprendre régulièrement l’œuvre que son Maître lui a donnée à faire. Quand je regarde en arrière, ces derniers mois me font l’effet d’un mauvais rêve. Et cependant, Dieu nous a miséricordieusement soutenus dans les moments où nous n’avions à portée aucun secours humain. Je n’ai pas supporté mes épreuves comme je l’aurais dû. Oh! que nous ressemblons peu à notre divin Maître!
Comment a-t-Il pu supporter mon incrédulité et mon manque de confiance? Dans mon indignité et ma faiblesse, j’ai vraiment ressemblé au roseau cassé. Il me semble maintenant que si c’était à recommencer, je serais plus forte et plus courageuse, et qu’aucune épreuve ne pourrait me décourager et me faire murmurer. Dieu seul le sait! Si c’est sa bonne volonté, je lui demande de nous épargner, en nous aidant à nous mettre à son œuvre avec plus d’activité et de fidélité que nous ne l’avons fait jusqu’à présent. Qu’Il nous donné aussi de sentir avec reconnaissance qu’il ne nous a jamais abandonnés, même lorsque les ténèbres nous paraissaient le plus épaisses.
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