Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !



FRAGMENTS DU JOURNAL

DE LA FEMME D’UN MISSIONNAIRE DANS LES PRAIRIES DE L’OUEST

AUX ÉTATS-UNIS.

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CHAPITRE V.


12 Mars. Notre maison avance rapidement. Les fondations et la cave sont presque finies; les bois nécessaires pour la construction sont prêts et déjà sur l’emplacement même. Il faut aller chercher à M***, à vingt-cinq milles de distance, les clous, les verres de vitre, les bardeaux, les châssis pour les fenêtres, etc., etc.; mais les routes sont pour le moment impraticables. Nous espérons cependant que dans deux ou trois semaines tous les matériaux seront réunis, et que ceux qui se sont engagés à bâtir notre petite demeure pourront s’y mettre avant que leurs travaux de campagne les appellent ailleurs. On a labouré un petit coin de terre que nous voudrions enclore pour en faire un jardin. M. A*** a déjà commandé des pommiers, et nous nous réjouissons d’avance à l’idée de cultiver et de planter notre propriété. Mais au milieu de ces arrangements qui nous satisfont, il est arrivé une circonstance qui nous a donné à réfléchir.

Quand nous sommes arrivés dans le pays, et avant que nous eussions décidé où nous demeurerions, un ecclésiastique avait dirigé l’attention de mon mari sur un village en pleine prospérité, où on venait de fonder une église qui promettait l’avenir le plus brillant. On engagea mon mari à choisir cet endroit pour le champ de ses travaux; mais comme il ne se souciait pas d’imposer ses volontés à ceux à qui il était envoyé comme directeur spirituel, il les laissa décider entre eux ce qui tenait à nos arrangements matériels. La conséquence en a été que nous sommes venus ici, où il semble que nous ne rencontrons que des découragements et des pierres d’achoppement.

Il y a quelque temps que nous reçûmes des lettres de deux autres ecclésiastiques qui suppliaient mon mari d’abandonner le champ ingrat sur lequel il travaille, et d’aller s’établir dans le village dont j’ai déjà parlé, où les besoins spirituels sont également fort grands, et où les encouragements sont plus grands aussi. On nous faisait un éloge extrême de l’endroit, des habitants, de leur intelligence supérieure, de leur bonne volonté pour soutenir les institutions de l’Évangile, de leurs ressources pécuniaires; mais ce qui, je l’avoue, me touchait particulièrement, c’est que les travaux du missionnaire étaient nécessairement circonscrits au village et à son voisinage immédiat, par ce fait que la population y est déjà nombreuse et s’accroît rapidement.

Mon mari a hésité quelque temps, mais il a fini par décider qu’il était de son devoir de rester ici; et il m’a été donné d’acquiescer de bon cœur à cette décision. Les raisons mêmes qu’on lui avait données pour occuper ce poste avantageux l’ont engagé à ne pas l’accepter, parce que, dit-il, on trouvera facilement dix personnes pour une qui iront là-bas, tandis qu’on en trouvera à peine une qui viendra volontiers à l’endroit où nous sommes.


11 Avril. Les murs de notre maison ne sont pas encore élevés; le temps n’a pas été favorable. M. A*** est allé à M*** avec un de nos voisins pour chercher différentes choses nécessaires à l’achèvement de la maison; il y a trois jours qu’ils sont partis; je les attends ce soir, quoique des pluies continuelles aient rendu les chemins très mauvais. Il était temps cependant d’aller aux provisions: elles étaient presque épuisées.

M. A*** avait justement reçu un trimestre de ses appointements; il a pu payer une partie de notre terrain, et achever de solder le cheval, outre quelques emplettes indispensables pour nos besoins actuels.

M. G*** a offert de nous procurer les matériaux de notre maison, pour la somme de quarante dollars, et il a promis d’attendre le paiement jusqu’au mois d’Octobre. C’est un grand soulagement pour nous, et, avec la bénédiction de Dieu, nous pourrons nouer les deux bouts cette année. Il me semble que c’est le moment le plus difficile à passer pour nous, et qu’une fois en possession de notre maison, tout doit être comparativement plus facile.


12 Avril. M. A*** est revenu hier au soir. Il est maintenant occupé à planter des groseilliers, des asperges et d’autres plantes qu’un bon ami de M*** lui a données. Il doit aller demain à la forêt chercher quelques arbres pour ombrager notre maison; il m’a promis aussi de me préparer une plate-bande pour les graines de fleurs que j’ai apportées avec moi; mes oignons de fleurs ont péri pendant l’hiver; je suppose qu’ils n’ont pas eu assez de neige pour les préserver du froid.


20 Avril. Le temps est excessivement chaud et accablant; nos chambres sont d’une chaleur presque insupportable, à cause de notre fourneau de cuisine. Le propriétaire est impatient de les avoir pour son usage particulier, et tout semble conspirer contre les progrès de notre maison.

Mon mari fait ce qu’il peut pour que l’ouvrage avance; mais nos voisins ont maintenant beaucoup à faire, et ils n’aident mon mari que quand ils ne sont pas forcés de travailler pour leur propre compte. Je suis quelquefois étonnée qu’ils aient du temps à nous donner.

L’opération de préparer les bois a été fort longue: il a fallu les équarrir en dedans et en dehors, afin qu’on put crépir les murs de chaque côté; il aurait été plus facile de bâtir une maison à la mode ordinaire; mais lors même que nous eussions eu l’argent, nous n’aurions pu obtenir les matériaux nécessaires; il est impossible de se procurer des chariots pour les transporter. Nous n’avons pas même l’idée de pouvoir plâtrer notre maison à présent.

Je prévois qu’il nous faudra user de la plus stricte économie pour traverser convenablement l’été et l’automne prochains. Mais ma foi dans les promesses de Dieu ne m’abandonne pas; je n’ai aucune raison de douter de sa fidélité, et si toutes nos ressources venaient à nous manquer, voici, les trésors de la terre sont entre ses mains; Il peut nous en attribuer la portion qu’il croira bonne pour nous, dans son infinie sagesse. Nous n’avons pas oublié ces paroles: «Confie-toi dans le Seigneur et fais bien, et tu habiteras dans le pays et tu y trouveras ta nourriture.»


Dimanche. Je suis seule; mon mari est allé prêcher à une assez grande distance; mais il y a un service à la vieille maison d’école, où nos réunions se tiennent maintenant. Les voisins s’y sont rendus, mais je ne suis pas assez bien pour y aller; je le regrette, parce que j’aime la prédication de M. C*** qui vient ici une fois par mois. Je lui ai pardonné depuis longtemps la peine qu’il m’avait faite la première fois que je l’ai entendu. Je l’ai invité plusieurs fois quand il est venu faire des visites dans notre voisinage, mais sans succès, jusqu’à il y a quelques semaines, qu’il est venu, accompagné de sa femme.

M. A*** était absent; mais ils sont revenus à la maison avec moi, et je leur ai offert ce que j’avais de meilleur. Nous avons passé quelques heures ensemble, et plusieurs fois, pendant le courant de la conversation, le bon M. C*** voulut me faire des excuses à propos des paroles qui m’avaient fait de la peine; mais je n’ai pas voulu le permettre. Ce fut sa dernière visite; il a été appelé à une grande distance de cette contrée. Nous ne nous reverrons plus, jusqu’à ce que, par la grâce miséricordieuse du Sauveur, tous les enfants de Dieu se trouveront assis à sa droite.

Quelle réunion pour des amis chrétiens! plus de séparations, plus de péché! Ils seront pour toujours en la présence de Celui qui est le bonheur même. Tandis que je suis assise dans ma petite maison, je me représente l’église où j’avais l’habitude d’aller dans ma ville natale; je vois la congrégation qui se rassemble pour recevoir des mains de notre digne pasteur les symboles du corps et du sang de notre Sauveur; j’entends les voix qui se réunissent pour chanter ses saintes louanges; j’entends les ardentes prières du berger de ce troupeau, pendant qu’il distribue le pain et le vin à ses brebis; ses exhortations, ses supplications pour les encourager à déposer leurs fardeaux aux pieds du Seigneur et à tout quitter pour le suivre et le servir.

Quelque mélancoliques et quelquefois même pénibles que soient ces souvenirs, quelque contraste que m’offre ma vie actuelle avec ma vie passée, je ne voudrais pas y retourner. C’est au milieu de ces grâces et de ces privilèges qu’il m’a été donné de me détacher des liens qui me retenaient si fortement, pour venir m’établir dans cette contrée éloignée et étrangère. C’est ici que je dois vivre, c’est ici que sont les devoirs que le Chef de l’Église m’a donnés à accomplir; c’est ici que je veux, avec l’aide de mon Sauveur, me soumettre avec joie à sa volonté, travailler et prier autant que je le pourrai pour l'église qu’il a fondée ici, — église qu’il a rachetée par son sang.

Je suis résolue depuis longtemps à ne pas désirer une autre sphère: d’activité, à moins que la providence de Dieu ne me démontre clairement et distinctement que notre œuvre ici est achevée. Tout ce que je désire pour moi et mon cher mari, c’est que nous sachions bien discerner la volonté de Dieu, et qu’il nous accorde sa grâce pour l’accomplir.

Mais trop souvent le péché nous aveugle et endurcit nos cœurs. Mon Père, qui es aux cieux, purifie nos cœurs, et rends-nous capables de faire l’ouvrage que tu nous as confié!


15 Mai. Le mauvais temps nous force à renvoyer toutes nos affaires. La maison n’est pas encore couverte; les charpentiers n’ont aucun abri pour travailler, et la pluie tombe incessamment. Nous n’avons pas autre chose à faire qu’à attende. C’est une leçon que nous avons déjà apprise, et cependant elle n’est pas facile. Il est bien plus aisé de dire avec le vieux Jacob: «Voici, toutes ces choses sont contre moi;» nous ne pouvons pas bien voir la raison de ces choses; et cependant il en existe sûrement qui nous satisferaient si nous pouvions sonder les mystères de la Providence; cette seule pensée devrait suffire pour retenir nos murmures et nos plaintes.

Nos ressources sont fort petites, et ce serait bien important pour nous d’épargner notre loyer pendant un mois, mais il nous est impossible d’entrer dans notre maison avant le milieu de Juin, et même alors elle ne sera pas finie.

Quant au jardin, il faut y renoncer: on ne peut songer à l’entourer d’une barrière avant le mois de Juillet au plus tôt. Un de nos voisins nous a offert un coin de son jardin, où mon mari cultive quelques légumes, mais j’avoue qu’il m’en a coûté de ne pas les cultiver dans le nôtre.


25 Mai. Mon école et ma classe de Bible n’ont plus lieu, parce qu’on a ouvert une école pendant la semaine et une école du Dimanche à la maison où se fait le culte, et toutes les jeunes filles y vont. Je ne sais pas trop quel sera le résultat de mes travaux pendant l’hiver passé; je n’en vois aucun pour le moment, et parfois je serais tentée de croire qu’on aurait pu, avec autant de succès, jeter le bon grain à tous les vents. Mais cette pensée est mauvaise: elle provient d’un manque de foi et m’est suggérée par Satan; je devrais répondre avec la Parole de Dieu: «Ne te lasse pas de bien faire, et tu moissonneras dans la bonne saison, si tu ne défailles point.»

C’est une chose heureuse cependant que je connaisse toutes ces jeunes filles, et je crois que j’ai gagné leur confiance; le chemin m’est ouvert pour leur faire du bien. Je les ai toutes invitées hier à me venir voir: elles ont été très gaies.

J’avoue que ma petite fille adoptive me donne beaucoup d’inquiétude. Elle est bonne et agréable, mais elle a parfois des accès d’obstination: comme je n’en ai jamais vu à personne; dans ces moments-là, elle fait preuve, pour amener ses projets à bien, d’une sagacité et d'une prévoyance qui feraient honneur à quelqu’un de plus avancé qu’elle en âge et en expérience dans le mal. Il faut qu'elle ait subi des influences d’une nature infiniment pernicieuse.

Elle a très bien appris à lire, et je crois qu’elle aurait du goût pour l’instruction; elle est fort intelligente, comprend vite et possède une excellente mémoire; nous l’aimons tendrement, mais elle nous donne souvent beaucoup de peine.


16 Juin. Je reviens de notre maison; elle avance rapidement maintenant. M. A*** y passe tous ses moments de loisir, mais je crains qu’il ne se fatigue; il dit qu'il ne se reposera que quand il aura fini.

Le plancher est posé, les cloisons aussi, et les ouvertures pour les portes et les fenêtres sont pratiquées; la semaine prochaine, si Dieu le permet, nous entrerons en jouissance. Nous aurons une petite chambre de douze pieds sur quatorze, une chambre à coucher de huit sur dix, un petit cabinet au bas de l’escalier; et quand tout sera terminé, nous aurons encore deux petites chambres à coucher au haut de l’escalier; mais on ne peut s’en occuper à présent.

Derrière la maison, il y a une espèce d’auvent, où je placerai mon fourneau de cuisine en été, et qu’on finira pour une cuisine plus tard, quand mon mari en aura le temps. Il faut encore plâtrer les cloisons, et finir les murs à l’intérieur avec de petites pierres et de petits morceaux de bois, puis remplir les interstices avec du mortier. Il faudra faire la même opération à l’extérieur; mais M. M***, qui est notre maçon, dit qu’il faut avant tout venir nous établir, et que nous finirons nos murs en dehors à notre loisir pendant l’été. Mon mari m’assure qu’il s’y mettra dès qu’il se sera un peu reposé, sans attendre que le mauvais temps l’y force.


18 Juin. Nous avons eu hier une journée bien remplie, puisque le soir nous a trouvés établis dans notre nouvelle demeure. Deux jeunes filles s’y étaient rendues dès le matin et avaient nettoyé proprement nos chambres; un jeune homme qui aide M. A*** à transporter nos effets, a plâtré nos murs à la chaux. Mon mari avait passé une couche de vernis sur les portes et les fenêtres la semaine dernière; en somme, la petite maison a un air propre et gai. Malgré tous les secours qu’on a eu la bonté de m’offrir, j’étais tellement épuisée de fatigue, que je n’avais pas même la force de souper; j’ai été obligée d’aller me coucher, en laissant nos effets dans un charmant désordre.

Ce matin nous avons posé le tapis, arrangé nos livres dans la petite bibliothèque, et achevé de mettre nos effets en ordre. Je doute que jamais femme, en prenant possession d’un palais, ait été plus heureuse que je ne le suis en m’établissant dans cette petite hutte, au milieu de ces vastes prairies sauvages et désolées, et sans même une barrière pour nous protéger contre les invasions des animaux qui y rôdent en liberté. D’une des fenêtres et de la porte, nous avons une belle vue fort étendue; nous pourrons nous y asseoir pour contempler le soleil couchant, à mesure que la lumière du jour baissera et que les étoiles brilleront au ciel; nous retracerons dans notre souvenir les temps passés, et nous envisagerons l’avenir avec la ferme confiance que notre Père céleste continuera à éclairer notre sentier et qu’il nous soutiendra de sa grâce au milieu des soucis et des épreuves de cette vie mortelle.

Je ne me suis jamais sentie plus assurée que Dieu nous garde, nous protège et bénit nos efforts pour l’avancement de sa gloire. Il me semble que nous sommes arrivés à un point où nous pouvons nous arrêter et nous rafraîchir après les fatigues du jour; comme Israël se reposait auprès des fontaines à l’ombre des palmiers. Nous pouvons accorder quelques heures aux jouissances du foyer domestique, et reposer nos corps et nos esprits; mais dès l’aube du jour, nous devrons écouter, au milieu des soucis et des devoirs de la journée, le message de notre Père: «Parlez à mes enfants, afin qu’ils marchent en avant; ce n’est pas ici qu’ils doivent s’arrêter.»


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