L’ARMÉE DU SALUT ET LE RELÈVEMENT DE LA FEMME
UNE VISITE DANS TROIS DE NOS INSTITUTIONS FÉMININES FRANÇAISES
Ces Institutions ne sont pas des maisons de répression mais des foyers lumineux de pureté et de bonté où celles qui le désirent peuvent recommencer la vie sur de nouvelles bases. — Principes qui seront à la base de ces maisons. — Comment elles fonctionnent. Résultats obtenus.
Oh! n’insultez jamais une femme qui tombe.
Qui sait sous quel fardeau la pauvre âme succombe,
Qui sait combien de jours sa faim a combattu,
Qui sait combien de jours a lutté sa vertu.
....
Je tâche de comprendre afin de pardonner.
Victor Hugo.
* * *
Ces maisons sont une des branches les plus importantes de notre œuvre sociale féminine. Les mêmes principes qui sont à la base de nos œuvres sociales en général régissent ces institutions, mais ils y trouvent une application plus spéciale, les conditions sociales étant telles qu’il est plus difficile à une femme de se relever, l’opinion publique, si illogique en la matière, accablant de son mépris la femme qui s'égare et tombe, alors qu'elle continue à respecter l’homme qui fait de même.
Et pourtant, s’il est une œuvre belle entre toutes et digne de tenter les cœurs les plus nobles, les plus épris d’idéal, c’est certes l’œuvre de relèvement. Nous ne nous dissimulons pas qu'elle est délicate, qu’elle exige des trésors infinis de dévouement, de tendresse éclairée, de patience et de persévérance, mais nous aimons à proclamer bien haut qu’elle est possible.
Il nous est doux de répondre à ceux qui doutent de la possibilité de faire renaître à une vie honnête et pure, celles qu’ils appellent dédaigneusement des «femmes tombées», il nous est doux, dis-je, de répondre: «Jugez par les faits!»
Les exemples abondent que nous pourrions extraire des annales de nos maisons de relèvement, vrais miracles vivants, attestant par leurs vies transformées et régénérées la vérité de ce que nous avançons.
Nous n’avons garde d'oublier que beaucoup ont été conduites là par des circonstances de milieu et d’éducation plutôt que par volonté, et c’est le cas où jamais de répéter avec le poète: «JE TÂCHE DE COMPRENDRE AFIN DE PARDONNER», ou comme nous préférons dire:
«JE TÂCHE DE COMPRENDRE AFIN DE MIEUX AIMER»
et appliquer intelligemment le remède approprié.
Tout y concourt, du reste, dans ces institutions qui ne sont pas des maisons de répression; elles n’ont rien de la prison ou du cloître, et tous ceux qui les visitent sont frappés de l’abondance de lumière et de joie qui y règne.
Chaque maison est spacieuse, bien aérée et entourée d'un vaste jardin où l’été l’on coud sous les arbres, car indépendamment des travaux du ménage, nos jeunes filles sont occupées à la couture.
Dans des ouvroirs gais, lumineux, spacieux, comme toute la maison du reste, dont l'aspect est des plus engageants, nos jeunes filles confectionnent des travaux de lingerie, tabliers pour dames et enfants, robes d’enfants, etc., qui sont vendus à domicile chez les dames amies de notre œuvre. Elles exécutent également des travaux sur commande, trousseaux, etc.
À voir la lingerie fine confectionnée par nos pensionnaires, nul ne se douterait que plusieurs des mains qui y ont travaillé n’avaient jamais tenu une aiguille avant d’entrer à la maison de relèvement.
Une buanderie est également jointe à deux de ces institutions (celles de Paris et de Nîmes) et les dames qui nous confient leur linge sont très heureuses d’apprendre qu'il est blanchi sans aucun des ingrédients qui le détériorent, mais qu’emploient communément les blanchisseurs des grandes villes.
Notre but, on le voit, n’est pas d'enfermer nos jeunes filles dans une maison où, étroitement surveillées, elles n'auront plus la possibilité de retomber dans le mal, mais elles trouvent dans nos institutions un nouveau milieu où elles oublient l'ancien, retrempent leur énergie et recommencent l'existence sur de nouvelles bases, coopérant elles-mêmes à leur propre relèvement.
Ce n'est pas, en effet, une aide extérieure et passagère que nous voulons offrir à ces jeunes filles; notre ambition est autrement élevée. Nous ne visons à rien moins qu’à créer en elles, ce ressort intérieur qui fait la valeur de l’être humain.
Tous les efforts échoueraient, en effet, tous les bons conseils et les exhortations seraient nuls si cette force intérieure n’était pas créée dans l’individu; le monde est peuplé de gens qui ont glissé à l'entrée de la vie et qui doivent avoir un nouveau point de départ dans leur existence. Il leur faudrait non seulement quelqu’un qui leur tendit une main forte et secourable, mais quelqu'un qui leur ouvrit un horizon nouveau, fit luire en elles une flamme, un mobile d'action pure, un idéal; et c’est ce que nous nous efforçons de faire.
Nous voudrions pouvoir crier à toutes nos sœurs dans cette condition:
AYEZ CONFIANCE, VOUS POUVEZ RETROUVER LA PURETÉ PERDUE, vous refaire une nouvelle vie.
Nous croyons au christianisme réparateur des brèches, au christianisme qui refait une vie, et c’est pourquoi nous voulons souffler sur ce sentiment de dignité qui est en elles, leur ouvrir un horizon nouveau qui leur eût peut-être été pour toujours inconnu, leur faire réaliser un idéal qu’elles ne soupçonnaient même pas.
Nous voulons leur redonner la joie d'une bonne conscience, la joie de vivre dans le beau sens du mot. Nous visons à semer la joie, la joie à pleins bords, le soleil partout dans des existences qui eussent été tristes et inutiles Nous aurions pu croire notre entreprise chimérique si des expériences récentes ne nous en prouvaient tout à nouveau la réalité.
Écoutez plutôt:
R..., nous fut envoyée par M. le pasteur X..., avec qui elle avait fait son instruction religieuse. D’une excellente famille, élevée aussi bien qu’on peut l’être, elle avait pourtant failli, au grand désespoir de sa mère qui adorait cette enfant et fit tout son possible pour cacher sa honte.
Après la naissance de son bébé, qui fut mis en nourrice, R... nous revint quelque temps. Une vraie transformation s’était accomplie chez elle quand elle nous quitta. Elle est en ce moment employée dans un des plus grands établissements de crédit de Paris où elle travaille depuis quatre ans. Elle prend soin de son enfant placé en nourrice près de Courbevoie et elle l’aime tendrement. Quant à sa mère sa reconnaissance est sans bornes.
* * *
M..., jeune fille insoumise et voleuse, nous fut également confiée par un pasteur, nous suppliant de la prendre au moment où elle allait être enfermée jusqu'à sa majorité.
Après six mois de séjour parmi nous, entièrement changée, elle a pu reprendre sa place auprès de ses parents dont elle est la fille unique. Elle fait maintenant leur plus grande joie. Le pasteur exprimant son opinion sur le changement survenu chez cette jeune fille disait: «Je ne puis pas mieux vous dire, vous l’avez entièrement métamorphosée».
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Une froide et pluvieuse soirée de novembre. Une jeune fille de vingt ans se présente à notre porte avec un bébé de 14 mois dans les bras. À bout de ressources, après un séjour à l’hôpital, elle n’avait pu payer sa nourrice qui lui avait rendu l’enfant. Que devenir?
Pendant quelque temps, elle vécut dans une chambre obscure d'un garni du voisinage des Halles. Lasse de souffrir et plus encore de voir son bébé manquer de lait, elle résolut d’en finir.
Elle échoua sur un banc d’un bureau de placement où, sanglotant à fendre l’âme, elle attira l’attention d'une jeune fille qui lui indiqua notre Maison de Relèvement et lui paya même le tramway pour s’y rendre. Nous eûmes la joie de lui sauver la vie ainsi qu’à son enfant. Elle est maintenant cuisinière dans une bonne maison, où elle gagne sa vie et celle de son bébé qui est de nouveau en nourrice. Sa reconnaissance est touchante: «Jamais je ne vous oublierai! dit-elle. Sans vous, je ne serais plus et mon bébé aurait aussi connu la Seine.»
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Plusieurs sont mortes comme des saintes dans les maisons de santé où elles ont été soignées, (Lire: «Une histoire vraie») rendant un témoignage des plus édifiants auprès des gardes-malades et de leurs compagnes d’infortune.
Nombreuses aussi, les jeunes filles séduites, trompées, puis lâchement abandonnées et qui retrouvent vie nouvelle et espoir dans notre maison, L’une d’elles a épousé un jeune homme chrétien. On cite même le cas — très rare il est vrai — d’une jeune fille de nos Maisons qui a pu épouser le père de son enfant. Inutile d'ajouter que ceci ne peut se produire que si le jeune homme en est digne; 70 pour cent des femmes reçues dans nos Maisons sont rendues à la société des femmes honnêtes.
Nous avons en France, trois de ces Institutions. Celle de Nîmes, la première ouverte dans ce pays, peut recevoir 24 jeunes filles, celle de Lyon, 12 et celle de Paris-Courbevoie, 20. Notre maison de Belgique, située à Bruxelles, repose sur le même principe et donne les mêmes résultats bénis.
En avant 1910 05 28
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