Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L’ÉGLISE

SOUS LA CROIX

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Ramener le cœur des enfants vers les pères.

(Malachie, IV, 6.)

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PAPUS DE LA VERDAUGIE

1670-1691

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Y a-t-il de spectacle plus beau que celui d’un jeune homme qui consacre au service du Seigneur les facultés qu’il a reçues de lui?

Au lieu de rechercher les réunions bruyantes, on le voit fréquenter les enfants de Dieu, se plaire dans leur commerce et se préoccuper, avant tout, des biens invisibles, les seuls éternels. Quelque modestes que soient ses talents et restreintes ses connaissances, il est jaloux de faire partager aux autres ses convictions et ses espérances, et il s’emploie activement au bien de ses frères:


HEUREUX DE TÉMOIGNER AINSI SA RECONNAISSANCE À DIEU

POUR LE DON INESTIMABLE DE SON FILS.


Et si ce jeune homme, d’une famille distinguée et d’un mérite exceptionnel, consacre à Dieu, au milieu d’obstacles de toute nature, tous les trésors de son cœur, toutes les ressources de son intelligence, toutes les énergies de sa volonté; s’il travaille à l’avancement de son règne en des temps difficiles et au péril même de sa vie, nous sentons grandir pour lui notre estime et notre admiration et nous sommes émus à jalousie par un si bel exemple.

Ces réflexions nous venaient à l’esprit en recueillant des renseignements sur un jeune martyr de la Révocation, Papus de la Verdaugie. Comme Fulcran Rey, il fait partie de cette héroïque phalange d’hommes dévoués qui, au lendemain du célèbre édit de Louis XIV, ne craignirent pas de distribuer le pain de vie à leurs coreligionnaires et de travailler au rassemblement des fidèles persécutés. À lui aussi s’applique la belle parole de nos saints Livres:


«Quoique mort, par sa foi il parle encore.»


I


Pierre Papus de la Verdaugie naquit vers 1670 à Chaignes, près de Bergerac, la patrie de ce galérien célèbre, Jean Marteilhe, dont les mémoires, réimprimés de nos jours, ont fait dire à Michelet que c’était un livre «écrit entre ciel et terre.»

Les détails nous manquent sur ses premières années. Il avait à peine seize ans quand la Révocation de l'Édit de Nantes vint priver les réformés de leurs droits civils et religieux. Son père et sa mère restèrent fidèles à leurs convictions et furent emprisonnés à Bordeaux, avec l’un de leurs fils. Quant à lui, il trouva, avec sa sœur et son second frère, un refuge en Hollande. Les deux frères s’établirent à Arnheim et leur sœur à six lieues de cette ville.

Papus aurait pu vivre en paix sur cette terre de liberté; mais le jeune réfugié ne pouvait sans douleur penser au peuple réformé de France, semblable à un troupeau sans berger. Les tristes nouvelles qu’on recevait du royaume le navraient. Peut-être la lettre que «les réformés captifs de France,» comme ils s’appelaient eux-mêmes, adressèrent, le 29 mars 1686, aux ministres réfugiés, tomba-t-elle sous ses yeux.

«Ce nous est une très grande consolation,» disaient-ils à leurs anciens conducteurs spirituels, «de voir que nos chers pasteurs se souviennent encore de nous, qu’ils prennent part à nos maux et qu’ils essaient de verser du baume sur nos plaies. Mais, nos très chers pères, est-ce là tout ce que vous pouvez faire pour vos pauvres enfants? Nous avez-vous abandonnés pour jamais? Vos entrailles ne s’émeuvent-elles pas, lorsque vous pensez au pitoyable état où vous nous avez laissés?... La charité et le devoir de vos charges ne vous obligeraient-ils pas à risquer tout, pour venir consoler, de vive voix et par de bons exemples, tant de fidèles qui sont exposés à la plus dangereuse persécution qui ait jamais été?»

(texte complet ici)


Ces reproches ne pouvaient atteindre le jeune serviteur de Christ. N’étant pas consacré, il n’avait pas, officiellement, charge d’âmes. Il n’en fut pas moins douloureusement ému par ces plaintes, et il conçut de bonne heure le dessein d’aller consoler les fidèles dans l’affliction. Son désir, d’ailleurs, était partagé par d’autres réfugiés: Claude Brousson, le plus connu de tous, celui qu’on a si bien nommé l’évangéliste du Désert, Vivens, l’ancien maître d’école de Valleraugue, dont le caractère complexe tient à la fois du héros et de l’illuminé, Lapierre, Serein, Boisson, Dhombres, Pourtal, et plusieurs autres.

Au printemps de 1689, Papus quitta la Hollande avec Vivens. Ce dernier avait écrit à quelques autres réfugiés et leur avait donné rendez-vous à Lausanne.

Le 22 juillet, ils partirent de cette ville et, pour ne pas attirer l’attention, ils se partagèrent en quatre groupes et pénétrèrent en France par des points différents. Vivens et Papus arrivèrent bientôt dans les Cévennes. Là, ce dernier prit les noms d’Olivier et de La Rouvière pour se dérober aux recherches. Ils se mirent aussitôt à visiter leurs frères et à prêcher, avec un grand zèle, la parole de Dieu.

Claude Brousson et Henri Pourtal, de Saumane, ne tardèrent pas à les rejoindre. Ces fidèles serviteurs de Dieu réunirent leurs efforts et travaillèrent, de concert, au rassemblement des troupeaux dispersés; mais au milieu de quelles difficultés! La persécution sévissait contre eux avec fureur et Brousson nous trace de leur existence le plus navrant tableau.

«Ils faisaient leur séjour dans les bois, sur les montagnes, dans les cavernes et dans les trous de la terre. Ils couchaient souvent sur la paille, sur le fumier, sur des fagots, sous des arbres, dans des buissons, dans les fentes des rochers et sur la terre.

Durant l’été, ils étaient consumés par les ardeurs du soleil, et durant l’hiver ils ont souvent souffert un froid extrême sur les montagnes couvertes de neige et de glace, n’ayant pas quelquefois de quoi se couvrir pendant la nuit, et d’ordinaire n’osant pas faire du feu durant le jour, de peur que la fumée ne les découvrît, ni n’osant pas sortir de leur cachette pour jouir de la chaleur du soleil, de peur de se faire voir aux ennemis et aux faux frères.

Quelquefois aussi, ils étaient exposés à la faim et à la soif et souvent à des fatigues accablantes et mortelles (Relation sommaire des merveilles que Dieu a fait (sic) en France, dans les Cévennes et dans le Bas-Languedoc, pour l'instruction et la consolation de son Église désolée, où il est parlé de ceux que Dieu y a extraordinairement suscités, en ces derniers tems, pour y prêcher l'Évangile et du martyre qu'un grand nombre de ces fidèles serviteurs de Dieu y ont déjà souffert, par Claude Brousson, autrefois avocat au parlement de Toulouse, et maintenant, par la grâce du Seigneur, fidèle ministre de sa parole qui, durant plusieurs années, a aussi prêché l'Évangile sous la croix dans ces païs-là.

«Si ceux-ci se taisent, les pierres mêmes crieront.»Luc, XIX, 40. L'an MDCXCIV. Traduit du hollandais et imprimé à Delft, chez Adriaon Beman, 1695, p.40.»)

Mais aucune difficulté n’arrêtait ces courageux confesseurs de Jésus-Christ qui auraient pu dire, avec le cantique:

Ô délicieuse vie

D’un serviteur de Jésus.

Qui, pour son Maître, s’oublie

En annonçant ses vertus.


Pendant l’hiver de 1689, la rigueur du froid ne leur permit pas de quitter les montagnes des Cévennes. Brousson, Vivens, Pourtal et Papus restèrent cachés dans une bergerie où ils reçurent plusieurs fois la visite d’une jeune fille d’une piété remarquable. Elle s’appelait Isabeau Redostière et était âgée d’environ dix-huit ans. Son père était un paysan du village de Millerines, situé au pied de la montagne du Liron. Cette jeune fille, accompagnée d’une amie nommée Madeleine Pintarde, de Gros, près Saint-Hippolyte, tenait des assemblées où elle exhortait le peuple à se convertir et à se sanctifier. Elle avait frappé Claude Brousson et ses compagnons d’œuvre par une grande modestie unie à des dons remarquables. Quelque temps après, elle tomba entre les mains de l’intendant.

Eh bien! êtes-vous une de ces filles qui se mêlent de prêcher? lui demanda Bâville.

J’ai fait, lui répondit l’héroïque jeune fille, quelques exhortations à mes frères, et j’ai prié Dieu avec eux, lorsque l’occasion s’en est présentée. Si vous appelez cela prêcher, j’ai prêché.

Mais ne savez-vous pas, lui dit l’intendant, que le roi le défend?

Je le sais bien, Monseigneur; mais le Roi des rois, le Dieu du ciel et de la terre le commande et je suis obligée d’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.

Vous mourrez donc, ajouta le féroce proconsul.

Mais elle répondit qu’elle était prête à souffrir la mort pour la gloire de Dieu. Bâville, toutefois, «craignantdit Brousson, «que la constance de cette jeune fille ne produisît un effet tout contraire à son intention, se contenta de la condamner à une prison perpétuelle


Au mois de janvier 1690, les prédicants se séparèrent. Brousson prit avec lui Henri Pourtal, jeune homme pieux et décidé, qui connaissait à fond les passages des Cévennes et pouvait servir de guide à son héroïque ami. Papus resta avec Vivens, tandis que Lapierre, Laporte, les trois frères Plan et plusieurs autres «travaillaient, de leur côté, avec un grand zèle et beaucoup de fruits

Ces hommes de Dieu n’avaient pas reçu en partage les mêmes dons. Papus avait peu d’aptitude pour la prédication. Il présidait rarement des assemblées et, quand il le faisait, il lisait les sermons d’autrui plutôt qu’il n’en tirait lui-même de son propre fond. Mais il avait reçu de Dieu un don précieux entre tous, celui de la prière. Il était véritablement un Barnabas, c’est-à-dire un fils de consolation, et les témoignages des contemporains sont unanimes sur ce point.

«Dieu l’avait fait participant,» dit Brousson, «de l’esprit de prière qu’il avait communiqué au frère Vivens, à un degré tout à fait extraordinaire. Il travaillait à la consolation du peuple par des prières excellentes. Les personnes les plus éclairées étaient ravies en admiration de l’entendre. Il allait de lieu en lieu, faisant de petites assemblées où il lisait l’Écriture sainte et quelques-uns des sermons dont il a été parlé et dont il souhaita d’avoir des copies, et il faisait, en même temps, des prières excellentes et pleines d’une onction céleste

Un autre contemporain dit encore de lui:

«Il se faisait remarquer par la véhémence et la ferveur dont ses prières étaient accompagnées. Tous ceux qui l’entendaient étaient ravis en eux-mêmes et bénissaient Dieu de ce qu’il donnait des dons si extraordinaires aux hommes. À peine pouvait-il rester dans une ville qu’on le venait quérir pour aller dans une autre, où on l’attendait avec de grands empressements. Je puis dire, sans crainte de me tromper, qu’il excellait, pour la prière, sur tous ceux qui ont paru en ces derniers temps, soit par la présence d’esprit comme par la richesse de l’expression. Il accommodait les prières selon les temps, les lieux et les personnes auxquelles il parlait, en telle sorte qu’on ne pouvait qu’être consolé, en l’entendant, de quelque affliction que l’on fût accablé. Tous ceux qui ont eu le bonheur de l’entendre en savent quelque chose, sans qu’il y ait besoin d’insister plus longtemps là-dessus, et même plusieurs personnes se firent un plaisir d’avoir de ses prières par écrit, qui serviront beaucoup pour prouver ce que j’avance (Tiré d'une relation du temps, sans doute d'un compagnon d'oeuvre de Papus,et publiée par M. C.-L. Frossard, dans le Bulletin du protestantisme, sous ce titre: Le Martyr de la prière, t. X, p.269 et suiv.)


À tous ces témoignages, nous pourrions encore ajouter celui d’Antoine Court, qui, dans son histoire inédite des martyrs, conservée à la Bibliothèque de Genève, parle dans les mêmes termes du jeune confesseur de l’Évangile. Ce fut vers la fin de l’année 1690 que l’esprit de prière le saisit d’une manière toute particulière et que son ministère commença d’être en grande bénédiction.

Partout où il passait:

il réveillait les endormis,

il réchauffait les tièdes,

il consolait les affligés,

il encourageait les mourants,

il réconciliait les ennemis

et, quoiqu’il fût pauvre, il trouvait toujours le secret de venir en aide à ceux qui étaient dans le besoin.

C'étaient des appels vibrants qui sortaient de ses lèvres et la pureté de sa conduite leur donnait une singulière énergie:

«Serait-il dit,» s’écriait-il, «que nos adversaires s’échauffent en multitude de cérémonies et que nous fussions froids au service de Dieu.

Faisons voir à nos ennemis:

que nous avons les choses dont ils n’ont que les apparences;

que nos chapelles sont nos âmes,

que les images dont nous les ornons sont les effigies des vertus chrétiennes que l’Esprit de Dieu y a pourtraites,

que nos autels sont nos cœurs,

que les victimes que nous y immolons sont les passions de nos âmes et les sens de notre corps,

que notre encens sont nos prières,

que nos reliques sont les beaux exemples que ceux qui sont décédés en foi et repentance nous ont laissés,

que nos cierges sont les lumières d’une pure doctrine et d’une vie sainte,

que notre sel n’est autre chose que l’Évangile, notre eau le baptême, nos huiles les grâces du Saint-Esprit, nos pèlerinages les visites des pauvres, nos processions l’élévation de nos cœurs à Dieu, notre jeûne une abstinence du péché et nos litanies les cantiques de Sion (Archives de Montpellier, C. 174. Papus faisait une étude assidue de la Parole de Dieu, comme le témoigne un grand nombre de petits morceaux de papier, sur lesquels il inscrivait de courtes remarques sur les chapitres lus.)

On comprend que cette activité apostolique dut provoquer la colère de l’intendant. Il mit ses espions en campagne pour saisir les prédicants.


Le 26 février, Papus n’échappa que par miracle à leurs mains. Il habitait, depuis quelque temps, avec Vivens et plusieurs autres, une caverne située sur la route d’Anduze à Alais, près de Saint-Sébastien. Un jeune homme de Valleraugue les trahit et un détachement cerne la caverne. Vivens, hors d’état de fuir, brûle ses papiers, se met à genoux, demande à Dieu d’agréer le sacrifice de sa vie; puis il se poste à l’entrée de la grotte, armé d’un fusil et décidé à la vendre chèrement. Malgré le nombre, le héros cévenol, entouré de ses amis, tient tête aux assaillants, lorsqu’un apostat de Bagard, nommé Jourdan, debout sur un rocher qui domine la caverne, le frappe mortellement par derrière. Les autres Cévenols sont pris et pendus, sans autre forme de procès. Quant à Papus, chargé par Vivens de lui trouver une autre retraite, il avait heureusement quitté la caverne, avec Gavanon dit La Vérune, quelques instants avant l’arrivée des soldats.

Le meurtre de Vivens ne fit qu’enflammer l’ardeur de Bâville. Il avait déjà mis à prix la tête de Brousson. Il porta la somme qu’il offrait à celui qui le livrerait, mort ou vif, de deux mille à cinq mille livres, en même temps qu’il évaluait à trois cents livres celle de ses compagnons d’œuvre. On possède, à la Bibliothèque du protestantisme, à Paris, un exemplaire du placard suivant, qu’il fit afficher, quelques semaines après la mort de Vivens, dans toutes les localités des Cévennes:

«Nicolas de Lamoignon, etc... Nous déclarons que nous donnerons à ceux qui prendront le nommé Brousson, mort ou vif, la somme de cinq mille livres, comme aussi que nous donnerons la somme de trois cents livres à ceux qui prendront, morts ou vifs, les nommés Henric, valet de Brousson, La Jeunesse, Laporte, Lapierre, Labric, Roman, La Rouvière, Gavanon dit La Vérune, Colognac dit Dauphiné, les trois Plan frères, La Victoire et Villemejane dit Campan, tous meurtriers, assassins et perturbateurs du repos public, et que nous ferons payer les cinq mille livres pour ledit Brousson et trois cents livres pour chacun desdits Henric, La Jeunesse, Laporte et autres susnommés, avec la même ponctualité que nous avons fait payer cinq mille livres pour le nommé Vivens.»

Vient ensuite, pour faciliter les délateurs dans leur tâche infâme, le signalement des prédicants. On ne lira pas sans intérêt celui de Papus:

«La Rouvière, natif de Guyenne, âgé de vingt-cinq à vingt-six ans, assez grand, de taille menue, les cheveux noirs fort longs et point frisés, le corps fort long et le visage assez maigre, la barbe fort épaisse et fort noire, du rouge aux joues, une dertre (sic) au menton, du côté gauche, les dents blanches, le nez aquilin et mince.»

Après la mort de Vivens, Papus avait rejoint Brousson, dans les bois de Saint-Félix-de-Pallières, puis il s'était rendu à Nîmes. Il s’y trouvait avec Gavanon, lorsqu’un traître, le sieur de Montredon, les engagea à l’accompagner à Saint-Hyppolyte. C’était pour les faire tomber dans un guet-apens. Surpris au moulin Despaze, à l’issue d’une assemblée, par un détachement, Papus se jette d’une muraille dans le Vidourle et échappe ainsi aux mains de ses ennemis, pendant que son compagnon est arrêté. Malgré les recherches actives de la maréchaussée, Papus continua plusieurs mois encore son ministère béni; puis il vint, à la fin de l’année 1693, goûter un repos bien mérité à Lausanne.


II


Papus, une fois en sécurité, s’informa de sa famille, dont il était depuis longtemps sans nouvelles, auprès des pasteurs d’Arnheim, Daniel de Vernejoul, ancien pasteur de Bergerac, et Gabriel Mathurin, qu’il avait connu lorsqu’il était pasteur à La Réole.

Confesseur admirable que ce dernier, et qui mérite un des premiers rangs dans le martyrologe réformé. Il était rentré en France, où, après avoir rendu un témoignage fidèle à l’Évangile, il avait été pris à Paris et enfermé à la Bastille, en attendant qu’on le transférât dans l’île Sainte-Marguerite, sur les côtes de la Provence. Il ne sortit de prison qu’après vingt-cinq ans d’une captivité chrétiennement supportée. Ce fut sa femme, Rachel de Garrigue, qui répondit à Papus, le 2 janvier 1694:

«Je souhaiterais bien, Monsieur,» lui disait-elle, «que mon pauvre mari pût répondre à votre bonne et obligeante lettre. Mais la divine Providence l’ayant appelé à retourner en France pour prêcher sous la croix, elle a permis qu’il y ait été pris... Je bénis Dieu, Monsieur, de ce que vous avez eu un meilleur sort, et que vous n’avez point été enveloppé dans la triste destinée du bon M. Vivens. Sa mort nous aurait beaucoup plus affligés, si nous ne savions que toute mort des bien-aimés de l’Éternel est précieuse devant ses yeux.

Il me semble, Monsieur, que je vous fais trop attendre les bonnes nouvelles que je puis vous donner de votre pieuse famille. M. votre père et Mme votre mère sont hors de France depuis plus de deux ans, à la sollicitation de la reine de Danemark. Ils sont aussi demeurés à Copenhague, où l’on les envoya, et, de là, ils ont mandé à votre frère et à votre sœur de les aller rejoindre, ce qui a été fait; et ils sont présentement tous ensemble à Copenhague, où la reine de Danemark fait avoir soin d’eux.

Pour votre frère, qui était prisonnier, Dieu l’avait pris à lui quinze mois avant que M. votre père et Mme votre mère sortissent de France. Vous devez vous réjouir de ce que Dieu l’avait choisi pour son glorieux martyr, car on peut dire qu’il est mort du grand froid que l’on lui fit souffrir en le conduisant de Blaye à Bourdeaux, presque tout nu et ne voulant pas souffrir que l’on lui donnât des habits. Aussi mourut-il dès qu’on lui fit voir du feu.

Je vous écris ces particularités, croyant vous faire plaisir, comme vous m’en ferez beaucoup, si vous m’écrivez, de me mander tout ce qu’il y a de particulier dans la mort de M. Vivens et dans ce qui vous est arrivé en France. Je ne manquerai pas d’envoyer, par la première poste, votre lettre à vos parents.»

Grande fut la joie de ces derniers. Ils étaient, depuis six ans, sans nouvelles de leur fils, et ils avaient tout lieu de craindre qu’il ne fût tombé sous les coups de ses ennemis.

«Loué soit Dieu de ce qu’il vous a conservé dans de si grands dangers, en vous employant heureusement à son oeuvre,» lui écrivit son père heureux et reconnaissant. «Il le faut bénir de votre délivrance, aussi bien que de la nôtre, y ayant près de deux ans que nous sommes hors de prison et envoyés dans ce pays-ci par ordre du roi, pour avoir voulu demeurer fidèles à notre Dieu. Pour votre frère Lafon, il est mort confesseur dans la maison de ville de Bourdeaux, avant que nous en partissions. Nous avons eu la consolation de faire venir votre frère, qui était en Hollande, et nous sommes ensemble. Il tâche de subsister par le moyen de la perruque, et l’on nous donne à nous de quoi subsister doucement. Il ne nous manque que vous pour être tous réunis. J’espère donc que vous ne nous refuserez pas cette satisfaction, car nous le désirons beaucoup, surtout votre mère et moi qui, étant vieux et incommodés comme nous sommes, serions fort consolés de vous avoir auprès de nous.»

Cet appel touchant émut le jeune serviteur de Dieu; mais, s’il fut tenté d’y répondre, son affection pour les églises persécutées l’emporta sur la tendresse filiale. Il séjourna quelques mois encore à Lausanne, épiant le moment propice de retourner en France. Il reçut encore, au mois de mai, une lettre de Mme Mathurin:

«Je voudrais pouvoir vous donner,» lui disait-elle, «des nouvelles de mon pauvre mari; mais n’en ayant point de lui-même, il faut que je me contente de celles que la Providence me donne par autrui et qui sont pourtant plus positives, grâces à Dieu, depuis quelque temps. Je le recommande, Monsieur, à vos bonnes prières et vous prie de le recommander, et lui et ses compagnons, aux bonnes âmes de sa connaissance.»

Revenant sur la mort de Vivens qui l’avait beaucoup frappée, elle ajoute, après avoir rappelé la parole de l’Écriture, citée dans sa première lettre:

«Je suis persuadée que cet athlète de notre Seigneur Jésus-Christ a toujours eu sa lampe allumée et ses comptes bien dressés pour se présenter, sans confusion, devant son bon Maître, à sa venue. Dieu nous prépare tous lui-même, par sa grâce, pour le recevoir avec joie, lorsqu’il lui plaira de venir, pour nous faire rendre compte à chacun de notre administration.»

Elle termine sa lettre en recommandant aux prières de son correspondant une belle-sœur, prisonnière en France depuis huit ans, qui n’a jamais rien fait contre sa conscience, mais qui, au contraire, a toujours confessé le beau nom qui est invoqué sur nous. «QUE DIEU,» s’écrie-t-elle, «SOIT TOUJOURS GLORIFIÉ SOIT PAR SA VIE, SOIT PAR SA MORT!»


Papus avait reçu l’hospitalité chez un pasteur réfugié, Antoine Clarion, d’Alais, qui desservait, à la Révocation, l’église de Graissessac. La veuve de Claude Brousson, Marthe Dolier, qui le connaissait particulièrement, lui rend ce beau témoignage:

«C'est un bon serviteur de Dieu, plein de zèle et de charité envers ses frères, pour lesquels il s’est toujours employé, tant auprès des malades qu’en toutes autres occasions, avec une assiduité singulière et édifiante. Il était intime ami et unique confident des voyages de feu mon cher et bienheureux mari.»

Clarion avait reporté sur le jeune serviteur de Dieu l’affection que lui avait inspirée l’apôtre du Désert. Il lui fournit de l’argent pour rentrer en France, et Papus, de retour dans les Cévennes, lui écrivit, le 1er septembre 1694, pour lui exprimer sa reconnaissance. Il lui promettait de s’acquitter, dès qu’il le pourrait.

«Je ne veux pas,» lui répondit Clarion, le 23, «que vous vous incommodiez pour moi, ni vous, ni vos compagnons, quoique je sois toujours comme vous m’avez laissé et que je sois exposé continuellement à des grands frais, soit par les affaires générales, soit par mes infirmités continuelles. Ce n’est pas à vous, mes chers amis, à pourvoir à cela, et ce serait plutôt à ceux qui ont de grandes commodités, si la communion des saints régnait à présent comme elle faisait autrefois. Mais, à la bonne heure: il faut prendre patience, et vous et moi; et je vous assure que je le fais de tout mon cœur, et que, si j’ai du chagrin, cela ne vient que de la misère de nos frères et de l’extrême corruption qui se trouve si générale partout

Ce mépris de la loi divine se faisait remarquer parmi les populations cévenoles. À la ferveur première avait succédé une période d’assoupissement spirituel.

Papus pria le pasteur réfugié d'écrire une lettre circulaire qui vînt rallumer le zèle languissant:

«Dieu veuille,» répondit Clarion en l’envoyant, «l’accompagner de sa bénédiction aussi bien que tous les soins que vous prenez pour ces misérables, vous et vos chers frères et compagnons, le Cadet, Rouveirac, Gay, Compan, que j’embrasse de tout mon cœur.»

Il l’engageait à la répandre abondamment, puis il l’encourageait par ces mots:

«Quand nous aurons fait tout ce que nous aurons pu, il ne faut pas, pour cela, perdre courage ni s’abandonner à une trop grande affliction, quand tous nos petits soins seraient inutiles. Nous ne sommes pas les maîtres des cœurs, et il faut croire que le peuple s’est rendu tout à fait indigne de la grâce de Dieu et qu’il a poussé tout à fait à bout sa patience, s’il permet qu’il se déborde ainsi tous les jours... Il faut se soumettre à la volonté de Dieu, mais ne désespérer pas pourtant de la délivrance de l’Église... Il y a, parmi des hommes si corrompus, des véritables enfants de Dieu.»


Les mariages des protestants, bénis par les prêtres, affligeaient surtout les prédicateurs du Désert. Depuis la mort tragique de Vivens, les réformés n’attendaient plus d’adoucissement à leur sort lamentable et les fiancés, pressés de s’unir, allaient recevoir à l’église la bénédiction nuptiale. Les fusillades, les galères ou la réclusion, partage ordinaire de ceux qui fréquentaient les assemblées, avaient découragé les plus fermes. Ils n’écoutaient plus la voix des rares prédicateurs du Désert, et se prêtaient aux exigences de l’Église romaine. Ils faisaient ainsi courir un danger grave à la Réforme.

Clarion s’élève avec force contre eux dans sa lettre pastorale. Sans doute, il reconnaît la légitimité des mariages bénis par les prêtres et il comprendrait que l’on réclamât leur ministère si l’on ne pouvait faire autrement. Ce qui l’indigne, ce sont les conditions qu’ils exigent: la présence à la messe, la confession, «crimes énormes qu’il faut commettre infailliblement pour obtenir la bénédiction,» et la lâcheté dont se rendent coupables ceux qui reconnaissent ainsi pour légitimes ministres les ministres de l’Antéchrist.

«Vous ne sauriez éviter d’être reniés éternellement par Jésus devant ses anges,» leur dit-il avec sévérité, «pour avoir eu la lâcheté de le renier si malheureusement et si scandaleusement devant les hommes.»


Trois jours après, il revint à la charge dans une seconde lettre. Ce qui lui en donna lieu, ce fut le refroidissement de plusieurs à l’égard des saintes assemblées, sous le prétexte qu’on avait fait récemment un grand nombre de prisonniers qu’on n’avait relâchés que moyennant une forte rançon. Les profanes et les mondains ne savaient pas y reconnaître une épreuve pour la foi. Aussi Clarion écrivait:

«J’ai cru, mes très chers frères, que je ne devais pas plaindre ma peine pour vous exhorter encore à faire votre devoir à cet égard aussi bien qu’à l’autre, mais que je devais vous exhorter et inciter, aussi puissamment que j’en suis capable, à ne délaisser point nos mutuelles assemblées, quoi qu’il vous puisse arriver, et à ne pas faire comme certains profanes qui se rebutent d’abord et ne se contentent pas de les délaisser, mais font tout ce qu’ils peuvent pour obliger les autres à faire de même

Puis il leur montre, par des preuves tirées de l’Écriture, qu’ils ne doivent point «se relâcher d’un si saint et d’un si juste devoir.»

Un reproche que les catholiques ne manquaient pas d’adresser aux prédicateurs du Désert, c’était qu’ils n’avaient pas de mission régulière. Clarion relève avec force la légitimité de leur mission.

«Moquez-vous,» disait-il à ses lecteurs, «de ce que vos ennemis ont accoutumé de dire que ceux qui prêchent dans vos assemblées ne sont pas de vrais ministres. Je n’en connais point qui aient une vocation ni plus céleste, ni plus divine, ni plus légitime par conséquent, dans un cas de nécessité comme celui où vous vous trouvez... Je puis vous assurer que je ne connais guère de personnes qui soient plus propres à ce saint emploi que ceux qui s’y emploient maintenant parmi vous et que Dieu a revêtus d’un si grand zèle et d’un si grand courage.

À vous dire la vérité, je leur porte bien de l’envie et je m’estime infiniment au-dessous d'eux, parce que je vois que Dieu leur fait infiniment plus d’honneur qu’à moi et qu’à tous les autres ministres. Il ne nous appelle pas, comme eux, aux plus hauts emplois et là où il y a le plus de périls, parce qu’il connaît sans doute notre faiblesse et notre lâcheté.»

Bien loin que leur manque d’instruction doive engager les fidèles à refuser de les entendre, leurs chaleureux appels à la repentance et à la foi sont une marque certaine de leur vocation et de la présence du Saint-Esprit dans leur cœur, comme ce fut le cas pour les témoins de l’Église primitive.

Encouragé par l’approbation de cet homme de Dieu, Papus reprit son œuvre avec un nouveau courage. Il communiquait son zèle à tous ceux qu’il rencontrait, et ses lettres, pleines d’onction, allaient réchauffer la foi dans les cœurs.

À la fin d’octobre, il reçut, à Nîmes, une lettre d’un soldat de l’armée de Catalogne, dont la compagnie était cantonnée à Pierrelatte, dans le Dauphiné. Rien de plus touchant que l’affection qu’elle respire.

«Je bénis Dieu de tout mon cœur,» lui disait cet ami, «de ce qu’il vous a conservé si heureusement jusqu’à présent et de ce qu'il vous fait subsister, malgré tous les efforts de vos ennemis... Cependant, comme il vous peut arriver quelque accident, il faut, toujours que votre prudence soit jointe à votre zèle, afin que l’une et l’autre contribuent puissamment à avancer l’œuvre du Seigneur. Ne négligez pas ensuite les moyens que la Providence vous fournit pour vous retirer en cas de nécessité, car il ne faut pas s’exposer témérairement.» Mais en même temps, il l’encourage dans sa mission sainte: «Glorifiez Dieu et soutenez les intérêts de Christ; exhortez les fidèles à abandonner tout, avant de faire le moindre outrage à leur religion.»


Papus avait fait à Montpellier la connaissance de plusieurs personnes pieuses, entre autres d’une jeune fille de vingt et un ans, Suzanne Baillet, nouvelle convertie, mais qui ne croyait pas à la religion catholique, comme elle dira plus tard à ses juges. Les lettres qu’ils échangèrent feraient croire que des sentiments plus vifs encore que ceux de l’amitié avaient germé dans leurs coeurs. Il lui écrivait de Nîmes, le 26 octobre:

«Il est bien juste, ma chère demoiselle, qu’après avoir reçu de si grands bienfaits de vous, je prenne toutes les peines imaginables pour vous donner quelque témoignage de ma reconnaissance.»

Elle lui répondait, le 2 novembre:

«Je me repasse, tout le moment du jour, vos aimables conversations, de quoi je fais toute ma joie. Il me tarde beaucoup d’en pouvoir profiter une seconde fois.»

Puis elle le priait de faire ses compliments à Henri Pourtal, le compagnon de Claude Brousson, et se signait: «Votre plus affectionnée et bonne amie, Baillette.» Hélas! le malheur des temps interrompit bientôt leur correspondance. C’est à cette jeune fille, sans doute, que Papus adressa plus tard, de sa prison, ces lignes touchantes qui ne parvinrent pas à leur adresse:

«J’ai reçu la vôtre, ma chère sœur en Christ. La joie n’a pas été petite; mais vous avez arraché des larmes de mes yeux et des soupirs de mon cœur: ce que mes juges, avec toutes leurs menaces, n’ont pas su faire.»

Papus, toujours plein d’ardeur, se dépensait pour son Maître. Il recevait partout des encouragements dont il bénissait le Seigneur.

«Nous avons eu un redoublement de joie,» lui écrivaient deux sœurs de Nîmes, «en apprenant que vous avez trouvé de l’occupation autant que vous en pouvez souhaiter. Je voudrais, de toute mon âme, que vous en eussiez autant dans votre pays.»

D’autre part, ses parents, toujours anxieux, revenaient à la charge pour qu’il les rejoignît sur une terre de liberté. L’humble et fidèle témoin de la vérité leur exposa une fois de plus les raisons qui le déterminaient à rester en France, dans une lettre touchante qu’il leur fit parvenir par l’intermédiaire de Clarion. Celui-ci, qui la fit lire autour de lui, avant de l’envoyer en Danemark, en parlait en ces termes à Papus:

«Je ne saurais vous exprimer la satisfaction que j’en ai reçue et tous ceux à qui j’ai fait le plaisir de la faire voir. Je puis vous assurer que je n'ai rien vu encore de plus touchant ni de mieux composé, et il paraît manifestement que ce n’est pas vous qui parlez, mais que c’est l’Esprit de Dieu qui parle proprement par votre bouche. Il a conduit votre cœur et votre plume pour vous faire dire à M. votre père ce que vous aviez à lui répondre, de la manière la plus divine et la plus forte qui se puisse imaginer.»


III


Le 24 décembre 1694, veille de Noël, Papus se rendit à Montpellier. Il venait se joindre aux réformés de la ville, pour célébrer avec eux l’anniversaire de la naissance du Sauveur. Le lendemain, de nombreux auditeurs écoutèrent, à trois reprises, la prédication de l’Évangile et la table sainte réunit beaucoup de communiants. Le zèle se réveillait; tous accouraient à la prière et se groupaient avec bonheur autour de Papus et de quelques autres serviteurs de Dieu. Malheureusement, la division se mit dans les rangs des protestants. Le prétexte en fut bien étrange: les anciens avaient oublié de convoquer aux assemblées un certain nombre de personnes. Celles-ci s’en formalisèrent et, de là, des mécontentements et des ruptures. Papus en souffrit beaucoup. Il s’efforça de calmer les esprits et de ramener la paix dans l’Église, et cette dernière période de son ministère fut la plus active et la plus utile.

Papus avait fixé le jour de son départ au 17 janvier 1695. Il avait déjà fait ses préparatifs et ses adieux, lorsqu’il se mit à tomber, vers les huit heures du matin, une neige tellement épaisse que les chemins en furent bientôt obstrués. Papus se décida à rester: c’est ce qui le perdit!

Ses ennemis étaient à l’œuvre, et de sombres pressentiments ne tardèrent pas à l’agiter. Dans la nuit qui précéda son arrestation, celle du 6 au 7 février, il fit un songe qu’à son réveil il se hâta de raconter à l’un de ses amis. Il lui semblait qu’il était dans une barque, au milieu d’une effroyable tempête. En vain, il voyait son père monté sur un vaisseau, et s’efforçant de le recueillir à bord. En vain il lui criait: «Secourez-moi, mon père, secourez-moi, je vais me noyer.» Le vaisseau ne pouvait aborder la barque; mais une grosse vague la jeta sur le rivage et sauva Papus du naufrage.

Le jeune confesseur de Jésus-Christ comprit qu’il aurait bientôt à subir de rudes épreuves, que son père serait impuissant à le secourir et que Dieu seul le ferait triompher du monde et de Satan. Le soir de ce même jour, vers les sept heures, Papus était arrêté.

«Il y avait quelques jours,» dit une relation du temps, «qu’une certaine femme, nommée Martelle, le priait d’aller voir sa cousine Pauque qui était malade, afin qu’elle eût la consolation d’entendre une de ses prières. Il avait différé quelque temps d’y aller, parce qu’il avait appris le commerce malséant que ces femmes menaient depuis longtemps. Mais, enfin, ce qui le persuada à s'acheminer vers cette maison, ce fut l’espérance que cette Martelle lui donnait de la conversion de cette famille débauchée. Il ne fut pas plus tôt arrivé qu’il commença à prier Dieu pour la convalescence de la malade et pour le salut de ses enfants.

Jeanne Pauque, qui est la plus jeune, n’attendit pas que la prière fût terminée. Elle se leva, descendit dans la cour, et remonta après, pour dire qu’il y avait des archers en bas pour prendre quelqu’un. La Rouvière ne laissa pas que de faire sa prière et, voulant sortir, Françoise Pauque, qui est l’aînée, le fit passer par la porte où les archers étaient apostés pour le prendre.»


Ces misérables, d’accord avec une certaine Esperandieu à qui l’on avait promis de mettre en liberté son père détenu pour crimes, au château de Pierre-Encise, près de Lyon, avaient livré le pasteur pour toucher la gratification de cent écus promise par Bâville.

Les soldats conduisirent Papus dans les prisons du palais. Les lettres trouvées sur lui, et dont nous avons donné la substance, renfermaient des particularités compromettantes. Cela suffisait pour que son procès fût conduit avec promptitude. Le lendemain on le transféra, avant le jour, du palais à la citadelle. On lui mit les fers aux pieds, et on le garda à vue comme un malfaiteur.

La nouvelle de son arrestation fut bientôt connue de toute la ville. Les protestants en furent consternés; il s’en trouvait peu qui n’eussent donné, pour le sauver, une partie de leur sang. On intercéda pour lui; on fit agir en sa faveur des personnes en vue. Démarches et placets, tout fut inutile. Il fallait qu’un homme, dont le seul crime était d’avoir prié Dieu et consolé ses frères, malgré les édits du roi, fût puni de mort.

Il est vrai qu’on chercha à donner le change à l’opinion publique et à justifier l’épithète de meurtriers dont Bâville, dans le fameux placard cité plus haut, gratifiait Brousson et ses collègues. On accusa Papus d’avoir contribué au meurtre d’un ministre apostat, Bagars, qui, devenu consul de Lasalle, son lieu de naissance, s’était fait le délateur de ses anciens frères, et l’on cita cinq témoins de Saint-Hippolyte pour déposer contre lui. Trois affirmèrent qu’ils ne le connaissaient point; on les retint en prison, tandis que les deux autres, plus habiles, ne reculèrent pas devant un faux témoignage pour conserver leur liberté.

Le 8 mars, le présidial de la ville se rendit à la citadelle pour procéder contre Papus et lui faire subir un dernier interrogatoire. Il reconnut sans difficulté qu’il faisait profession de la religion réformée et qu’il avait fréquenté les assemblées du Désert, qu’il avait accompagné Vivens jusqu'à sa mort et qu’à Montpellier, où il se faisait passer pour un étudiant en médecine, il avait logé chez la veuve Canonge.

Où logiez-vous auparavant? lui demanda le juge.

J’ai été, répondit-il, en plusieurs lieux que je ne connais pas, avec La Jeunesse, prédicant, et un nommé La Verdure. J’ai logé à Nîmes, au Luxembourg, et nous logions quelquefois chez des gens dont je ne sais pas le nom.

N'avez-vous pas été aux assemblées?

J’ai été aux assemblées de La Jeunesse. La dernière a été tenue dans les Cévennes, dans un bois dont je ne sais pas le nom.

Combien y a-t-il que vous avez quitté La Jeunesse?

Il y a un an.

Comment avez-vous subsisté depuis ce temps-là?

J’avais quelque argent et je l’ai ménagé tant que j’ai pu.


Les juges insistèrent sur la participation de Papus au meurtre de Bagars. Ils prétendaient que c’était lui-même qui, après la mort du ministre apostat, en avait informé Vivens. Mais il protesta énergiquement de son innocence.

Ne saviez-vous pas que l’on devait assassiner Bagars? lui demanda le juge.

Je le savais, mais je ne pouvais l’empêcher.

Vous deviez quitter Vivens puisqu’il faisait commettre des assassinats?

Vivens nous faisait voir par l’Écriture sainte qu’on peut assassiner. Il nous citait des passages comme ceux-ci: Il faut ôter les méchants du milieu de vous et II faut que les méchants soient retranchés d’entre vous. Ces paroles signifiaient, d’après lui, qu’il fallait les exterminer. Il nous disait aussi que si un loup venait pour dévorer le troupeau, il fallait tuer le loup.


L’issue de son procès ne pouvait être douteuse. Remisse, le procureur du roi, requit contre lui la peine capitale. Dûment atteint et convaincu, selon les termes de l’arrêt, du crime d’assassinat commis en la personne du sieur de Bagars, consul de Lasalle, et d’avoir fait la fonction de prédicant, il fut condamné à être rompu vif, sur un échafaud dressé sur la place de l’Esplanade.

L’arrêt portait encore qu’il serait mis sur une roue, la face tournée vers le ciel, pour y finir ses jours, et que son corps serait porté aux fourches patibulaires du chemin de Castelnau, pour y être exposé et servir d’exemple aux passants. Toutefois, comme on le verra plus loin, cette partie de la sentence ne fut pas exécutée. Elle portait, en outre, qu'il serait, au préalable, appliqué à la question ordinaire et extraordinaire. Il subit les plus affreuses tortures sans proférer une plainte et sans dénoncer aucun de ses frères.

L’heure étant venue de mourir, il marcha au supplice avec le plus intrépide courage. Ni les soldats qui entouraient l’échafaud, ni la vue du bourreau ne purent l’émouvoir ni ébranler sa foi. Ses regards et son cœur étaient tournés vers le ciel. Tantôt il chantait un psaume, tantôt il s’interrompait pour répéter ces paroles: «Mon Dieu, mon Sauveur, accomplis ta vertu dans ma grande faiblesse, afin que j’achève heureusement ma course!»

On avait suspendu à son cou un écriteau sur lequel on lisait: «Assassin et perturbateur du repos public.» Dès qu’il le vit, il s’écria:

«Seigneur, j’avoue que je suis un grand pécheur et, par conséquent, indigne de l’honneur que tu me fais de m’appeler aujourd’hui à souffrir pour ton saint nom; mais je puis dire hardiment devant ton trône de grâce, où je comparaîtrai bientôt, que je suis innocent du meurtre dont on m’accuse. Tu le sais, mon Dieu, si jamais j’ai trempé mes mains dans le sang de mon prochain. Aussi, ce n’est qu’à toi seul que je veux exposer la droiture de ma cause; les hommes ne sont remplis que d’injustice et de malice, qu’ils exercent tous les jours contre tes enfants. Seigneur, abats leur orgueil, dissipe leurs desseins, protège l’innocence affligée et fais que la calomnie ne prévale jamais contre elle.»


Arrivé au pied de l’échafaud, le jeune confesseur fléchit les genoux, et, dans une prière fervente, il demanda à Dieu le pardon de tous ses péchés pour l’amour de Jésus et la grâce de pouvoir supporter avec constance les douleurs du martyre.

Quelques-uns crurent qu’il faisait des aveux pour éviter la mort; mais, quand on le vit monter sur l’échafaud d’un pas allègre et d’un air serein, on comprit bien qu’il mourait en véritable martyr de Jésus-Christ.

En vain l’abbé Fraisse, prêtre de l’église de Saint-Pierre, s’efforçait, par ses exhortations, de le ramener dans le giron de l’Église romaine. Papus repoussa avec indignation toutes ses instances, et refusa de racheter sa vie par une abjuration. Ses dernières paroles furent celles que saint Paul, à la veille de subir le martyre, écrivait de Rome à son disciple Timothée:

«J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. Au reste, la couronne de justice m’est réservée, et le Seigneur, juste juge, me la rendra, et non seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui auront aimé son apparition glorieuse.»

Avant de lui briser les membres, le bourreau l’étrangla, comme il en avait reçu l’ordre. Son cadavre fut ensuite jeté dans le fossé de la citadelle; mais des mains pieuses vinrent l’enlever, à la faveur de la nuit, et lui donner une sépulture honorable.


IV


Il semble qu’une telle fin eût dû raviver dans les cœurs la flamme sainte de la foi et de la vie chrétienne. Il n’en fut rien cependant.

«Cet exemple d’un jeune homme qui aima mieux souffrir la mort plutôt que d’être rebelle à son Dieu,» ajoute la relation déjà citée, «devrait au moins exciter l’amour divin dans l’âme de tous ceux qu’il avait consolés avec tant de charité, et disposer les jeunes et les vieux à souffrir le martyre, quand Dieu voudra les y appeler.

Mais, ô douleur qui fait gémir tant de bonnes âmes, depuis longtemps il n’y a personne qui soit touché de la froissure de Joseph. Au contraire, tout dégénère en infidélité et en hypocrisie.

Les jeunes suivent le monde avec ses divertissements criminels, et les autres courent après les richesses et les honneurs de ce siècle. Misérable nation! Dieu est déjà las de vous supporter, et il s’en va verser sur vos têtes criminelles les fioles de sa colère et de son indignation

Il y a, sans doute, de l’exagération dans ces reproches. Quoi qu’il en soit, la mort héroïque de Papus fut pour ses collègues comme un encouragement à se consacrer, avec plus de zèle encore, au service des Églises sous la croix.


Claude Brousson, en apprenant la fin prématurée de son jeune ami, laissa déborder, dans une lettre au frère qui lui annonça cette douloureuse nouvelle, les sentiments que lui inspirait cette glorieuse mort. Il commençait par défendre la mémoire de son ami de tout reproche de rébellion, et l’on reconnaît l’habile et généreux avocat des Églises, l’auteur du fameux projet de 1683, qui poussait à la résistance, dans les lignes suivantes:

«Les juges iniques qui l’ont condamné à un supplice barbare s’imaginent qu’ils en ont eu légitime prétexte, à cause que feu notre frère Vivens et ceux qui l’accompagnaient défendaient leur propre vie contre ceux qui voulaient les massacrer. Mais cela ne les excuse ni devant Dieu, ni devant les hommes. Ce sont eux qui ont violé les traités de pacification; ce sont eux qui attaquent et oppriment des innocents et qui courent sur eux, à main armée, lorsqu’ils ne font autre chose que de prier Dieu.

IL N’Y A POINTS D’AUTORITÉ PLUS SACRÉE DANS LE MONDE QUE CELLE DES PÈRES SUR LEURS ENFANTS. Cependant, si un père était assez dénaturé que d’envoyer des scélérats pour massacrer ses enfants, personne ne trouverait étrange que ses enfants défendissent leur propre vie contre ces scélérats qui se seraient chargés d’un ordre si barbare et si inhumain.»

«Il est pourtant mieux que nous souffrions comme des agneaux,» ajoute le doux apôtre; «mais il est toujours vrai que nos ennemis comblent, de plus en plus, la mesure de leurs péchés.»

Puis sa pensée s’arrête, avec admiration, sur l’inébranlable constance et la fin sereine du martyr:

«Comme toutes choses tournent ensemble en bien à ceux qui craignent Dieu et que Dieu tire la lumière des ténèbres, il a fait éclater sa miséricorde, la vertu de son Esprit et sa profonde sagesse, dans la mort de notre cher frère. Il l’a mis dans le creuset de l’affliction, mais il n’a pas permis qu’il y ait été consumé; au contraire, il l’a épuré et a rendu sa foi plus vive et plus brillante. Avec la tentation il lui en a donné une issue glorieuse. Il l’a fait entrer dans le bon combat, mais il l’a rendu victorieux. Sa foi a été la victoire du monde.

Il a même été plus que vainqueur, par Jésus-Christ qui l’a aimé.

Il a éclaté en chants de triomphe au milieu de son angoisse et il a senti les forces et les consolations de l’Esprit de Dieu, qui lui ont fait perdre le sentiment de l’amertume de la mort.

Ah! qu’il est heureux, mon cher frère! Puisqu’il devait mourir un jour et qu’il ne pouvait pas même prolonger sa vie au-delà du terme que Dieu lui avait marqué, sa fin pouvait-elle être plus heureuse et plus glorieuse?

Sa constance et sa débonnaireté, sa patience, son humilité, sa foi, son espérance et sa piété ont édifié et ses juges et les faux pasteurs qui le voulaient séduire, et le bourreau même, et les gens de guerre qui assistaient à son martyre, pour faire exécuter sa condamnation, et tout le peuple, tant infidèle que fidèle.

Ne voit-on pas, en tout cela, qu’il était animé de l’Esprit du Seigneur de gloire qui, dans sa condamnation même et dans sa mort, contraignit son juge et ceux qui le firent mourir de reconnaître son innocence?

Il ne pouvait jamais mieux prêcher qu’il l’a fait dans son martyre et je ne doute pas que sa mort ne produise un très grand fruit. LE SANG DES MARTYRS A TOUJOURS ÉTÉ LA SEMENCE DE L’ÉGLISE, et il faut espérer que celui de ce fidèle serviteur de Dieu, et de tous les autres qui ont déjà souffert la mort pour rendre témoignage à la vérité, sera une semence fertile dans l’Église de Dieu.»

Qu’ajouter à ces belles paroles? Il était digne d’apprécier le ministère de Papus, celui qui offre le type le plus accompli du pasteur du Désert et qui devait, peu de temps après, cueillir à son tour les palmes du martyre. Imitons la foi de ces vaillants serviteurs de Dieu, en voyant l’issue de leur vie.




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