Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LETTRE DES RÉFORMÉS CAPTIFS EN FRANCE

AUX MINISTRES RÉFUGIÉS À L'ÉTRANGER.

1686.

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Nous avons reçu de M. de Ganzenbach, et par les soins de M. Bungener, l’intéressante communication qui va suivre. Elle est tirée des manuscrits de Berne dits Frankreich-Bücher, t. II, anno 1537-1714, pages 549-560, et a pour titre: Correspondance de plusieurs réfugiés avec les réformés prisonniers en France.

«La personne à laquelle cette lettre a été adressée, est-il dit dans une note que nous traduisons de l’allemand, n’est pas connue. On ignore de même si elle a été imprimée ou répandue seulement par des copies.

Déjà le 17 décembre 1683, par conséquent longtemps avant la révocation de l’Édit de Nantes, Berne avait résolu d’ouvrir son pays à 56 réfugiés qui se trouvaient à Genève (Livre des missives allemandes, n° XXVII, fol. 459.) À ce sujet on écrivit ce qui suit à Genève:

«Nous pensons, chers voisins et fidèles confédérés, que vous pourriez en garder six dans votre ville et qu’il serait bon d’en choisir des différentes provinces, afin qu’ils puissent vous tenir au courant de ceux qui désireraient également trouver asyle chez vous. Nous avons l’intention de recueillir aussi six des plus anciens d’entre eux dans notre capitale et de répartir les autres dans diverses localités de notre territoire; de sorte qu’il y en aurait 12 à

Lausanne, 8 à Morges (?) et ses environs; 2 à.... ; 2 à Rolle, Vevey (?), 8 à Iverdun, 6 autour de Petterlingen, 8 aux environs de Milden, 2 à L., 2 à, etc.» (D’après l'Evangel. Abschid, Bade. Johanni 1685.)»

«Reçu de Berne subsides de la collecte évangélique.

M. Bermond, ministre. M. Chion, ministre.

Laurent, ministre. M. Mouton, ministre.

Rebout, ministre en condition.

Fayson, ministre en condition.

De la Serre, proposant en condition.

La lettre ci-après aurait-elle été adressée à quelqu’un de ces personnages?»


Voici le document dont il s’agit. (en français de l'époque)

Lettre écrite à un François réfugié en Suisse, auquel on a adressé celle que les réformez captifs en France écrivent aux ministres réfugiez.

Dans l’impuissance où nous sommes, Monsieur, de pouvoir faire imprimer la lettre que nous vous adressons, ny même d’en faire plusieurs copies sans beaucoup de danger, on a cru qu’on ne pouvait mieux faire que de l’envoyer à quelque personne qui fût hors du royaume, et à une personne qui eût autant de piété que de zèle pour la gloire de Dieu et pour le bien de son Église, que vous en avez.

Nous espérons que nous ne nous serons pas trompez dans le choix que nous avons fait de vous, et nous vous conjurons, au nom de Dieu, de communiquer cette lettre à autant de ministres que vous pourrez, et d’en envoyer des copies en Angleterre, en Hollande, en Allemagne et en Suisse.

Comme il nous a fallu servir du copiste que nous avons pu trouver, il faut que vous vous donniez la peine de faire faire une copie exacte et correcte avant de la faire imprimer, ce que nous vous conjurons de faire au plutôt de la part du Dieu vivant et pour l’intérêt de vos chers frères qui sont dans le plus pitoyable état qu’on puisse l’imaginer et qui vous demandent cette grâce, la larme à l’œil. Si nous pouvons disposer de notre copiste, nous envoyerons une autre copie à quelque autre de nos amis, afin que l’une ou l’autre vous soit rendue. À Dieu, Monsieur, ne nous oubliez pas dans vos prières.

Lettre des réformez captifs en France aux ministres réfugiez en Angleterre, en Hollande, en Allemagne et en Suisse et autres lieux. Du 29 mars 1686.

Messieurs et très honorez Pères, nous vous sommes infiniment obligez de la grâce que vous nous avez faite de nous écrire plusieurs lettres pour nous consoler dans nos afflictions; nous pouvons vous assurer que, parmy ce torrent d’afflictions, de persécutions et de misères qui nous accablent de tous costez, ce nous est une grande consolation de voir que nos chers pasteurs se souviennent encore de nous, qu’ils prennent part à nos maux et qu’ils essayent de verser du baume sur nos playes.

Mais, nos très chers pères, est-ce là tout ce que vous pouvez faire pour vos pauvres enfans!

Nous avez-vous abandonnez pour jamais!

Vos entrailles ne s’émeuvent-elles pas lorsque vous pensez au pitoyable état où vous nous avez laissez, dans lequel nous n’avons ny signes, ny prophéties, ny personne qui nous dise jusques quand? La charité et le devoir de vos charges ne vous obligeroient-ils pas à risquer tout pour venir consoler de vive voix et par de bons exemples tant de fidelles qui sont exposez à la plus dangereuse persécution qui ait jamais été.


Comment rendrez-vous conte, permettez-nous de vous le demander, nos très chers pères, comment rendrez-vous conte au souverain Juge du ciel et de la terre des troupeaux qui avoient été mis à votre conduite?

Le grand Dieu se contentera-t-il de la réponse que vous pouvez luy faire, que vous les avez abandonnez pour sauver vos vies auxquelles les persécuteurs en vouloient principalement.

Quoy! ne vous souviendrez-vous plus de cette maxime incontestable que Jésus-Christ enseigne à ses disciples et laquelle nous vous avons sy souvent ouï prescher, que les véritables pasteurs doivent donner leur vie pour leurs brebis, et n’apréhendez-vous pas les terribles menaces que Dieu fait à ceux qui auront fait lâchement son œuvre!

Je suis vivant, dit le Seigneur l’Éternel, si je ne fais justice de ce que mes brebis ont été exposées en moy et de ce que mes brebis ont été exposées en proye pour être dévorées de toutes les bêtes des champs à faute de pasteurs, et de ce que mes pasteurs n’ont point recherché mes brebis, mais que ces pasteurs se sont repeus eux-mêmes et n’ont point fait paître mes brebis; pourtant, vous pasteurs, écoutez la parole de l’Éternel: Ainsy a dit le Seigneur l’Éternel, voici j’en veux à ces pasteurs et redemanderai mes brebis de leurs mains. (Ez. 34: 10 et suiv.)

Ne nous dites pas, nos chers pères, que vos peuples étoient des ingrats, et que ce sont eux en partie qui vous ont chassez. Il est vrai que, parmi ce grand nombre de personnes qui composent l’Église extérieure de Dieu, il y avoit des hypocrites, des lâches, des temporiseurs, des gens vendus à péché; mais il est vrai aussi que, parmi cette quantité de paille, il y avoit du grain, et du bon grain, que vous ne deviez pas laisser perdre; il y avoit encore un grand nombre de fidelles qui n’ont pas pris la marque de la bête, ny en leur front, ny en leurs mains, qui n’ont pas fléchi les genoux devant Bahal, et que ny la faiblesse de leurs pasteurs, ny les tristes exemples qu’ils ont devant leurs yeux, ny toute la fureur de leurs persécuteurs ne pourroient jamais séparer de la profession pure et véritable de l’Évangile; il est constant qu’une grande partie de ceux qui ont succombé, ne l’auroient pas fait, et se seroient généreusement exposez à tout souffrir, si ceux qui leur doivent servir d’exemple leur en eussent montré le chemin; quelle raison alléguerez-vous donc pour justifier votre conduite?

Sera-ce le conseil que Jésus-Christ donne à ses disciples: Lorsqu’on vous persécutera en un endroit fuyez en l’autre? (Math. 10: 23)

Alléguerez-vous l’exemple de plusieurs saints, et même de saint Paul! Que ces excuses seroient faibles, nos très chers pères: il faut céder en quelque manière à la violence du torrent, et se mettre un peu à côté, pour ainsi dire, pour éviter la fureur, cela est vray, mais les véritables pasteurs de l’Évangile ne doivent jamais si fort s’éloigner de leurs brebis, qu’ils ne soient toujours prêts, et en état de donner du secours à celles qui en ont besoin, deut-il leur en coûter la vie.

C’est ainsy qu’en ont usé les bienheureux apôtres, et une infinité d’autres saints qui les ont suivis; ils ont évité la fureur de leurs ennemis, autant qu’ils l’ont peu faire, sans blesser leur conscience et le devoir de leurs charges; saint Paul s’est fait descendre dans une corbeille par-dessus les murailles de Damas; saint Polycarpe à la pressante sollicitation de ses amis s’est caché pendant trois jours dans une grange, et saint Cyprien s’éloigna pour un tems de Carthage, pour n’attirer pas sur cette Église le feu de la persécution; mais ny ceux-cy ny les autres, n’ont pas été se cacher aux extrémités de la terre, pour y rester comme des serviteurs inutiles, et enfouir le talent que Dieu leur avoit donné; ils n’ont jamais entièrement abandonné leurs troupeaux, et lorsqu’il a été nécessaire, ils se sont généreusement présentez au martyre et ont sélé de leur sang, la vérité qu’ils avoient prêchée.

Est-il possible que parmy un sy grand nombre de ministres qu’il y avoit en France, il ne se soit pas trouvé un autre Moïse, pour se mettre entre Dieu (justement irrité) et le peuple, et luy dire: Seigneur, pardonne à ce peuple-cy, ou efface-moy de ton livre de vie!

Est-il possible qu’il ne s’en soit pas trouvé un seul qui ait eu assez de fermeté et de zèle, pour nous servir d'exemple, et qu'il s’en soit trouvé plusieurs, qui ont été assez lâches, que de trahir Jésus-Christ d’une manière aussy infâme que le traître Judas!

Bon Dieu, qui l’aurait cru au simple commandement d’un homme, et d’un homme, qui pour parler dans les termes de l’Esprit de Dieu, n’est que poudre et qui malgré toute sa grandeur, retournera bientôt en poudre!

Tous nos pasteurs nous ont abandonnez à la rage du démon, sans qu’il s’en soit trouvé un seul, qui ait osé répondre aux puissances de la terre, qu’il valoit mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. (Actes 5: 29.)

Jugez vous-mêmes, nos très chers pères: que peuvent penser, et que doivent devenir de pauvres malheureux qui se voyent trahis par plusieurs de leurs conducteurs et abandonnez généralement de tous les autres; après de tels exemples faut-il s’étonner sy presque tout a ployé à la fureur des dragons et aux ruses des missionnaires?

Nous vous conjurons donc au nom de Dieu, mes très chers pères, de reprendre du zèle, et s’il vous reste quelque sentiment de piété et d’honneur, de ne nous laisser plus en proye aux pièges de Satan, et de venir pour tâcher de sauver le résidu de la maison d’Israël; ce n’est pas le tems de crier à plein gosier, il est vray, mais c’est le tems de demeurer cachez dans les déserts, dans les fentes des rochers et dans les bois, à l’exemple des premiers chrétiens et de nos bienheureux pères au tems de la Réformation.

Si Dieu vous veut appeller au martyre, vous aurez la douce consolation, de vous être fidèlement acquittez du devoir de vos charges, d’avoir imité Jésus-Christ et tant de saints martyrs qui ont été ses imitateurs, d’avoir édifié cette grande multitude de témoins qui vous environnent; d’avoir un grand nombre de fidelles, qui suivront votre exemple, et qui donneroient leur sang avec joye, pour être la semence de l’Église, et enfin d’avoir courageusement donné vos vies, pour retenir dans la France, l’arche de l’alliance, cette arche que vous avez malheureusement abandonnée à la fureur des Philistins, et que nous tâcherons d’y retenir, et conserver, quand il nous en devroit coûter la vie, comme il a déjà fait, à quelques-uns de nos frères, dont le sang crie, non-seulement vengeance devant Dieu, mais vous accuse de peu de fermeté et de zèle à la face des hommes et des anges.

Nous sommes persuadez que sy Dieu avoit voulu transporter son chandelier hors de ce royaume, il en auroit ouvert la porte et facilité la sortie à une infinité de bonnes âmes qui y sont restées; ainsi ne croyez pas, nos très chers pères, que nous suivions le conseil que vous nous donnez de vous suivre dans votre fuitte, nous ne le suivrons pas; on nous a démoli nos temples, nos pasteurs nous ont abandonnez, on nous a ôté nos biens, et la liberté à plusieurs: qu’importe?

Les bois et les forêts, les antres et les cavernes nous servent de temples, la sainte Parole de Dieu que nous avons entre nos mains, nous est un flambeau à nos pieds, et une lumière à nos sentiers; Dieu donne même au plus idiot d’entre nous, la langue de bien appris pour expliquer sa Parole; à la place des biens qu’on nous a ravis, nous possédons déjà la perle de grand prix, que nul ne peut nous ôter.

Au reste, nous ne doutons point de la charité que nos frères exercent à vos égards, et nous croyons aisément que vous trouvez beaucoup de douceur à pouvoir fréquenter publiquement et sans crainte les exercices de piété et chanter à haute voix les louanges de Dieu; mais que cette douceur est peu de chose, eu comparaison de la sainte joye, que nous ressentons, lorsque dans la nuit, à la clarté de mille flambeaux célestes, et pendant que toute la nature semble ensevelie sous des épaisses ténèbres, nous nous trouvons dans quelques bois, à nous entretenir de la sainte Parole de Dieu et entonner ses divins cantiques, et entendre de tous cotez, les échos répéter après nous les louanges de l’Éternel.

Notre joye est sy grande, qu’il nous semble que les anges se mêlent à nos divins concerts, ouye les anges, et ce n’est peut-être pas tout une chymère, comme on a voulu faire accroire. Plût à Dieu, nos très chers pères, que notre zèle eût été aussy ardent, lorsque nous pouvions ouïr la Parole de Dieu avec cette liberté dont vous nous parlez, nous aurions sans doute fléchy la colère de notre Dieu, il n’auroit pas versé sur nos pauvres Eglises les phioles de son indignation; que nous serions heureux sy nous avions nos chers pasteurs, nos chers pères dans nos saintes assemblées.

Revenez donc, nos chers pères, nous vous en conjurons par les entrailles de la miséricorde de Dieu; nous vous en conjurons par cette charité fraternelle qui nous unit les uns les autres; nous vous en conjurons enfin pour votre propre intérêt, car ne vous flattez point, nos chers pères, vous le savez mieux que nous, sy vous ne le faites, la délivrance ne manquera pourtant pas d’arriver à l’Église de Dieu, mais vous et la maison de vos pères périrez, car:

malheur sur les pasteurs, qui dissipent et détruisent le troupeau de ma pâture, dit l’Éternel; c’est pourquoy ainsy, a dit l’Éternel, le Dieu d’Israël, touchant les pasteurs qui paissent mon peuple, vous avez dissipé mes brebis, et les avez déchassées, et ne les avez point visitées. Voicy, je m’en vay visiter sur vous la malice de vos actes, dit l’Éternel, et je rassembleray le reste de mes brebis de tous les pays ausquels je les aurays déchassez et les feray retourner à leurs parcs, et elles fructifieront et multiplieront; j’établirai aussy sur elles des pasteurs, qui les paîtront, tellement qu’ilz n’auront plus de crainte et ne s’épouvanteront point, et il n’en manquera pas, dit l’Éternel. (Jér. 23: 1 et suiv.)

Nous espérons choses meilleures de la part de vous, nos très chers pères, et nous finissons ici, car vous savez incomparablement mieux que nous tout ce qui se pourroit dire sur cette matière; nous vous demandons pardon si la douleur où nous sommes, nous a peut-être fait sortir du profond respect que nous devons à nos chers pasteurs, quoyque la plupart semble avoir renoncé à ce droit en le disant dans leurs écrits: un tel cy-devant ministre d’une telle Église, comme s’ils ne l’étaient plus.

Avant que de finir nous vous conjurons encore une fois au nom de Dieu qui vous a honorez du saint ministère, de ne plus déshonorer cette sainte charge, par une retraite honteuse, d’avoir pitié de tant de pauvres âmes faibles et chancelantes qui sont sur le bord du précipice et qui y tomberont infailliblement, s’il ne vient quelqu’un qui leur tende la main et leur montre par son exemple le chemin de martyre.

D’avoir pitié de tant de pauvres enfants, que ny les promesses flatteuses des missionnaires, ny les menaces forcenées de leurs lâches pères, ny la furreur des soldats ne sauroient contraindre d’aller à la messe, enfin d’avoir pitié de tant pauvres malheureux qui ont renié Jésus-Christ de bouche, qui recognoissent la faute qu’ils ont faite, qui en sont au désespoir, qui n’osent presque pas se présenter devant Dieu, pour luy demander pardon d’un crime qu’ils croyent irrémissible et dans ce monde et dans l’autre, et qui sont dans un état de mort et de damnation, à faute de quelqu’un qui leur fasse connoître les proffondeurs de la miséricorde de Dieu, et qui leur inspire une forte résolution de se retirer au plutôt de cette abysme de misère, et de s’exposer généreusement à tout ce que la rage de leurs ennemis, et du démon leur pourra faire souffrir.

Continuez à prier pour nous, nos très chers pères, et nous prierons pour vous. Qui sait enfin sy le grand Dieu ne se laissera pas enfin toucher à nos larmes, à nos soupirs et à nos prières, et s’il n'abrégera pas le jour de la tentation!

À ce grand Dieu Père, Fils et Saint-Esprit soit honneur et gloire aux siècles des siècles. Amen.




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