Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA ROUTE PERDUE

Anecdote française

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Par C. Malan, Docteur en Théologie et Ministre de la Parole de Dieu.


«II y a telle voie, dit Dieu, qui semble droite à l'homme, mais dont l'issue est le chemin de la mort:» (Prov. XVI, 25), et il en est ainsi quant au sentier du ciel.

Plusieurs routes, il est vrai, sont indiquées, par ceux qu'on nomme sages; mais les uns vous disent: Passez ici, à droite; tandis que les autres, vous crient: Non, mais prenez la gauche; et le pauvre voyageur, qui s'imagine arriver, sans doute, mais qui ne connaît ni l’une, ni l'autre de ces routes, choisit celle qui lui paraît la meilleure, et le plus souvent, hélas! il s'égare et se perd. Oh! qu'il nous importe donc d'avoir un guide sûr quand il n'y a qu'un sentier qui soit bon; quand tout autre chemin nous engage au milieu des marais ou des précipices!

Telles étaient mes pensées dans une promenade que je faisais au pied d'une montagne, et du côté d'une éminence découverte que j'avais aperçue au-delà d'un bois, et où je désirais parvenir, pour y jouir de la vue de la contrée, qui était aussi riche que pittoresque.

J'étais d'abord entré dans un chemin battu, qui descendait vers un ruisseau, et qu'un laboureur m'avait indiqué. Mais de l'autre côté du petit pont qui traversait l'eau, ce chemin s'était divisé, comme les rayons d'une roue, en quatre ou cinq sentiers, dont l'un s'élevait, l'autre descendait, et d'autres s'enfonçaient dans une bruyère ou dans le bois.

Point de guide, point de poteau, point d'indices; pas même un petit berger, un enfant, qui puisse répondre à ma voix par un signe de sa main. Je n'entends que le murmure du ruisseau, que le doux ramage des oiseaux sous la ramée; mais leurs bruits et leurs chants, si agréables au voyageur qui.se repose, n'apprenaient rien au voyageur incertain, et mon œil se fixait en vain sur les sentiers, dont aucun ne me disait: Choisis-moi.

Il me fallut donc choisir moi-même; et pensant que le sentier qui montait devait conduire au sommet de la colline, j'y entrai, et je le gravis avec vigueur.

Mais bientôt me voilà de nouveau sans guide. Le sentier est entré dans des broussailles; il a tourné plusieurs fois parmi des rocs; il se perd et s'efface, enfin, dans une pelouse qu'entoure un taillis de toutes parts, et je ne sais plus même de quel côté je suis parvenu dans cette enceinte, où nulle issue, nul vestige de chemin ne se fait plus voir. Je suis égaré; et tout à fait, et je m'assieds sur un petit tertre de gazon, pour m'orienter et découvrir, si je puis, où se trouve ce sommet élevé que je cherche.

O lecteur! si vous étiez assez sage pour comprendre que ma position n'était qu'une faible image de celle de l'homme ici-bas!


Que fera l'homme ainsi égaré, ainsi perdu? Hélas! il restera perdu, jusqu'à ce que vienne la nuit, la nuit de la mort, au sein de laquelle il tombera dans l'affreux précipice d'une ruine éternelle, à moins qu'un guide ne lui soit donné, et qu'il ne l'écoute, et qu'il ne le suive.

Pour moi, j'en eus un, et il s'annonça, par le son d'abord éloigné, puis plus distinct, d'une clochette qui tintait au cou d'une chèvre que j'aperçus bientôt, au-dessous du taillis, sur une pente rapide, où la menait un vieillard, suivi d'un enfant.

J'appelai le pâtre, il leva la tête vers moi, et je lui fis signe de s'approcher.

Je me suis égaré, lui dis-je, en l'abordant, et je suis bien content, je vous assure, de votre arrivée. C'est au sommet du coteau que je désire aller; sur le plateau qui s'élève au-dessus du bois.

Ah! ce n'est pas ici le chemin, dit le vieillard, en reprenant haleine. Vous avez passé le ruisseau, je pense: eh bien! il vous fallait prendre le sentier qui descendait, et vous avez pris, au contraire, celui qui montait. Vous auriez dû vous en informer, ajouta-t-il avec sérieux, et comme pour me reprocher mon imprudence.

Sans doute, répondis-je humblement; mais je n'avais personne qui pût me le dire.

Ah! qui n'est pas conduit, bientôt périt; reprit-il d'un ton sentencieux. Mauvais chemin, mauvaise fin.

Je me tus. L'expression de visage et toute l'apparence du vieux berger m'intéressaient autant que ses graves paroles, et je me disais, secrètement: Connaît-il, lui, le bon et vrai chemin? Est-il conduit sur la terre, ou bien y marche-t-il comme un homme égaré, et à l'aventure?

O mon lecteur! n'est-ce pas pour vous, aussi, que je fais cette question? N'est-ce pas à votre âme que je vais m'adresser, en lui racontant toute mon entrevue avec ce respectable et prudent vieillard?

Nous, cheminions sur le même sentier que j'avais d'abord tenu. La chèvre que menait l'enfant nous précédait, et je suivais les pas de mon guide.

Vous êtes de loin, me dit-il. Votre accent n'est pas de ce pays-ci. Vous avez donc vu bien des villes et bien des peuples. Pour moi, je ne quittai jamais la montagne, et bientôt j'y dormirai, et pour longtemps.

Ce fut à demi-voix qu'il prononça ces derniers mots, après lesquels il frappa la terre de son bâton, comme pour dire: «C'est ici que sera ma couche.»

Alors j'ajoutai, en relevant ma voix: Puis viendra la résurrection, et nous paraîtrons tous devant le Seigneur Jésus, le juge des vivants et des morts.

Le vieillard se retourna en s'arrêtant. Il regarda fixement, et ses yeux s'animèrent; puis il me dit: Vous y croyez donc, puisque vous en parlez!

C'est toute mon espérance, lui dis-je, et ma plus chère attente.

Votre espérance! reprit-il, en se rapprochant de moi, et en appuyant ses deux mains sur son bâton. Votre plus chère attente! Espère-t-on et attend-on ce qu'on craint?

Vous craignez donc ce jour-là? lui dis-je avec sentiment.

Beaucoup! beaucoup! répondit-il, et depuis bien des ans.

Alors je compris dans mon cœur que c'était le Dieu des miséricordes et des consolations qui m'avait conduit vers le vieux pâtre, et que c'était pour que je lui montrasse un autre sentier que celui qu'il avait jusqu'alors tenu; et cette belle et douce parole du Livre de Dieu me sembla comme prononcée à mon oreille: «Je mettrai un chemin au désert, et des fleuves au lieu désolé.» (Ésaïe X, XLIII 19.)

Arrêtons-nous donc ici, lui dis-je, et parlons de ces choses. Ma promenade ne m'est rien; ce qui m'importe, c'est, si je le puis, de faire pour vous ce que vous venez de faire pour moi, je veux dire, de vous tirer d'un mauvais chemin, pour vous mener au bon.

Va donc le premier, dit-il à l'enfant, sans me répondre. Emmène la chèvre, et dis à Isabelle que je la lui vends de bon cœur, pour ce qu'elle m'en offre.

Maintenant parlons, dit-il en s'asseyant, et dites-moi comment on peut se réjouir d'une chose que tout le monde repousse. Vraiment, vous réjouissez-vous du jugement dernier?

Cher vieillard, répondis-je, l'héritier d'une fortune illustre s'afflige-t-il lorsque ses titres et ses biens lui sont remis?

Mais, reprit-il avec vivacité, celui qui craint l'échafaud, se réjouit-il du jour de sa sentence?

Le craignez-vous donc? demandai-je avec chaleur?

Hé! ne suis-je pas pécheur, dit-il solennellement, et en serrant ses deux mains jointes.

Réponse éloquente, qui montra combien ce vieillard était convaincu de ses péchés, et en même temps combien il redoutait cette loi juste et terrible de Dieu qui a dit, que le salaire du péché, c'est la malédiction, la mort éternelle! (Rom. VI, 23; Gen. II, 17; Gal. III, 10; Jacq. I, 15.)

Heureux est déjà l'homme qui se connaît ainsi lui-même, et qui croyant à la sainte loi du Seigneur, en craint la sentence! Mais, que cet homme-là ne s'arrête pas à cette crainte du châtiment. Non, qu'il ne se borne pas à croire cette loi qui punit! Qu'il croie aussi, et surtout à la grâce qui pardonne, à ce Sauveur qui est venu chercher ce qui était perdu, et qui apporte la paix à ceux qui sont dans l'angoisse! Heureux ceux qui pleurent, a-t-il dit, car ils seront consolés! (Matth. V, 4.)

Vous croyez donc, poursuivis-je, que le pécheur n'est pas agréable à Dieu.

Le vieillard. — Agréable! dites-vous. Ah! n'est-ce pas pour le péché que l'enfer existe? Dieu n'est-il pas saint, et juste aussi; et recevra-t-il dans son paradis l'homme qui n'a pas été lavé et nettoyé de ses fautes? Pour moi, je ne le crois pas.

L'étranger. — Ni moi non plus, je vous assure. Mais si notre Dieu est saint et juste, il est aussi charitable et plein de compassion, et il nous a donné le moyen d'être nettoyés et lavés de nos offenses.

Le vieillard. — Je le sais bien; oui, je le sais aussi; et cependant je suis loin, très loin, d'être tranquille; et si vous, monsieur, vous n'avez pas peur de mourir, moi, j'en ai frayeur, et chaque jour plus.

L'étranger. — L'un de nous donc à tort, n'est-ce pas? Car si votre frayeur est juste, ma tranquillité ne l'est sûrement pas. Lequel, donc, de vous, ou de moi, se trouve sur le mauvais chemin?

Le berger devint pensif. Son regard était fixé sur la terre, et ce fut comme en rêvant qu'il dit: Non, non, nul homme ne peut être ainsi tranquille; car tout homme a péché.

Et cependant, dis-je, au dernier jour, tous n'iront pas en enfer. Il y aura, en ce jour-là, les bénis du Père, qui recevront l'héritage qui leur était préparé?

Le vieillard. — C'est vrai; c'est vrai. Oui, il y aura des sauvés, des bénis, des élus. Rien n'est plus certain: Dieu l'a dit, et c'est aussi ce que je crois.

L'étranger. — Mais, je vous prie, ces bénis-là, lorsqu'ils étaient sur la terre, n'y étaient-ils pas aussi des pécheurs? Y a-t-il eu jamais un homme, même un seul homme, qui n'ait pas péché?

Le vieillard. Ce qui sort de l'impur est impur; et tout homme est comme un autre homme. Dieu seul est sans péché.

L'étranger. — Alors, donc, dites-moi par quelle route ces pauvres hommes qui étaient pécheurs lorsqu'ils étaient ici-bas, sont-ils arrivés au ciel, où le péché ne peut entrer?

***

Lecteurs! faites attention à ce qui va suivre; car c'est ici la question essentielle. Vous, aussi, vous êtes pécheurs ici-bas: par quelle route donc arriverez-vous à ce ciel de Dieu, où rien d'impur ni de souillé ne pénétrera jamais?

***

Ah! dit le vieillard, en soupirant, ils ont fait plus que moi. Ils étaient des Saints, et leurs œuvres furent méritoires; et moi, pauvre ignorant montagnard, je n'ai rien su et rien fait, et je ne puis aller où ils iront.

Vous n'avez donc pas encore trouvé leur sentier? lui dis-je, en entrant dans sa pensée, afin que je la connusse en entier.

J'ai cependant essayé de faire quelque chose, me répondit-il humblement et comme avec peine; et je vous le dirai, puisque vous avez la charité de vous intéresser à moi. Dans ma jeunesse, j'ai été, comme beaucoup d'autres, insouciant et dissipé, et alors je ne m'inquiétais guère de mon âme, ni de mon salut. Mais j'avais près de quarante ans, lorsque, dans un jour d'orage la foudre tomba sur mon frère, qui travaillait tout à côté de moi, dans la forêt; et cette mort terrible, non seulement me rendit malade, mais m'ôta tout repos dans mon âme. Ça été fini de ma paix: il y a bientôt trente ans que cela est arrivé, et jamais, jamais, je n'ai su ce que c'était qu'être tranquille; car je puis, aussi, tout comme mon pauvre frère, mourir soudain; et, alors, qu'en sera-t-il de moi? Où ira mon âme?

Non pas, je dois le dire, que j'aie été dès lors léger ou insouciant, comme auparavant. Ah! j'avais été trop effrayé, trop frappé dans mon esprit, pour que je ne pensasse pas à l'avenir, à la mort, et à ce qui doit la suivre. Je devins donc religieux et même dévot, je vous assure. Je le dis sans me vanter, et seulement pour vous raconter ma vie. Voilà plus de 25 ans que je ne me suis absenté d'aucun office de l'Église, si ce n'est quand j'étais malade, et que j'ai rempli, sans y manquer, tous les devoirs de la religion.... Et malgré cela, oui, quoique j'aie fait, tout ce que je pouvais faire, je ne suis jamais tranquille; et je suis loin, bien loin, de pouvoir, comme vous, penser en paix au jugement de Dieu. Non! je vous l'assuré, je ne voudrais pas mourir à présent.

En disant cela le vieux berger passait la main sur son front, comme quelqu'un d'inquiet, et l'accent de sa voix montrait combien son âme était agitée.

Je me dis alors, à moi-même: Quelle différence de sentiment entre cet homme et moi, qui suis cependant son frère! Né comme moi, il a traversé comme moi la même vie. Nous cheminons l'un et l'autre dans le même monde, vers un même sépulcre, du côté de la même éternité; et cependant quelles situations diverses que celles de nos âmes! Lui, qui n'est pas plus coupable que moi, et probablement moins, il est rempli de crainte, d'appréhension, de frayeur sur l'avenir; et moi, qui ne suis devant Dieu qu'un pauvre pécheur aussi, je suis en paix avec l'Éternel; et loin d'avoir peur de la mort, je vois en elle mon arrivée dans la maison paternelle, et le commencement d'un bonheur aussi glorieux que durable! — Oh! si Dieu, maintenant, lui envoyait aussi la bénédiction que je possède! Oh! si ce jour-ci était celui de la lumière de la vie pour ce cher vieillard, et que Jésus vînt le chercher sur la route perdue où il est errant, pour le conduire au bercail du bon Berger!

Tel fut mon vœu, et ma bouche s'ouvrit en disant: Et cependant, cher vieillard! c'est près, oui, tout près de vous, qu'est la route que vous cherchez depuis si longtemps. Ouvrez vos yeux et la connaissez; et possédez-y la même paix, la même joie où vous me voyez moi-même.

Le vieillard fixa sur moi un regard plein de tristesse, et me dit, avec l'expression du doute: Il y a trop longtemps que je la cherche, et j'ai trop fait, déjà, pour la trouver, pour que je m'imagine aujourd'hui qu'elle soit si près.

L'étranger. — J'étais bien près, n'est-ce pas, du bon sentier, lorsqu'après avoir passé le ruisseau, j'ai choisi celui qui montait, au lieu de prendre celui qui me semblait descendre au pied du mont? Comme aussi, plus j'ai marché dans le faux, sentier, plus j'ai dû m'égarer et perdre ma route. Si donc vous, cher vieillard, vous avez pris toute la peine que vous vous donnez depuis si longtemps sur un autre sentier que celui du ciel, direz-vous pour cela qu'il n'y ait pas d'autre chemin que celui que vous teniez, ou bien que ce bon sentier soit à une grande distance de vous, et comme dans une autre contrée?

Le vieillard, avec beaucoup de sérieux. — Vous pensez donc que peut-être je me suis trompé de route, et qu'ainsi plus j'ai marché, plus je me suis perdu?

L'étranger. — Dites-moi sur quelle route vous avez cheminé, et je vous dirai ce que j'en pense.

Le vieillard — Mais, monsieur, vous devez le savoir. Ç’a été sur celle de notre religion. D'abord je me suis confessé régulièrement, j'ai fait mes devoirs, à toutes les fêtes; je me suis fidèlement acquitté de mes pénitences, et je n'ai jamais oublié, autant du moins qu'il m'a été possible, les commandements de l'Église, quant aux jeûnes, aux oraisons, aux vœux et aux aumônes. Par exemple, j'avais promis à la Sainte Vierge que si elle me guérissait d'un mal qui m'inquiétait beaucoup, je donnerais la plus belle de mes chèvres aux pauvres; et c'est aujourd'hui que je la vends, pour en remettre le prix à monsieur le curé. Et je vous assure, en conscience, que je me prive, depuis bien des années, de plusieurs choses auxquelles j'étais habitué, afin de mortifier mes passions et mon corps. Que voudriez-vous que je fisse de plus?

L'étranger. — Ah! plût à Dieu, pauvre ami! que vous n'eussiez rien fait de tout cela! Oui, plût à Dieu, qu'au lieu de bâtir de vos mains tremblantes cette mauvaise muraille d'oeuvres mortes ou inutiles, vous eussiez cru à ce qu'a fait Dieu lui-même, et vous eussiez pris pour bâtir, les pierres qu'il nous donne!

L'étonnement du vieillard fut grand. Car cet homme était intelligent, autant que réfléchi; et ce ne fut pas sans surprise qu'il entendit condamner des œuvres sur lesquelles il avait fondé jusqu'alors toute sa confiance. Je venais de contredire, de blâmer, de rejeter ce qu'il avait estimé, depuis tant d'années et chaque jour, par-dessus toute chose; ce qui lui avait toujours paru saint et céleste. Mon opinion devait donc être à ses yeux un blasphème et la plus grossière impiété.

D'oeuvres mortes et inutiles! s'écria-t-il donc. Est-ce ainsi que vous appelez ce qu'il y a de plus sacré et de plus méritoire!... De quelle religion êtes-vous donc, monsieur, pour que vous traitiez ainsi la mienne, avec tant de mépris?

Ce n'est pas moi, non, ce n'est pas moi, répondis-je avec douceur, qui parle ainsi de tout ce travail que votre âme s'est imposé, et qui lui a profité si peu. Moi, cher vieillard! Je ne suis, comme vous, qu'un pécheur, aux yeux de Dieu: il ne m'appartient donc pas de juger, ni de condamner personne. Mais, si Dieu lui-même dit que tout ce que vous avez fait jusqu'à ce jour pour gagner votre salut, a été non seulement inutile, mais faux et mensonger, que devrez-vous en penser vous-même?

***

Ici, lecteur, veuillez réfléchir quelques moments, et rechercher dans votre cœur, si ce que Dieu dit vous est préférable à ce que vous pensez ou présumez vous-même, et si vous consentiriez à laisser même votre religion actuelle, si Dieu vous déclarait qu'elle n'est pas la vraie, et que vous avez vécu dans l'illusion ou dans l'erreur.

Si vous dites: Je suis né dans cette croyance et je veux y mourir, quoique ce soit que Dieu en dise, vous déshonorez Dieu, et vous placez votre opinion, et peut-être votre obstination, par-dessus la Sainte Écriture; ce qui est à la fois une folie et une impiété. — Mais si vous dites, au contraire: Mon désir, c'est de connaître Dieu tel qu'il est, et de le servir selon qu'il me l'ordonne; et qu'alors vous écoutiez la Sainte Écriture, et que vous la receviez dans votre cœur, pour la pratiquer ensuite, ah! vous honorez alors le Seigneur, et vous faites de votre intelligence et de votre sentiment le meilleur et le plus saint usage.

***

Le vieux berger s'anima. Ce que je venais de dire l'avait ému, et il s'écria vivement: Mais Dieu n'a jamais dit que l'Église se trompe, et c'est à l'Église que j'obéis. N'est-elle pas notre mère?

Je craignis alors que notre entretien ne devînt une controverse, et pour éviter ce mal, je dis avec calme et sentiment: Cependant, si Dieu, oui, Dieu lui-même, vous disait qu'il vous remet tous vos péchés, et qu'il vous fait don du salut, refuseriez-vous de le croire?

Ma question ramena le cœur du vieillard sur le sujet même qui l'intéressait, et il me répondit à demi-voix: Ah! nous ne sommes plus au temps où le Seigneur Jésus disait, de sa propre bouche, à un pauvre pécheur: Va-t-en en paix: tes péchés te sont pardonnés.

L'étranger. — Cependant la Sainte Écriture nous «dit que Jésus-Christ est le même, hier, aujourd'hui, et éternellement. Si nous ne voyons pas le Sauveur, toutefois nous voit-il, et il n'est pas loin de nous.

Le vieillard, avec respect. — Il est Dieu: il voit donc toutes choses, et il est partout.

L'étranger. — C'est pourquoi, s'il lui plaît de vous dire que le chemin que vous avez tenu jusqu'à ce jour était une route perdue, et qu'il vous dise en même temps de prendre celle où se trouve le pardon des péchés, ne voudrez-vous pas l'écouter et le croire?

Le vieillard, avec vivacité. — Mais, cher monsieur, Dieu me parlera-t-il donc et vous a-t-il parlé, à vous?

L'étranger, en tirant de sa poche un livre qu'il tient à la main. — Hé! je vous prie, ne parle-t-il pas dans sa Parole, dans la Sainte Bible? N'est-ce pas ici que la voix de Dieu se fait entendre aux hommes; et si l'Église de Dieu sait quelque chose, n'est-ce pas de ce livre-ci, et de lui seul, qu'elle doit l'avoir appris?

Le vieillard me pria de lui montrer ce livre. Il le prit, et en l'ouvrant en silence, il regarda et lut ici et là, en divers endroits. Puis il dit, avec une sorte de réserve et de mystère: C'est donc ici la Sainte Écriture, et même c'est en français qu'elle est!.... Je ne l'avais jamais vue, jusqu'à présent. J'avais bien ouï dire que quelques personnes l'avaient, mais je croyais que ce n'était qu'en latin;.... et moi, je ne suis qu'un pauvre berger, et je ne comprends pas le latin Ah! monsieur, ce doit être quelque chose de bien beau que la Sainte Écriture, elle-même. Y a-t-il longtemps que vous l'avez?

L'étranger. — Je l'ai toujours eue, cher vieillard. C'est dans ce livre de Dieu que ma bonne mère m'apprenait à lire, lorsque je n'avais encore que quatre ans.

Le vieillard, avec un geste d'étonnement. — Est-ce bien possible! Et ainsi vous l'avez lue toute votre vie?

L'étranger. — Et c'est elle qui m'a montré la route de la paix, le vrai chemin du salut.

Le vieillard. — Le vrai chemin, dites-vous! Le connaissez-vous donc?

L'étranger. — Écoutez, voici ce que le Seigneur Jésus dit lui-même; Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Donc, puisque je connais le Seigneur Jésus; je connais le vrai chemin. (Evang. selon Saint Jean, XIV, 6.)

Le vieillard, avec le plus grand intérêt. — Mais, moi aussi, je connais le Seigneur Jésus, qui est notre Dieu; et cependant vous m'avez dit que je suis sur une route trompeuse. Comment cela se fait-il?

L'étranger. — Ah! cher vieillard, c'est un faux Jésus que vous avez connu, et non le véritable.

Le vieillard. — Un faux Jésus! mais que dites-vous donc, monsieur? Y a-t-il plusieurs Sauveurs?

L'étranger. Le Jésus que je connais, moi, a sauvé son Église pour toujours, lorsqu'il s'est donné pour elle. Celui que vous connaissez, au contraire, ne l'a pas sauvée, puisque vous dites que pour être sauvé, il faut faire non seulement tout ce que vous avez fait, mais plus encore.

Ceci était tout nouveau pour le vieux, berger. Il n'avait jamais encore pensé que le Sauveur eût en effet sauvé son église. Aussi ne comprit-il pas ce que je venais de dire, et me pria-t-il de le lui répéter.

Vous comprenez, lui dis-je, que si le Sauveur que je connais a vraiment accompli, par lui-même, tout mon salut, et pour toujours, ce Sauveur-là n'est pas le même que celui que vous dites connaître, puisque le vôtre exige, pour que vous soyez, sauvé, que d'abord vous obéissiez à l'Église, et qu'ainsi vous fassiez beaucoup d'œuvres, de pénitences, de confessions, de dévotions et d'offrandes. Certainement ces deux Jésus-là sont bien différents l'un de l'autre: car l'un dit: C'est moi qui t'ai, sauvé, et parfaitement; — tandis que l'autre dit: Tu ne seras finalement sauvé par moi, que lorsque tu auras, rempli mille conditions que je t'impose.

L'étonnement du vieillard était extrême. Il se tut longtemps, et enfin il me dit: Ce que vous me dites, monsieur, est tout nouveau, tout nouveau, pour moi: Je n'y avais jamais pensé; et cependant, quoi de plus clair! Si le Sauveur que vous connaissez a fait et accompli, comme vous le dites, tout votre salut, il est évident que ce n'est pas ce Sauveur-là que j'ai connu jusqu'à ce jour;.... car il s'en faut bien que je sois encore sauvé. Ah! oui, il s'en faut de beaucoup encore. Mais, ajouta-t-il, en appuyant sur ces mots, êtes-vous bien sûr, en effet que votre salut soit accompli déjà? D'où le savez-vous, monsieur? Qui vous l'a dit?

Je lui répondis en lui lisant quelques passages de l'Écriture. Le vrai Sauveur, lui dis-je, comme le déclarent les prophètes, il a été frappé, battu de Dieu, et affligé. Or, il était navré pour nos forfaits et froissé pour nos iniquités: le châtiment qui nous apporte la paix est tombé sur lui, et par ses meurtrissures nous avons été guéris. (Ésaïe LIII, 4, 5). Vous le voyez, ajoutai-je, il n'est pas dit, qu'il nous faille faire des œuvres pour avoir la guérison, mais que cette guérison nous a été procurée par la mort et les douleurs du Sauveur.

Le vieillard. — En effet, c'est ainsi!... Par ses meurtrissures nous avons été guéris!... C'est singulier, je ne l'ai jamais compris ainsi; et que de fois cependant n'ai-je pas contemplé le crucifix!

L'étranger. — Oui, mais ce crucifix-là vous représentait un faux Jésus; car la Sainte Écriture nous déclare que Jésus a été livré pour nos offenses, et qu'il est ressuscité pour notre justification (Romains, IV, 25): et le crucifix ne vous montrait que la mort, et non pas la résurrection du Sauveur. Il ne vous montrait donc pas le vrai Jésus; car le vrai Jésus est maintenant ressuscité et glorieux, à la droite du Père.

Le vieillard, tout pensif. — C'est vrai: c'est le fait. Oui, le Sauveur est maintenant à la droite de Dieu, et dans la gloire: il n'est donc plus ce qu'il était sur la croix.

L'étranger. — Oh! non, certainement; car sur la croix il était froissé, navré, et maudit.....

Le vieillard, vivement. — Maudit! monsieur! Le Sauveur fut maudit, dites-vous?

L'étranger. — Écoutez ce que dit l'Écriture: Christ nous a rachetés de la malédiction, quand il a été fait malédiction pour nous, suivant qui est écrit: maudit soit quiconque est pendu au bois. (Gal. III 13.)

Le vieillard. — Eh bien! monsieur, je n'en savais rien, et cela me surprend beaucoup.

L'étranger. — Cependant c'est la vérité: c'est ce que dit l'Écriture, et c'est le fait. C'est ainsi, cher vieillard, que l'Église du Sauveur a été rachetée; c'est parce que le Fils de Dieu a été maudit à la place de l'Église.

Le vieillard, tout étonné. — Alors donc; monsieur, c'est une chose faite, et non pas à faire!!... Si Jésus a été maudit à la place de l'Église, l'Église donc ne sera plus maudite?

L'étranger. — Hé! non sans doute. Aussi Jésus est-il un vrai Sauveur; un Sauveur réel, et non pas un fantôme de Sauveur, selon l'opinion que vous en aviez.

Le vieillard. — Mais, monsieur, quel mot! Un fantôme de Sauveur!

L'étranger. — Certainement si pour que je sois sauvé de la malédiction, il me faut souffrir moi-même, et dans mon corps et dans mon âme, si par exemple, il faut que je passe par des abstinences, des austérités et de pénibles pratiques; s'il faut que je me mortifie, que j'accomplisse des pénitences, ou que je donne de mon argent, ou de ma santé; si je dois ensuite regarder à une absolution telle que, si je ne l'obtiens pas, je suis perdu; si tout cela et bien plus encore, est requis, pour que mon âme soit délivrée de la malédiction, il est clair que ce n'est pas encore un Sauveur que j'ai rencontré en Jésus, mais seulement une apparence de Sauveur, et tout au plus un aide, qui a bien fait quelque chose, mais qui m'a laissé beaucoup plus encore à faire.

Le vieillard. — Quelle chose nouvelle pour moi! J'en suis tout surpris, en vérité. Ainsi donc, Jésus a vraiment, réellement et tout à fait sauvé nos âmes?

L'étranger. — Si Jésus, quand il était maudit de Dieu et abandonné de lui, sur la croix, était ainsi traité parce qu'il avait pris sur lui, en son corps et en son âme, les péchés de l'Église, Jésus ne souffrait-il pas alors l'enfer que son Église aurait dû souffrir?

Le vieillard. — Oh! je comprends, maintenant! Jésus s'était vraiment chargé de nos fautes, de nos crimes, de toutes nos mauvaises œuvres, et il prenait, alors, sur son compte, je veux dire dans son âme, le châtiment que nous-mêmes nous eussions reçu en enfer! Oh! que c'est différent de ce que j'ai toujours pensé!

L'étranger. — C'est pour cela que l'Écriture dit deux choses également claires; l'une, que la plaie lui a été faite pour le forfait du peuple de Dieu (Ésaïe LIII 8;) l'autre qu'il est ressuscité pour la justification de l’Église. (Romains IV, 25.)

Le vieillard. — Dites-moi, je vous prie, ce que signifie le mot justification?

L'étranger. — Il signifie un pardon total, une déclaration qu'on est juste, qu'on n'a plus de péché. Cela veut donc dire que lorsque le vrai Sauveur ressuscita, tous ceux pour qui il s'était livré, et pour lesquels il avait supporté la malédiction qu'ils auraient dû porter eux-mêmes, furent reconnus et déclarés devant Dieu, délivrés pour toujours de cette peine, et entièrement acquittés.

Le vieillard. — Oh! quel Sauveur que celui-là! oui; quel salut que celui qui a été l'ouvrage même de Dieu, et qu'il a fait aussi tout entier! C'est donc un vrai salut; et je m'aperçois, en effet, que ce n'a pas été ce Sauveur-là que j'ai prié, jusqu'à ce jour.

L'étranger. — Non, non, cher berger! non, ce n'était pas le vrai Sauveur puisque pour aller à lui il vous fallait d'abord faire certaines œuvres, afin de mériter par elles un salut qui, sans elles, ne pouvait avoir lieu. Qu'avait donc fait le Sauveur, puisque pour qu'il fît quelque chose pour vous, il fallait, avant tout, que vous fissiez pour lui ces œuvres? — Quoi, mon ami, vous disiez qu'un bienfaiteur vous avait sauvé de la prison en payant vos dettes, et cependant vous ajoutiez qu'il fallait d'abord que vous fissiez telle ou telle chose! Quelle ridicule condition! Si votre dette avait été payée, n'était-ce pas fait et fini? Fallait-il donc que vous fissiez de votre côté quelque chose, pour qu'elle se payât mieux?

Le vieillard. — Ainsi donc, monsieur, je me suis tourmenté pour néant! Tout ce que j'ai voulu faire pour mériter mon salut, n'a donc été qu'un reniement de ce qu'avait fait déjà le Sauveur!! Je vous assure que cela m'effraie. Car si en effet le Sauveur a été maudit pour mes péchés, et qu'il m'ait justifié devant Dieu par sa résurrection, n'ai-je pas renié ce qu'il a fait, lorsque j'ai cherché à me sauver moi-même par mes devoirs, mes oraisons, mes aumônes, mes jeûnes, et tant d'autres choses?

L'étranger. — L'Écriture dit que ceux qui cherchent à se justifier par leurs œuvres, anéantissent pour eux la croix de Christ, et qu'ils demeurent ainsi dans leurs péchés. Le salut, dit-elle, est une grâce; un don de Dieu; il ne vient pas de l'homme; il n'est pas par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. Car, ajoute-t-elle, si c'est par grâce, ce n'est donc plus par les œuvres; autrement la grâce ne serait plus grâce. C'est pourquoi Christ est nul à l'égard de ceux qui veulent se justifier par leurs œuvres, et ils sont déchus de la grâce. Cela est assez positif, n'est-ce pas? (Éphésiens II, 4 à 9; Romains XI, 6; Galates II, 21, V, 4.)

Le vieillard, en souriant, mais avec gravité. — Ainsi donc, mon cher monsieur , c'était moi, et non pas vous, qui avais perdu ma route! (solennellement.) Hélas! j'étais égaré vraiment; ah! bien égaré, loin, bien loin, du Sauveur. Quelle erreur! Quelle fausse route! Quel chemin trompeur! Hé! monsieur, je le vois, je fuyais toujours plus le salut, tout en cherchant à le gagner.

L'étranger. — Ce salut est en Jésus, en lui seul, et il y est tout entier. C'est donc en Jésus que votre âme doit le contempler et le saisir.

Le vieillard, un peu surpris. — Mais, n'est-il pas à moi, puisque le Seigneur Jésus l'a déjà fait?

L'étranger. — Cher ami, comprenez que l'eau que nous voyons couler là, toute limpide et toute fraîche qu'elle est, n'étanchera pas notre soif, si nous nous bornons à la trouver et à la contempler. Il faut que l'eau soit bue, n'est-ce pas, pour qu'elle restaure le voyageur fatigué. — Eh bien! il en est de même du Seigneur Jésus et du salut qui est en lui. C'est peu de chose de l'avoir découvert, et de le contempler: s'il n'est reçu dans l'âme, l'âme n'en est pas restaurée. Pour que Jésus nous vivifie, il faut que Jésus soit en nous.

Le vieillard, avec intérêt, — Et pour cela, je vous prie, que faut-il que je fasse?

L'étranger. — Il faut que vous croyiez en lui, sincèrement, dans votre cœur, et qu'ainsi votre cœur reçoive en lui le Sauveur, comme le don de Dieu, et nullement ni en quoi que ce soit, comme ayant été mérité par vos œuvres ou vos pratiques: en un mot, comme une grâce souveraine de la miséricorde de Dieu.

Le vieillard. — Monsieur, comme cela nous humilie! Comme cela nous fait sentir que le salut ne vient pas de nous!

L'étranger. — Non, il ne vient pas de nous. Le salut est par la foi; et la foi est un don de Dieu, elle est, comme dit l'Apôtre Saint Jude, donnée, une fois pour toutes aux saints, c'est-à-dire à ceux que le bon plaisir de Dieu a élus et mis à part. (Jude 3.)

Le vieillard. — C'est donc comme un don gratuit, et non mérité, que je dois recevoir le pardon de mes péchés, et c'est uniquement par Jésus, et en lui?

L'étranger. Dieu n'a jamais sauvé le pécheur autrement. Ici l'homme ne peut se glorifier. La gloire du salut est tout entière à celui qui a sauvé; savoir à Dieu, en Jésus-Christ. Quiconque le cherche autrement, ne le trouve pas, et il demeure dans son péché.

Le vieillard, avec sentiment. — Ah! monsieur, bien insensé est l’homme qui, quand Dieu lui donne ainsi le salut, le refuse, et prétend se le procurer lui-même! Dieu me garde, maintenant, d'une telle incrédulité. Je croirai donc au salut qu'a fait Jésus, et ainsi, puisque Dieu le promet, j'aurai tout mon pardon.

L'étranger. — Oui, vous l'aurez, si c'est ainsi, je veux dire par la foi de votre cœur en Jésus et à la promesse de Dieu, que vous le cherchez; et ainsi s'accomplira pour vous cette belle parole, qu'étant justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ. (Romains V, 1.)

Le vieillard, avec joie. — Il me sera, donc bon de vivre, maintenant, puisque je saurai que mon Dieu m'a tout pardonné! Oh! quelle autre existence je vais trouver pour le reste de mes jours! Je n'aurai donc plus peur de Dieu, ni de sa colère, ni de son jugement! Ah! je vois, je vois à présent pourquoi tous vous réjouissez de quitter ce monde. — Dieu de bonté! Comment ne pas se réjouir d'aller vers vous, qui nous avez rachetés!!

L'étranger. Et comment aussi, pendant que nous vivons encore ici-bas, ne pas nous appliquer à toute bonne oeuvre, pour plaire à un tel bienfaiteur, à notre Père céleste, à notre bon et fidèle Sauveur!

Le vieillard. — Ah! je comprends encore ceci. Et quel bonheur n'est-ce pas! Oui, je vois que c'est pour plaire à notre Dieu, à notre Sauveur, et par reconnaissance pour son amour, que nous devons vivre saintement! Oh! que cela m'est clair à cette heure!

L'étranger. — Cher ami! la sainteté est le fruit du Saint-Esprit dans un homme qui a reçu de Dieu son pardon. C'est l'amour de Dieu envers ce pauvre pécheur reçu en grâce, qui produit dans son cœur renouvelé et en paix, l'amour qu'il aura toujours pour son Dieu et Sauveur; et cet amour-là se plaît aux commandements de Dieu, et s'efforce de les garder. Si vous m'aimez, dit le Seigneur Jésus à ses vrais disciples, gardez mes commandements. Vous serez mes amis, si vous faites tout ce que je vous commande. (Jean XIV, 15; 21; XV, 14.)

Le vieillard joignit ses mains, et en les appuyant sur sa poitrine, il dit, avec adoration: Quelle amitié que celle du Sauveur! Quel bonheur de la connaître et de la conserver! Amen! amen! donc! oui, que je garde, maintenant, ses commandements, pour lui montrer que je l'aime!

Dans ce moment le petit garçon, qui avait amené la chèvre, revint en courant. Il tenait dans sa main un petit paquet, qu'il remit au vieillard, en lui disant: Grand-père, voilà ce qu'Isabelle m'a donné; elle l'a mis dans ce papier, et elle m'a dit de vous l'apporter bien vite, et en courant. Voyez, tout y est bien.

Oui mon garçon, dit le berger, après avoir déplié le papier et compté la somme qu'il renfermait. Il n'y manque rien, et tu as bien fait ta commission. — Mais, ajouta-t-il, en se levant, et en regardant vers le ciel, que de choses se sont passées depuis que cet argent-ci a été voué jusqu'à cette heure où je le reçois! C'était pour en acheter mon salut, que je l'avais promis; et maintenant que mon salut m'a été donné, et sans argent, ni aucun autre prix, que ferai-je de cette somme?

Elle appartient à Dieu, lui dis-je, et vous la lui rendrez avec reconnaissance, en la remettant à votre prochain, pauvre et nécessiteux. Et en la donnant, vous vous souviendrez que comme Christ, qui, était riche, s'est appauvri pour vous enrichir, vous aussi, vous devez, par amour pour lui, compatir aux maux et aux besoins des malheureux. Vous le ferez donc, non pas pour mériter, par cette œuvre, que Dieu vous pardonne, mais, parce que Dieu, qui vous a tout pardonné en Jésus, prend plaisir à de tels sacrifices.

Le vieillard réfléchit quelques moments, puis il dît, avec sérénité: Eh bien! qu'Isabelle , qui est une pauvre veuve, ait donc la chèvre, comme moi j'ai mon salut, je veux dire, comme un don, comme une grâce qui ne lui coûte rien.

Tiens, donc, mon enfant, dit-il en replaçant l'argent dans le papier, reporte, ceci à Isabelle, à qui tu diras que je lui donne la chèvre, oui, que je la lui donne, et que je lui expliquerai tout cela; quand je la verrai.

L'enfant disparut en courant. Le vieillard m'accompagna jusqu'au petit pont du ruisseau. Là, il s'arrêta, et avec une expression de visage et de voix que je n'oublierai jamais, il me dit: Quand vous vous êtes trompé de route ici, Tous ne savait pas, mais Dieu le savait! que c'était pour venir me dire, que moi aussi j'avais perdu la bonne route, et pour me conduire à celle qui va me mener à mon Dieu. Que ce bon Dieu m'y garde, maintenant, et qu'il m'y fortifie!

Prenez donc, lui dis-je, et d'un cœur tout ému, prenez, je vous prie, et lisez chaque jour ce Livre de notre Dieu et Sauveur. C'est lui, et non pas moi, qui vous a montré, comme dit un Prophète, que ceux qui vous guidaient vous avaient fait égarer, en vous faisant perdre la route de vos chemins (Ésaïe III, 12), et c'est lui, aussi, qui désormais vous conduira, par le conseil du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vous reçoive en sa gloire. (Psaume LXXIII, 24.)

Le vieillard reçut le Livre, il s'inclina en le baisant, et ses larmes qui descendirent sur ses joues sillonnées, dirent plus éloquemment que toute parole, combien son âme était heureuse et reconnaissante.

FIN.

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