Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III.

DU SENS INDÉTERMINÉ DU MOT ÉTERNEL DANS LES ÉCRITURES, ET DE LA PERTE FINALE DES RÉPROUVÉS.

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Quoiqu'il y ait souvent de l'inconvénient à annoncer d'avance son but et ses conclusions dans des sujets propres à passionner les lecteurs, comme le sont les sujets religieux, nous croyons pourtant devoir faire cette annonce dans le cas actuel, soit pour être mieux compris dès nos premiers pas, soit pour éviter que nos lecteurs ne soient préoccupés, pendant leur lecture, à conjecturer quelles pourront être nos conclusions, et ne nous en imputent d'avance d'autres que celles où nous arrivons.

Qu'on nous permette de répéter en même temps l'assurance que bien loin de chercher à établir sur le sujet qui nous occupe une thèse favorite et préconçue, en y adaptant de force quelques passages des Écritures et tordant les autres, nous n'avons cherché au contraire qu'à connaître le vrai sens de ces Écritures et leur véritable doctrine sur cette importante question; parfaitement prêts à recevoir leur enseignement, tel quel, sans la moindre hésitation.

Cela étant dit, voici les convictions auxquelles nous sommes arrivés après une étude longue et impartiale du sujet.

Nous ne croyons pas pouvoir admettre, comme tant d'autres chrétiens, un rétablissement final des êtres qui auront été condamnés au dernier jour; il nous semble impossible de nier, d'après l'Évangile, que les réprouvés seront perdus, — perdus, disons-nous, pour jamais.

Mais en même temps nous ne voyons nullement que cette doctrine implique nécessairement celle que les réprouvés vivront, subsisteront à jamais, pour souffrir et pour maudire Dieu, aussi éternellement et sans fin que Dieu lui-même; et sans prétendre avoir sur ce point l'assurance parfaite que Dieu nous a donnée sur d'autres grandes doctrines, — Dieu ne l'a pas voulu, — nous nous appuyons, pour professer la vue que nous exprimons ici, sur deux observations: l'une, c'est que l'Écriture n'a pas une seule expression pour désigner l'éternité véritable qu'elle n'ait aussi employée, et presque habituellement, pour indiquer une durée indéfinie, quelquefois même très courte; l'autre, c'est que l'Écriture, précisément en traitant des peines à venir, parle de l'étang ardent où seront jetés les réprouvés, comme d'une seconde mort; (Apoc. XX, 6; XXI, 8.) expression qui semble, si ce n'est enseigner clairement, au moins largement permettre de croire qu'après des souffrances et un endurcissement plus ou moins prolongés, les méchants succomberont à la lutte et seront... anéantis.

Voilà, nous le répétons, quelles sont nos thèses: nous nous hâtons d'arriver aux raisons qui nous paraissent les justifier.

L'Écriture, avons-nous dit, ne nous semble pas autoriser suffisamment l'idée que les réprouvés, ni Satan en particulier, le génie du mal, puissent jamais être ramenés dans la société de Dieu et à son adoration. Les arguments qu'on tire de l'amour de Dieu ne suffisent pas à établir cette supposition; car la seule existence du mal actuel serait déjà une objection à cet amour.

Nous ne connaissons rien de Dieu que par les Écritures; et d'après elles Dieu n'est pas amour seulement, il est aussi un feu consumant; il est justice; il est sainteté; et, nos raisonnements, tant bien intentionnés soient-ils, ne suffisent pas pour rien établir en fait de vérités divines. Tout ce qu'a de valable ce premier système se retrouve dans celui de l'anéantissement final que nous croyons le vrai: nous n'osons aller plus loin. D'après l'Écriture, le lieu des souffrances à venir n'est pas un purgatoire: il ne sanctifie pas, il détruit; et tout dans la Parole de Dieu nous crie: c'est aujourd'hui, c'est dans l'époque actuelle, le temps de grâce, et non plus tard.

Nous passons donc directement à la question des peines éternelles.

C'est un fait que le mot éternel, précisément le grand mot sur lequel roule toute la question actuelle, est absolument insuffisant à lui seul pour établir l'idée d'une durée sans fin. Ce mot, et d'autres expressions semblables peuvent avoir ce sens absolu; mais non à eux seuls, ni dans l'Ancien ni dans le Nouveau-Testament. Dans l'Ancien-Testament, en particulier, les mots éternel (pris comme adjectif), éternité, perpétuité, à toujours, à jamais, sans fin, et autres pareils, sont continuellement employés pour indiquer simplement qu'un fait, une institution ou un commandement subsisteront «jusqu'à ce que Dieu en ordonne autrement.» En voici, sur une masse d'exemples, quelques-uns presque à ouverture du livre.

Dès l'époque d'Abraham, le Seigneur établit avec ce patriarche l'alliance de la circoncision qui comprenait la possession du pays de Canaan et la circoncision, à perpétuité, dit l'Écriture (Gen. XVII, 10). Or, on sait ce qui en a été de cette perpétuité; et St. Paul, en particulier, ne cesse d'enseigner que la circoncision n'est plus rien, depuis que l'Évangile a succédé à la loi.

Tous les rites du Judaïsme étaient établis pour durer perpétuellement (Lév. XVI, 34). Ils ont tous été abolis.

Dieu fit avec Phinées une alliance de sacrificature perpétuelle. (Nom. XXV, 13.) Qu'est-elle devenue?
Les pierres de Josué dans le Jourdain devaient servir de mémorial aux enfants d'Israël
à jamais. (Josué IV, 7.)
Moïse donne un territoire à Caleb et à ses enfants
pour jamais. (Josué XIV, 9.)
Dieu fera dormir les Babyloniens d'un
sommeil perpétuel, afin qu'ils ne se réveillent plus (Jér. LI, 39).

Jérémie prédit, pendant la captivité, que Jérusalem, alors détruite, sera rebâtie (elle l'a été effectivement), et qu'elle ne serait plus démolie ni détruite à jamais. (Jérémie XXXI, 40.) — Enfin l'expression d'éternité en éternité, qui se trouve deux ou trois fois dans l'Ancien-Testament (Psaume XC, 2), bien loin d'établir que le mot marque l'infini en durée, marque au contraire qu'il peut y avoir plusieurs éternités, c'est-à-dire une infinité de longues époques.

Et il en est ainsi dans tout l'Ancien-Testament. Dans le Nouveau il en est de même. La langue grecque, langue païenne, qui a fourni le mot (*), ne s'était jamais occupée de la question écrasante de la véritable éternité: et l'expression qu'elle emploie pour la désigner indique même, comme l'hébreu, juste le contraire d'une durée infinie: c'est un temps indéfini, auquel peuvent s'en ajouter d'autres également indéfinis. Le mot signifie proprement le siècle, ou une époque; et lorsqu'il est redoublé, on doit traduire, non par les mots aux siècles des siècles, mais par l'expression à des siècles de siècles, ou simplement par les mots à jamais. Jésus dit: «Si quelqu'un a parlé contre le St. Esprit, cela ne lui sera pardonné ni dans ce siècle ni dans celui qui est à venir» (Math, XII, 32): c'est l'époque à venir. Il parle plusieurs fois de la fin de ce monde comme de la consommation du siècle. (Math, XIII, 39; — XI, 49; — XXIV, 3; — XXVII, 20.) Et en beaucoup d'autres endroits c'est toujours l'idée indéfinie d'une époque plus ou moins longue.

Il en est de même de l'adjectif. Quand Paul renvoie à Philémon son esclave Onésyme et lui dit: «peut-être a-t-il été séparé de toi pour un temps, afin que tu le recouvres pour toujours» (Phil. 15.), le texte porte: afin que tu le recouvres éternel. Sans doute, l'idée de l'éternité, ou plutôt de la vie à venir, a pu, à cause de la conversion d'Onésyme, se mêler vaguement à la pensée de Paul lorsqu'il écrivait ces mots; mais il semble pourtant, si nous lisons le passage sans préoccupation dogmatique, et vu qu'il s'agit, après tout, d'un serviteur échappé qu'on retrouve comme un ami, il semble, disons-nous, que l'idée qui occupait St. Paul est simplement celle du bonheur que devait éprouver Philémon en retrouvant son serviteur comme un ami pour ne plus le perdre. Aussi est-ce par le mot «pour toujours,» mot élastique et simple, que les traducteurs même les plus attachés à la lettre ont souvent rendu le mot grec, mot qui d'ailleurs, il faut le répéter, n'indique jamais à lui seul L'idée d'une éternité sans fin.

Il en est encore de même du passage où il est dit de Sodome et de Gomorrhe qu'elles subissent (le mot est au présent) la peine d'un feu éternel. (Jude 7.) Il est vrai que ces villes ont péri; péri, disons-nous, pour jamais; mais ces villes, ni ce feu-là n'existent plus. Et c'est précisément ce que nous pensons qui arrivera aux réprouvés: ils périront, en effet, pour jamais; voilà bien l'éternité de l'effet, l'effet sans retour du feu qui les aura consumés. Mais cela ne suppose point qu'ils devront, pas plus que les villes de la plaine, ni le feu qui les a dévorées, subsister à jamais.

Il nous semble inutile d'en dire davantage sur les mots qui nous occupent. Encore une fois, ils peuvent indiquer l'éternité sans fin, lorsque d'autres expressions leur donnent ce sens; mais jamais ils ne l'indiquent nécessairement à eux seuls.

Voyons maintenant ce qui en est de quelques déclarations qui semblent plus explicites sur ce grand point.
Vues de loin, elles semblent très nombreuses et presque décisives; vues de près et considérées attentivement, on est surpris de n'en pas trouver une seule qui ait cette force. Prenons de suite celle qui semble la plus irrésistible.

Jésus dit quelque part, et en répétant la chose trois fois de suite pour lui donner plus de poids: «Que si ta main (il dit ensuite la même chose du pied et de l'œil) est pour toi une occasion de chute, coupe-là; il vaut mieux pour toi d'entrer manchot dans la vie que d'avoir deux mains et aller dans la géhenne, au feu qui ne s'éteint point; là où leur ver ne meurt point et où le feu ne s'éteint point.» (Marc IX, 44.)

Voilà, disons-nous, des mots qui semblent d'abord établir sans retour l'existence des peines vraiment éternelles.

Mais n'est-il pas étonnant qu'à côté d'une déclaration aussi formidable, on puisse placer des observations proportionnellement fortes et nombreuses qui la ramènent (et toujours d'après les Écritures), à n'être pas plus favorable que les autres à l'idée d'une éternité absolue de souffrances et de châtiments? Voici ce qui nous donne cette conviction.

D'abord, notre Sauveur unit dans un même cours de pensées cette terrible sentence à une autre du même genre qui précède immédiatement, mais qui est incomparablement moins terrible: «Quiconque, dit-il, scandalisera l'un de ces petits, (il ne s'agit pas là d'enfants, mais de chrétiens simples ou faibles), un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui... quoi? qu'on lui mit une meule au cou et qu'on le jetât dans la mer.» (v. 9.)

Et c'est immédiatement après ces mots qu'il ajoute ce que nous venons de lire: «que si ta main te fait broncher,» et ce qui suit. Or, si la sentence du feu qui ne s'éteint point doit indiquer une damnation éternelle, n'est-il pas surprenant que, pour deux péchés d'une nature toute semblable et d'égale gravité, le Seigneur prononce deux châtiments d'une sévérité si énormément différente? Pour celui qui fait tomber une âme simple dans le péché — jeté dans la mer; — pour celui qui ne résiste pas au péché — damnation éternelle à tout jamais!... L'emphase même que le Seigneur met dans ses termes, — jeté dans la mer, une meule au cou, — n'indique-t-elle pas que tout ce qu'il dit là est bien moins une description exacte et tarifée d'une sentence qui doit s'exécuter littéralement qu'une simple manière d'indiquer la culpabilité du pécheur; disons le mot, une simple manière de parler? Refusera-t-on au livre saint des expressions figurées? Il en est rempli, comme en est remplie toute langue humaine! «Je suis la porte. — Je suis le cep. — Ceci est mon corps. — Dites à ce renard,» et mille autres façons de parler semblables. Sans doute la comparaison du «ver qui ne meurt point» et «du feu qui ne s'éteint point,» ne peut perdre son caractère effrayant; aussi ne songeons-nous pas un instant à nier, ni même à affaiblir les terreurs d'un jugement à venir, qui ne sera jamais rétracté, et ne cessera même d'avoir son effet que par l'anéantissement du coupable. Mais nous disons qu'on peut bien mieux expliquer le rapprochement des deux condamnations dont il s'agit, lorsqu'on admet que la plus sévère même aura une fin, que lorsque nous voyons dans l'une des deux une peine passagère, et dans l'autre l'annonce d'un tourment sans fin.

Il est vrai, qu'il est dit que «le ver rongeur» attaché au méchant ne mourra pas, et que le feu qui le dévorera ne s'éteindra pas. Mais qu'on se rappelle la phrase remarquable de Jude , que nous citions tout à l'heure, celle qui nous montrait les villes de la plaine subissant (actuellement) la peine d'un feu éternel; et comment ne pas comparer alors des expressions si singulièrement semblables, et ne pas admettre qu'on est autorisé à ne voir dans l'une que ce qu'on voit dans l'autre, une manière de parler, dont on doit prendre l'intention et l'esprit plutôt que la lettre?

Mais arrivons à quelque chose de plus frappant encore; et nous admirerons la manière dont les Écritures se commentent elles-mêmes! Les formidables paroles qui nous occupent (leur ver ne meurt point et leur feu ne s'éteint point) se trouvaient, longtemps avant que notre Seigneur les eût prononcées, dans une prophétie d'Ésaïe, relative au règne de Dieu, mais au règne de Dieu dans le temps présent! Le prophète prédit dans son dernier chapitre la vocation des Gentils et un culte qui se passera ici-bas (d'un sabbat à l'autre); il annonce des jugements qui auront lieu également ici-bas (précisément comme dans Jude); et c'est au sujet de ces jugements que, faisant parler le Seigneur lui-même, il ajoute (au dernier verset): «On verra les corps morts des hommes qui auront péché contre moi: car leur ver ne mourra point, et leur feu ne sera point éteint; et ils seront méprisés de tout le monde. (mot à mot: de toute chair, c'est-à-dire, donc ici-bas)» (Ésaïe 66.)

Sans doute on pourra dire que, selon l'usage fréquent des Écritures, notre Sauveur, en adoptant ces expressions, les prend dans un sens et les applique à un objet infiniment supérieur; et là-dessus il n'y a point de doute; mais il reste également Vrai que quand les mots ainsi employés ont pu s'appliquer à un objet très inférieur on n'est pas obligé, — sauf une déclaration précise, laquelle manque ici, — de leur donner leur sens le plus étendu possible, surtout de passer du fini au véritable infini.

Et alors, voilà le plus saillant des passages de l'Écriture, sur ce grand sujet, ramené à un sens qui n'implique plus du tout l'idée de tourments vraiment éternels.

N'est-il donc pas vrai qu'à chaque pas que nous faisons dans cette grande question, nous sommes plus autorisés à professer en pleine paix les vues que nous défendons ici? car en tout ceci nous ne rejetons ni ne violentons un seul mot des Écritures. Il reste vrai qu'aussi longtemps qu'il y aura un méchant, jamais ne s'éteindra le feu de la colère de Dieu contre le péché; jamais ne mourra le ver rongeur qui s'attache au rebelle endurci; et son châtiment, comme celui, et bien plus que celui de Sodome et de Gomorrhe, subsistera éternellement, comme un signe de la souveraineté et de la sainteté de Dieu. Mais l'impie, lui, ne subsistera pas pour braver Dieu éternellement, et il n'y aura pas un monde infernal et des souffrances infernales, «en présence de Dieu et de ses saints» à tout jamais.

Avec ce passage tombent tous les autres qu'on allègue dans le même sens. À ceux qui croient pouvoir admettre la conversion des méchants dans l'autre vie, (et qui ne la voudrait pas si elle était possible!) on pourrait opposer, comme preuve de l'éternité des peines, le mot de Jésus-Christ concernant Judas: «Il vaudrait mieux à cet homme de n'être jamais né,» — puisqu'on pourrait alléguer (Saurin l'a fait) que des milliards d'années de souffrance ne sont rien, absolument rien, en comparaison d'une rentrée finale dans un bonheur éternel. Et quoique ce soit effroyable à prononcer, c'est pourtant vrai, quand on traite ces choses comme de l'arithmétique.

Mais cet affreux calcul lui-même n'existe plus quand on admet, comme nous croyons devoir le faire d'après l'Écriture, que l'âme, une fois rejetée de Dieu au grand jour, ne reviendra plus à Lui!....

À peine est-il nécessaire de mentionner une objection qu'on fait aux vues que nous exposons ici, savoir: qu'une même expression unissant dans une même phrase les peines éternelles et les joies éternelles (Math, XXV, 46), si les peines ne le sont pas, le salut ne le sera donc pas non plus.

Nous sommes convenus d'entrée que le mot éternel peut très bien indiquer l'éternité sans fin, quand rien ne s'oppose à ce sens; et qu'il ne prend même son sens limité que lorsqu'il y a des raisons suffisantes pour le faire. Mais nous en avons pour ce dernier cas, comme nous croyons l'avoir montré, puisqu'on appelle le sort des réprouvés une seconde mort, tandis qu'il n'y a aucune raison pour limiter la pensée du bonheur, de la gloire et de la sainteté que Dieu répand autour de Lui.

Nous croyons donc en avoir fini avec notre démonstration, et si nous rappelons ici un passage souvent cité pour appuyer l'éternité des peines futures, ce n'est plus même pour nous en défendre, mais au contraire pour couronner notre travail par cette solennelle déclaration que Dieu semble avoir placée à la fin de sa Révélation (Apoc. XXI, 7 et 8) comme pour nous donner son dernier mot sur ce sujet.

«Celui qui vaincra héritera toutes choses; je serai son Dieu, et il sera mon fils. Mais pour les timides, les «incrédules, les exécrables, les meurtriers, les fornicateurs, les empoisonneurs, les idolâtres et les menteurs, leur part sera dans l'étang ardent de feu et de soufre, ce qui est la seconde mort!»


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