Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE PREMIER.

QUI SONT LES MÉCHANTS?

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01

Ce sujet soulève trois questions:

1° Qui sont les objets du rejet définitif de Dieu après la mort? En d'autres termes, qui sont ceux que l'Écriture appelle les méchants?

2° Quelle est la nature des peines à venir? Auront-elles, suivant les individus, des degrés d'intensité divers?

3° Quel est dans l'Écriture, le sens du mot éternel? Et quel sera le sort final de ceux qui meurent sous la condamnation?

Voilà les graves questions que nous venons examiner, dans l'esprit d'une soumission complète aux enseignements de Dieu.

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Qui sont les méchants? Cette question qui semble d'abord si simple, suscite dès le premier pas tout un ordre de considérations que l'Écriture ramène continuellement. Les vérités divines sont si vastes, qu'elles ne peuvent jamais s'offrir à nous sous un aspect unique et exclusif, et qu'au contraire elles se présentent toujours sous des faces multiples, dont la diversité va même jusqu'à l'apparence de la contradiction, et oblige sans cesse le théologien à les balancer, les expliquer et les compléter les unes par les autres.

Ce phénomène, qui se présente aussi bien dans les questions indépendantes de la révélation que dans la théologie, n'autorise jamais le rejet de l'une des deux vérités que nous ne réussissons pas à concilier entre elles d'une manière satisfaisante, aux dépens de l'autre; mais il nous oblige par là même à une grande attention, à une grande souplesse dans la manière dont nous concevons et exprimons notre foi. Chacun connaît, par exemple, la fameuse opposition qu'on fait souvent entre le salut par la foi et le salut par les œuvres. D'un côté l'Écriture nous dit:

«Celui qui croit au Fils a la vie éternelle; celui qui n'y croit pas, la colère de Dieu demeure sur lui; 

«C'est ici la vie éternelle de te connaître, toi qui es le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que tu as envoyé;

«Vous ne pouvez rien sans moi;

«À tous ceux qui ont reçu Jésus, Il leur a donné le droit de devenir enfants de Dieu, savoir à ceux qui croient en son nom,»

Et tant d'autres paroles qui semblent déclarer sans détour qu'il n'y a pas de salut sans une connaissance positive de Jésus et de son Évangile.
D'un autre côté, nous avons des déclarations qui poussent l'esprit du croyant dans une direction bien différente:

«Si je n'étais pas venu, ils n'auraient point de péché;

«Il en viendra plusieurs d'Orient et d'Occident (plusieurs qui n'étaient pas comptés pour être du peuple de Dieu,) qui seront à table au royaume des cieux; et les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors.» Paroles répétées plus d'une fois (Mat. VIII , 11-12, Luc XIII, 29),

Et non seulement nous avons en ce sens quelques mots détachés, mais tout un ensemble, toute une habitude d'expressions qui, si elles distinguent les hommes en bons et en méchants, le font beaucoup plus d'après les dispositions de leur cœur et leurs œuvres, que d'après leur foi ou leurs vues religieuses.

On trouve de ce fait un exemple frappant dans la parabole du bon Samaritain. Il était hérétique, puisqu'il était Samaritain, mais il était charitable, et il valait mieux que le prêtre et le lévite, membres en apparence du peuple de Dieu, mais sans pitié; et cette pensée se retrouve partout dans l'Évangile.

Qu'on réfléchisse à la manière dont s'ouvre le saint, le divin ministère de Jésus. Représentons-nous ce que nous aurions attendu du Messie au moment où il débuta. Les prophètes l'avaient annoncé depuis la chute: la longue économie mosaïque, avec tous ses types et ses sacrifices, le proclamaient d'avance comme le Sauveur du monde: la loi et ses cérémonies avaient été données par Moïse , mais la grâce et la vérité vont paraître en Jésus: le Judaïsme va cesser; la nouvelle alliance s'ouvre; des milliers d'auditeurs se pressent sur les pas de Jésus; le voilà qui monte une colline: il va parler; il va nous annoncer le début de la nouvelle alliance, et tout un nouvel ordre de choses... Écoutons! écoutons !...

«Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux;

«Heureux les affligés, car ils seront consolés;

«Heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre;

«Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice;

«Heureux les miséricordieux;

«Heureux ceux qui ont le cœur pur;»

Et autres paroles toutes semblables à celles-là !...

Quelle doctrine à la fois magnifique, mais inattendue! Nulle contradiction, sans doute, en tout cela avec les dogmes proprement dits de l'Évangile: mais que c'est différent! Et ce sont pourtant, aussi bien que les doctrines plus spéculatives, des doctrines fondamentales !

Et tout le ministère de Jésus répond à ce début; et, au milieu des vues les plus profondes sur les mystères du ciel, sur le miracle de la rédemption qu'il venait opérer, le Sauveur ne cesse jamais de ramener ses auditeurs quelconques, éclairés ou non, aux vérités pratiques les plus élémentaires; à la valeur (non au mérite, mais à la valeur) des bonnes œuvres devant Dieu, à la récompense qui leur est promise, et au rôle capital, décisif, qu'elles jouent dans les rapports de l'homme avec Dieu, quand elles sont exemptes d'orgueil et de prétentions.

Les enseignements de détail portent le même caractère: «Quand tu feras l'aumône, quand tu jeûneras, quand tu prieras en secret,... ton Père céleste t'en récompensera publiquement;» — «Faites-vous des amis avec les richesses iniques, afin que quand vous viendrez à manquer ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels;» — «Amassez-vous «des trésors dans le ciel;». «Si tu apportes ton «offrande à l'autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse, là ton offrande devant l'autel, et va-t-en premièrement te réconcilier avec ton frère;»
Et mille autres passages du même genre.

Or tout cela, si différent de la prédication par la foi, se prêchait comme étant la doctrine de la nouvelle alliance, par opposition à celle des anciens (Mat. V, 22-28); se prêchait en public, à la foule qui entourait Jésus, et qui ne savait encore rien de toute la dogmatique du Nouveau-Testament.

Et l'on ne peut objecter que Jésus en parlant ainsi, s'adressait à ses vrais disciples, dans le sens rigoureux du mot; car Jésus appelait souvent ainsi la foule qui venait assister à ses enseignements; quitte à ne reconnaître en telle autre occasion, pour ses vrais disciples, que ceux qui gardaient ses commandements (Jean XV, 8 et 10).

Donc, en résultat, nous trouvons dans les Écritures, sur les points les plus vitaux, une prodigieuse diversité de points de vue sans désaccord réel; un accord réel à côté d'une diversité étonnante. Jésus insiste plus généralement sur les caractères moraux de ses disciples, et les apôtres sur les grandes doctrines de la rédemption et sur la foi; mais ce n'est exclusif ni de part ni d'autre. Le Sauveur, qui vante pour leur foi la veuve de Sarepta, païenne, Naaman le Syrien, païen de même (Luc IV, 26-27), et d'autres encore, a pourtant dit aussi: «Celui qui ne croit pas au Fils, la colère de Dieu demeure sur lui.» (Jean III, 36). D'un autre côté, le plus dogmatique des apôtres, qui ne cesse de prêcher le salut par la grâce et non par les œuvres, a pourtant dit: «Je traite durement mon corps, et je le tiens assujetti; de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois trouvé moi-même de mauvais aloi.» (I Cor. IX, 27). Et le dernier des livres de l'alliance de grâce ne cesse de promettre la gloire à venir à celui qui vaincra (Apoc, II, 7 et 11; — III, 5, 12 et 21; — XXI, 7).

Conséquence générale: À côté d'une doctrine parfaitement certaine et même tranchée, les applications de la doctrine sont toujours susceptibles d'une largeur et d'une souplesse extrêmes: ce n'est nullement du vague; c'est la vaste étendue des sujets religieux opposée à l'étroitesse de notre intelligence.

Tout cela, nous l'avons dit, pour nous préparer à traiter la question spéciale qui nous occupe et qui, comme nous le répétons, n'est pas si simple qu'il le semble d'abord.

Qui sont les bons? qui sont les méchants?.... Les bons? «Dieu seul est bon. Il n'y a point de juste, non pas même un seul; ils se sont tous égarés; personne qui cherche Dieu, personne qui fasse le bien. — Ce qui est né de la chair est chair. — À moins qu'un homme ne naisse de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu.»

Principe général: Aucun homme n'est bon devant Dieu. Voilà ce que nous enseignent les Écritures.

Et pourtant ces mêmes Écritures parlent continuellement de bons et de méchants, de justes et d'injustes: — elles nous disent que «l'homme de bien (l'homme bon, dans l'original), tire de bonnes choses du bon trésor de son cœur;» que lorsque la semence de la Parole de Dieu tombe dans un cœur honnête et bon (tel, avant que la semence y soit tombée!), cette semence porte du fruit; «que les yeux de l'Éternel contemplent les bons et les méchants;» et cent autres choses de ce genre.

Ce contraste résulte du fait, que s'il est vrai qu'il y a au fond une différence absolue entre le bien et le mal, comme il y en a une entre midi et minuit, entre oui et non, il y a, dans l'application, dans la réalité, des nuances infinies entre les divers degrés de bonté et les divers degrés de dépravation: bien plus; il y a dans le même homme un mélange de bien et de mal.

Dès lors, qui sont les bons? et qui sont les méchants? Comment les classerons-nous? Jésus promet très souvent, et sans faire mention de connaissances ou de pratiques religieuses, une récompense aux bonnes œuvres, à l'aumône surtout; — choses qui ne vont pas toujours de pair avec une foi marquée ni avec un cortège d'autres vertus intactes. Or, est-il bien facile de concevoir que ceux qui sont l'objet de pareilles promesses de la part de Dieu, soient, pour d'autres raisons, rejetés à jamais de devant sa face?...

Que si l'on croit trouver dans l'idée de la foi un symptôme plus tranché que celui des œuvres, pour distinguer entre bons et méchants, on se trompe également. Sans doute, là comme pour les œuvres, le principe général et l'application aux extrêmes sont des choses parfaitement claires: «Celui qui croit au Fils a la vie;» celui qui le rejette (nous disons qui rejette, et non celui qui ignore), celui qui le rejette, celui qui repousse l'Évangile, la rédemption par le sang de Christ, après en avoir eu connaissance, est certainement un ennemi de Dieu et, à ses yeux, un méchant; tandis que le chrétien fidèle dans sa foi et dans ses œuvres, se range évidemment parmi les bons.

Mais il y a des faibles en la foi; l'Écriture parle d'une foi morte; d'une fausse joie, d'une fausse sécurité, d'une fausse paix; elle repousse avec horreur la croyance la plus exacte et les sacrifices les plus religieux (Ésaïe LXVI, 3; Mat. VII, 22), s'ils ne sont pas accompagnés d'obéissance (et ils ne le sont pas toujours); elle regarde même comme vains tous les sentiments les plus pieux, même la reconnaissance de notre état de péché, dès que ces actes ou ces sentiments ne sont pas accompagnés d'une repentance et d'une douleur sincères à la vue de ces mêmes péchés. Que d'états divers donc, que de nuances, que de degrés différents!

Et que dire de cette masse d'hommes qui, au jugement de la conscience, ne sont marquants ni comme bons, ni comme méchants, ni religieux, ni impies, bonnes gens simples, mais bornés, sorte de zoophytes, qui ne semblent pas plus faits pour l'enfer éternel que pour le ciel? Or, comme il n'y a point de purgatoire, que faire de ces êtres, ou plutôt qu'en penser quant à leur sort à venir?

Toutes ces considérations, jointes au continuel contraste que nous présente l'Écriture entre des déclarations extrêmement sévères et d'autres extrêmement indulgentes;

entre les mots: «Entrez par la porte étroite qui mène à la vie; il y en a peu qui la trouvent,» et les mots: «Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé;»

entre la sainteté de Dieu qui ne peut voir le mal, et sa miséricorde qui pardonne tant et plus, — tout cela, disons-nous, tout en excluant positivement les hommes qui repoussent l'Évangile, nous permet abondamment de juger les simples et les ignorants avec une grande indulgence, et nous oblige à nous rappeler, beaucoup plus que cela n'a lieu généralement, l'infinie variété des degrés de bonheur et de gloire qui existera entre les bienheureux, comme aussi de malheur entre les réprouvés.

L'apôtre même de la grâce ne nous dit-il pas que «chacun recevra selon le bien ou le mal qu'il aura fait étant dans son corps?» (II Cor. v, 10). Nous ajouterons même, que tout en conservant inébranlablement le principe qu'après la mort le sort de l'âme est décidé à jamais, les réflexions qui précèdent renversent entièrement la représentation uniforme que nous nous faisons du bonheur des uns et du malheur des autres, et nous pousseraient presque à la pensée que, pour les degrés inférieurs, soit du bonheur, soit du malheur, l'existence à venir d'un grand nombre ne sera peut-être, au premier abord du moins, pas si extraordinaire que nous nous la représentons.

Nous dirons plus encore. Puisqu'il y a tant de nuances entre les caractères, et même des natures si indécises, y aurait-il (mais ceci n'est qu'une question que nous posons en passant, sans pouvoir rien affirmer), y aurait-il des âmes tellement bornées, tellement nulles, qu'elles fussent après la mort comme ces fleurs que produisent les arbres au printemps, dont quelques-unes tombent sans porter aucun fruit? Nous n'en savons certainement rien; mais la supposition ne nous paraît pas absurde. Et dans tous les cas, elle est entièrement indépendante des doctrines que nous affirmons avec plus d'assurance.

Mais le fait très grave des nuances infinies qui existent dans le bien comme dans le mal reste là comme digne d'être médité beaucoup plus qu'on ne l'a fait jusqu'ici, et forme une partie importante et presque nouvelle de la théologie.

Enfin, nous tirerons de tout ceci une autre conclusion plus pratiquer c'est que s'il y a constamment, pour l'humble croyant et pour le plus grand pécheur, dès qu'il se repent, une pleine assurance du salut, cette assurance n'existe qu'autant que nous sommes dans les dispositions que nous venons d'indiquer; et qu'il y a une autre assurance du salut qui manque de solennité, d'onction et même de gravité, une assurance leste, quelquefois niaise, qui nous porte à nous traiter nous-mêmes trop facilement de «bien-aimés du Seigneur, d'enfants de Dieu et d'élus;» — que s'il est écrit: «Il n'y a plus «de condamnation pour ceux qui sont en Christ,» il est aussi écrit: «A celui qui vaincra;» et: «Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement;» qu'il y a enfin une assurance sectaire qui nous fait oublier que, comme l'Écriture elle-même, nous ne devons jamais séparer les uns des autres les passages qui contiennent des avertissements, des reproches ou des menaces, de ceux qui parlent de joie et de paix pour le pécheur humble et contrit; selon qu'il est écrit: «Que celui qui se croit debout prenne garde qu'il ne tombe!»


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