Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

SERMONS SUR LA MORT.

2e sermon

-----

Sur Luc VII, v. 11 :

Le jour suivant Jésus allait à une ville nommée Naïn, accompagné d'un grand nombre de disciples, et d'une grande foule de peuple ; et comme il approchait de la porte de la ville, il se trouva qu'on portait un mort en terre.

Toute la vie du sage n’est qu'une méditation de la mort, disait le plus sage des païens. Des chrétiens jugeraient-ils une telle maxime exagérée ? et n'est-elle pas aussi à leur usage ? Du moins ne trouverez-vous pas, j'espère, mes chers auditeurs, que ce soit trop d'un second discours consacré à une méditation de cette importance.

Dans le précédent, je vous ai mis sous les yeux les usages les plus généraux qu'il y ait à tirer de la pensée de la mort, et les réflexions que doit nous inspirer la mort de nos semblables, quels qu'ils soient.

Aujourd'hui, j'en viens à des réflexions plus particulières, à celles que peut nous faire faire dans nos diverses circonstances ce qu'il y a de particulier dans telle ou telle mort.

Vous voyez un mort qu'on porte en terre, comme Jésus en vit un à son entrée dans la ville de Naïn. Que vous le connaissiez ou que vous ne le connaissiez pas, et qui que vous soyez, cette vue a de quoi vous suggérer des pensées salutaires ; elle vous rappelle la mort qui vous menace, qui menace vos semblables envers qui vous avez des devoirs à remplir, le néant de la vie actuelle et l'immortalité qui la suit.

Mais, si c'est un homme que vous connaissiez, et avec qui vous souteniez quelque rapport, qui a été retranché de la terre des vivants, sa mort devient pour vous un sujet d'instructions nouvelles, elle doit faire naître en vous plusieurs autres sentiments utiles, plusieurs autres réflexions importantes : et vous vous connaissez tous les uns les autres.

Quand la cloche des convois funèbres annonce celui de quelqu'un des habitants de cette ville, vous faites la question : Qui enterre-t-on aujourd'hui ? Je voudrais que vous vous fissiez celle-ci à vous-même, quand vous savez qui l'on enterre : Quelles leçons puis-je tirer de cette mort ?

Puissent nos réflexions vous engager à vous adresser à l'avenir une question aussi naturelle, et vous apprendre à vous l'adresser toujours avec quelque fruit  !

Puissent-elles contribuer à vous faire tirer des diverses morts, qui, dans le dessein de Dieu, doivent servir à votre instruction et à votre perfectionnement moral, les diverses leçons qu'elles sont propres à vous fournir ! Amen.

Quelle ressemblance entre ces hommes qui ont été conduits à leur dernière demeure !

À chacun est assigné le même espace,

la même terre les recouvre,

la même corruption les atteint,

ils deviennent une même cendre.

Des esprits inattentifs pourraient tirer de cette ressemblance des conséquences alarmantes pour la vertu ; elle pourrait leur donner lieu d'imaginer qu'à la mort il n'y a plus entre les hommes aucune espèce de différence. Mais, comme nous avons fait voir dans notre précédent discours que la dernière scène de la vie, qui, aux yeux de la chair, met de niveau les descendants d'Adam et les animaux stupides, est au contraire celle qui jette entre eux le plus grand intervalle.

Ainsi la mort qui, en apparence, réduit au même état tous les hommes, est infiniment propre au contraire, si nous voulons y réfléchir, à nous faire présager un avenir qui mette entre eux la plus grande différence.

Le juste placé par la mort à côté du méchant ! ô homme ! médite et juge ; quelle preuve de l'immortalité !

L'un n'a vécu que pour faire des heureux, n'a cherché son bonheur que dans celui de ses semblables, s'est toujours oublié lui-même, quand il avait un devoir à remplir.

L'autre a toujours sacrifié son devoir à son intérêt, faisant son tout de la satisfaction des sens, et ne se proposant d'autre but de toutes ses actions que lui-même.

L'un n'a eu en vue dans toute sa vie que le ciel ;

l'autre a borné toutes ses espérances à cette terre.

L'un est mort comme ayant le plus grand gain à faire ;

et l'autre comme ayant tout perdu.

Et les voilà gisant l'un auprès de l'autre, sans que rien les distingue à nos yeux ! À cette vue, l'insensé, qui ne cherche qu'à se tranquilliser dans le vice, et à s'enhardir au péché, dira, comme celui dont parlé le prophète ; C'est en vain qu'on sert Dieu, et que gagne-t-on à garder ses commandements ? marchons donc selon que notre cœur nous mène, et selon les regards de nos yeux.

Mais l'homme sage dira au contraire : Ici est la preuve de l'immortalité ! Le grand Dieu, devant qui marchent la vérité et la justice, couvrirait-il éternellement de la même nuit du tombeau le méchant avec ses crimes, le juste avec ses vertus ?

Parmi tous ces hommes confondus dans le champ de la mort, ah ! le Père d'éternité connaît ceux qui lui appartiennent  ; il réserve aux uns un jour de colère, et aux autres un jour de rémunération : AUTREMENT OÙ SERAIT LA JUSTICE ?

Jésus, innocent de tous les péchés, modèle de toutes les vertus, est conduit au supplice avec un brigand tout souillé de crimes ; cloués sur la même croix, souffrant les mêmes tourments, ils meurent de la même mort !

Que l'univers étonné contemple un tel spectacle, et que le juste espère.

Trois jours s'écoulent à peine ; quelle différence dans leur sort !

À la vue du juste réduit par la mort au même état que le méchant, ne nous écrierons-nous pas avec la confiance du Psalmiste : Non pas pour nous, Seigneur, non pas pour nous. Mais pour l'amour de ton nom fais éclater ta gloire.

Autant sont différentes les routes qui conduisent à la mort, autant doivent l'être celles qui conduisent de la mort dans l'autre vie.

La nature a maintenant recueilli dans son sein une foule de semences ; la même terre les recouvre, elles y sont confondues, jetées au hasard, mêlées les uns aux autres, la plupart à peu près les mêmes, on a peine à les distinguer ; mais quelle différence dans les plantes qui les ont produites ! et quelle différence aussi dans celles qu'elles produiront à leur tour ! Ce sont même quelquefois les plus semblables de ces semences dont les productions sont les plus différentes.

Du même sol que je vois nu maintenant, et qui présente à mes yeux la plus parfaite uniformité, des semences qu'il renferme et que je ne distingue pas, il sortira des plantes de toute espèce, les unes propres à toutes sortes d'usages, les autres inutiles, les unes bienfaisantes, les autres malfaisantes, les unes parées de fleurs brillantes, les autres riches de fruits, les unes rampant sur la terre, les autres élevant vers le ciel un feuillage où les oiseaux pourront construire leurs nids.

Eh bien ! aussi grande sera la différence que mettra la résurrection des morts entre les hommes qui sortiront de ces tombeaux si semblables ; car aussi grande fut la différence de leur vie, et DIEU TIENT ENTRE SES MAINS LA BALANCE DE LA JUSTICE.

Mais la tombe du juste ne suffit-elle pas seule pour nous prouver l'immortalité, sans qu'il soit besoin de la voir à côté de celle du méchant ? Le juste meurt, et il a toujours vécu dans l'espérance que la mort le rapprocherait de son Dieu ; il a tout fait dans cette espérance ; il a sacrifié à cette espérance tout ce que les hommes recherchent : il sentait le besoin d'un bonheur plus grand que celui qu'on goûte sur cette terre, et il le sentait à proportion qu'il se perfectionnait davantage ; en expirant il a dit à Dieu, comme son Sauveur : O mon Père ! je remets mon esprit entre tes mains.

Et Dieu le repousserait loin de lui ! et il refuserait de recevoir son esprit ! et il donnerait le néant pour partage à son âme avide d'immortalité !

Si le Dieu d’Abraham, d'Isaac et de Jacob, laissait dans le tombeau ces saints hommes, qui sont morts dans la foi, croyant et saluant les biens à venir qui leur étaient promis, et se regardant comme étrangers et voyageurs sur la terre, serait-il donc encore leur Dieu ?

Non, non ; il n'est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants.

C'est par ce raisonnement si propre à parler au cœur, que Jésus prouvait aux Saducéens le dogme de la résurrection. Oh ! comme l'espoir de cette résurrection s'augmente sur la tombe du juste ! Et si ce juste fut aussi distingué par ses lumières que par sa justice, s'il joignit à la vertu la science, comme les intelligences célestes, c'est un nouveau rayon d'immortalité qui doit jaillir à vos yeux de la nuit de son tombeau.

Cet homme se fait admirer par la grandeur de son génie ; il dérobe à la nature ses secrets, perce les replis des cœurs, sonde les profondeurs de la science, calcule les lois de l'univers, s'élève à la contemplation des perfections du Créateur, d'une main hardie déchire une partie du voile qui sépare le présent de l'avenir, se transporte par la pensée dans un autre ordre de choses, y puise une vie qui se communique à ses paroles, qui fait briller sur tous ses traits une expression céleste, et échauffe tous ceux qui l'entendent de la chaleur de son âme.

Survient à son corps un accident, qui arrête le cours du sang dans ses veines.

Quoi  ! cette lumière s'éteindrait aussitôt ! et s'éteindrait sans retour ! et, dès cet instant, tous ces trésors seraient enfouis pour jamais !

Quoi  ! tandis que les corps, auxquels il convient d'être dissous et dissipés, n'éprouvent pas aussitôt après la mort de tels accidents, et peuvent même se conserver de longues années par les secours de l'art humain ; tandis que les corps ont une sorte d'immortalité (puisque quelques-unes de leurs parties résistent des siècles aux ravages du temps, et que les éléments qui les composent, en se séparant les uns des autres, ne sont pas anéantis, mais vont former de nouveaux corps), une telle âme périrait aussitôt tout entière !

Quand il faudrait un miracle pour l'arracher au néant, serait-ce trop attendre du Dieu qui l'a créée à son image ? et elle est de sa nature immortelle, il faudrait un ordre exprès du Créateur pour l'anéantir ; et vous pourriez la croire anéantie ?

Si je ne voyais dans le tombeau que de ces hommes qui végètent comme les plantes, ou qui, comme les animaux stupides, ne vivent que pour leur corps, je pourrais me faire à l'idée qu'ils demeureront toujours la proie de la mort ; mais l'anéantissement du juste, et surtout l'anéantissement du juste éclairé, c'est là une contradiction dans les idées.

Le juste, dans le tombeau, m'atteste la résurrection ; il fut un ange sur la terre, pourrait-il être exclu des cieux ? Et pourtant le juste meurt et nul n'y prend garde, dit Salomon. Ah ! pour nous, chrétiens, ne méritons pas le reproche renfermé dans cette observation du sage ; et ne quittons pas encore la tombe si instructive du juste.

Ici repose un homme qui a été en butte à tous les traits de l'infortune, mais qui les a repoussés à l'aide du bouclier de la foi, qui a arrosé son pain de ses sueurs, mais ne s'est point laissé abattre par la difficulté de sa tâche, parce qu’il envisageait la récompense, qui, sur une mer en tourmente, entendait sans émotion le bruit des ondes menaçantes et celui des vents déchaînés, parce qu'il avait toujours sous les yeux le port fortuné que rien ne pouvait l'empêcher d'atteindre, et la terre chérie, objet de ses constants désirs, qui, en épuisant la coupe du malheur, N'A CESSÉ DE SE CONFIER À DIEU, ET S’EST ENDORMI PLEIN D'ESPÉRANCE.

Ah  ! repose, repose en paix, âme du juste malheureux ; plus tu as souffert dans ce monde, plus tu jouiras dans l'autre ; ton espérance a été grande ; plus grande encore sera ta récompense.

Ton affliction qui na fait que passer, produira en toi le poids éternel d'une gloire infiniment excellente. Que nos bénédictions t'accompagnent, toi qui as triomphé du malheur par la foi, et que le malheur n'a pas empêché de faire constamment du bien ; et qu'après une vie rendue utile dans tous les instants à tes frères, ta mort le leur soit encore par les leçons qu’elle leur donne ! que, du fond même de ta tombe, ta voix nous anime à marcher sur tes traces bénies.

Oh  ! dussions-nous essuyer autant d'infortunes que ce juste, que nous mourrions de sa mort et que notre fin soit semblable à la sienne ? Prends garde à l'homme intègre, et observe l'homme droit, dit le Psalmiste, car la fin d'un tel homme est la paix.


IL N'Y A QU'UNE SEULE MANIÈRE D'ÊTRE JUSTE ;

IL Y EN A PLUSIEURS D'ÊTRE PÉCHEUR.


Les leçons que fournit la mort du juste sont plus instructives peut-être, mais celles que l'on peut tirer de la mort du pécheur sont plus variées. J'emploie ici le mot de pécheur dans son sens le plus étendu, comprenant sous cette dénomination tous ceux qui ne sont pas au rang des justes, et même l'homme inutile.

Le voilà mort, cet homme qui n'a vécu que pour lui-même, et qui a été un vain fardeau sur la terre.

Il n'a pas pu, en mourant, se rendre le témoignage d'avoir fait le moindre bien à ses semblables ;

il ne laisse après lui aucune trace de son passage dans le monde ;

il ne laisse après lui aucun regret ; aucune larme n'honore sa cendre.

Naître et mourir, voilà toute son histoire, une histoire bien propre à inspirer le plus profond dégoût pour une vie semblable à la sienne. Il n'a pas vécu, puisqu'il n'a point fait de bien, et son trépas n'a été qu'un changement de mort.

Tout le bien qu'on peut dire de lui, et le seul bon témoignage qu'il ait pu se rendre c'est qu'il n'a point fait de mal. Mais, que dis-je ? Il n'a point fait de mal ?

N'EST-CE PAS UN MAL, ET UN MAL AFFREUX, QUE D'ÊTRE INUTILE, QUAND ON ÉTAIT NÉ POUR PRATIQUER LES BONNES ŒUVRES, et peut-on n'être qu'inutile ?

Non, non ; c'est un tableau infidèle que celui que je viens de tracer. L'homme inutile doit être entaché d'un vice ou d'un autre qui l'entraîne souvent au mal, ou d'avarice, ou d'orgueil, ou d'intempérance.

S'il est avare, quelle leçon sa mort doit vous donner ! Qu'emporte-t-il au tombeau de ses richesses ? l'y feront-elles dormir d'un sommeil plus doux ? lui assureront-elles une plus grande place que celle du pauvre ? l'empêcheront-elles de devenir la pâture des vers ? Il aurait pu se procurer de si douces jouissances, en faisant servir ses richesses au soulagement des malheureux, au soutien de quelque entreprise utile ! il aurait pu les placer si avantageusement, en les employant pour s'acheter des amis dans le ciel !

L'insensé  ! il le serait déjà même quand il n'y aurait point d'autre vie, de s'être ainsi attaché à des biens qu'il devait perdre tôt ou tard, et de s'y être attaché toujours plus, à proportion qu'il était plus près de les perdre ; car l'avarice s'enracine avec les années qui nous approchent toujours davantage du terme de la vie.

Quel nom donner donc à l'avare, si son avarice le prive encore des biens à venir ? Je vois écrite sur sa tombe cette sage maxime de l'Apôtre : Comme nous n'avons rien apporté dans le monde, il est évident que nous n'en pouvons rien emporter ; ainsi, pourvu que nous ayons la nourriture et de quoi nous vêtir, cela doit nous suffire.

Si l'avare pouvait au moins acheter quelques années de plus au prix de l'or qu'il amasse si laborieusement ; mais des trésors sur des trésors ne sauraient prolonger d'un seul jour la vie de celui qui les entasse ; qui sait même si elle ne sera point abrégée par les embarras que lui causent ses richesses, et par la peine qu'il se donne pour les augmenter. Insensé !

Et l'ambitieux ! ah ! la mort l'accuse, comme l'avare, de folie.

O toi qui es toujours occupé à t'élever au-dessus des autres, qui veux acquérir à tout prix quelque nouvel honneur, qui ne dis jamais  : C'est assez  ; viens voir où aboutissent toutes tes prétentions, toutes tes intrigues ; viens voir, au bout de ta carrière, le sépulcre qui non plus ne dit jamais : C'est assez. Cet orgueilleux, sur les pas duquel tu marches, se levait de jour en jour ; où allait-il ? il allait tomber dans la fosse. Où allait-il, lui qui ne cherchait que les distinctions, les préférences ? justement à côté de l'homme qu'il dédaignait, qu'il regardait en pitié, là où tous les rangs se confondent, où le riche et le pauvre se rencontrent, où la demeure de l'un est au niveau de celle de l'autre.

Insensé  ! c'est le nom qu'il faut donner à tous les pécheurs,

quand on voit la tombe entrouverte pour les engloutir.

L'intempérant fait tout pour son corps, pour la satisfaction des sens, et son corps va être réduit en poudre.

Il ne vit que pour les plaisirs, et ses excès vont amener à leur suite les douleurs, les souffrances et la mort qu'il redoute tant. Si la mort, du fond des sépulcres, venait raconter aux vivants comment la moitié de ses victimes sont tombées sous ses coups, vous l'entendriez vous dire que c'est la sensualité, l'intempérance, l'abus des plaisirs qui ont creusé leur tombe. Insensés ! au lieu de soigner leur âme immortelle !

Tous ces pécheurs ne peuvent s'empêcher de reconnaître quelquefois eux-mêmes leur folie ; c'est quand ils viennent à penser qu'il faudra mourir un jour ; cette pensée leur suggère quelquefois des projets de conversion ; mais ils s'en tiennent à des projets, s'imaginant qu'ils seront toujours à temps pour les réaliser.

Pécheurs, qui différez de vous convertir, dans l'idée qu'il se présentera un moment plus favorable, pensez que de tous ceux qui meurent sans être, devenus sages, il n'en est peut-être point qui ne se fussent promis, à certaines époques de leur vie, de le devenir une fois ; mais les habitudes sont devenues de jour en jour plus fortes, la volonté plus faible, et la conversion plus difficile.

Comme les arbres, auxquels les années font jeter des racines toujours plus profondes, plus ce pécheur, maintenant couché dans le tombeau, a vécu, plus il s'est attaché à la terre, plus il s'est enlacé dans les liens du monde, et il est mort impénitent, en conservant toujours l'espoir et le désir de ne mourir que converti.

Quelle leçon ! Oh ! qu'ayant fait si peu de bien pendant sa vie, sa mort au moins soit utile par les réflexions salutaires qu'elle est si propre à inspirer !

Elles doivent être encore bien plus sérieuses et bien plus frappantes pour vous, pécheurs qui avez contribué en quelque chose aux dérèglements de cet infortuné que vient de frapper la mort.

VOUS l'avez entraîné au mal par vos scandales, ou peut-être même, émule du démon, par des conseils perfides et des séductions infernales  ; et le voilà qui a fini le temps de son épreuve ; le voilà devant le tribunal du souverain Juge que vous l'avez fait outrager, subissant peut-être déjà la peine de ses péchés qui furent en partie votre ouvrage.

Ah  ! je ne suis pas surpris que l'histoire des pécheurs régénérés en compte plusieurs des plus illustres par leur pénitence, qui ont été ramenés au devoir par la mort soudaine de quelqu'un de leurs compagnons de désordre.

Quelle leçon pour eux qu'une telle mort !

Cet homme frappé à côté de moi, devaient-ils se dire, l'a été, sans s'y attendre ; était-il prêt à paraître devant Dieu ?

JE PUIS ÊTRE FRAPPÉ COMME LUI, SANS AVOIR MIEUX FAIT QUE LUI MA PRÉPARATION, SI JE NE COMMENCE PAS À L'INSTANT MÊME À LA FAIRE.

Il va rendre compte, et quel compte ! et les mauvais exemples que je lui ai donnés, les dangereux principes dans lesquels il s'est affermi en me les voyant partager, seront peut-être une des causes de sa condamnation !

Ah  ! que du moins à l'avenir je ne sois pour aucun autre une occasion de chute ! qu'à l'occasion de la mort d'aucun autre, je n'aie à me faire d'aussi affreux reproches !

Il y a peut-être parmi vous des pécheurs régénérés, qui, après avoir été par leurs désordres, une occasion de chute pour plusieurs, sont devenus des modèles à suivre, et des flambeaux au milieu de l'église.

Si, prenant un moment ma place dans cette chaire, ils venaient vous dire, quels souvenirs pénibles leur laissent les scandales qu'ils donnèrent à tels ou tels de leurs frères, surpris par la mort, sans avoir eu, comme eux, le temps d'apaiser le ciel par leur repentance ; et si, vous ouvrant leurs cœurs, ils vous y faisaient lire tous les sacrifices, au prix desquels ils auraient si souvent voulu, et voudraient encore, racheter ces malheureux scandales, scandaleux pécheurs, qui, au milieu de vos dérèglements, conservez le désir de vous convertir un jour, j'ai peine à croire qu'une leçon pareille ne vous inspirât pas celui de hâter à tout prix votre conversion !

O vous, qui ne trouvant plus sur la terre les victimes de vos scandales, êtes tourmentés de l'idée que, malgré toute votre envie actuelle, vous êtes à tard pour arracher l'aiguillon empoisonné du vice que vous avez enfoncé dans leur âme, je vous entends nous demander dans votre inquiétude, s'il ne vous reste donc point quelque moyen de la calmer ! Que vous dirai-je ?

Travaillez à retirer du précipice bien plus de pécheurs que vous n'y en avez entraîné ; n'épargnez rien pour les ramener au devoir, mettez tout en œuvre, conseils, exhortations, réprimandes, prières, démarches, sacrifices de tout genre, exemples de plus en plus parfaits.

Ces malheureux que vous avez entraînés au mal, y en avaient entraîné d'autres à leur tour ; ceux-ci vivent encore ; ah ! c'est surtout avec eux qu'il faut employer tous vos moyens de conversion, si vous voulez travailler de la manière la plus efficace à réparer vos torts envers ceux qui ne vivent plus, et apaiser les reproches que vous fait à leur sujet votre conscience agitée,

Qu'est-ce qui tourmente le plus le mauvais riche dans les enfers ? La pensée de ses cinq frères, qui, devenus à son exemple pécheurs comme lui, doivent le suivre un jour dans ce lieu de supplice.

Il prie ardemment Abraham d'envoyer quelqu'un dans la maison de son père, pour les avertir de l'état où il se trouve, et qu'il tremble de les voir partager.

ABRAHAM NE PEUT ENVOYER PERSONNE ; mais que ceux qui ont contribué à faire contracter à cet infortuné les vices dont il subit maintenant la peine, cherchent du moins à la lui alléger, par leurs efforts pour sauver ses cinq frères.

Plus vous sauverez de pécheurs, pécheurs régénérés, plus se tranquillisera votre âme, agitée par le souvenir de ceux que vous portâtes jadis au mal, et pour le salut desquels vous ne pouvez plus rien faire ; et, aux pieds de la croix du Rédempteur, le profond sentiment du pardon qu'il vous accorde, absorbant votre âme tout entière, aura peut-être le pouvoir de bannir enfin de votre âme ce pénible souvenir ; je dis, peut-être, et seulement peut-être.

Heureux donc, cent fois heureux, ceux qui n'ont jamais été dans le cas d'entendre leur conscience leur dire à la mort de quelqu'un de leurs frères : S'il est exclu du ciel, c'est ta faute.

Heureux aussi, cent fois heureux, ceux qui ont toujours agi avec leurs semblables, de manière à n'avoir pas à se reprocher des offenses, des injustices, dont ils se soient rendus coupables envers ceux qui ne sont plus.

Oui, cent fois heureux ! répètent, sans doute ici, plusieurs d'entre vous, qui donneraient tout au monde, pour pouvoir effacer de leur vie et de leur mémoire un grand nombre de torts devenus irréparables par la mort de ceux envers qui ils les eurent. Irréparables ! ils ne le sont pourtant pas tout à fait, mon cher frère : ah ! nous vous entendons nous demander avec empressement, quels moyens nous pouvons vous indiquer de les réparer.

Mon cher frère, ceux qui ont eu à se plaindre de vous et qui n'existent plus, aimaient sans doute quelqu'un qui existe encore ; voici, faites-leur tout le bien possible dans la personne de leurs parents et de leurs amis, en réparation du mal que vous leur avez fait pendant leur vie ; et, si vous ne trouvez pas de leurs parents et de leurs amis à qui vous puissiez faire du bien, faites-en à tous ceux, quels qu'ils soient, à qui vous pouvez en faire, et faites-en toujours davantage.

Ainsi la voix de reproche de votre conscience pourra être à la fin couverte par une voix d'approbation ; ainsi le souvenir des heureux, que depuis longtemps vous n'aurez cessé de faire, effacera peut-être à la fin celui des torts que vous eûtes jadis envers des personnes qui ne sont plus.

Je dis encore ici, peut-être, et seulement peut-être  ; et, ce peut-être, au-delà duquel je ne puis aller, doit être, pour tous ceux qui nous entendent, un puissant motif à se garder soigneusement de toute espèce de mauvais traitements, d'offenses, d'injustices envers les compagnons de leur voyage sur la terre.

Heureusement la mort de tous les hommes ne laisse pas cet aiguillon déchirant du reproche dans l'âme de ceux qui vivaient avec eux ; heureusement il dépend de nous, de prévenir de telles causes de regrets ; mais il est des regrets inévitables, causés aux hommes par la mort de leurs semblables.

Qui d'entre vous n'aime ou n'a jamais aimé personne ? et ceux que nous aimons sont mortels. Vous avez tous perdu quelqu'un qui vous était cher ; vous êtes tous encore menacés de quelque perte semblable. On ne peut jamais porter ses regards sur une de ces assemblées, sans y rencontrer les marques du deuil et de l'affliction.

C'est David qui pleure Jonathan, Joseph qui pleure Jacob, Rachel qui pleure ses enfants, Marthe et Marie qui pleurent leur frère. Or, y a-t-il des consolations à adresser aux affligés, auxquels l'impitoyable mort a ainsi ravi les objets de leurs plus tendres affections ? oui, et elles sont grandes.

St. Paul, après avoir mis sous les yeux des Thessaloniciens les raisons qui doivent assurer le chrétien d'une vie avenir, ajoute : Consolez-vous donc les uns les autres par les choses que nous venons de vous dire. Consolez-vous, vous que la mort a frappés dans tout ce qui vous était le plus cher au monde ; les objets de vos affections que vous avez perdus, sont en paix, à l'abri des maux de cette vie, ils sont passés du temps à l'éternité, ils sont rapprochés de leur Dieu, ils sont dans ses bras ; ils sont allés augmenter cette multitude que personne ne peut compter, de toute nation, de toute langue, de tout peuple, cette multitude d'anges et de saints glorifiés qui peuplent la Jérusalem céleste.

Si c'est un tendre enfant qui vous a été enlevé, si ses yeux, à peine ouverts à la lumière, ont été fermés par la mort ; ah ! ne le plaignez pas ; il a approché ses lèvres de la coupe de la vie, et, la trouvant trop amère, il l'a aussitôt repoussée ; que de peines il a évitées ! que d'écueils où peut-être eût échoué sa vertu ! Ne le plaignez pas. SON SALUT EST ASSURÉ. Il est entré dans le ciel, pur comme il était sorti des mains de son Dieu, avec cette innocence que le Sauveur proposait à l'imitation de ses disciples.

Est-ce au milieu de sa carrière que l'ami de votre cœur a été retranché de la terre des vivants ? S'il l'a fournie en chrétien, ah ! ne le plaignez pas, il a assez vécu. En mourant de bonne heure, dit le livre de la Sapience, celui qui plaît à Dieu a rempli une longue vie ; son âme était agréable à Dieu, qui l'a retirée du milieu des iniquités.

Enoch est enlevé au ciel dans la force de son âge ; c'est une récompense que Dieu lui accorde. Le juste que vous regrettez pouvait encore être utile ; oui ; mais il méritait depuis longtemps d'être heureux. IL ÉTAIT MÛR POUR L'IMMORTALITÉ.

Si celui que vous pleurez approchait des dernières limites de la vie humaine, quand son nom a été retranché de la terre des vivants, ah ! ne le plaignez pas.

Le poids des années affaiblissait son corps, les forces de sa vie s'épuisaient, et il en va reprendre une toute nouvelle, un homme nouveau naîtra des cendres du vieil homme, et une jeunesse éternelle remplacera les rides et les infirmités de l'âge : ne le plaignez pas, dans une longue vie on épuise bien des calices amers ; il a pleuré déjà assez des siens que lui a enlevés la mort, elle est devenue un droit pour lui.

Les regrets que vous cause la perte de ceux que vous aimez, mes frères, doivent vous les faire trouver bienheureux de n'avoir plus à éprouver des déchirements si cruels.

Les justes que Dieu retire à lui me semblent dire à ceux qu'ils laissent sur la terre, ce que Jésus disait aux femmes de Jérusalem qui pleuraient de le voir conduire à la mort : Ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes. Pleurez sur vous-mêmes  ; oui, il vous est permis de pleurer, quand vous perdez quelqu'un qui vous est cher. Le christianisme, qui n'exagère jamais les devoirs, ne nous en fait pas un de l'insensibilité à la mort de nos proches ; il ne nous ordonne pas de suivre d'un œil sec le cruel cercueil qui nous enlève l'ami que nous donna la nature, ou celui que choisit notre cœur, et dont l'âme était parente de la nôtre.

Jésus lui-même versa des pleurs de regrets sur Lazare devenu la proie de la mort, et ceux qui le voyaient pleurer, se disaient : Voyez comme il l'aimait.

Vous aimiez cet homme comme vous-mêmes ; il faisait le charme de votre vie, doublait tous vos plaisirs et adoucissait toutes vos peines en les partageant, vous soutenait dans vos travaux ; votre âme était comme à l'unisson de la sienne, elles étaient, pour ainsi dire, une seule âme ; et la faux de la mort est venue trancher ces liens. C'est là un déchirement plus douloureux que les plaies les plus profondes faites au corps ; si quelque chose peut adoucir celles que de tels coups font à l'âme, c'est sans doute la religion ; mais, quand la plaie est récente, la religion elle-même ne peut l'empêcher de saigner ; elle y verse le baume le plus salutaire ; mais elle ne la cicatrise pas à l'heure même ; elle ne peut remplir entièrement cet affreux vide de l'âme.

Il est des peuples chez qui on célèbre par des réjouissances la mort de ceux qu'on a perdus ; ah ! ce n'est pas là l'expression de la nature. Sans doute ceux qui meurent vont dans une meilleure vie, et il faut s'en réjouir pour eux ; mais ceux qu'ils laissent sur la terre les ont perdus ! ils les rejoindront un jour ; mais maintenant la mort les sépare ! et la séparation d'avec ceux qu'on aime, dussent-ils aller occuper un trône, laisse toujours un si grand vide ! l'adieu, le fatal adieu adressé à ceux que l'on aime, même avec l'espérance de les revoir, et de les revoir plus heureux, coûte toujours tant au coeur  ! Je dis : De les revoir plus heureux ; car j'ai besoin de supposer au nombre des justes ceux que la mort a ravis à votre tendresse, POUR POUVOIR VOUS CONSOLER DE LEUR PERTE ; s'ils n'étaient pas de ce nombre..... je n'achève pas : je touche ici une corde trop délicate et trop sensible.

Il y a ici quelque chose de profondément mystérieux, où la raison flotte incertaine et où le cœur craint de pénétrer. Y a-t-il dans les trésors de la bonté divine quelque moyen de conserver pur le bonheur des élus, même quand ils sentiront malheureux ceux qu'ils avaient aimés sur la terre ?

Ah  ! mes frères, désirez que ceux que vous aimez appartiennent à la race élue, désirez pouvoir dire avec Jésus-Christ : Ceux-là sont ma mère, mes frères, mes sœurs, qui font la volonté de mon Père céleste.

La foi à l'immortalité, je le répète ici encore, s'accroît sur la tombe du juste, et le sourire de l'espérance peut briller à travers les pleurs que fait répandre sa mort.

Désirez que ceux que vous aimez appartiennent à la race élue : la perte des justes, il est vrai, laisse les plus sensibles regrets ; car il n'y a d'affections profondes que celles qu'avouent la piété et la vertu, d'amitiés réelles et sincères que celles des David et des Jonathan, entre qui est l'Éternel ; mais c'est à la mort des justes seuls que peut s'ouvrir le trésor des seules vraies consolations.

Désirez que ceux que vous aimez appartiennent à la race élue ; désirez-le, ET TRAVAILLEZ-Y DE TOUTES VOS FORCES ; vous pouvez plus que vous ne l'imaginez pour le salut de ceux que vous aimez, et qui sans doute vous paient de retour.

Donnez à la santé de leur âme autant de soins qu'à celle de leur corps  ; vous connaissez et leur procurez la nourriture qui leur est la plus salutaire, vous cherchez à les mettre à l'abri de l’influence d'un air malfaisant, à les éloigner des lieux où la contagion de quelque maladie pourrait les atteindre ; et, quand malgré vos précautions et votre vigilance, ils viennent à tomber malades, rien n'égale votre sollicitude, les veilles ne vous coûtent point, vous êtes toujours auprès d'eux, attentifs à ce qui peut leur convenir, vous les entourez de tous les secours de l'art, vous faites tout pour les sauver.

Ah  ! faites-en autant pour leur âme, et vous ne le ferez pas en vain.

Tendre mère, qui concentres tes affections sur des enfants chéris dont ta bénie l'Éternel, quand tu leur prodigues ces soins que sait donner une mère, peut-être penses-tu quelquefois qu'ils te les rendront dans ton âge avancé, et qu'ils fermeront tes paupières. Hélas, c'est toi, qui, triste Rachel, fermeras peut-être les leurs.

Ah  ! instruis-les tellement dans la crainte du Seigneur, que, les ayant reçus de lui innocents, tu puisses les lui rendre saints, et qu'ils ne soient arrachés de tes bras que pour passer dans ceux de ce bon Père.

O vous tous qui vous aimez, cimentez vos affections par la piété et la vertu, et rien ne pourra plus vous séparer de l'amour que vous vous porterez les uns aux autres, quand rien ne pourra vous séparer de l'amour de votre Dieu.

Enlacés d'un lien d'immortalité, la mort, quand vous serez réunis dans le ciel, n'aura fait que resserrer ce lien. Vous ne serez même pas entièrement séparés, par la mort, de ceux qu'elle aura fait monter au ciel avant vous. Vos corps le seront, mais vos âmes demeureront unies.

Ah  ! la vôtre s'élèvera fréquemment vers le ciel, quand vous y aurez ceux que vous aimiez ; leur souvenir se mêlera à tous vos actes de dévotion ; vous les verrez dans le sein de leur Dieu, dans toutes les prières par lesquelles vous vous approcherez de lui, et du sein de l'éternelle paix, ils vous sembleront (*) descendre quelquefois près de vous ; vous croirez entendre (*) leur voix amie mêler à leur accent si doux quelque chose de céleste ; .... quand vous serez tentés de faire le mal, leur image se présentera à vous, comme un ange tutélaire, pour vous dire : Arrête. (* Les morts ne savent rien du tout... ils n’ont plus de part à jamais dans tout ce qui se fait sous le soleil. Eccl. IX, 5-6)

Sachant citoyens des cieux ceux que vous aimiez comme vous-mêmes, il sera doux et naturel pour vous de montrer dans votre vie terrestre déjà quelques traits de la vie du ciel ; et, plus vous vous sanctifierez, plus l'espoir de cette vie éternelle promise à la sanctification remplira et réjouira vos cœurs ; et, plus les progrès des années et ceux de votre vertu vous rapprocheront du ciel, moins vous craindrez le naufrage qui doit vous conduire au port, dans les bras de ceux qui vous y attendent, et dont rien, dans cette céleste patrie, ne pourra plus vous séparer.

Mais toutes les relations ne sont pas aussi intimes que celles que je viens de représenter comme ne pouvant être rompues par le trépas ; et ce ne sont pas seulement les parents et les amis particuliers qui suivent les convois mortuaires. Or, mon dessein dans ce discours étant de vous présenter les principales réflexions qu'on entend aux oraisons funèbres, je dois m'adresser encore à ceux qui se joignent aux parents du mort que l'on porte en terre, comme appartenant à l'état qu'il exerçait pendant sa vie.

En assistant à ses funérailles, mes frères, vous devez vous y adresser une leçon importante, savoir, que vous êtes appelés à le remplacer autant que possible, dans la société pour le bien qu'il y faisait ; s'il fut très utile, à l'être autant que lui  ; à l'être plus que lui, s'il ne le fut pas autant qu'il aurait dû l'être.

Dans l'espace de quelques années, plusieurs lumières se sont éteintes au milieu de nous, chrétiens. Naguère encore nous avons rendu à la terre les dépouilles mortelles d'un homme qui jeta les semences les plus précieuses dans l'esprit et le cœur d'un grand nombre, qui, du haut de ces chaires sacrées, faisait briller dans tout son éclat le flambeau de la religion, qui, doué de l'âme ardente d'un St. Paul et de l'énergie d'un prophète, communiquait l'instruction et la vie à tous ceux qui l'entendaient. (Dans ce morceau, où l'on doit reconnaître l'accent du cœur, je payais un juste tribut de regret à la mémoire de Mr Chaillet, ancien pasteur de l'église de Neuchâtel, qu'une mort subite venait d'enlever à sa patrie, dans un âge déjà avancé, mais où, ayant admirablement conservé toutes ses facultés intellectuelles, il pouvait encore être éminemment utile. Distingué, sous le rapport de la prédication, il l'était davantage encore sous celui de l'enseignement, et longtemps il fut en quelque sorte pour nous une académie.)

Jeunes gens, espoir de notre patrie ! quand vous voyez s'éteindre quelques-unes de ces lumières qui nous éclairent, ah ! redoublez de zèle, pour faire fructifier les germes de talents et de vertus mis en vous par la nature, et pour rendre ainsi moins sensible la perte qu'a faite la patrie.

Quand un de ces arbres magnifiques qui répandent au loin une ombre protectrice, et se chargent des fruits les plus salutaires, vient à tomber frappé de la foudre, jeunes plantes, qui croissiez à l'entour, étendez vos rameaux, épaississez votre feuillage, et devenez fertiles en fruits qui remplacent ceux qu'il portait.

Du fruit, du fruit, des vertus ; j'en reviens toujours là, mes frères, en traitant ce sujet de la mort ; quelque leçon que nous donne la mort, elle y ajoute toujours le précepte du sage, CRAINS DIEU, ET GARDE SES COMMANDEMENTS, car c'est le tout de l'homme  ; cette leçon doit se retrouver dans tous les discours funèbres ; ne vous étonnez donc pas de l'entendre répéter si souvent, et sous différentes formes, dans celui-ci où j'ai voulu rassembler, comme je l’ai dit, les principales instructions qu'on adresse sur la tombe des morts aux assistants qui viennent y rendre les derniers devoirs à quelqu'un de leurs semblables.

On ne les y adresse plus parmi nous ; et c'est pourquoi j'ai voulu vous les adresser du haut de cette chaire, afin qu'elles se représentent à votre esprit, quand la mort de quelqu'un de vos semblables vous fournira une occasion particulière de les méditer, et afin quelles vous tiennent ainsi lieu jusqu'à un certain point, des oraisons funèbres qui vous manquent.

Ces oraisons funèbres, je ne puis m'empêcher d'avouer ici que je les regrette, chrétiens. Nous les avons remplacées par une collecte pour les morts qui n'est d'ordinaire entendue que par quelques fidèles étrangers à ceux à l'occasion desquels elle est lue ; est-ce suffisant ? Et la voix de la religion ne devrait-elle pas être entendue au moins quelquefois dans les lieux sacrés, où nous irons un jour nous-mêmes mêler nos cendres à celles de nos pères ? On fait souvent au protestantisme le reproche qu'il a trop peu de cérémonies ; eh bien ! en voici une des plus imposantes et des plus simples à la fois, qui ne contraste point avec les autres parties de notre culte, et qu'autorise l'usage de bien des siècles et de la plupart des peuples ; pourquoi ne pas la célébrer ? Ne donnons pas lieu à une église dont nous nous sommes séparés, de nous accuser d'enterrer nos semblables comme les êtres qui n'ont aucune espérance au-delà du tombeau.

(L'importance que j'attache aux oraisons funèbres, est une des raisons pour lesquelles j'ai fait imprimer ces sermons : je désire que ce que je viens de dire à cet égard appelle l'attention des principaux membres de l'église où j'exerce les fonctions du ministère, sur ces deux questions bien dignes d'examen : Convient-il de rétablir parmi nous les oraisons funèbres ? et de quelle manière ? J'ai dit ; « La voix de la religion ne devrait-elle pas être entendue, au moins quelquefois, dans les lieux sacrés, etc. » Je comprends parfaitement qu'à raison des localités les oraisons funèbres ne peuvent pas toutes se faire dans le cimetière même ; mais ne pourraient-elles pas se faire, ou toutes ou la plupart, dans la maison d'où part le convoi funèbre ? ou bien, ce qui serait mieux encore, dans la maison de Dieu, où se sont passées les scènes les plus importantes de notre vie, et où la religion nous recevrait ainsi au sortir de ce monde, comme elle nous y a reçus à notre entrée dans le monde et dans l'Église. Ce service funèbre, fait dans le temple, ne serait guère une surcharge d'occupations pour les pasteurs ; il remplacerait naturellement les prières journalières du soir, dont la suppression aurait peu d'inconvénients, vu le petit nombre des personnes qui y assistent. Du reste je ne propose ces deux manières de faire les services funèbres qu'à l'imitation de ce qui a lieu dans un grand nombre de villes protestantes.)

Jadis les enceintes funèbres étaient toujours placées auprès de la maison de Dieu ; il y avait là quelque chose de bien touchant ; les morts reposaient, comme à l'ombre du temple du Dieu vivant, à côté de la maison de prière qui est la porte des cieux. Quand les fidèles y venaient rendre leur culte, leurs regards pensifs et attristés rencontraient la terre dépositaire de ceux qu'ils aimaient ; mais ils allaient entendre la parole de vie, et les promesses faites aux hommes par le Sauveur, ils allaient se pénétrer, aux pieds des autels, des vérités saisissantes de la religion ; et l'idée de la mort, se liant dans leur esprit et dans leur cœur à celle de l'immortalité et des glorieuses espérances du chrétien, perdait à leurs yeux son horreur.

Cet usage, dicté par la piété, ne l'était sans doute pas par la prudence ; aussi me garderais-je bien de réclamer contre son abolition ; mais je réclame en faveur du principe qui l'avait fait établir. Il y a dans la mort quelque chose de religieux, de sacré, de solennel. Il faut tout faire pour que l'idée de la mort ne se présente à nous qu'accompagnée de celle des grandes vérités qui lui ôtent son horreur ; il faut tout faire pour que l'idée de la mort, devenant une idée essentiellement religieuse, acquière la plus grande influence sur la vie ; et ces effets salutaires, les oraisons funèbres sont certainement un des moyens les plus propres à les produire. On y trouve des inconvénients.

Je n'examine pas ici si ces inconvénients dont on nous parle n'ont pas eux-mêmes assez souvent un côté utile ; mais le plus grand de tous les inconvénients, selon nous, est de ne pas assurer toute l'efficace possible aux leçons que nous donne la mort. Les inconvénients des oraisons funèbres sont seulement possibles, et les avantages certains.

Il est certain que les instructions du ministre de Dieu trouveront des oreilles plus attentives dans un lieu où tout invite au recueillement et au silence ; et que le cœur des personnes affligées qui viennent confier à la terre les cendres de ceux qu'ils aimaient, est plus ouvert que jamais aux impressions religieuses ;

il est certain que, s'ils répandent des larmes plus abondantes, elles seront moins amères ;

il est certain que tous les grands sentiments, tels que ceux qu'il est si naturel d'éprouver dans une telle cérémonie religieuse, tournent au profit de la morale.

O homme ! si, après avoir entendu les graves et consolantes leçons de la religion au milieu d'une enceinte funèbre, tu ne te sens pas plus disposé à user de ce monde comme rien usant pas, à l'attacher aux choses d'en haut, à élever ton âme à Dieu, et à remplir tes devoirs envers les compagnons de ton pèlerinage, va, tu n'es pas un homme ; tu te ravales au niveau de ces êtres dont la mort n'est instructive pour aucun de leurs semblables.

Non, je ne connais aucune scène qui soit plus propre à frapper salutairement l'imagination, à élever et à toucher le cœur. Une tombe est ouverte dans les rangs serrés d'une foule d'autres tombes qui renferment, chacune, leur proie. Des parents et des amis en deuil viennent y déposer un des leurs qu'ils ne reverront plus sur la terre des vivants. Un homme de Dieu, un ministre des autels, un ambassadeur de Christ auprès de ses semblables le reçoit de leurs mains pour le remettre entre celles du prince de la vie.

Là, sous la voûte des cieux, au milieu du temple de la nature, il prononce d'une voix solennelle ces graves paroles qui nous rappellent la chute du premier des mortels : Nous rendons la poudre à la poudre, la cendre à la cendre. Il répand quelques fleurs sur cette tombe entrouverte, pour honorer la mémoire du juste dont elle doit contenir les restes, il console ceux qui le perdent en leur disant avec les anges que les saintes femmes trouvèrent au tombeau de Jésus : IL N'EST PLUS ICI ; il leur propose son exemple à suivre, il les exhorte à se préparer à la mort qui bientôt les amènera eux-mêmes dans ce lieu, et il élève au ciel un regard d'amour et de foi, appelant la paix de Dieu, et sur celui qui repose dans le cercueil, et sur ceux qui lui rendent les devoirs funèbres.

Ah  ! si la flamme céleste s'est jamais communiquée aux paroles de l'homme, et a jamais fait briller le génie de l'homme de tout son éclat, c'est quand, sur les tombes des morts, foudroyant toutes les vanités humaines, il a opposé au néant de tout ce qui passe les perfections de l'Être des êtres et les réalités du ciel. L'homme le moins doué du don de la parole, doit être éloquent en parlant, dans un tel lieu et dans de telles circonstances, du temps qui fuit, de la mort qui s'avance, du jugement et de l'éternité. Je l'ai été moi-même quelquefois dans ces discours, que vous avez écoutés, je l'ai vu, avec une attention particulière ; elle était commandée par l'importance du sujet que j'ai traité, et sur lequel vos cœurs avaient peut-être besoin d'entendre les réflexions qu'il doit naturellement fournir.

Si celles que je vous ai présentées vous ont rendus attentifs et vous ont paru utiles, cela est d'un grand poids en laveur des oraisons funèbres.

Je n'ajouterai pas d'autres réflexions ; mais, après avoir tant parlé de la mort, des ravages du temps, du deuil, des tombeaux, de la poudre, du néant, j'ai besoin de m'élever à toi, être des êtres, dont le nom est celui qui est, Dieu vivant, être immuable, devant qui les morts et les vivants se succèdent sans interruption, entraînés par le torrent irrésistible des siècles.

Oh  ! quand tout change, quand tout passe, quand tout s'écoule, se dissipe, se détruit autour de moi, oh ! que je m'attache à toi qui es toujours le même, et qui m'invites à partager ton immortalité bienheureuse ; oh ! que je te bénisse de ce que tu nous as envoyé celui qui est le chemin, la résurrection et la vie, de celui qui a fait jaillir pour nous des sources si abondantes de consolations, et briller à nos yeux de si glorieuses espérances !

Béni soit le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui, selon sa grande miséricorde, nous a fait renaître, en nous donnant, par la résurrection de Jésus-Christ d'entre les morts, une espérance vive de posséder l'héritage qui ne se peut corrompre, ni souiller, ni flétrir, et qui est réservé dans les cieux pour nous. 

Amen.

Chapitre précédent Table des matières -