Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

SERMONS SUR LA MORT.

1er sermon

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Sur Luc VII, 11 :

Le jour suivant Jésus allait à une ville nommée Naïn, accompagné d'un grand nombre de disciples, et d'une grande foule de peuple ; et comme il approchait de la porte de la ville, il se trouva qu'on portait un mort en terre.

L'année, en parcourant le cercle régulier que lui a tracé le Créateur, a varié en mille manières les saisons, et la scène que, sur son déclin, elle offre maintenant à nos yeux, (Ces sermons ont été prêchés en automne.) est bien différente de celles qui ont signalé le reste de son cours.

L'astre bienfaisant, allumé par le Créateur dans la voûte céleste pour éclairer notre globe, s'enveloppe habituellement d'un voile de nuages, et semble ne laisser échapper qu'à regret sa lumière : la nuit, entourée de ses ténèbres, dispute et enlève aux jours la moitié de leurs clartés : les vents ne rafraîchissent plus de leurs douces haleines, ils engourdissent de leur souffle glacé : les oiseaux ne célèbrent plus, dans leurs mélodieux concerts, le Dieu qui leur a donné l'être : les parfums qui embaumaient un air pur, les tapis de verdure où se reposaient nos yeux, les fleurs dont était émaillée la terre, et les fruits qu'il enrichissaient, tout a disparu.

L'automne a paré sa couronne des couleurs les plus variées et les plus riches, près de la laisser flétrir et tomber : on voit encore quelques beaux jours où la nature semble se ranimer, mais c'est comme son dernier soupir ; après avoir brillé de tout l'éclat de la jeunesse, elle s'est épuisée à tirer de son sein d'innombrables productions de tout genre ; elle est morte.

Ainsi tout passe, tout se dissipe, tout s'écoule, tout se détruit. Comme la parure des arbres est tombée, ainsi les arbres tomberont à leur tour ; ainsi périra ce monde entier que nous habitons, quand les saisons des siècles seront révolues ; ainsi l'homme lui-même, qui médite sur cette loi de tous les êtres du monde visible, la subira comme les autres. Il est poudre, et il retournera en poudre.

L'aspect de la nature, tel qu'il s'offre maintenant à nos yeux, me paraît bien propre à faire prendre un semblable cours à nos idées, et à nous inspirer une telle réflexion sur notre avenir.

Je crois même pouvoir dire que, parmi les hommes dont l'esprit a quelque culture, et les sentiments un certain degré de délicatesse, il en est peu qui n'éprouvent la mélancolique influence de la saison actuelle. Leur âme, comme à l'unisson de la nature, semble se couvrir aussi d'un nuage, leurs pensées sont plus recueillies, et leurs méditations plus sérieuses.

Moins absorbés par le présent, les heures deviennent plus fréquentes où ils soulèvent avec douleur le voile d'oubli qui commençait à s'épaissir sur les malheurs passés, et avec crainte une partie de celui qui leur dérobe encore l'avenir.

Plus attentifs aux avertissements qui leur sont donnés de penser à la mort, ils pensent à celle des personnes chères qu'ils ont perdues, des personnes chères qu'ils tremblent de perdre encore ; ils pensent à la leur propre, et prennent ainsi un douloureux plaisir à mêler leur deuil au deuil de toute la nature. Aussi, quand de savants pinceaux ont voulu peindre ce mystérieux sentiment de la mélancolie, ç’a presque toujours été avec les couleurs de cette dernière saison de l'année, et c'est dans cette saison qu'une Église, qui a cru pouvoir ajouter plusieurs cérémonies à celles qui ont été prescrites par la religion même, a placé la fête des morts.

À l'époque où la terre vient de se dépouiller de ses richesses en faveur de l'homme, et va devenir la proie des frimas, cette Église, après avoir en un jour solennel rassemblé ses membres aux pieds des autels du Seigneur, les appelle dans les enceintes funèbres, pour payer à la cendre des amis, des parents ravis à leur tendresse, un tribut de regrets sanctifié par la religion, et pour méditer, en foulant la poudre des morts, sur les devoirs des vivants, sur le néant de notre existence actuelle, et sur l'immortalité qui la suit.

Une telle fête est touchante, sans doute ; devons-nous la regretter ? Je l'ignore ; mais quelques-uns des buts que se sont proposés ceux qui l'ont instituée sont certainement très utiles : il l'est infiniment pour l'homme de méditer quelquefois sur la mort, et c'est ce que je viens faire aujourd'hui avec vous, chrétiens mes bien-aimés frères.

Quand la nature étalait à nos yeux ses charmes naissants, je vous présentai quelques réflexions qu'alors elle devait faire naître ; maintenant qu'elle se montre à nous si différente, je vous en présente d'un autre genre quelle est aussi propre à nous inspirer.

D'ordinaire nous craignons de ne pas émouvoir votre sensibilité au degré qu'exigeraient les sujets que nous traitons dans ces chaires sacrées ; mais celui qui va nous occuper est si propre à l'émouvoir par lui-même, que nous devons prendre au contraire quelque soin de la contenir dans de justes bornes : il serait si facile de la rendre excessive. Je chercherai bien moins à tirer des larmes de vos yeux, qu'à vous faire faire des réflexions utiles. Je vous apporte ici, mes frères, le fruit d'une longue méditation ; et j'ai tant de choses à vous dire que je dépasserai peut-être les bornes prescrites par l'usage à la durée de ces exercices.

C'est quelque chose de bien surprenant et de bien mystérieux que la mort. Si, dès notre première enfance, entièrement éloignés de la société de nos semblables, nous n'eussions jamais entendu parler des coups dont la mort les frappe, la première fois qu’on nous raconterait un tel phénomène, ou que nous en serions les témoins, il nous étonnerait tellement que nous aurions bien de la peine à y croire.

Aujourd'hui cet homme jouit de toutes ses facultés ; les divers membres de son corps agissent et se meuvent selon ses ordres ; exerçant son empire sur la nature, il la soumet à ses observations et à ses calculs ; il en transforme à son gré les productions, pour les faire servir à ses besoins et à ses plaisirs ; dans ses yeux viennent se tracer les images de tous les objets qui l'environnent ; les moindres bruits se transmettent à son oreille attentive ; sur les traits mobiles et expressifs de son visage se peignent tous les sentiments qui l'animent ; le sourire erre sur ses lèvres ; les larmes de l'attendrissement humectent sa paupière ; sa bouche s'ouvre pour exprimer ses volontés et ses pensées ; le sang circule sans interruption dans ses veines ; à chaque instant son coeur bat pour le plaisir ou la douleur ; tout en lui est mouvement, action, chaleur et vie;

et demain, il n'est plus ; il ne voit plus ; il n'entend plus ; il ne se meut plus ; il ne donne plus des ordres, il est à la merci de tout ce qui l'entoure. Il ne commande plus à la nature, elle a appesanti sur lui un joug de fer. Un corps glacé et immobile ! Des veines vides ! des yeux éteints ! une bouche muette ! une seule expression sur son visage décoloré !

Est-ce bien là le même homme ? Et que va-t-il devenir ? Il faisait le charme de la société de ses frères ; et ses frères vont se réunir pour l'éloigner de leur présence, pour mettre entre eux et lui une barrière insurmontable. Un drap funèbre, c'est tout ce qu'on lui laisse de ce qu'il possédait au monde ; cinq pieds de terre, voilà désormais sa place, au milieu d'une nombreuse société d'hommes réduits au même état que lui ; demeure sombre et silencieuse, demeure étrange, où chaque grain de poussière fut jadis peut-être vivant, où des générations que la terre recouvre s'amoncellent immobiles, à côté de générations qui, remplissant la scène du monde de leurs peines et de leurs plaisirs, s'agitent en tout sens sur la surface de la terre, où ceux qui y sont une fois couchés restent étrangers aux objets dont ils étaient tout occupés naguère, où le jour et la nuit sont semblables pour eux, où ils sont sourds au bruit des vents qui mugissent et du tonnerre qui gronde, sourds aux accents de l'amitié, où leurs membres toujours engourdis ne ressentent point l'influence vivifiante de la saison qui réveille autour deux toute la nature, et ne sont jamais ranimés par les rayons de l'astre bienfaisant du jour, où n'éprouvant d'autres changements que ceux des ravages que le temps, de sa faux meurtrière, exerce incessamment sur eux, ils changent tellement de nature que bientôt ils ne peuvent plus être appelés même des cadavres, puisque ce mot, dit un père de l'Église, montre encore quelque forme humaine, et deviennent enfin quelque chose qui n'a aucun nom dans aucune langue.

Tous ces morts ont vécu, comme vous  ; vous tous qui vivez, vous mourrez comme eux. Faible troupeau ! le temps, effroyable pasteur, vous rassemble, vous fait marcher, vous fait courir, vous précipite, sans vous laisser aucun relâche, vers ces dernières limites de son empire.

Dans l'heure qui s'écoule pendant que je vous parle, plus de mille de vos semblables tombent sous les coups du temps et de la mort, et vous précèdent au tombeau.

Mais est-ce donc là que tout doit finir pour l'homme ? et le tombeau l'engloutirait-il tout entier ? Ah ! s'il en était ainsi, je me garderais bien de venir dans ce temple vous entretenir de la mort, je n'en prononcerais pas même le nom, qui réveillerait en vous des idées trop désespérantes ; ou, si j'osais vous en parler, ce ne serait que pour vous indiquer les moyens les plus efficaces d'en bannir désormais la pensée ; je m'efforcerais de mettre sur vos yeux un bandeau qui vous empêchât de la voir, comme des mains compatissantes en mettent un sur ceux des malheureux que va frapper le glaive de la justice humaine  ; je vous dirais : transportez bien loin de vos regards ces enceintes lugubres, où vous lisez, en caractères si horriblement énergiques, votre inévitable sort ; ou plutôt encore, supprimez-les, consumez par le feu les débris de l'homme, pour qu'il n'en reste à vos yeux aucun vestige ; déchirez ces voiles funèbres, monuments de votre deuil ; n'aimez personne, afin de n'être jamais rappelés à l'idée de la mort par la crainte de perdre ceux que vous aimeriez, ou par le regret de les avoir perdus ; mangez, buvez, faites bonne chère, enivrez-vous de plaisirs, étourdissez-vous sur la vie, sans en considérer jamais le terme, jouissez du moment présent, sans penser à l'avenir, comme la brute imprévoyante dont au sortir de ce monde vous devez partager le sort.

L'homme partager le sort de la brute !

Avez-vous pu l'entendre ? Ai-je pu le dire ? Non, non. Aux yeux de la chair la mort les met bien de niveau ; la même terre les recouvre, et, à quelque égard, la fin des enfants d'Adam et des animaux stupides est la même, dit l'Ecclésiaste ; mais, à d'autres égards, et aux yeux de quiconque réfléchit, c'est au contraire la dernière scène de la vie qui montre le mieux quelle différence il y a entre les uns et les autres, et, par conséquent, quel différent sort doit leur être réservé.

Comme elle place l'homme au-dessus des animaux ! comme elle fait paraître la dignité de sa naturel ! Dans leur stupide ignorance les animaux ne savent pas, en mourant, s'ils ont tenu à quelque chose sur la terre, s'ils laissent après eux des regrets, et rien de ce qu'ils vont devenir. Tout entiers au moment présent, ils ne jettent point leurs regards en arrière, ils ne les portent point en avant.

Mais vois l'homme prêt à quitter la scène du monde. Le passé se reproduit à ses yeux ; il fait la revue de sa vie ;

il repasse les principaux événements qui en ont signalé le cours ;

il pense aux peines qu'il a essuyées et qui vont finir,

aux grâces qu'il a reçues de la Providence,

à ses travaux qu'elle a bénis ;

il jette un regard de satisfaction sur le bien qu'il a eu le bonheur de faire, et un regard de désapprobation sur le mal dont il s'est rendu coupable.


Dans cette heure solennelle, qui est celle de la vérité,

il ne se dissimule plus ses fautes, il les déplore, il cherche à les réparer,

il fait sa paix avec son Dieu ;

il reconnaît les torts qu'il a eus avec plusieurs de ses semblables, et il leur en demande le pardon ;

il remercie et récompense ceux qui lui ont rendu des services ;

il donne des instructions et des conseils à sa famille rassemblée pour la dernière fois près de lui ;

il veut faire du bien, même après qu'il ne sera plus, laissant ses ordres pour qu'une partie de ce qu'il possède soit consacrée à soulager des malheureux, ou à favoriser quelque entreprise utile ;

il jouit et souffre de l'attendrissement des parents et des amis qui vont le perdre ;

il pense à ceux qu'il a perdus et qu'il a conduits dans la dernière demeure des mortels ;

il se représente comment il va y être conduit lui-même ;

il voit les pleurs, il entend les sanglots étouffés de ceux qui l'y accompagneront, et il est tranquille ! et il espère !

Oui, oui ; que l'espérance te suive jusque dans la nuit du tombeau ; elle ne sera point confondue. Il y a dans cette espérance même quelque chose qui en garantit l'accomplissement.

La mort ne finit pas la vie, elle n'est que le passage de ce monde dans un autre, du temps à l'éternité  ; la faux du temps, en frappant de coups redoublés nos corps mortels, se brise, et il ne lui est point donné d'atteindre la meilleure partie de nous-mêmes ; la nature reprend le peu de matière qu'elle nous avait prêté ; mais tout n'est pas matière en nous ; mais il ya en nous quelque chose qui nous appartient en propre, qui n'est pas d'une nature périssable comme le corps : Si le corps retourne en terre d'où il a été tiré, l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné.

Voyez, avec les saintes femmes qui viennent au tombeau de Jésus, voyez-y ces langes mortuaires ; ils ne sont pas Jésus lui-même, ils ne faisaient qu'envelopper son corps ; voyez ces cadavres dans tous ces tombeaux, ils ne sont pas les personnes mêmes dont ils portent encore le nom : comme les langes du saint sépulcre, ils ne sont non plus qu'une enveloppe grossière ; ces personnes ne sont plus là ; le corps est mort, mais l'âme est vivante  ; LE FLAMBEAU DE LA VIE N'EST PAS ÉTEINT, IL N'EST QUE RENVERSÉ.

La mort qui vous effraie tant n'est qu'un sommeil, comme l'indique le nom même que vous donnez aux lieux dépositaires des restes de l'homme ; le mot de cimetière signifie l'endroit où l'on dort  ; expression belle et touchante, dont l'usage remonte aux premiers fidèles, et qui est si bien d'accord avec celles qu'ont souvent employées les écrivains sacrés. En racontant les résurrections qui s'opérèrent à la mort du Rédempteur, l'Apôtre St. Matthieu s'exprime ainsi : Beaucoup de saints qui s'étaient endormis, se réveillèrent. Il s'endormit, c'est ainsi que St. Luc rapporte la mort de St. Étienne lapidé.

Nous lisons dans le même évangéliste, qu'un, des chefs de la synagogue, nommé Jaïrus, étant venu se prosterner aux pieds de Jésus, pour le prier d'aller auprès de sa fille, qui était morte, Jésus alla dans la maison de Jaïrus, où la désolation était grande, et dit : Cette jeune fille n'est pas morte, mais elle dort.

Ils dorment aussi, tous ces hommes sur lesquels la nuit du tombeau a étendu ses voiles ; ils se reposent de leurs travaux, et se réveilleront, comme la fille de Jaïrus, comme le fils de la veuve de Naïn, et Lazare, que Jésus rendit à la vie.

Mais ils n'étaient morts que depuis peu de temps, quand Jésus les ressuscita, diront peut-être quelques-uns de ceux qui nous écoutent. — Eh quoi ! un peu plus ou un peu moins de temps passé dans le tombeau, rendrait-il donc notre résurrection plus ou moins difficile à celui qui a animé la poussière de la terre pour nous donner l'existence ?

Ne nous objectez pas non plus, que, si la mort n'était qu'un sommeil, elle ne laisserait pas ainsi retomber en poudre les corps qui sont devenus sa proie. Nous vous répondrions avec St. Paul : Ne savez-vous pas qu'il faut que le grain jeté en terre se corrompe pour qu'il produise son fruit ?

C'est là l'image de ce qui doit arriver à l'homme. À chaque instant, et tout autour de vous, cette image se reproduit à vos yeux pour votre instruction ; voyez-la sur la tombe même des morts ; et il vous paraît incroyable que Dieu les ressuscite !

Si vous n'aviez jamais été les témoins des miracles de la fécondité de la nature, imagineriez-vous qu'une semence confiée à la terre pût, en s'y corrompant, produire de riches épis, des fleurs brillantes, un arbre plein de force et de vie, des plantes d'une admirable fraîcheur ?

Si vous n'aviez jamais vu la scène de la nature que dans la saison où elle étale toutes ses richesses, la voyant telle qu'elle est à cette heure, (plus de feuilles, plus de fleurs, plus de fruits, plus de verdure, un sol nu ou couvert de dépouilles), vous vous diriez certainement avec doute et inquiétude : Ces campagnes reprendront-elles leur vie et leur parure ? cette nature se ranimera-t-elle ? Oui, oui ; elle se ranimera, vous le savez, vous avez été tant de fois témoins de ce miracle que vous n'avez plus de peine à y croire. Après quelque temps de repos, elle va déployer des forces nouvelles, et tirer de son sein de nouvelles richesses ; ces campagnes dépouillées se couvriront d'abondantes récoltes ; attristées maintenant, elles reprendront le plus riant aspect. Ces arbres qui bordent cette enceinte funèbre, cadavres eux-mêmes, semblables à ceux dont ils ombrageaient naguère la tombe de leurs verts feuillages, recouvreront toute leur verdure, reprendront une nouvelle jeunesse sous l'influence salutaire du soleil d'une nouvelle année.

Et ces morts couchés à leurs pieds, ah ! ils renaîtront aussi, ranimés dans une nouvelle suite de siècle par les rayons d'un autre soleil plus vivifiant encore, et récréés, comme on l'est après un paisible sommeil. Que votre imagination se rassure donc, puisque vous ne cessez d'avoir sous les yeux des exemples de régénérations aussi inconcevables.

Les anges, devant l'intelligence desquels des sens grossiers et des passions abrutissantes n'épaississent pas un bandeau d'erreur, s'étonnent sans doute de la peine que nous avons à croire la résurrection des morts, qui est tellement dans l'ordre de la nature.

Le lien qui rattache l'homme mortel à l'homme immortel, n'est pas plus surprenant que celui qui unit son corps à son âme, et le passage de la mort à la résurrection de vie, ne l'est pas plus que celui de la vie à la mort. O mon âme ! pourquoi t'abats-tu ? pourquoi frémis-tu au-dedans de moi, à la vue du sépulcre ouvert pour te recevoir ? tu ne demeureras pas sa proie ; celui qui y fait descendre en fait aussi remonter. Tu reprendras la vie que Dieu t'avait donnée. Que dis-je ? il t'en donnera une bien plus privilégiée et bien plus réelle.

Non seulement le grain qu'on jette en terre, s'y renouvelle, si Ion en a eu le soin qu'on en devait avoir ; mais encore il en produit trente, soixante, cent autres même, comme le dit la parabole. C'est ainsi que la mort enrichira notre âme. Nous avons été semés corruptibles, nous ressusciterons incorruptibles ; nous avons été semés méprisables, nous ressusciterons glorieux.

Voyez et admirez cette multitude d'animaux qui sortent d'une enveloppe informe devenue quelque temps leur tombeau, avec un plus beau corps, des organes infiniment perfectionnés, et une industrie toute nouvelle ; ils figurent aussi à nos yeux notre résurrection, pour nous instruire ; c'est ainsi qu'un homme nouveau et plus parfait naîtra des cendres du vieil homme ; nos organes seront moins grossiers, nos yeux plus perçants, nos corps plus inaccessibles à l'aiguillon de la douleur, notre intelligence plus vaste, nos cœurs plus en paix avec eux-mêmes, nos affections plus épurées, et nos amitiés éternelles, dans un séjour où toutes larmes seront essuyées de nos yeux, où il n’y aura plus ni deuil, ni cri, tri travail.

Élie, montant dans ce séjour de la gloire, laisse tomber derrière lui le grossier vêtement qui n'est fait que pour cette terre. Le brigand converti est cloué sur la croix à côté de Jésus ; les hommes disent : Aujourd'hui il sera mort ; mais Jésus lui dit : Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis. La croix où l'on attache Jésus lui-même, devient le degré par lequel il monte au ciel. Il expire ; mais son esprit est entre les mains de son Dieu : il va s'asseoir à sa droite.

Chrétiens, chrétiens ! ne devez-vous pas être réconciliés avec le tombeau, quand vous en voyez sortir votre Rédempteur triomphant et revêtu de gloire ? Ressuscité il est devenu les prémices de ceux qui sont morts ; il transformera notre corps vil, pour le rendre conforme à son corps glorieux, par cette efficace de pouvoir au moyen de laquelle il s’assujettit toutes choses. Je ne veux pas, nous dit un de ses Apôtres, que vous ignoriez ce qui concerne les morts, afin que vous ne vous abandonniez pas à l'affliction, comme font les autres hommes qui n’ont aucune espérance au-delà du tombeau ; car, puisque nous croyons que Jésus-Christ est mort et ressuscité, nous devons aussi croire que Dieu ressuscitera par Jésus ceux qui sont morts, afin qu'ils soient avec lui ; et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur ; CONSOLEZ-VOUS DONC.

Oui, consolez-vous ; bien loin de finir votre vie, la mort vous rapprochera de la véritable vie, elle vous rapprochera de votre Dieu : Quand mon corps aura été consumé, je verrai Dieu de ma chair, je le verrai moi-même et mes jeux le verront.

Non seulement donc la mort ne doit plus être pour vous le roi des épouvantements  ; non seulement elle ne doit plus vous causer d'effroi  ; mais encore regardez-la comme une messagère de bonne nouvelle !

Vous mourrez, comme votre Sauveur, pour ressusciter, comme lui.

Rien ne doit plus vous rappeler l'immortalité que la mort. Jésus, voyant Lazare dans le tombeau, lève aussitôt les yeux au ciel ; à la pensée de la mort, levez-les en haut comme lui ; et, de la nuit même du sépulcre jaillira à vos yeux le rayon de la gloire céleste ; et, du silence même du sépulcre sortira une voix éloquente qui vous dira ; Vous êtes immortels. Les sépulcres sont comme des monuments placés aux confins de deux mondes, chaîne mystérieuse qui unit la vallée de misère au séjour des esprits bienheureux. Au sortir de la vie, la foi descend avec l'homme au tombeau, et lui montre sur l'autre rive l'éternité des élus. Foi bienfaisante ! lumière de l'âme ! guide fidèle descendu du ciel même ! Que dit Jésus, quand on lui annonce que la fille de Jaïrus est morte ? Il dit une parole que je voudrais graver pour jamais dans vos cœurs : Ne craignez pas, mais croyez seulement. CROYEZ SEULEMENT, chrétiens  ! la foi vous fera braver la mort ; elle vous fera voir la mort dans la vie et la vie dans la mort ; elle vous fera dire avec St. Paul : Christ est ma vie, et la mort m'est un gain  ; et avec St. Jean ; Heureux ceux qui meurent. Heureux ceux qui meurent au Seigneur ; oui, dit l'Esprit, car ils se reposent de leurs travaux et leurs œuvres les suivent. Ils se reposent : le calme après l'orage, la paix après tant de combats, la tranquillité après tant d'agitations et de peines, le repos après tant de fatigues ! — Ils se reposent.

O vous tous qui êtes travaillés et chargés, voilà le terme de vos souffrances ; vous tous qui, sur la mer orageuse de la vie, êtes les jouets des vents et des flots soulevés, la tombe est le port fortuné où vous braverez les tempêtes. Il est un jour de repos, vous dit encore l'Apôtre qui ne veut pas que vous ignoriez ce qui concerne les morts. Il est un jour de repos ; car celui qui est entré dans le repos de Dieu se repose après avoir achevé ses œuvres, comme Dieu s’est reposé après avoir achevé les siennes.

Je vous salue, enceintes sacrées, objets du respect religieux de tous les peuples, terres hospitalières qui avez recueilli les générations passées ; je jette quelquefois un œil d'envie sur ceux que vous avez soustraits aux traverses de l'existence actuelle ; de cette vallée de misères et de larmes, de ce désert où nous sommes exilés, je porte mes regards vers vous comme vers les premières limites de la terre promise, comme vers la porte des cieux ; je vois le Dieu des vivants faisant sortir de votre poussière des générations d'anges.

Je ne veux donc pas, en vous faisant penser à la mort, chrétiens, étendre sur vos plus beaux jours un voile lugubre ;

je ne veux pas que la pensée de la mort répande une expression sinistre sur votre visage ;

je ne veux pas quelle flétrisse les fleurs dont vos traits peuvent être parés, et qu'elle étouffe le doux sourire qui les anime sous les rides des soucis rongeurs.

Je veux que vous souriiez à la mort.

Jeunes gens, jouissez des plaisirs de votre âge ; cueillez les fleurs du printemps que la nature a semées sous vos pas ; mais ne parcourez pas votre route, sans en jamais considérer le terme  ; que la mort, qui vient à tout âge, ne puisse pas vous surprendre, sans que vous y soyez préparés. Ce jeune homme, en qui on admirait une santé si florissante, fut aussi le compagnon de vos jeux ; il fut !

Peut-être la pensée de la mort, mes frères, vous permettra-t-elle moins ce rire des insensés, que Salomon compare au pétillement des épines ; mais serait-il bien regrettable ? on rit si souvent de ce rire, dit le même prédicateur de la sagesse, avec la tristesse au fond du cœur !

Peut-être la pensée de la mort mêlera-t-elle quelquefois aux couleurs les plus brillantes de vos plaisirs quelque teinte mélancolique ; mais sera-ce leur ôter leur prix ? Cette pensée vous fera même jouir mieux de vos plaisirs ; oui, en leur ôtant l'aiguillon empoisonné du vice, qui les rend toujours plus ou moins déchirants, en ne vous permettant de leur donner que la portion de votre cœur qu'ils sont capables de remplir. Qui n'a jamais envisagé le côté sérieux de la vie, ne connaît pas ce qu'elle a de plus noble et de plus réel. C'est une des raisons pour lesquelles l'Ecclésiaste disait, que les sages aiment à visiter les maisons de deuil ; mais que les insensés n'aiment que la maison où règne la joie.

Croyez-vous que ces cénobites sévères, qui meurent tous les jours au monde, creusant tous les jours leur tombe, et ne s'adressant, dit-on, lorsqu'ils se rencontrent, d'autres paroles que le salut de la mort, jouissent moins réellement de l'existence, que tant de ces heureux du siècle, qui, marchant sur les fleurs, nageant dans l'abondance, s'enivrant de plaisirs, ne sont occupés que de vivre ?

Il n'est pas rare de voir des hommes qui prennent, sur un lit d'infirmités précurseur du tombeau, une expression de contentement, de calme, de sérénité, qui jusqu'alors leur avait été à peu près étrangère ; c'est qu'une grande pensée, comme celle de la mort, malgré ce qu'elle peut présenter de pénible à leur esprit, leur procure un grand avantage, celui de les soustraire à toutes ces petites passions qui faisaient la guerre à leur âme, à tous ces soins, à tous ces soucis, à toutes ces inquiétudes, dont leur âme était constamment déchirée.

Et vous, mon cher auditeur, vous êtes effrayé de la mort ! voulez-vous que je vous indique le moyen de ne plus l'être ? c'est d'y penser fréquemment.

Cette pensée, en vous devenant familière, perdra insensiblement ce qu'elle a eu jusqu'ici de repoussant pour vous ; et d'ailleurs elle vous fera vivre de manière à n'avoir rien à craindre de l'avenir ; je dis : de manière à n'avoir rien à craindre de l'avenir ; car, je ne dois pas vous le dissimuler, il y a des craintes ; et les craintes les plus sérieuses à concevoir de la mort.

Si je vous ai montré au-delà du tombeau une éternité glorieuse, CE N'EST QU'À CEUX D'ENTRE VOUS QUI TRAVAILLENT DANS LA VIE ACTUELLE POUR CELLE QUI DOIT LA SUIVRE.

Pour tous les autres je laisse à la mort toute son horreur, son aiguillon, ses épouvantements.

Si j'ai dit aux uns : Ne craignez pas la mort, réjouissez-vous même de mourir ;

je dois dire aux autres : Vous devez mourir, tremblez.

S'ils sont heureux ceux qui meurent au Seigneur, parce qu'ils se reposent de leurs travaux et que leurs œuvres les suivent, que sont-ils ceux qui meurent, sans avoir rien fait pour le ciel, sans emporter autre chose au tombeau que l'opprobre d'une vie inutile et les souillures d'une âme dégradée ?

S'il y a une résurrection de vie, il y a aussi une résurrection de condamnation.

Écoutez une vérité terrible.

À la mort le temps de l'épreuve est achevé, le compte est fait, le gouffre de l'éternité se referme sur vous,

il n'y a plus de temps ! plus de temps

pour réparer les fautes passées,

pour rentrer en grâce auprès de Dieu,

pour faire provision pour l'éternité de l'aliment qui peut seul nous y faire vivre !

Après la mort suit le jugement !

Qu'en conclure ? Ce qu'en concluait le sage Salomon : Employez vos forces à tout ce que vous avez à faire ; car au sépulcre où vous allez, il n'y a plus ni ouvrage à faire, ni science, ni sagesse à acquérir.

Qu'en conclure ? Ce qu'en concluait le Sauveur, et qu'il a si souvent répété : Travaillez pendant que vous avez la lumière, car la nuit vient dans laquelle on ne saurait plus travailler.

Quelle conclusion plus légitime ! Et cependant combien d'entre vous qui vivent comme si elle ne l'était pas ! Il est bien une époque où d'ordinaire le pécheur sent toute l'importance d'une bonne vie ; mais une époque où ce sentiment ne peut plus guère avoir d'autre effet que de lui inspirer le remords du passé et la crainte de l'avenir ; c'est celle où il voit la mort en face, sans nul espoir de lui échapper !

Il a sacrifié son éternité à de frivoles biens qu'il va quitter sans retour !

Ah  ! qu'une seule bonne œuvre, dont le souvenir rafraîchirait son âme desséchée, lui paraît à cette heure préférable à tous les plaisirs, à tous les honneurs, et à toutes les richesses du monde !

Ah  ! s'il avait toujours vécu comme il sent maintenant qu'il aurait fallu vivre !

Ah  ! mes frères, qui que vous soyez ; si vous viviez toujours, comme vous désirerez avoir vécu, au moment du départ, vous seriez tous des modèles de vertu, de bonté, de sagesse ; vous seriez déjà des anges sur la terre.

Si j'étais chargé, de la part de celui qui tient la vie et la mort dans ses mains, de vous annoncer à tous que cette nuit même votre âme vous sera redemandée, et que vous ne pussiez avoir aucun doute sur l'accomplissement de mes paroles ; soudain votre âme, se dégageant des honteux liens qui l'attachent à la terre, s'élancerait vers le ciel ; vos prières ne seraient plus glacées ; vous voudriez obtenir le pardon de ceux que vous avez offensés ; vous imploreriez avec ardeur celui de votre Père céleste ; vous, qui vivez habituellement si éloignés de lui, vous vous jetteriez dans ses bras : vous seriez sages.

Vous êtes donc des insensés de vous conduire comme vous le faites ; demain, il est vrai, vous ne serez pas tous morts  ; MAIS DEMAIN CHACUN DE VOUS, SANS EXCEPTION, PEUT MOURIR ; et vous vivez, comme si vous étiez assurés d'avoir encore de longues années pour travailler à votre salut ! comme si vous deviez être exemptés de l'arrêt irrévocable qui ordonne à tous les hommes de mourir une fois ! comme si vous aviez fait un pacte avec la mort, et un traité avec le sépulcre ! comme si vous deviez toujours vivre !

Chaque jour vous devriez vous dire au contraire :

C'est peut-être le dernier qui m'est donné pour me préparer au compte que je dois rendre ; à chaque bonne œuvre qui se présente à faire, vous devriez vous dire : C'est peut-être la dernière que je ferai jamais ; à chaque tentation qui survient, vous devriez vous dire : Si j'y succombe, cette chute me précipitera peut-être à l'instant entre les mains de la justice éternelle ; et peut-être un acte de péché sera le dernier de ma vie !

Oh  ! quelle pensée plus propre à vous faire vivre irréprochables devant Dieu ! Oh ! quelle prière plus salutaire que celle du saint roi David : O Dieu, apprends-nous à bien compter nos jours, afin que nous en prenions un cœur de sagesse !

Mais nous les comptons si mal ! mais nous nous berçons de tant d'illusions funestes ! Le jeune homme, jouissant de toutes les forces de la vie, se figure qu'elles dureront toujours, comme si la jeunesse n'était pas souvent l'âge le plus exposé aux coups les plus prompts de la mort  ; et celui qui a déjà vécu de longues années, il lui semble que, parce qu'il n'est jamais mort, il ne doit jamais mourir  !

Nous dénaturons l'instinct de notre immortalité, en reculant à l'infini les bornes de notre existence actuelle, en imaginant que nous sommes en quelque sorte immortels sur cette terre. Nous savons bien, et nous disons bien que tous les hommes sont mortels ; mais nous, nous trouvons moyen de nous mettre dans le cas de je ne sais quelle exception chimérique ; comme si nous ne mourions pas chaque jour ! puisque chaque jour nous rapproche du tombeau ; comme si nous ne recevions pas chaque jour assez d'avertissements de nous préparer à la mort !

Écoutez la cloche funèbre qui, presque chaque jour, vous donne un tel avertissement ; écoutez : Une heure vient de s écouler ; un jour va finir, un pas de plus est fait vers le terme de la vie ; un de vos semblables vous devance au tombeau.

Écoutez  ; elle vous fait entendre cette leçon salutaire qu'un grand roi voulait qu'un serviteur fidèle lui répétât chaque jour : Souviens-toi que tu es mortel.

Écoutez  ; elle vous dit aussi, que ceux avec qui vous avez à vivre sont tous sujets à la mort. Ce n'est pas seulement à votre mort que vous devez penser, mais encore à celle de vos semblables. Et pourquoi ?

Pour vous garder soigneusement de tout ce qui pourrait leur être une occasion de chute. Demain, tel d'entre eux aura fini peut-être le temps de son épreuve, et, aujourd'hui encore, vous l'entraînez au mal par des scandales qui influeront sur son éternité ! vous lui inculquez des principes qui deviendront une des causes de sa condamnation ! vous lui faites outrager le Dieu devant lequel il va comparaître ! vous lui donnez des conseils qui le perdront à jamais !

Ce n'est pas seulement à votre mort que vous devez penser, mais encore à celle de vos semblables. Pourquoi ?

Pour avoir le plus grand soin de vous abstenir, dans vos relations avec eux, de tout procédé injurieux, de tout acte de dureté, de tout mauvais traitement, de toute offense, de toute injustice.

Une des pensées qui me semblent devoir le plus naturellement se présenter à nous, à la vue d'un de nos semblables porté à la demeure dernière, est celle-ci : Voilà un homme qui a fini le voyage de la vie ; ceux qui ont eu des torts envers lui ne sont plus à temps pour les réparer. Et autant cette pensée est naturelle, autant elle est propre à nous rappeler nos devoirs envers ceux qui font encore avec nous le voyage.

Quand un homme est atteint d'une maladie dont tous les symptômes annoncent que la mort l'a déjà choisi pour victime, je le vois devenir l'objet des attentions les plus délicates et des soins les plus empressés ; on évite tout ce qui pourrait lui être pénible ; on cherche tout ce qui pourrait lui plaire ; on exécute ses moindres volontés ; on va au-devant de tous ses désirs ; les cœurs les plus durs se reprocheraient de lui refuser quelque service, de lui causer quelque chagrin ; sous les coups de la mort il est comme un objet sacré.

Eh bien ! chacun des hommes avec qui vous soutenez maintenant quelque rapport, peut aussi tomber sous ses coups à toute heure ; pourquoi donc ne pas remplir envers chacun d'eux aussi religieusement vos devoirs ? Ah ! faites-leur tout le bien que vous pouvez leur faire, demain peut-être vous voudriez le leur faire en vain.

Ne refusez pas ce pain que vous demande un infortuné hors d'état de le gagner à la sueur de son visage, c'est le dernier qu'il mangera peut-être.

Ne négligez pas de visiter ce malheureux qui réclame de votre part des consolations, demain peut-être, il sera mort inconsolable.

Ne différez pas d'aller donner à ce malade les soins qu'il a droit d'attendre de vous, demain peut-être vous ne trouverez plus que son cadavre, et il sera sorti de la vie en proie à des douleurs qu'il eût dépendu de vous d'adoucir.

Et si la pensée de la mort qui menace vos semblables, doit vous engager, mes frères, à leur faire tout le bien possible, à plus forte raison doit-elle vous empêcher de leur faire le moindre mal. Ah ! ne vous irritez pas contre les compagnons de votre pèlerinage, ne les maltraitez pas ; ne vous servez pas des fers, que vous portez les uns et les autres, pour les frapper, quand la mort va peut-être à l'instant les frapper elle-même ! Et, si vous avez eu le malheur de vous laisser emporter à quelque mouvement de colère, ah ! hâtez-vous de vous réconcilier avec celui que vous avez offensé, et que le soleil ne se couche point sur votre colère  : qui sait si, cette nuit même, il ne se sera pas endormi du dernier sommeil ?

Cet homme, que vous avez abreuvé d'amertume, contre qui vous lanciez les traits acérés de la calomnie, sur la vie duquel vous distilliez un affreux venin, cruel ! venez le voir mis à l'abri de vos injures entre les bras de la mort.

Cruel  ! Vous ne l'êtes pourtant pas assez, pour que, si vous eussiez su qu'il mourrait dans le temps même qu'il avait si fort à souffrir de vos injustices, cette pensée ne vous eût pas empêché de lui faire autant de mal. Les coups dont l'a frappé la mort vous inspirent des regrets sur ceux que vous lui avez si souvent portés ; et qui sait même, si tous les chagrins, toutes les peines que vous lui avez fait essuyer, n'ont point contribué à abréger sa vie ?

Pendant que vous les lui causiez, aveuglés par la passion, vous ne songiez pas à faire une réflexion de ce genre ; mais maintenant, quelle passion haineuse pourriez-vous nourrir encore contre lui ? Maintenant vous faites peut-être cette réflexion avec un cuisant remords. Pendant sa vie, vous ne voyiez que ses torts  ; LA MORT LES A EFFACÉS, et ne laisse plus voir à votre conscience agitée que les vôtres.

O vous tous, qui que vous soyez, qui rendez la vie amère à vos parents, à vos amis, à vos domestiques, à vos maîtres, à tous ceux quels qu'ils soient avec qui vous avez à vivre, pensez que leur carrière peut être à chaque instant finie ; et, si elle l'est avant la vôtre, de quels regrets vous serez déchirés, lorsque vous vous rappellerez toutes les épines par lesquelles vous la leur aurez rendue si pénible ! lorsque, dans le silence des passions, vous vous adresserez cette question involontaire : Les amertumes que j'ai répandues sur leur vie, n'en ont-elles point peut-être abrégé le cours, en les faisant mourir si souvent au bonheur ?

Je réveille, sans doute ici, quelques remords ; et je me garderais bien de les réveiller, si je ne les croyais aussi salutaires que pénibles, et si je n'avais pour but d'en prévenir de nouvelles causes.

Oh  ! désormais, désormais, mes bien-aimés frères, conduisez-vous tellement avec vos compagnons d'oeuvre, que ceux qui doivent achever avant vous leur tâche, l'achèvent sans avoir eu à se plaindre de vous, et que, quand ils ne seront plus, vous puissiez penser à eux, sans avoir de reproches à vous faire  ;

que le souvenir de ceux dont la mort sera une perte pour vous, ne soit accompagné d'autres regrets que de celui de les avoir perdus ;

que ce regret soit adouci par le consolant témoignage que vous pourrez vous rendre d'avoir contribué, autant qu'il dépendait de vous, au bonheur de leur vie ;

que vous ne puissiez vous rappeler aucune des journées du voyage que vous aurez fait ensemble, sans vous rappeler aussi :

- quelque service que vous leur aurez rendu,

- quelque peine que vous leur aurez épargnée,

- un mauvais pas où vous leur aurez tendu une main secourable,

- un fardeau dont vous leur aurez allégé le poids,

- un précipice où vous les aurez empêchés de tomber ;

qu'ils ne puissent que vous bénir en se séparant de vous, et que ces bénédictions précieuses vous précédent avec eux dans le séjour des rétributions devant le trône du Souverain Juge.

Oh l combien n'aurais-je donc pas fait pour votre repos et votre vertu, Chrétiens, quand je serais parvenu à graver en caractères ineffaçables au fond de vos cœurs ces deux grandes maximes, qui sont la récapitulation des leçons de morale que vient de nous fournir la méditation de la mort.

Vivez toujours, comme vous voudrez avoir vécu à votre dernière heure, qui peut sonner à chaque instant.

Agissez toujours envers vos semblables, comme vous voudrez avoir agi, après leur dernière heure, qui peut sonner à chaque instant.

O hommes ! fils des hommes ! souvenez-vous que vous êtes mortels. Oh ! que la méditation de la mort est féconde en importants usages ! oh ! que de leçons salutaires peut nous donner la mort de nos semblables ! Aurais-je pu dans l'espace d'une heure épuiser un tel sujet ? Non, mes frères, et je vous conduirai une seconde fois à l'école de la mort et des tombeaux, pour vous y faire entendre encore quelques autres instructions. J

e vous conduirai ! Oublié-je donc moi-même les leçons que je viens de vous donner ? Je vous conduirai ! Si la mort, dont j'ai montré le glaive suspendu sur toutes nos têtes, ne marque pas le terme de mes prédications au discours que je prononce à cette heure, et si elle ne se prépare point à vous fournir, dans la personne même de celui qui vient de vous donner des leçons sur la possibilité d'être incessamment atteint par elle, un exemple qui les confirme. Je vous conduirai !

Mais de ceux qui me suivent maintenant, en est-il un seul qui soit assuré pouvoir me suivre une autre fois encore ? Hâtons-nous donc, hâtons-nous tous de profiter des leçons que nous venons d'entendre, les dernières peut-être qu'il nous soit donné d'entendre dans ce saint lieu.

Mes frères, la fin de toutes choses approche ; soyons donc sobres et veillons ; veillons et prions, car nous ne savons à quelle heure le Seigneur doit venir  ;

oh  ! à quelque heure qu'il vienne, qu'il nous trouve prêts, les reins ceints et les lampes allumées !

oh! à quelque heure que nous mourrions, que nous mourrions de la mort des justes, et que notre fin soit semblable à la leur !

oh  ! à quelque heure que nous arrivions au terme de notre carrière, que nous puissions, en la finissant, nous appliquer le bon et consolant témoignage que se rendait. Paul : J'ai combattu LE BON COMBAT, j'ai achevé ma course  ; il ne me reste plus qu'à recevoir la couronne incorruptible de gloire ; que, dans la dernière prière que nous adresserons à Dieu, nous puissions lui dire avec l'intime satisfaction et la douce confiance de notre divin maître : j'ai achevé l'ouvrage que tu m'avais donné à faire, je remets mon esprit entre tes mains. Nous endormant dans les bras d'un tel père, nous ne craindrons pas le réveil. Amen.


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