Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE TRENTE-HUITIÈME.

LA MORT DE PAUL — L'ENSEMBLE DE SA VIE

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I. La mort de Paul. — Aucun détail connu. — Est-ce réellement à regretter ? — Ce qui a fait le mérite de sa mort, c'est sa vie. — La mort du Christ; la mort de Paul.

II. Nous n'avons pas voulu faire un panégyrique. — À l'Évangile, à Jésus-Christ, à Dieu toute la gloire. — Paul, presque toujours combattant. — Il le fallait; il le faut souvent.

III. Sa théologie, doctrine vivante. — Le dernier mot de toute question est dans son cœur. — Sa vie, commentaire perpétuel de ses doctrines. — Ce que Dieu permet qu'il soit pour nous.


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I

Malheureusement, c'est aussi la dernière ligne de son histoire, et, après l'avoir rapportée, il faut finir. La tradition même se tait sur les circonstances de sa mort. Il fut, nous dit-elle, décapité, ce que rend vraisemblable sa qualité de citoyen romain, et l'exécution eut lieu hors de la ville, sur la route d'Ostie. Mais de ses derniers jours et de ses dernières heures, de ses dernières paroles, de tout ce que nous voudrions surtout savoir, — rien; et si nous nous rappelons combien l'époque même est incertaine, nous pourrons dire, en toute vérité, que saint Paul, son œuvre accomplie, disparaît.

Mais est-ce bien «malheureusement» qu'il faut dire? — Il est impossible, sans doute, de ne pas regretter que ni Luc, ni Timothée, ni tant d'autres qui certainement ont connu les détails de la mort de Paul, ne nous en aient transmis le récit. On voudrait, quelque douloureux que le spectacle pût être, y assister; on sent que la mort de Paul a dû être digne de sa vie, digne des dernières paroles que nous avons de lui. Mais, d'autre part, puisque nous avons cette assurance, pourquoi voudrions-nous davantage? Il y a toujours quelque chose d'un peu charnel à considérer la souffrance, la mort, comme ayant, en soi, plus de valeur que toutes les autres manifestations du courage et du dévouement. Cette forme, au contraire, la plus saisissante, est souvent la moins difficile. Pour peu qu'une certaine excitation se soit produite, on souffre, on meurt plus facilement qu'on ne se serait dévoué à un labeur persévérant, obscur, ingrat; et il est sûr, par exemple, sans sortir de l'ordre d'idées auquel Paul empruntait sa noble image du «bon combat,» il est sûr, disons-nous, que le courage militaire n'est point chose difficile; preuve en soit le très petit nombre d'hommes qui en sont décidément incapables. Appliquons-nous cette conclusion à Paul? Non; nous disons seulement que ce qui a surtout fait le mérite de sa mort, c'est sa vie, et que, puisque nous savons sa vie, nous en savons assez. Quand le dévouement sous cette forme n'est que la suite naturelle du dévouement sous toutes les autres; quand ce complément s'y ajoute, non pas une fois, tout au bout, mais d'avance, longtemps d'avance, et que, dès les premiers pas dans la carrière, le sacrifice est consommé silencieusement, joyeusement, chaque jour, au fond du cœur, alors, dans une parfaite harmonie, tout se tient. Les plus humbles travaux, même à l'abri de tout danger actuel, reflètent les grandes souffrances et en prennent la majesté; les grandes souffrances empruntent aux humbles travaux cette simplicité qui en devient le plus beau caractère, et qui, même devant les hommes, en fera surtout le prix. Voilà l'unité de la vie de Paul; voilà comment sa vie nous a d'avance dit sa mort, et nous console de n'en pas savoir les détails. 

Dieu, d'ailleurs, a peut-être eu ses desseins en permettant que la mort de Paul s'enveloppât pour nous de cette ombre, et qu'un événement qui avait eu Rome pour théâtre, qui a dû retentir douloureusement dans tant de villes évangélisées par l'apôtre, ne laissât à peu près aucune trace. La mort du Christ, il fallait que le monde en connût les moindres détails, car cette mort était le salut du monde; mais, celle de l'apôtre, tant grand fût-il par sa foi, par son zèle, par tout ce que le Seigneur lui avait donné de faire, — c'était la mort d'un simple homme, martyr comme beaucoup d'autres allaient l'être, comme l'avait été, bien avant lui, cet Étienne dont le sang avait rougi ses mains et préparé la transformation de son âme. Dieu donc peut n'avoir pas voulu que le spectacle de sa mort, s'ajoutant aux grands souvenirs de sa vie, risquât de détourner sur l'homme l'attention due tout entière aux grands enseignements qui avaient passé par sa bouche, et surtout à cette autre mort qui doit rester l'événement central de l'histoire du genre humain, comme elle fut le point central de la prédication de Paul. Ce qu'il écrivait aux Corinthiens bien des années avant sa mort: «Est-ce que Paula été crucifié pour vous?» — il nous le redirait non moins vivement aujourd'hui. Sa vie, en somme, malgré tant de lacunes, nous est assez connue pour tout ce qui appartient réellement, intimement, à l'histoire de sa prédication, de ses écrits, — et c'est surtout à étudier parallèlement l'homme et l'apôtre que nous avons consacré le travail au terme duquel nous arrivons. 


II

Jetterons-nous, en terminant, un coup d'œil sur l'ensemble? — Tout ce que nous aurions à dire ici, nous l'avons dit chemin faisant, et, si nous avons réussi à bien exprimer notre pensée, nos lecteurs tireront assez eux-mêmes la conclusion.

Nous n'avons ni voulu faire ni fait un panégyrique de saint Paul. Quand nous l'avons occasionnellement loué, admiré, ce qui ne pouvait pas ne pas être, nous l'avons fait dans l'esprit qui fut constamment le sien lorsqu'il parlait de lui-même, de ses travaux, de son zèle, de ses souffrances, de la couronne qu'il croyait pouvoir espérer. Prédicateur de l'Évangile, s'il a été, en outre, un grand chrétien, il ne l'a été, il n'a pu l'être qu'à la gloire de l'Évangile, reflété dans sa vie; ambassadeur de Jésus-Christ, s'il a montré, dans cette auguste charge, un zèle, un courage admirables, c'est que Jésus, son maître, était en lui, vivait en lui. C'est donc l'Évangile, c'est Jésus que nous avons cherché, trouvé, loué, admiré chez son apôtre; c'est Jésus que chercheront avec nous, et, nous osons l'espérer, que trouveront comme nous ceux qui liront ces pages comme elles ont été écrites, avec simplicité, avec prière, avec amour.

Regretterons-nous que Paul ait été si souvent conduit, dans ses prédications, dans ses épîtres, à n'exposer la vérité chrétienne que sous forme d'attaque ou de défense? — Nous comprenons qu'il y ait pour quelques âmes plus de charme à planer, avec saint Jean, sur les hauteurs de la pensée chrétienne, oubliant les contradictions, les luttes, et contemplant face à face tout ce que Dieu nous a révélé de vérité; même, d'ailleurs, même après avoir vivement goûté l'ardeur de Paul, on aime à se reposer, avec Jean, dans ces régions où la vérité brille d'une lumière plus douce, et où la charité n'a plus même, semble-t-il, à supporter, à pardonner, mais uniquement à aimer. Gardons-nous cependant de nous figurer, pour cela, ou que saint Paul ait moins bien compris la tâche du prédicateur de l'Évangile, ou que l'œuvre à lui assignée ait été moins belle, moins sainte que celle de son collègue. Il fallait, aux temps apostoliques, il a fallu, plus tard, dans toutes les grandes crises, il faudra, en tout temps, ce christianisme de Paul, plus actif que contemplatif; c'est de Paul qu'ont toujours procédé plus directement les missionnaires, les martyrs, les fondateurs de grandes œuvres, les héros, enfin, du bon combat, n'importe sous quelle forme. Abaissons-nous, pour cela, les autres apôtres? Ôtons-nous, en particulier, quelque chose à celui qui avait porté, entre tous, le nom de disciple bien-aimé, et dont la parole est si chère aux âmes? Non; nous constatons seulement que le maître commun n'avait pas appelé un Paul, un Jean, à travailler 'de la même manière, et n'avait pas accordé à tous deux, au même degré, les mêmes grâces. Mais l'œuvre n'en est pas moins une, une en soi, une pour nous, et c'est le cas de redire avec Paul: «Tout est à vous, soit Paul, soit Apollos, soit Céphas,» soit Jean, ajouterons-nous, comme Paul l'aurait certainement ajouté, si Jean avait eu aussi un parti à Corinthe. Oui, tout est à nous dans l'histoire de la prédication de l'Évangile; tout est à nous dans ce qui nous reste des apôtres, vivants pour nous dans leurs écrits; tout, chez eux, est à nous, si nous servons le même maître, et si nous lui appartenons comme eux.


III

La théologie de saint Paul, que tant de gens ont faite si aride, s'est présentée à nous comme une doctrine vivante, profondément mêlée à toutes ses facultés, à tout son cœur. Partout, sous les idées, le sentiment palpite; partout, sous le sentiment, il y a l'idée, positive, claire, logique. Jamais nous n'avons vu se développer, chez lui, ni la foi de tête aux dépens de la foi de cœur, ni la foi de cœur aux dépens de la foi de tête. Il a compris qu'elles ne font qu'un; il n'a pas eu même à le comprendre, tant l'harmonie entre les deux s'est établie naturellement, chez lui, dès le premier jour qu'il fut chrétien. On pourrait même dire que ce changement n'a pas été un des fruits de sa conversion, mais sa conversion même. Juif, il ne savait voir dans la religion qu'un système, système à accepter, système à imposer, fût-ce par la prison etles supplices. Chrétien, la religion lui est bien encore un système; mais ce système, à ses yeux, n'est complet, n'est vrai, que s'il transforme et régénère le cœur comme l'esprit. Voilà pourquoi toutes les questions, chez lui, même quand il a commencé par les poser sur le terrain du raisonnement, qu'il les a épuisées par la plus sévère analyse, se résolvent, en définitive, dans son cœur. Si la logique, parfois, le conduit jusqu'au bord des ténèbres insondables, c'est de là qu'il s'élance dans ces régions supérieures où tout devient lumière parce que tout devient amour. Tantôt, pour y arriver, il lui suffit d'un mot, et ce mot nous y transporte avec lui; tantôt, s'élevant peu à peu, mais d'un vol égal, ferme, sûr, il veut, dirait-on, nous laisser le temps de l'atteindre, et presque de le devancer. Toutes les routes lui sont bonnes pour nous mener à ce temple invisible où la croix se dresse au milieu des bénédictions des élus; et l'unité de son christianisme, déjà si belle dans les déductions de sa pensée, l'est davantage encore dans ce sentiment d'humilité, de reconnaissance, de foi, d'amour, en lequel se résout pour lui chaque démonstration, chaque doctrine. Il ne peut pas ne pas recueillir les fruits de vie dont l'Évangile se couvre sous sa main; il ne peut pas ne pas s'arrêter, fût-ce au milieu du raisonnement le plus rapide, pour en bénir le Seigneur.

Ainsi se trouvent résolues dans sa personne, dans sa vie, ces questions difficiles que beaucoup de gens n'ont pas su voir résolues dans ses écrits. Elles l'étaient, cependant, autant du moins qu'elles peuvent l'être ici-bas, et nous espérons l'avoir montré; mais ceux qui n'en seraient pas aussi convaincus que nous, nous leur dirions: Voyez l'homme. En lui se concilient ces éléments que la logique humaine voudrait déclarer inconciliables; et comme cet ancien sage qui, devant un sophiste niant le mouvement, se mit à marcher, — il marche, lui, à travers nos difficultés misérables, dans la pleine et parfaite aisance d'une âme en qui elles se sont résolues, d'elles-mêmes, par la vie et l'amour. Voilà ce que nous avons constamment vu. Contradictions! dira-t-on; mais nous répéterons, nous: harmonie. Harmonie chez lui; harmonie — ce que nous avons surtout tenu à constater — dans les doctrines mêmes et non pas seulement chez lui. Il y a ici, redisons-le, tout autre chose qu'un homme exceptionnellement sage, pieux, zélé. Cette prétendue exception, c'est la règle. Ce que le christianisme a fait de Paul, il pourrait, il devrait le faire de tout homme; ce que le christianisme a été chez Paul, il pourrait, il devrait l'être chez tous, car, ce qu'il a été chez Paul, c'est ce qu'il était, ce qu'il est, ce qu'il sera éternellement dans la pensée et dans le cœur de Dieu.

Mais Dieu, pourtant, n'exige pas qu'un tel homme ne nous soit rien. Lui-même, lui qui disait, dans une si profonde humilité: «Qu'est-ce que Paul?» — nous l'avons vu exhorter souvent ses disciples au nom de son affection pour eux, de leur affection pour lui. Non! Dieu n'exige pas que l'homme, pour nous, disparaisse, qu'aucun lien ne nous unisse à l'apôtre. C'est un lien, déjà, que d'appartenir au même maître, sainte fraternité des chrétiens à travers les siècles; et comment ne nous serait-elle pas, cette fraternité, avec un si grand serviteur de Dieu, plus sainte, plus précieuse, plus féconde qu'avec tout autre? Que le Dieu de saint Paul, le Dieu de l'Église apostolique, le Dieu, à toute époque, des plus humbles fidèles comme des héros de la foi, resserre lui-même et bénisse ces liens formés à sa gloire!

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