Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

INTRODUCTION


I

Un jour — c'était en l'an 37 ou 38 de l'ère chrétienne — une foule bruyante sortait de Jérusalem, probablement par la même porte qui avait vu passer, trois ou quatre ans auparavant, un condamné chargé d'une croix. Un autre condamné marchait maintenant à la mort, et c'était pour s'être déclaré le disciple et l'adorateur du premier.

On arrive; on le jette, déjà tout sanglant, par terre. On s'éloigne de quelques pas, et les pierres commencent à voler. Étienne prie, et sa prière est un nouvel hommage à celui pour qui il va mourir. «Seigneur Jésus, dit-il, reçois mon âme!» Puis, sous les pierres qui redoublent, il réussit à se relever sur ses genoux, et, joignant les mains, il s'écrie: «Seigneur, ne leur impute point ce péché!» Enfin, il meurt, ou, comme nous dit son historien, il s'endort, — douce image de cette paix que le chrétien expirant peut garder, même au milieu des horreurs du supplice.

Parmi ceux que n'avait pu émouvoir ni cette paix déjà céleste, ni cette prière touchante, ni les affreuses meurtrissures de ce pauvre corps brisé, un jeune homme s'était distingué par son ardeur. On ne dit pas qu'il eût, de sa main, lancé des pierres; mais il avait comme présidé au supplice, et quand les accusateurs, selon l'usage, s'étaient mis en devoir de lancer les premières pierres, c'était devant ce jeune homme qu'ils avaient déposé leurs robes. Il s'en alla ne respirant que menaces, que meurtres. La vue du sang n'avait fait que lui en donner la soif.

Traversons maintenant vingt-huit ou trente années. Nous sommes à Rome. Le règne de Néron touche à sa fin; mais Néron a encore plus d'une victime à immoler, et, parmi ces victimes, un homme que sa main sanglante avait paru oublier quelque temps. Il a donc pu, cet homme, savourer à loisir les perspectives du martyre; mais son courage, et, mieux que cela, sa joie, n'en a reçu nulle atteinte. Un jour, enfin, les bourreaux viennent. Sous quelle forme la mort lui fut-elle apportée? Qui entendit ses dernières paroles? Nous l'ignorons. Ce que nous savons, c'est qu'il mourait, comme Étienne, pour Jésus de Nazareth, et que c'était lui, trente ans avant, qui avait voulu la mort d'Étienne.


II

Supposez donc que ce soit là tout ce que nous savons de ce Jésus pour lequel ils moururent l'un et l'autre. Que dirons-nous? Quel horizon s'ouvrira devant nous?

Un persécuteur devenu martyr, martyr de l'idée même qu'il a voulu arracher de la terre, — c'est une de ces antithèses qui peuvent, selon les cas, prouver peu ou prouver beaucoup.

Prouver peu, disons-nous. — Esprit léger, tête poétique, le persécuteur aura pu être séduit par l'antithèse même, par le bruit qu'elle allait faire, par cet éclat de sincérité qu'elle allait donner à sa foi.

Donc, pour prouver beaucoup, il faut qu'elle se produise dans un esprit sérieux, dans un cœur profond, dans une vie dont une grande et persistante unité encadre dignement la conversion qui en sera devenue le centre.

Avons-nous, chez saint Paul, cet esprit, ce cœur, cette vie? L'homme, en un mot, est-il ce qu'il devait être pour ce que le changement du persécuteur en martyr nous attestât, non seulement la sincérité de l'homme, mais la vérité, la divinité de sa foi?

C'est la question que nous avons surtout eue en vue dans cet écrit.


III

Un écrivain du siècle dernier a dit que le vrai fondateur du christianisme n'est pas Jésus-Christ, mais saint Paul.

Cette assertion a été reproduite, de nos jours, sous diverses formes. Deux buts, divers aussi, mais moins en réalité qu'en apparence, ont été poursuivis par là.

Les uns, ouvertement hostiles au christianisme, voulaient se débarrasser du prestige attaché au nom de Jésus. Œuvre de Paul, le christianisme devenait l'œuvre d'un homme, et descendait, sans contestation, à la place où l'on désirait le voir.

Les autres ne voulaient que se ménager un moyen d'opposer au christianisme de saint Paul, qui est celui de l'Église, le christianisme du Christ, bien plus simple et bien plus pur, disaient-ils.

Nous repoussons, quel qu'en soit le but ou la forme, ces idées. Nous croyons à la pleine unité du christianisme, unité qui n'est, à nos yeux, que le plan même et la pensée de Dieu, incarnée en Jésus, prêchée par Jésus d'abord et par les apôtres après lui. Nous croyons que la source de tout ce qui constitue, pour nous, le christianisme, est unique; nous la voyons dans cet esprit divin qui fut donné à Jésus sans mesure, nous dit saint Jean, et qui, dans une mesure que nous ne pouvons déterminer absolument, mais grande, mais suffisante, inspira la prédication des apôtres et les écrits que nous avons d'eux.

Voilà notre foi.

Mais nous ne nous en tiendrons pas à l'affirmer. Nous étudierons les négations; nous aurons partout principalement pour but de raffermir ceux qu'elles ont ébranlés, de rassurer ceux qu'elles effrayent.

Plusieurs voies s'offraient. Celle que nous avons choisie n'est pas neuve; il y a longtemps que l'histoire de saint Paul a été considérée comme présentant, dans son ensemble, un cours complet d'apologétique chrétienne. Mais l'apologétique varie selon les temps. Toute défense se modèle nécessairement sur les attaques.

Si donc notre voie n'est pas nouvelle, nous aurons cependant à y marcher, sinon toujours, du moins souvent, autrement que nos devanciers d'autres époques. Souvent aussi, il est vrai, nous aurons à constater que les attaques sont à peu près les mêmes, que la forme seule a changé.

Ce changement a son importance, sans doute, et, à certains égards, nous pouvons en féliciter notre siècle. On ne rit plus du christianisme; on blâmerait, du moins comme gens de mauvais ton, ceux qui ressusciteraient les vieux sarcasmes. On démolit avec respect, avec douleur même; douleur et respect souvent joués, nous ne le savons que trop, souvent aussi plus sincères que les croyants ne l'ont quelquefois pensé. D'ailleurs, c'est toujours du respect que d'accorder aux choses religieuses tant d'attention, tant d'études, et, certes, il y aurait là grande surprise pour ceux qui, il y a cent ans, croyaient de si bonne foi le christianisme enterré.

Mais ce changement a aussi ses côtés fâcheux, dangereux. Des gens que le sarcasme indignerait, chasserait, approchent, écoutent, se laissent prendre. Ce sérieux leur plaît; cette science leur impose. Non seulement, faute d'armes, ils ne la combattent pas, mais ils ne songent pas même, à la combattre. Elle a parlé; elle est la science; elle doit avoir dit le dernier mot. Puis, ce dernier mot, qui est la négation de toute foi positive, notre siècle a trouvé beaucoup de manières de le dire, ou plutôt de ne pas le dire. On l'enveloppe de nuages, souvent de fort beaux nuages; on le noie dans des flots de philosophie ou de poésie; on emprunte au christianisme son langage, et souvent c'est sous le couvert de mots chrétiens, d'allures chrétiennes, que se produisent les plus radicales hardiesses. Voilà pourquoi tant de gens se sont laissé conduire si avant dans le vide sans s'effrayer, sans se défier. Ils ne s'étaient pas aperçus que le terrain chrétien manquait depuis longtemps sous leurs pieds.

Autre raison, par conséquent, pour diriger nos regards sur l'homme que Dieu avait choisi, aux temps apostoliques, pour déterminer ce terrain, et pour y marcher le premier dans la plénitude d'une foi aussi raisonnée que profonde. Un incrédule, que des aspirations plus élevées ballottaient douloureusement entre la foi et l'incrédulité, s'écriait un jour: «Heureux saint Paul!» Et ce mot, dans sa bouche, ne voulait pas dire seulement: «Heureux ceux qui peuvent croire!» — mais: «Heureux ceux qui peuvent, comme saint Paul, trouver dans l'Évangile de quoi satisfaire à la fois aux exigences d'une raison sévère, et aux besoins d'un cœur pieux!»

C'est à ce bonheur que nous venons convier les esprits sérieux et les cœurs droits. Que le maître des cœurs et des esprits nous soit en aide!

IV

Nous laisserons tout ce qui ne serait qu'érudition, et n'aurait pas d'importance réelle; même les questions graves, nous ne céderons pas à la tentation de les entourer d'un appareil scientifique dont nous avons eu, dans tant de livres, tous les éléments entre les mains. Avec ce qui s'est publié, depuis vingt ans, sur saint Paul et l'âge apostolique, il nous eût été plus facile d'écrire deux volumes, même quatre, que celui-ci; beaucoup de nos lecteurs ne se douteront sûrement pas de ce qu'a pu quelquefois nous coûter telle ou telle page toute simple, résumé de recherches où nous n'avions épargné ni temps ni peine. Nous avons tâché de faire un livre qui n'effrayât ni ne fatiguât personne, et cependant ne craignît pas trop les regards de ceux qui veulent approfondir. Mais, aux uns comme aux autres, à tous ceux qui approuveront le but et l'esprit de notre travail, — nous leur demanderons d'en voir l'ensemble, et de ne pas s'attacher, comme trop souvent il arrive, à certains points, toujours ceux sur lesquels on n'est pas d'accord avec l'auteur. Dans un livre où nous avons dû nous prononcer sur tant de questions de tout genre, chronologie, histoire, exégèse, dogme, il est clair qu'aucun de nos lecteurs tant soit peu versé dans ces matières ne pourra être partout de notre avis. Qu'ils sachent donc, nous les en conjurons, ne pas grossir ces inévitables divergences. Ce n'est pas au milieu de la bataille que les soldats du même chef doivent se défier les uns des autres pour quelque variété dans l'uniforme, dans les mouvements ou dans les armes.

Cela dit, commençons.


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