Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CONCLUSION

----------

Laissons au réformateur Pierre Viret le soin de dire aux Neuchâtelois le mot de la fin. Dans l'épître liminaire de l'ouvrage qu'il dédia en 1554, aux Quatre-Ministraux et au Conseil de la Ville, «Des actes des vrais serviteurs de Jésus-Christ», il leur écrivait:

«Qui eût pensé qu'il eut été facile d'arracher de votre Église vos chanoines et vos prêtres avec leur messe qui vous détenaient en erreur par icelle (au travers d'elle) et par leur fausse doctrine vous proposant les traditions des hommes au lieu de la Parole de Dieu... Vous vous souvenez bien qu'ils se glorifiaient qu'on ne les arracherait point de là, disant qu'ils étaient fondés sur la ferme pierre, par ce qu'ils étaient logés au plus haut lieu de la ville, et que leurs maisons étaient édifiées sur les rochers.

Vous avez été les premiers, j'ai bonne confiance que vous ne serez les derniers. Mais comme vous avez été en bon exemple aux pauvres ignorants, qui au commencement faisaient difficultés de recevoir l'Évangile, par la promptitude et le bon courage qu'ils ont vu en vous à le recevoir et maintenir, je ne doute aussi que vous ne serviez d'exemple par votre constance et persévérance...

Mettez tellement la main en l'oeuvre du Seigneur, que vous ne laissiez pas à vos enfants une dissipation et une confusion au lieu d'une Église de Dieu bien réglée et bien policée par sa parole. Mais la mettez et la laissez en tel état, qu'ils puissent connaître qu'ils ont eu des pères plein de la crainte de Dieu et bien instruits en sa parole.»

Marc DUPASQUIER


2

La maison sur le roc


«Que Jésus vous suffise; un meilleur, un plus

sage, un plus puissant ne pouvons trouver!» 

Guillaume Farel.


«J'ai un grand compte à rendre, ayant beaucoup

reçu et peu profité! Miséricorde! Miséricorde!»

Duplessis-Mornay.


Tiens ferme ce que tu as!

Tiens ferme ce que tu as, afin que personne ne te ravisse ta couronne. (Apocalypse 3/11) Sois fidèle jusqu'à la mort et je te donnerai la couronne de vie. (Apocalypse 2/10) Souviens-toi de ce que tu as reçu et de ce que tu as entendu et le garde et te repens! (Apocalypse 3/3) Demeure ferme dans les choses que tu as apprises, toi qui as reçu dès ton enfance la connaissance des saintes lettres qui peuvent t'instruire pour le salut, (II Timothée 3/14, 15) Tenez-vous donc fermes dans la liberté dans laquelle le Christ vous a mis et ne vous remettez pas de nouveau sous le joug de la servitude! (Galates 5/1) C'est le Nouveau Testament tout entier — à commencer par l'Évangile éternel — qu'il faudrait citer, pour justifier notre appel à la fidélité protestante; et nous sommes sûrs que ni l'apôtre Jean, ni l'apôtre Paul ni le Christ lui-même ne tiendraient aujourd'hui un autre langage que celui qu'ils employaient jadis, pour réveiller les esprits défaillants: «Tenez ferme! Agitez votre flambeau, faites briller votre flamme, n'éteignez point l'Esprit!»


***

Pourquoi suis-je protestant? La question doit être posée à la conscience de nos coreligionnaires, au moment où ils célèbrent le quatrième centenaire de la Réforme; et la plupart (nous l'affirmons avec confiance et le reconnaissons avec joie) seraient capables d'y répondre avec fermeté, aussi bien que de justifier et de défendre leur foi. Il est bon pourtant que les plus décidés eux-mêmes s'interrogent sérieusement, pour voir s'ils sont encore dans la vérité; il est bon surtout qu'on leur redise que le protestantisme de la naissance et de la tradition n'est point encore le protestantisme vrai et que l'effort de l'éducation et la puissance des habitudes doivent être appuyés par l'effort de toute la vie, la foi courageusement et librement conquise, la conviction personnelle et profonde.

Le moment est venu pour chacun, de le comprendre. On a dit avec raison que nous vivons à une époque de progrès scientifique, mais de désarroi moral et de décadence religieuse et que, depuis la guerre les principes les plus sûrs et, en apparence, les mieux établis, sont remis en question.

S'il est vrai que le vieux matérialisme philosophique ait vécu et que la recherche de Dieu soit, dans le monde de la pensée, la préoccupation dominante, il est plus vrai encore que nous sommes en présence d'une civilisation chancelante et d'un monde à refaire; la société contemporaine, singulièrement fourvoyée dans les conflits de doctrines, a besoin d'une refonte totale.

Il n'a donc jamais été plus nécessaire qu'aujourd'hui de savoir ce que l'on est, ce que l'on croit et ce que l'on veut.

À une époque comme la nôtre, l'indifférence serait un délit; autorité (catholicisme), liberté (protestantisme): il faut choisir; et si l'on choisit la liberté, comme nos pères ont eu le courage de le faire, encore s'agit-il d'en connaître les exigences et les limites.

Or, attaqué de toutes parts, il ne suffit plus au protestantisme de savoir qu'il existe, pour croire qu'il existera toujours; il doit savoir d'où il vient et où il va; et s'il a le devoir de rappeler ses origines, comme il vient de le faire en racontant les débuts de la Réforme dans notre pays et le merveilleux travail de Guillaume Farel et des Réformateurs, il a le devoir aussi (et c'est ce que nous allons faire) de revoir ses principes et sa théologie, de raffermir sa piété, de renouveler son obéissance et de proclamer sa fidélité à l'Évangile et sa foi en l'avenir.


I

Il vient de nous être démontré que la Réforme protestante n'est pas sortie du hasard, qu'elle s'explique par des raisons évidentes et multiples et que, d'ailleurs, il faut en chercher les causes, au travers de bien des siècles, dans l'histoire des déviations de l'Église.

Revenons-y en quelques mots. Elle a poussé, a dit un auteur, comme une fleur sur un tas d'ordures, par réaction contre l'épouvantable immoralité qui désolait l'Europe et principalement l'Église et le clergé; elle a même été plus qu'une réaction: une véritable révolution morale.

Elle a été aussi une révolution de l'esprit, plus exactement une évolution de l'intelligence qui, fatiguée et rassasiée des abus de la scolastique, de la sécheresse des formules ecclésiastiques et de l'insupportable tutelle de l'Église, s'était mise, depuis très longtemps, à réclamer ses droits et à proclamer ses devoirs.

Émancipation morale, émancipation intellectuelle... il est assez malaisé de savoir laquelle.

de ces deux forces l'a emporté sur l'autre; elles se tiennent et elles se sont si bien tenues, en effet, au début du 16e siècle, que nous les retrouvons partout et dans tous les domaines au cours de la crise profonde et décisive dont l'Europe devait sortir si glorieusement transformée.

À cause de l'immoralité qui désolait l'Église, avons-nous dit. Entendons-nous bien; il s'agit de l'immoralité de cette époque et de l'Église de ce temps, nous nous garderons bien de rendre l'Église catholique d'aujourd'hui responsable des erreurs du clergé catholique d'autrefois:

Cette réserve faite, nous ne serons que plus autorisés a rappeler qu'à la fin du 15e siècle, l'Église et le monde (l'Église et le monde se confondaient) offraient un spectacle effrayant:

tout cela a été dit et redit et rien de tout cela ne peut être nié, sous peine de violenter l'histoire.

Les couvents eux-mêmes étaient devenus d'abominables repaires, et les théologiens et les philosophes les plus éminents de l'époque — même ceux qui refusèrent d'adhérer à la Réforme — l'ont reconnu en des termes si clairs et si douloureux qu'aucune description n'en est plus nécessaire.

Ce n'est donc pas le hasard qui a créé la Réforme ni le goût, des aventures, ni la fantaisie, plus ou moins discutable, de quelques révoltés amoureux de liberté: elle était inévitable et il est presque inutile de la justifier.

Ses causes intellectuelles, quoique plus subtiles, ne sont pas moins évidentes. Des explorateurs audacieux avaient découvert des pays et créé des besoins nouveaux; les grandes inventions avaient révolutionné le monde et l'imprimerie centuplé les possibilités de l'enseignement et de l'instruction; les érudits étudient la nature et dévoilent quelques-uns de ses secrets; les artistes révèlent au grand public les chefs-d'oeuvre de l'art ancien; les humanistes issus de la Renaissance enseignent les lettres classiques à des milliers d'étudiants, les universités se fondent et celles qui existent déjà cherchent à secouer la tutelle de l'Église.

Il y a plus — et c’est en quoi la Réforme est essentiellement religieuse —, la Bible est traduite en langue vulgaire; elle n’avait été jusque-là qu'un instrument de travail et d'études pour les savants et les théologiens (tout le monde ne savait pas le latin) et il n’est même pas sûr que les prêtres en aient fait leur lecture journalière. Il y aurait beaucoup à dire, sur ce point et malgré les dénégations les plus ardentes et les plus habiles, on ne réussira jamais à expliquer, encore moins à excuser l'ignorance biblique du clergé de ce temps, qui était fabuleuse; les grandes disputes théologiques du 16e siècle en ont péremptoirement fourni la preuve.

Quoi qu'il en soit, le peuple se mit à lire la Bible et il le fit avec enthousiasme et avec profit; il n'était pas nécessaire, d'être grand clerc pour constater que

Berthold Haller le disait expressément du haut de la chaire de la cathédrale de Berne:

«Ou bien la Bible a raison et c'est l'Église qui a tort; ou bien l'Église dit vrai et c'est la Bible qui ment! Et comment donc la Bible mentirait-elle?»

Et c'est ainsi que, peu à peu la clarté se fit dans la conscience populaire. Car il faut qu'on le redise: Rien ne se serait fait sans le peuple «instruit dans la connaissance des saintes lettres» ou, en d'autres termes: il y a eu dans la conscience populaire (et non seulement dans la conscience d'un Luther, d'un Zwingli, d'un Calvin, d'un Viret ou d'un Farel) confrontation solennelle entre les usages jusque là vénérés de l'Église et les enseignements bibliques, entre l'autorité jusque-là indiscutée de l'Église et l'autorité de la Parole de Dieu, entre le pape et le Livre, entre le rite et la Foi! Et tout aussitôt la cause fut entendue et le conflit tranché.

Certes, l'histoire est là pour prouver que l'Église se défendit (et par le fer et par le feu) et qu'elle se défend encore (et par de gros livres et de subtils conférenciers) mais plus que jamais la cause est entendue et le conflit tranché. À supposer même que l'on fît injustement abstraction de ses causes morales et intellectuelles, il resterait toujours que la Réforme s'est faite pour des raisons scripturaires et par conséquent religieuses; ces raisons-là subsistent et elles continuent à déployer leurs effets, si bien que si la Réforme s'arrêtait, après 400 ans d'évolution et de vie féconde, elle ne serait plus la Réforme! Tranquillisons-nous, d'ailleurs, le germe qu'elle porte en elle est impérissable.


II

Le Réforme, dirons-nous ensuite, a ses principes.

On pourrait craindre, malgré ce que nous avons affirmé et ce que nous affirmons encore des protestants d'aujourd'hui qui seraient capables de justifier et de défendre leur foi, que l'intelligence populaire de notre temps fût moins bien renseignée que celle du 16e siècle; il faut dire aussi que ceux qui avaient souffert de l'autorité et de l'intolérance de Rome, devaient apprécier d'autant plus les idées et les systèmes nouveaux; les Réformateurs leur avaient révélé de tels trésors qu'ils avaient appris à les estimer à leur juste valeur. Il est même probable que les joutes théologiques et les disputes de doctrine n'exciteraient plus en nous, qui nous croyons plus intelligents que nos pères, l'intérêt passionné d'autrefois.

Disons-le franchement: l'ignorance doctrinale d'un assez grand nombre de nos coreligionnaires est l'un des symptômes les plus alarmants de notre époque et, si elle s'accentuait, elle finirait par tourner à notre confusion.

Rien de plus important pour nous, par conséquent, que la claire et exacte connaissance des principes protestants.

Nos adversaires ont assez généralement affirmé que nous n'en avons point, que l'Église n'avait nullement besoin qu'on lui rappelât ses devoirs, que la prétendue Église réformée (c'est ainsi qu'on la désignait en France) a fait oeuvre de destruction plus que de construction et que, rongée par la secte et désolée par ses variations, elle finira par tomber dans les oubliettes de l'histoire.

Le protestantisme, a dit un auteur, n'est qu'une parenthèse dans le développement logique et l'immuable unité de l'Église.

Nous nous sommes peut-être trop longtemps contentés de ce qui opposait, dans le détail, la foi nouvelle à la foi ancienne.

Il le fallait, assurément, au moment de la première lutte surtout et nous ne sommes point surpris que les prédications de Farel, de ce Farel dont on disait que jamais personne n'a tonné plus fort que lui, aient été faites d'attaques directes et de critiques du régime établi.

Quand on veut réformer, on commence toujours par défaire et par démolir. Mais le moment vint où il fallut reconstruire, et sur des bases nouvelles. Voyons cette construction de plus près.

Au fond — et nous aurons tout à l'heure à insister sur les principes essentiels — si nous avions à définir le protestantisme en quelques mots, nous dirions qu'il n'a eu qu'un seul objectif: la libération et la souveraineté de la conscience. C'était l'opinion du plus autorisé et du plus grand de nos penseurs romands, Alexandre Vinet, qui écrivait:

«Le principe caractéristique de cette forme de Christianisme, c'est l'indépendance absolue de la conscience».

Voyez aussi cette parole de Guizot, ancien ministre d'État et protestant militant:

«À mon avis, la Réforme a été un grand élan de liberté de l'esprit humain, un besoin nouveau de penser, de juger librement pour son compte; c'est une grande tentative d'affranchissement de la pensée humaine et, pour appeler les choses par leur nom, une insurrection de l'esprit contre le pouvoir absolu dans l'ordre spirituel».

Voyez encore cette parole de Taine, le grand philosophe:

«Toute la religion est là; elle est une affaire personnelle, un dialogue intime entre l'homme et Dieu, où il n'y a que deux choses agissantes: la propre Parole de Dieu telle qu'elle est transcrite par l'Écriture et les émotions du coeur de l'homme, telles que la Parole de Dieu les excite et les entretient. Austère et libre religion qui, instituée par l'éveil de la conscience, ne pouvait s'établir que chez des races où chacun trouve naturellement en soi-même la persuasion qu'il est seul responsable de ses oeuvres et toujours astreint à ses devoirs.»

Souveraineté de la conscience, avons-nous dit? Rien de plus certain.

Mais seulement, vis-à-vis des hommes et des institutions humaines et dans les limites de la souveraineté de Dieu. Hors de ces limites, c'est l'arbitraire, l'individualisme outrancier, l'orgueil spirituel et la propre justice. Nous l'a-t-on assez reproché! Voyez, a-t-on dit: «Le protestantisme n'est qu'une religion de révoltés.» «Tout protestant est un pape, une Bible à la main!» (Michelet).

Non! Il a toujours été bien entendu que la liberté de l'homme était dominée et conditionnée

par la liberté de Dieu. «À Dieu seul la gloire! ». C'était même la devise de Calvin et le pasteur Léopold Monod a fort bien dit: «On peut définir en deux mots ce qui explique et inspire cet homme et son oeuvre: c'est qu'il est prosterné en esprit devant la souveraineté de Dieu; il est debout pour exécuter les ordres de ce Maître absolu! ».

On sait même que Calvin avait un tel respect de la souveraineté divine qu'il était allé jusqu'à la prédestination (cf. chap. IX des Romains), c'est-à-dire jusqu'à admettre que Dieu a, de toute éternité, déterminé dans son conseil insondable le sort de chaque créature; on sait aussi que, si démocratique qu'il ait voulu le gouvernement de l'Église, il n'en a pas moins institué à Genève une véritable théocratie, dans laquelle l'État lui-même devait s'incliner devant les droits de Dieu.

Nous sommes assez loin, aujourd'hui, de la prédestination calvinienne, mais les libertés que nous avons prises vis-à-vis de la pensée de Calvin ne nous empêchent pas d'affirmer primordialement l'absolue souveraineté de Dieu, avec toutes ses conséquences.


***

Cela étant bien établi, ce qu'il faut affirmer en tout premier lieu (et ce principe domine tout le 16e siècle) c'est que la Réforme, par dessus toutes les déformations et toutes les usurpations de l'Église, a été un retour à l'Évangile du Christ, à l'enseignement et à la personne du Christ, seul Maître, seul Docteur et seul intermédiaire entre Dieu et les hommes.

«Jésus-Christ, voilà pour le protestant l'autorité souveraine en matière de foi; et comme, somme toute, la vie religieuse domine pénètre et inspire toute la vie humaine, l'autorité souveraine en ma fière de vie humaine, l'autorité souveraine dans la vie de l'homme, l'autorité souveraine sur la vie de l'homme, la voilà: c'est Jésus-Christ! Cette méthode qui consiste à ne faire dépendre l'homme que de Jésus-Christ et à le soumettre complètement à son autorité, dans la mesure où elle rend l'homme dépendant de Jésus-Christ, le libère de toutes les autres autorités.

Le Christianisme c'est le Christ et cela doublement, car c'est à la fois la vie de Jésus-Christ et la vie qui découle de Jésus-Christ. Ainsi, rien ne doit s'interposer entre l'Évangile et l'homme, ni doctrine préalable, ni institution établie à cet effet; il faut l'homme et le Christ en face l'un de l'autre, dans le silence religieux et la majestueuse solitude d'un tête-à-tête sacré où la présence, même occulte, d'un témoin serait une profanation et un blasphème!» (Freddy Dürrleman ; Initiation protestante p. p. 79, 80, 83, 95, 96.)

Les citations qui précèdent sont de cet admirable livre que tout protestant devrait connaître: «Initiation protestante» de M. Freddy Dünleman, directeur de «la Cause», à Paris; elles montrent clairement ce qu'il faut entendre par la primauté et la souveraineté du Christ, opposées à la primauté et la souveraineté de l'Église.

Et, ajouterons-nous avec l'auteur de «l'Initiation protestante»: Rien de plus scientifique que de faire dépendre la Vérité chrétienne de l'observation libre et de l'expérience directe du fait chrétien; rien de plus religieux que de chercher la Vérité religieuse selon une méthode religieuse et rien de moins catholique, le catholique faisant dépendre son salut de l'acceptation pure et simple, sans examen et sans restriction, des affirmations, déclarations et définitions de l'Église.

À cela on a objecté que le Christ contemplé, saisi et accepté par l'examen direct et la communion personnelle a plus de chances d'être trahi, déformé et défiguré par l'ignorance et la présomption des fidèles — si sincères qu'ils soient — que par l'intelligence et la sagesse des docteurs et que l'enseignement de l'Église, dosé, informé et définitivement établi, sera nécessairement plus exact que tout ce que l'intuition personnelle pourrait lui opposer.

On a objecté également que l'expérience individuelle a amené le protestant à se croire, lui aussi, le seul vrai détenteur de la Vérité et que le protestantisme est voué à l'éparpillement, à l'inconsistance de la doctrine, à l'impuissance et la variabilité.

Nous ne méconnaissons pas l'apparente valeur de ces objections et nous aurons l'occasion d'y revenir; nous répondons dès maintenant, avec l'auteur déjà cité «qu'autre chose est le fait chrétien et autre chose l'explication de ce fait; que la vérité de la formule est en somme secondaire dans le Christianisme, puisque le Christianisme authentique n'est pas avant tout un système, mais une vie; qu'il n'est pas nécessaire au protestantisme d'atteindre à la formule considérée comme seule vraie et unanimement admise, pour réaliser la véritable unité et que la reconnaissance du fait central du christianisme, en la personne du Christ de la Bible accepté comme Sauveur, suffit à réunir les chrétiens protestants en un même corps spirituel.» (Initiation protestante p. p. 169, 171.)


***

La souveraineté de la conscience, dans les limites de la souveraineté de Dieu et le retour au Christ, seul intermédiaire entre Dieu et les hommes (Dieu au sommet et le Christ au centre de la religion): deux principes auxquels il faut ajouter ce troisième qui est considéré

par un grand nombre de théologiens protestants comme le principe essentiel de la Réforme: le salut par grâce et par la foi!

Et le salut par grâce opposé au salut par les oeuvres.

Héritier par nature et par naissance du péché originel, l'homme est incapable de faire le bien (voyez la confession des péchés) ou, tout au moins, le bien qu'il fera ne lui conférera aucun mérite suffisant, sous forme de droit au pardon et au salut.

Le salut ne vient pas de nous; c'est un don de Dieu, une pure grâce, afin que personne ne se glorifie (Éphésiens 2, 8-9), (Romains 1, 17, 5, 1, etc., etc.).

Avec de multiples nuances qui tenaient surtout à leur tempérament, tous les réformateurs étaient d'accord sur ce point, depuis Calvin que sa logique de juriste avait poussé à dégager de l'Écriture une doctrine extrême qui l'effrayait lui-même, jusqu'à Luther qui insistait peut-être moins sur la rigueur de la justice éternelle que sur l'infinité de l'amour divin.

Le salut par grâce, par la foi, indépendamment des oeuvres de la loi: on a écrit de très gros volumes sur cet aspect de la doctrine protestante et le salut gratuit a été le problème (il l'est encore) des disputes théologiques du 16e siècle, en Allemagne et en Suisse; il ne manque pas de gens qui, aujourd'hui tout autant qu'autrefois, n'ont aucune peine à démontrer que l'Écriture elle-même est loin d'être précise à cet égard; nos adversaires ne cessent de nous faire remarquer que le salut par la foi pourrait devenir un oreiller de paresse et un encouragement à la stérilité morale et à l'inaction et que St.-Paul lui-même, d'accord en cela avec Jacques, a placé la charité (donc les oeuvres) au-dessus de l'espérance et de la foi.

À cela il faut répondre que Luther avait vu, par l'affreux scandale des Indulgences, jusqu'où pouvait conduire la doctrine du mérite des oeuvres (À peine l'argent a-t-il sonné dans ma caisse, criait Tetzel, que l'âme libérée du purgatoire s'envole vers le ciel!) et qu'au couvent d'Erfurt, les jeûnes et la discipline et les macérations les plus atroces (un autre aspect du mérite des oeuvres) ne lui avaient apporté que le tourment et le désespoir. Et tout à coup: «Le juste vivra par la foi!» Quelle illumination et quelle paix dans son esprit!

Non point la paix de celui qui abandonne la lutte, mais celle de l'homme libéré de toute crainte et qui comprend enfin que plus sa foi sera solide, plus admirables aussi et plus nombreuses (mais sans lui conférer un mérite quelconque) seront les oeuvres qu'il accomplira.

N'insistons pas. Là encore, là surtout et depuis longtemps, la cause est jugée et le conflit tranché: la cause est jugée par les faits; l'obéissance protestante à la loi de la charité, loin d'être amoindrie par la conviction que c'est la grâce de Dieu seule et la foi seule qui confèrent le salut, s'est affermie et a fructifié à un point tel que, sans aucun doute possible, ce sont les pays réformés ou luthériens qui sont les plus riches en oeuvres de relèvement, d'éducation, de bienfaisance et de mutualité.

Oui, souveraineté de Dieu et primauté du Christ, salut par grâce et par la foi: trois principes essentiels; les trois premiers piliers d'angle qui soutiennent l'édifice protestant.


Forgerons

Cliché de "la Cause" à Paris


Et voici le quatrième: La Bible, toute la Bible, seul document et seule autorité en matière de foi.

Nous avons vu déjà que les savants et les théologiens et spécialement les philologues, avaient mis les Écritures à la portée de tous, en les traduisant en langue vulgaire; la version allemande de Luther, les traductions de Lefèvre d'Étaples, la Bible d'Olivétan, dite Bible de Serrières (1535) firent plus pour le triomphe des idées nouvelles que les disputes publiques ou les hasards de la politique et de la diplomatie. Jusque là, répétons-le, c'étaient l'Église et les docteurs qui interprétaient l'Écriture et nous savons que l'Église ne laissait, dans ce domaine comme en tant d'autres, aucune place pour la discussion. Désormais, la Bible, abondamment répandue et vulgarisée deviendra la nourriture du peuple et chacun, par droit de libre examen, devra se pénétrer de sa substance et de son esprit. Et cela par double réaction: réaction contre l'Église romaine qui revendiquait pour elle seule l'autorité et l'interprétation et réaction contre les chrétiens ultra-mystiques et soi-disant inspirés qui mettaient leurs divagations individuelles au-dessus de l'Écriture. Double résistance comme l'on voit et juste milieu; mise en garde légitime contre le danger des traditions suspectes et des légendes qui, peu à peu, avaient pris la place des enseignements directs de la Parole de Dieu.

Certes, il peut arriver — et il est arrivé souvent — que le libre examen des Écritures ait conduit certains hommes, d'ailleurs très sincères, aux sectes les plus étranges et aux interprétations les plus déplaisantes; il est même certain que les divisions qui désolent le monde protestant n'ont pas d'autre cause qu'un abus de cette liberté. Et c'est ici que nous devrions revenir aux objections de nos adversaires, à propos du Christ contemplé et saisi par le contact personnelle et la communion directe; nous ne le ferons qu'en passant et simplement pour faire remarquer que nous ne méconnaissons point les inconvénients et les dangers de la liberté; si peu, que nous concéderons sans difficulté que ces dangers, la Réforme ne les a pas tous évités.

Cette concession faite, nous affirmerons d'autant plus énergiquement que la liberté est beaucoup moins dangereuse que l'autorité qui brise et la foi personnelle beaucoup plus exaltante que la foi intolérante et imposée; il y a plus de sagesse et plus de solidité, plus de réconfort et de dignité dans la croyance librement conquise, même par le plus humble et le plus petit, que dans ce mot de Brunetière, qui est un aveu d'impuissance et de servilité: «Ce que je crois? Allez le demander à Rome! ».

Il est vrai qu'aujourd'hui, des écrivains très habiles et des conférenciers très savants prétendent que l'Église catholique n'a, en réalité jamais interdit la lecture des livres saints ou qu'elle ne l'a fait qu'occasionnellement, pour mettre ses ouailles à l'abri de l'erreur.

Cette affirmation n'est que très partiellement conforme a l'histoire; on avouera sans peine, en tout cas, qu'entre la lecture tolérée, voire même recommandée des textes revus et corrigés par l'Église et le libre examen, il y a une marge, pour ne pas dire un abîme et, que la façon protestante de s'inspirer des livres saints ne ressemble guère à la soumission catholique à l'égard de l'interprétation officielle. Il n'y a pas seulement différence, il y a irréductible opposition.


***

À propos du sacerdoce universel, un autre principe protestant, qui découle du précédent, on nous permettra de transcrire ici ce que M. Fernand Barth en dit très exactement dans l'une de ses trois conférences sur le protestantisme:

«C'est le laïcisme oppose au cléricalisme. L'Église protestante n'est pas la chose spéciale, le domaine exclusif du clergé; elle est le bien commun à tous, la famille spirituelle où l'on se retrouve... Les pasteurs sont, selon la formule classique «les premiers entre égaux», ce qui signifie que leur consécration au saint ministère les met sans doute au premier rang, mais ne les élève pas au-dessus du commun des fidèles. Si dans tel pays ou dans telle église, leur costume ordinaire les fait immédiatement reconnaître ou si, dans l'exercice de leurs fonctions, il leur arrive de revêtir la robe noire des réformateurs et même, comme chez les luthériens stricts et les anglicans, l'étole des prêtres romains, ils ne sont jamais que les entraîneurs ou, comme on dit aujourd'hui, les animateurs de leurs frères laïques. Ce à quoi ils tendent, c'est à développer ces derniers, c'est à en faire des collaborateurs dans toutes les oeuvres de l'Église et même parfois des suppléants dans la présidence des cultes et des réunions plus modestes!»

On le voit, il ne s'agit pas de la suppression de tout clergé, de toute étude théologique et de toute consécration; le pasteur a une charge spéciale, très belle, très haute et très nécessaire, mais il n'est pas un prêtre et il ne se distingue de son troupeau que par ses fonctions et ses responsabilités.

Les plus modestes de ses paroissiens ont les mêmes droits que lui et les mêmes devoirs; mieux que cela, le père de famille, comme le pasteur, est revêtu d'une sorte de sacerdoce et il doit être lui aussi un chef religieux; c'est là peut-être, plus encore que dans l'Église, que tout homme doit savoir montrer qu'il est digne de sa vocation.

Pour être complet, dans cette rapide énumération des principes protestants, nous devrions montrer encore pourquoi les réformateurs ont supprimé le confessionnal (ce qui ne veut pas dire qu'ils aient diminué la valeur de la repentance, au contraire) et pour quelles raisons, en vertu de l'unité de la morale, ils ont affirmé que la vie chrétienne parfaite et la Sainteté (les catholiques ne sont pas seuls à avoir des saints) s'obtiennent aussi facilement par le labeur honnête et l'obéissance fidèle que par la retraite monacale ou le célibat.

Nous devrions dire surtout pourquoi la Réforme n'a conservé que deux sacrements sur sept (le baptême et la Sainte-Cène) et a repoussé comme contraire aux intentions du Christ la fameuse transsubstantiation en vertu de laquelle, à la voix du prêtre et pendant le sacrifice de la messe, le pain et le vin de la Cène se transforment en chair et en sang; présence réelle et substantielle du Sauveur dans l'eucharistie romaine; présence réelle et spirituelle dans la communion protestante... les pasteurs expliquent ces différences à tous leurs catéchumènes. Les adultes de nos églises sont au clair, sur ce point, nous en avons la parfaite assurance. Et de cela nous disons, comme de tout le reste: «Tiens ferme ce que tu as!».


III

Des causes, des raisons, des principes. Nous devrions peut-être nous en tenir là; une brochure populaire doit être courte et ne contenir que les choses essentielles. Il faut montrer pourtant que la Réforme a eu ses martyrs (en quoi son histoire est glorieuse et vénérable), qu'elle a fait ses preuves et qu'elle nous impose des devoirs.

Elle a eu ses martyrs. L'aurions-nous oublié? Aurions-nous oublié que les premières tentatives de réforme ont été noyées dans le sang, que les Albigeois furent impitoyablement exterminés au 13e siècle, que l'Inquisition espagnole, en 18 ans, a fait disparaître plus de dix mille personnes et en voua près de cent milles à l'infamie et à la confiscation de leurs biens? Aurions-nous oublié qu'au 14e siècle les Templiers et les Vaudois furent livrés à la fureur des bourreaux: que Jean Huss fut brûlé en 1415, le jour de son anniversaire, malgré le sauf-conduit de l'empereur Sigismond? Et que faut-il penser de l'Église qui a toléré et provoqué ces abominations, se montrant si cruellement persécutrice, après avoir été jadis si cruellement persécutée?

Dans notre pays romand, heureusement, les idées nouvelles triomphèrent sans trop d'efforts; on peut affirmer, qu'à l'exception de quelques incidents (Farel plusieurs fois bousculé, frappé ou emprisonné, le coup d'épée dans le dos de Pierre Viret, la soupe empoisonnée de Genève) il y eut très peu de sang versé et que, de part et d'autre, l'on se montra relativement calme. On sait pourtant qu’ailleurs il en fut tout autrement et qu'il n'y a pas d'histoire plus sombre (pour la Suisse et la France) que celle des guerres de religion.

Il y eut des excès des deux côtés et il est certain qu'à force de souffrir, les protestants de France finirent par se soulever; et alors, comme les autres, ils se soumirent aux lois de la guerre et du désespoir.

Pourquoi ne le reconnaîtrions-nous pas, aussi simplement que nous avons déploré l'erreur de Calvin, allumant contre toute justice le bûcher de Michel Servet? La révolte des Camisards (des historiens impartiaux l'ont prétendu) fut peut-être une faute? Qu'aurions-nous fait à leur place, après 170 ans de luttes et de souffrances?

François 1er Henri II, François II, Charles IX (celui de la St.Barthélémy), Henri III: ils ont tous pratiqué la même politique; ils ont tous accumulé les ruines autour d'eux. Les guerres civiles ont fait périr 800,000 personnes; neuf villes ont été rasées et 250 villages détruits; et sur 2,000 églises, il n'en restait que 750!

Tout cela est trop connu, aussi bien que les règnes d'Henri IV, de Louis XIII et de Louis XIV et la Révocation de l'Édit de Nantes qui jeta 50 milles familles dans l'exil. Nous croyons pourtant qu'il est nécessaire de le rappeler, parce qu'alors plus que jamais Genève et la Suisse romande devinrent terres de refuge et asiles de liberté; les faits sont là et nous, descendants de ces martyrs et de ces héros, nous n'avons pas le droit d'en perdre la mémoire; sans eux, notre pays serait loin d'être ce qu'il est et il est certain que nous devons aux Huguenots persécutés ce qu'il y a de plus noble dans notre sang.


***

Et puis, la Réformation a fait ses preuves et elle a créé une discipline.

La réaction morale était nécessaire à un moment où, comme l'écrivait Calvin (Viénot. Histoire de la Réformation française, citation p. 274.), «la religion était souillée, la vérité de Dieu étouffée, le culte corrompu, les hommes enivrés par la confiance funeste de leurs oeuvres, cherchant leur salut ailleurs qu'en Christ!».

Et alors vint la discipline et quelle discipline! Exercée par le Consistoire, espèce de tribunal composé de laïques et d'ecclésiastiques et chargé de veiller à la conduite de chacun, à l'observation des lois de l'église et de l'état et à la pureté des moeurs, elle régénéra en peu de temps la cité de Genève; censure privée, censure publique, pénalités sévères, amendes pour ivresse, jurements ou abandon du culte, fouet, prison, exil, tout cela était dur, mais pour l'époque, nécessaire.

La discipline de Zwingli n'était pas moins stricte, ni celle de Berne dans le canton de Vaud, ni celle de Farel à Neuchâtel; dans le pays de Vaud, jusqu'au 18e siècle, il y eut des «interrogats» ou examens de doctrine et de conscience, qui étaient la terreur des adultes peu scrupuleux, des délinquants et des révoltés et nous savons que, dans notre canton, la Vénérable classe ne plaisantait point avec les choses sérieuses et que les impies et les jureurs devaient faire amende honorable, avant d'être rétablis dans leurs privilèges de membres de l'église.

Personne, assurément, n'a jamais eu lieu de regretter la douceur et la tolérance d'aujourd'hui; il n'en est pas moins certain que cette discipline morale avait fait des pays protestants quelque chose de très noble et de très grand. Un pasteur français l'a écrit (et ce qui se passait dans son pays se passait également dans le nôtre) (Revue du christianisme social de mars 1927.): «Il y a des signes, en effet, dans les Cévennes, que la Communauté réformée ait été fortement, rigidement constituée, qu'il y ait eu là un moule, un cadre protestant remarquablement vigoureux, dans lequel s'intégraient, sans rébellion possible et à leur place, générations et individus!».

Et tout rentrait dans ce cadre: le respect de l'autorité, des parents et des vieillards, l'obéissance absolue des enfants, la Bible lue en famille, le culte fréquenté, l'honnêteté patriarcale, la fidélité conjugale, la sobriété, la pureté, la punition sévère du vol et du mensonge, l'absence totale de divorces et de crimes... oui, belle époque que celle-là; beau spectacle que celui-là; oasis de paix et de lumière dans le grand désert de l'immoralité universelle!

Nous ne savons pas très exactement ce qui se passait dans notre pays neuchâtelois; rappelons pourtant qu'un noble étranger de passage dans notre principauté, fut si vivement frappé de la propreté de nos villages, de la soumission de nos enfants, de la gravité de nos moeurs (c'était au XVIIIe siècle), qu'il ne put s'empêcher de crier très haut son admiration. Cela prouve en tout cas que le protestantisme avait imprimé son sceau sur les peuples qui l'avaient adopté et que, pendant longtemps cette marque a été visible et certaine. Nous n'irons pas jusqu'à affirmer, hélas! qu'il en est de même aujourd'hui.

Par contre, ce qui est incontestable, c'est le bien-être et la richesse spirituelle que le protestantisme a répandus dans notre pays; nous ne craignons aucune contradiction sur ce point, encore moins dans le domaine de l'instruction et de la charité publiques qu'en tout autre. elle seule, l'œuvre scolaire des Réformateurs en pays romand remplirait des volumes entiers.)

En proportion du nombre de ses habitants, le canton de Neuchâtel est si merveilleusement outillé que nous avons le droit d'en éprouver quelque fierté. Et l'on viendrait nous dire que la Réforme n'est pour rien dans cette floraison, dans cette multiplicité d'oeuvres de tout genre — intellectuelles, scolaires, morales, ecclésiastiques et sociales — qui donnent à notre pays romand son cachet et son incomparable valeur? Il est de bon ton, dans une certaine presse, plus naïve et plus jeune qu'exactement informée, de blaguer notre froideur, nos temples nus et fermés, notre ignorance de l'art et du style, notre patois de Canaan, la pauvreté de nos liturgies, la banalité de nos architectures et jusqu'à nos scrupules et jusqu'à notre moralité sans couleur et sans joie et jusqu'à notre statue de Farel, élevant la Bible comme un assommoir sur la tête des passants!

Laissons dire et laissons faire! Notre passé en vaut bien un autre et nous n'avons pas honte de nos pères. Ils ont vu juste et nous ne regrettons rien de ce qu'ils ont fait et de ce qu'ils ont été; nous sommes les premiers à savoir ce qui nous manque; nous sommes aussi les premiers à savoir ce que nous sommes et ce que nous possédons: ce que nous sommes, nous le resterons et ce que nous possédons — on peut en être sûr — nous le garderons! Tiens ferme ce que tu as!


***

Aujourd'hui, après avoir été longtemps divisée, la patrie a retrouvé son unité et son bonheur, dans la tolérance et le respect des convictions sincères. Catholiques et protestants ne s'affrontent plus sur les champs de bataille; ils ont compris que les querelles civiles et confessionnelles sont les plus abominables de toutes et que, selon le mot de Michelet cité par Viénot, «il faut que la première, la plus sainte de nos libertés, la liberté religieuse, aille souvent se fortifier, se raviver par la vue des affreuses ruines qu'a laissées le fanatisme!»

Et ce n'est là ni la moins utile, ni la moins nécessaire des leçons de l'histoire. Il y a plus: il est des cantons mixtes où les deux cultes se célèbrent successivement dans le même édifice sans que jamais aucune contestation ne vienne troubler la sérénité des âmes et il s'est créé, par-ci par-là entre prêtres et pasteurs — au service militaire surtout — des amitiés durables. La paix interconfessionnelle est à la base de nos institutions et l'on peut dire que la Suisse, par le juste équilibre qu'elle a su établir, non sans efforts, entre les races, les langues et les religions, a donné au monde un exemple vivifiant. Le quatrième centenaire que nous célébrons aujourd'hui ne diminuera en rien cette fraternité; il n'aura qu'un seul but: nous raffermir dans notre conviction.


IV

Mais gardons-nous de l'oublier: la réforme n'est pas un fait acquis et définitif; elle n'a été qu'un point de départ; son essence même est de continuer toujours. Et c'est pourquoi elle nous impose des devoirs.

Le premier sera de sauvegarder dans notre pays, les droits de la conscience et les droits de Dieu. Il se pourrait que tôt ou tard, de droite ou de gauche, ces droits fussent entamés ou méconnus. Paul Seippel, en un livre qui fit bien quelque bruit, montrait un jour que la France oscillait, par périodes alternantes, entre le cléricalisme et la révolution. Ces deux forces opposées s'affrontent plus que jamais dans le monde d'aujourd'hui et elles se dressent, l'une en face de l'autre, avec assez de violence pour que la vraie démocratie n'en subisse que trop sûrement le contrecoup.

Il n'est ni exact ni prudent d'affirmer que le protestantisme est le père de la démocratie; mais il en a été et il doit en être le régulateur, l'inspirateur, le régénérateur et nous croyons que, dans ce domaine, son oeuvre est loin d'être achevée.

La liberté véritable ne sera jamais possible si les postulats de la conscience individuelle ne sont pas garantis et cette même liberté ne sera que du libertinage, si elle ne dresse pas ses assises sur le roc immuable de la loi divine.

Le second de nos devoirs sera de respecter notre héritage; le maintenir intact n'est pas assez dire; nous devrons le transmettre à nos enfants plus riche que nous ne l'avons reçu de nos pères. Il serait intéressant de savoir, la main sur le coeur et à la face de Dieu, si c'est bien ce que nous sommes en train de faire! Ce n'est pas porter préjudice à la tolérance que nous devons à nos voisins catholiques, que de manifester carrément nos convictions et les petites compromissions dictées par l'intérêt ou les convenances mondaines, en cas de mariages mixtes, par exemple, ou de pas irréfléchis dans la direction de Rome, n'ont jamais satisfait personne, ni d'un côté ni de l'autre.

Quand on a l'honneur de porter un nom huguenot (il y en a passablement parmi nous) on a dans le sang quelque chose de plus fier que toutes les fiertés d'ici-bas. Il y a trop de protestants qui manquent de dignité et qui ont perdu le saint orgueil de leur race; l'ignorance dans laquelle ils sont de tous les trésors qu'ils négligent, du tort qu'ils se font et qu'ils font à leurs frères, est leur seule excuse; quant à nous, «relevons le gant quand il est jeté, répliquons quand on nous excuse, remettons au point lorsqu'on défigure l'histoire et déployons notre drapeau, au lieu de le serrer dans notre poche. Même le silence où se réfugie la pudeur de quelques-uns est une lâcheté!» (A. O. Dubuis. Le voile déchiré, p. 165.)

Et puis, nous avons notre culte, notre Bible, la prière, le Dimanche.

Honneur à ceux qui se souviennent de leur culte, et du culte public, et du culte personnel et du culte de famille! Et qu'au moins ceux qui les ont abandonnés ne se disent plus protestants.

Allez voir en France, les vieux temples qui ont échappé par miracle aux torches incendiaires des dragons de Louis XIV; ils sont immenses et ils se remplissaient!

Dans notre pays même, bon nombre d'édifices religieux ont été successivement agrandis, preuve qu'ils étaient trop exigus. Nos temples devraient être trop petits et, si nous le voulions bien, un jour reviendrait où les charpentiers et les maçons auraient un travail plus intéressant à faire que de construire des garages et des cinémas.

Quant au culte de famille, il a sauvé les Huguenots de la ruine et du désespoir; c'est la Bible, lue et relue, usée et jaunie par le temps qui a forgé leur caractère.

Au surplus, nos Dimanches sont devenus un pur scandale, par l'usage qu'en font la plupart de nos concitoyens. Il y aurait là une formidable réaction à faire, un énergique coup d'épaule à donner. Si notre génération s'en montre incapable, celle qui monte surtout et qui se préoccupe avant tout de sport et de plaisir, nul ne peut prévoir ce qu'il adviendra de l'héritage de nos pères.

Autre devoir encore: unissons-nous toujours plus joyeusement, toujours plus étroitement. La tentative de rapprochement qui fut, il y a quelques années, le résultat d'une assemblée mémorable, n'a pas été perdue; elle a tout de même laissé en nous un esprit et un désir et nous savons que, sur un terrain beaucoup plus vaste, à Stockholm, en 1925 et à Lausanne en 1927, la chrétienté évangélique, réformée, anglicane, luthérienne et orthodoxe, a jeté les bases de la fraternité et des fédérations futures. Laissons-nous gagner et émouvoir par ces sublimes perspectives. Dans son rapport de 1929, la Fédération des Églises protestantes écrivait ce qui suit (p. p. 45 et 46): «Nous sommes en présence de petits commencements, encore faibles et timides, mais pleins de promesses. L'oeuvre de rapprochement des Églises exigera des efforts persévérants, un travail de longue haleine; c'est une oeuvre de foi qui n'aboutira que si elle est le fruit de l'Esprit de Dieu, agissant dans les coeurs! ».


***

L'un des inspirateurs du mouvement chrétien social en France, Tommy Fallot, a résumé mieux que personne nos tâches présentes et nos devoirs futurs. Il a dit: «La réforme de la société religieuse implique un double effort: un retour constant aux origines et une adaptation de plus en plus complète aux nécessités du présent!» (Qu'est-ce qu'une Église, p. 153).

Nos origines? Il nous faut les chercher plus loin et plus haut que la plupart des protestants ne le prétendent, par delà le 16e siècle et par-dessus les Réformateurs eux-mêmes. Nous l'avons dit: La Réforme n'a pas été un mouvement de hasard, une explosion unique, mais un aboutissement et comme la conséquence inéluctable d'un long travail de conscience.

Surtout, nous n'oublierons point que le Christ est notre seul Chef et l'Évangile notre source première et que la somptuosité des cultes et la complication des cérémonies et des formules dogmatiques n'ont aucun rapport avec la simplicité de l'Église primitive et les intentions évidentes de ses fondateurs.

Certes, le règne de Christ déborde l'horizon de chaque église et aucune ne peut l'embrasser dans sa plénitude. Mais plus nous serons fidèles à nos origines et plus spécialement à l'enseignement de l'Écriture et à l'exemple et à la personne du Christ et des apôtres, plus nous aurons la certitude de vivre dans la Vérité.

Et enfin, adaptons-nous toujours plus exactement aux nécessités du présent. On a dit de l'Église de Rome qu'elle a le génie de l'adaptation. Elle a trouvé le moyen de conserver sa formidable charpente et de donner à cette armature assez de souplesse pour qu'elle résiste à tous les chocs et s'accommode de toutes les situations. Adaptons-nous comme elle et mieux qu'elle.

Une foule de problèmes se posent aujourd'hui que le Christ ignorait totalement; problèmes économiques, moraux, sociaux: c'est un monde nouveau et comme un recommencement, à chaque génération. Personne ne demandera jamais à l'Église de changer son christianisme; elle doit le conserver, au contraire et le proclamer sans réticences et sans faiblesse, car il est au-dessus de tous les temps. Ce qu'on réclame de la sagesse de l'Église, c'est qu'à chaque moment elle revoie ses méthodes et révise ses jugements.

L'a-t-elle fait? Pas toujours et c'est là, sans nul doute, dans cette incompréhension des mentalités, des besoins et des soucis actuels, qu'il faut chercher la cause de l'éloignement, de la désaffection et parfois de l'hostilité du peuple à son égard.

D'ailleurs — et c'est bon signe —, on le comprend toujours plus et toujours mieux. Oeuvres de solidarité et de coopération, oeuvres de paix et désarmement, collaboration internationale, concentration des forces religieuses, obéissance à la loi sacrée de la justice sociale, lutte contre le vice patenté, l'alcoolisme et la pornographie, problèmes pédagogiques et scolaires, problèmes de psychologie, entreprises missionnaires (la gloire de notre protestantisme), étude de la Bible selon les règles de la foi, de la science et de l'histoire, embellissement des cultes et des temples, enrichissement des liturgies, oeuvres de jeunesse et camps d'études, activités de paroisse, évangélisation du peuple... le programme remplirait des pages!

L'Église a, devant elle, une besogne surhumaine. Mais elle est là pour cela et c'est ce qu'il y a de grandiose dans sa mission. N'en doutons pas: Ce qu'elle a essayé de faire, par la grâce de Dieu, n'est que peu de chose — si glorieux que soit son passé — en comparaison de ce qu'elle devrait faire encore.

Il faut conclure et notre conclusion sera brève: Nous sommes fiers de notre histoire; les trésors que nous avons reçus de nos pères sont éternels et si nous les vendions à vil prix pour en ambitionner d'autres qui passent, nous serions comme l'homme dont parlait le Christ et qui — bien que possédant le monde entier — avait perdu son âme.

Ainsi, nous tiendrons ferme ce que nous avons!

Ne nous laissons pas intimider par ceux qui, en termes plus ou moins voilés, prophétisent

la disparition prochaine des Églises de la Réforme. Le moins que les Chrétiens que nous sommes puissent dire aux Chrétiens qu'ils sont, c'est qu'ils prennent leurs désirs pour des réalités,

Vous savez peut-être ce qu'un auteur français disait de la Patrie?

Nous le dirons à notre tour de l'Église: «C'est une cathédrale! Rendons-la toujours plus habitable, toujours plus aimable, toujours plus hospitalière à la foule fidèle qui s'y réunit, qui y chante, qui y prie, qui y communie; travaillons d'un coeur dévot, sans jamais nous irriter contre elle et toujours en lui étant reconnaissants de l'effort d'esprit qu'elle exige et de la paix de l'âme qu'elle nous donne, à notre cathédrale éternelle! ».

H. PAREL.



Christ

Le Christ de Dürer


Ajout de la bibliothèque «Regard»

Placez-vous sur les chemins, regardez,

Et demandez quels sont les anciens sentiers,

Quelle est la bonne voie; marchez-y,

Et vous trouverez le repos de vos âmes!

Jérémie 6: 16

Chapitre précédent Table des matières -