Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

QUE FAUT-IL FAIRE POUR ÊTRE SAUVÉ ?


IV.


Cet entretien laissa de profonds souvenirs dans le cœur du maître de pension, qui, dès ce moment, devint grave et sérieux. Il n'entrait jamais dans son cabinet de travail sans que l'inscription latine ne fît sur lui une vive impression.

Un de ses pensionnaires qui mourut quelques jours après, de la fièvre typhoïde, le prêcha mieux que le plus puissant prédicateur.

Dès ce moment il se dit : il faut que je sauve mon âme à tout prix, car, je sens que je suis pécheur et que, si la mort me surprenait dans ce moment, je serais perdu.

Les vacances arrivèrent dans cet intervalle ; il partit avec trois jeunes anglais pour aller visiter l'Oberland. Deux mois après nous le retrouvons dans l'ancien salon du pharmacien auquel il faisait part de ses impressions :

M. Blichon, lui disait-il, je suis dans une profonde angoisse, car je désire sauver mon âme sans pouvoir trouver le salut.

Depuis le jour où nous avons causé dans mon cabinet d'étude, pas une heure ne s'est écoulée sans que je me sois dit : que faut-il que je fasse pour être sauvé ?

Comme vous êtes un homme que je vénère et auquel je voudrais ressembler, je vais vous raconter ce qui s'est passé en moi depuis la dernière fois que nous nous sommes vus.

Du moment que je me suis senti pécheur (vous m'avez d'ailleurs si bien démontré que je le suis), j'ai commencé par avoir peur de la mort, et je ne l'ai jamais tant redoutée que dans le voyage que je viens de faire.

En chemin de fer, je me rappelais la catastrophe de Versailles ; en diligence, je tremblais quand la voiture, en descendant des côtes, semblait voler sur des abîmes ; sur les montagnes, je frissonnais, dans un jour d'orage, quand l'éclair jaillissait et que la foudre grondait à quelques pieds au-dessus de ma tête ; je n'étais plus ce professeur joyeux et content, riant de tout, s'amusant de tout, expliquant à ses élèves la foudre pendant qu'elle grondait et l'éclair pendant qu'il jetait, à force de lumière, des ténèbres dans les yeux.

Topffer, cet inimitable humoriste, n'avait plus le privilège de me dérider ; mon esprit était occupé de choses plus sérieuses et mon cœur de sentiments plus profonds. Je ne pensais qu'à mon âme...

J'étais triste, mais ma tristesse n'était pas sans douceur ; je sentais qu'un nouveau monde s'ouvrait pour moi et que le vieux disparaissait comme derrière la brume. J'allais donc vers l'inconnu et j'en éprouvais tous les charmes, mais le sentiment de mes péchés était toujours là pour m'attrister ;car quand je cherchais le pardon je ne le trouvais pas.

Je lisais mon Nouveau-Testament soir et matin, et souvent plusieurs fois dans la journée : cette lecture m'intéressait vivement, mais, au lieu de m'apporter la paix, elle ne m'apportait que le trouble, en me dévoilant la profondeur de mes misères ; plusieurs fois, seul à l'écart dans quelque bois ou sous quelque roche solitaire, j'ai pleuré amèrement et prié Dieu, ce qui ne m'était pas arrivé depuis bien longtemps.

Je trouvais dans mes larmes et dans mes prières de la douceur, mais bientôt après je sentais un profond découragement, car hélas ! chaque larme et chaque prière qui auraient dû, selon moi, enlever un de mes péchés, ne faisait que m'en découvrir un nouveau. Je ne me décourageais pas néanmoins ; je voulais sauver mon âme à tout prix ; s'il l'eût fallu j'aurais renoncé à tout pour cela : j'aurais couché sur la terre, j'aurais marché pieds nus ; ne sachant donc que faire, je me dis : Dieu veut que tu t'améliores, et quand tu seras meilleur il aura certainement pitié de toi et te donnera son pardon. Je me mis donc à l'œuvre en examinant soigneusement ce qu'il y avait de mauvais en moi.

J'étais un peu médisant, peut-être beaucoup : je mettrai, me dis-je, un cachet sur mes lèvres ; j'étais un peu impatient, je me modérerai ;je m'efforce d'y parvenir.

Que vous dirai-je, M. Blichon, si ce n'est que je me suis efforcé de me rendre meilleur ; eh bien ! Savez-vous ce que je recueille de tous mes efforts, c'est que JE ME VOIS PIRE QUE JAMAIS.

Cela m'attriste profondément, car je suis au bout de mes forces. Un moment j'avais cru qu'en me repentant bien, Dieu me pardonnerait ; je me suis repenti, je me repends, je maudis ma vie passée, mais plus ma repentance est vive, plus mes péchés me semblent criants, et quand, dans ces moments, je veux regarder à la bonté de Dieu, je ne rencontre que sa justice.

Je vous dis tout ce que j'ai sur le cœur ; aussi, je vous l'avoue, si vous ne venez pas à mon secours, je désespère de trouver le salut et je croirais alors que je n'en suis pas digne, parce que j'ai fait et que je veux faire tout ce qu'il faut pour le mériter.

Le salut est près de vous, lui dit le pharmacien qui l'avait écouté avec un profond intérêt, mais vous ne l'avez pas vu.

Comment  ! près de moi, répondit M. Huber, et cependant je le cherche depuis si longtemps avec une bien grande persévérance.

Je ne conteste ni vos désirs ni votre persévérance, mais quand on veut aller quelque part, la première condition, après la bonne volonté, c'est d'en prendre le chemin. Vous vous êtes trompé de route, LE SALUT N'EST PAS LA OÙ VOUS L'AVEZ CHERCHÉ.

Mais où voulez-vous donc que je le trouve ?

Où il est, et pas ailleurs.

S'il n'est pas où je l'ai cherché, où sera-t-il donc ?

Il faut bien qu'il soit ailleurs puisque vous ne l'avez pas trouvé où vous l'avez cherché. — C'est vrai, répondit M. Huber, comme s'il eût été éclairé par une illumination soudaine, c'est vrai ; mais alors dites-moi ce qu'il faut que je fasse pour être sauvé, puisque jusqu'ici mon travail a été vain.

Détrompez-vous, mon ami, détrompez-vous ;vous n'avez pas travaillé en vain, pas plus que la semence qui meurt avant de naître. Les voies du Seigneur sont diverses. Il appelle celui-ci d'une manière, celui-là d'une autre : Le brigand trouve le salut sur sa croix ; le geôlier de Philippes dans les murs de sa prison ; un mot ouvre le cœur à Lydie, tandis que le grand Bunyan ne le trouve qu'après des années de douleurs et d'angoisses ; mais tous le trouvent avec le même regard, et CE REGARD DOIT ÊTRE PORTÉ SUR JÉSUS-CHRIST.

Je ne comprends pas, M. Blichon.

Je n'en suis pas surpris, car si vous compreniez vous auriez ce pardon après lequel vous soupirez ; il ne vous manque, pour le posséder, qu'un acte de foi, et Dieu, je le vois, a tout conduit d'une manière admirable pour vous y amener. Veuillez m'écouter.

Oh  ! M. Blichon, parlez, je vous écoute sans préjugés. Si vous saviez comme je désire avoir la paix de mon âme !

En disant cela, de grosses larmes roulaient sur les joues du maître de pension, dont la pâleur accusait des souffrances intérieures. Des perles précieuses qui brillent dans un écrin réjouissent moins le cœur d'une femme mondaine, que les larmes de M. Huber ne réjouirent le cœur de M. Blichon.

Seigneur, s'écria-t-il, dans une prière intérieure entendue de Dieu seul, achève l'œuvre que tu as commencée dans ce cœur, et mets sur mes lèvres ce que je dois dire à ce pauvre pécheur qui te cherche.

Les hommes, dit-il au maître de pension, ne veulent pas de la voie chrétienne qui conduit au ciel, que parce qu'elle leur paraît trop simple.

Ils préfèrent les voies humaines parce qu'elles ont une apparence de piété qui séduit et qui est en rapport avec les idées mesquines que nous nous faisons ordinairement du salut, parce que nous croyons qu'il s'achète, quand il se donne, et que nous pouvons le mériter, quand nous ne méritons que la condamnation et la mort.

Une autre erreur... et elle est bien commune, provient de la place que les hommes donnent à la sanctification dont ils font la base du salut, QUAND ELLE N'EN EST QUE LE FRUIT.

De là aussi l'impossibilité pour ceux qui marchent dans cette route de savoir le nombre des bonnes œuvres qu'il faut faire pour mériter le ciel ; de là aussi le découragement qui accompagne le pèlerin dans ses voyages... le solitaire sur son lit de cendre... le pélagien dans ses efforts d'amélioration personnelle... le philanthrope chrétien dans ses dons...

De là aussi vos découragements, M. Huber ; mais quand l'Évangile nous présente le salut, il le fait bien autrement ; et comme pour lui LA RANÇON DES PÉCHÉS EST CHRIST MOURANT SUR SA CROIX, Christ versant son sang, elle dit au pécheur ces simples paroles : CROIS AU SEIGNEUR JÉSUS ET TU SERAS SAUVÉ  ; et aujourd'hui je ne vous dis que ces simples paroles : Croyez au Seigneur Jésus et vous serez sauvé...

Quoi  ! M. Blichon ! s'écria M. Huber, c'est là ce que vous appelez le salut !

Oui.

Le maître de pension branla la tête avec un signe de découragement. La tristesse était peinte sur sa figure...

La foi ! disait-il, la foi ! et après cela on est sauvé, pardonné ; je ne croirais jamais, non jamais, qu'il suffise de dire je crois pour être pardonné.

Vous me croiriez mieux, M. Huber, si, catholique romain, je vous disais : donnez de l'argent pour faire chanter des messes, faites bâtir une chapelle en l'honneur de quelque saint, allez en pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle ou à Notre-Dame des sept douleurs ; vous me croiriez si je vous disais : jeûnez, et mieux encore, si je vous montrais le chemin d'un monastère pour aller vous y ensevelir, avec la perspective d'y mourir un jour, enveloppé d'un froc et étendu sur la cendre; vous me croiriez si, protestant rationaliste, je vous disais : efforcez-vous d'être honnête homme, améliorez-vous, faites du bien à vos semblables ; mais comme chrétien je vous dis  : CROYEZ AU SEIGNEUR JÉSUS ET VOUS SEREZ SAUVÉ...

M. Blichon s'était animé, il parlait avec une conviction profonde, il indiquait la croix sans hésiter, car sur elle seule son œil voyait resplendir le salut du monde.

M. Huber l'écoutait avec une grande attention pendant qu'il développait, avec tout le feu d'un saint enthousiasme, les mystères du bois maudit.

C'est trop beau s'écria-t-il, c'est trop beau ; je ne peux croire que Dieu ait mis salut, paix, joie et bonheur ineffable dans ce seul mot foi...

Ce serait trop beau ce n'est pas possible, non ce n'est pas possible... le salut serait trop facile, et le salut, vous le savez, c'est cette porte étroite, à travers laquelle les violents seuls peuvent passer.

Eh bien ! lui dit le disciple de Christ, si vous ne voulez pas vous sauver par la foi, comment vous sauverez-vous  ?

Le maître de pension baissa la tête, il demeura longtemps absorbé dans ses pensées, puis il la releva ; des larmes coulaient de ses yeux toutes brûlantes sur ses joues. Il prit les mains de son vieil ami qu'il baisa avec respect :

Adieu, M. Blichon, adieu ! priez pour moi, car mon âme est dans une grande détresse, dans une grande angoisse, adieu !

Et il partit.

Le pharmacien le suivit des yeux ; quand il l'eût perdu de vue il retourna dans son salon, et là il répandit dans une fervente prière son cœur devant son Dieu et lui demanda la prompte délivrance de cette âme angoissée ; quand il se releva il était joyeux... il ne doutait plus de la conversion de M. Huber.


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