Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CONDAMANTION ET REDEMPTION

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JE disais autrefois: «Le péché me domine:»
Qui me dévoilera sa terrible origine?
Est-il chez moi le fruit d'un pouvoir limité?
Est-il chez moi l'abus de trop de liberté?»
Et je cherchais partout la clef de ce mystère,
J'évoquais devant moi les sages de la terre,
Les vivants et les morts, et jusqu'à ces débris
Que l'on découvre à peine aux antiques écrits.
Mais ma course était vaine et ma veille inféconde:
Je disais: A demain! mais toujours nuit profonde!

Et je restais encor dans ce jour de demain,
Perdu dans les replis du labyrinthe humain.

Il me sembla plus tard que, touché de ma peine,
Dieu me tendait sa main, de grâces toute pleine;
Et qu'un Esprit nouveau dont je suivais la loi,
Consolant et priant, venait d'éclore en moi.
Et relisant alors, plein d'une ardeur nouvelle,
Ce livre où resplendit la pensée éternelle,
Je vis que les humains, rebelles en tout lieu,
Sont maudits sur la terre et rejetés de Dieu.
Mais l'homme, aux premiers temps, parfait de sa nature,
Cheminait devant lui sans effort ni murmure.
À la beauté divine ils se laissait ravir,
Vivait pour être heureux, invoquer et bénir;
Dieu l'aimait, comme on aime un enfant plein de grâce,
Et l'homme lui parlait, comme un fils, face à face.
Le fruit de la science, au jardin d'Orient,
Étalait au regard son éclat verdoyant.

L'âme devait le fuir, de peur d'être maudite;
Mais le serpent l'offrit à la femme séduite;
Et sitôt que ses mains en eurent approché,
Voilà que dans son cœur s'éleva le péché!
Depuis, comme le sang qui bout dans chaque veine,
Le péché s'est fondu dans la substance humaine;
Il lui tient par des nœuds tout puissants et tout forts
C'est l'âme de son âme et le corps de son corps.
C'est un arbre éternel, au germe héréditaire,
Qui mûrit avec nous dans le sein de la mère,
Et quand nous en sortons, épand, frère jumeau,
En même temps que nous sa feuille et son rameau.
Et moi, vil rejeton d'une race coupable,
Comme tous les humains sa puissance m'accable.
Chaque jour vers la terre il me tient attaché,
J'enfante chaque jour des œuvres au péché.
Quel avenir m'attend? car cette courte vie
N'est pas d'indifférence et de néant suivie:
J'ai quelque chose en moi de vivant et de fort
Qui doit vaincre le temps et survivre à la mort.
Mon âme viendra-t-elle, adultère et perdue,
Revivre avec le Dieu dont elle est descendue?
Mais il est sainteté, justice et pureté,
Et sa gloire répugne à mon indignité.

Me voilà donc banni du séjour des délices,
Par ses perfections et par mes propres vices,
Car dans l'ordre éternel tout doit subir son sort,
La sainteté, la vie, et le péché, la mort.
Dieu le veut! ma vertu me fera-t-elle absoudre?
Mais elle est à ses yeux plus vile que la poudre!
Le bien, si je le fais, c'est pour moi, non pour lui:
Je soulage pour moi les angoisses d'autrui;
Amour, gratuité, pardon, miséricorde,
Je fais tout pour moi seul, tant mon péché déborde!
De sorte qu'au grand jour où nos faits paraîtront,
Ce seront mes vertus qui me condamneront!

Et maudit, et tremblant sous le courroux céleste,
Désormais me voilà! sans appui qui me reste,
Et forcé, pauvre humain, d'implorer à genoux
Mon pardon, devant Dieu qui nous condamne tous.
Mais quand je vais à lui, d'une âme consternée,
Voilà que sa justice apparaît indignée,
Et du mont de Sina ce cri terrible sort:
«Du péché, fils d'Adam, le salaire est la mort.»

La mort! et quelle mort! Au fond du noir abîme
Sentir peser sur soi l'éternité du crime!
Voir parfois un rayon du mystique soleil,
Ouïr des chants joyeux dans un Éden vermeil,
Et dire chaque jour, plein d'un tourment qui ronge:
«Ce n'est donc point, hélas! l'illusion d'un songe!
Jamais, jamais pour moi, pauvre déshérité,
Cet air pur, ce beau ciel, cette douce clarté!
Je chercherais en vain dans l'ardeur de ma fièvre,
Un peu de l'eau du ciel pour raffraîchir ma lèvre,
Je voudrais vainement, dévoré par le feu,
M'épanouir une heure à la face de Dieu,
Je ne saurais franchir ces régions maudites,
Et les splendeurs du ciel me seront interdites!
C'est là mon avenir, rien contre cette loi,
Car près du Saint des saints qui plaiderait pour moi?»

Et je découvre alors sur une croix infâme
Un martyr qu'on déchire; il s'en va rendre l'âme;
Et près de succomber sous d'horribles douleurs,
Il me dit: «Ne crains plus! c'est pour toi que je meurs!»

O tableau devant qui, muette et palpitante,
L'imagination s'incline et s'épouvante!
O le plus grand amour, le plus beau dévouement
Dont la terre jamais ait vu le monument!
On dit que dans le ciel, quand les anges sondèrent
Ces sublimes secrets que les temps dévoilèrent,
Troublés et confondus de pitié pour leur roi,
Ils couvrirent leur face, en un muet effroi.
Tout ce que leur esprit qu’il illuminait Dieu lui-même
Avait su concevoir de sa bonté suprême,
N'avait pu, jusque-là, leur faire pressentir
Le trépas inouï qui devait s'accomplir.
Et quand l'heure arriva sur l'éternelle cime
Où dut se consommer l'holocauste sublime,
Ils voulurent comprendre, en venant ici-bas,
Cet immense mystère et ne le purent pas!
L'univers dévoré d'une angoisse infinie
De son maître expirant déplora l'agonie;
Le soleil se voila, le ciel fut ébranlé,
Et dans ses profondeurs l'on vit l'enfer troublé.
Les saints et les martyrs, dont les voix immortelles
Avaient prophétisé ces douleurs solennelles,
S'arrachant à leur tombe, élevèrent la voix
Et pleurèrent devant les tourments de la croix!
Rien ne resta muet au ciel et dans l'abîme,
Et tout, excepté l'homme, adora la victime!
Quand elle s'éteignit, dans un dernier soupir,
Les foudres de Sina parurent s'assoupir:
Des paroles d'espoir réjouirent la terre,
Et l'on vit, terminant leur implacable guerre,
La Justice et la Paix, dans un pudique hymen,
S'embrasser sous la croix et se donner la main!


Lorsque ces vérités m'eurent frappé la vue,
Je me sentis, dans l'âme, une joie inconnue.
C'était comme l'extase et les émotions
Que feraient dans le cœur de saintes visions.
«Les voilà donc trouvés, ces problèmes austères
Dont ma raison, me dis-je, épiait les mystères!
Je comprends aujourd'hui ce qui m'était toujours
Apparu, comme une ombre, au sentier de mes jours!
C’est l’homme, et non pas Dieu, qui fit germer au monde
Ce poison du péché d'où vint la mort seconde;
Et je n'en ferai plus, dans un doute cruel,
Contre la Providence un blasphème éternel.
Le Seigneur désormais ne sera plus sévère;
Il m'invite à m'asseoir sous l'arbre du Calvaire,
Et, me montrant le Fils, il me dit, qu'à ce nom,.
Si je sais l'invoquer, me viendra le pardon.
Je vais donc aujourd'hui, moi, pauvre enfant rebelle,
Prendre part au banquet de la joie éternelle,
Me confiant au Dieu dont l'amour s'est porté
Entre le cœur qui pleure et le Ciel irrité.
Oh! gloire soit à Dieu dont la grâce indicible
A fait lever pour moi l'étoile de la Bible!


Gloire à l'Esprit divin dont la voix m'a parlé!
Gloire au Fils qui me sauve et qui m'a consolé!
Gloire au Dieu trois fois Saint! désormais plus de doute!
Je vois le jour d'en haut s'épandre sur ma route!
J'entends sur le chemin, où Christ est descendu,
Ce que l'homme charnel n'a jamais entendu!
Gloire à Dieu! Gloire à Dieu! son amour qui m'enflamme
Me fait un saint repos qui me restaure l'âme,
Et, dans le même amour, je vivrai devant lui
Toute l'éternité, comme au temps d'aujourd'hui!»

L. Dussaud. Pasteur

(Essai de poésies chrétiennes 1836)



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