L'archevêque de Lyon, Guichard aux
Blanches Mains, avait excommunié Valdo avec
ses disciples, il les avait chassés de son
territoire. Ces premières
sévérités furent, ce semble,
le pronostic des destinées futures des
Vaudois. Ils étaient nés sous une
mauvaise étoile, puisqu'ils durent attendre
longtemps, jusqu'à la Révolution
française le moment où luirait sur
eux le jour de la tolérance. Dès
1184, nous les avons vus signalés
spécialement dans les bulles de Lucius III.
On doit bien penser qu'ils ne furent pas
épargnés dans les édits
lancés alors par l'empereur
Frédéric 1er Barberousse, pour faire
plaisir au pape, et n'échappèrent,
dès ce temps, ni aux poursuites, ni aux
châtiments.
Frappés par l'excommunication
pontificale, ils tombaient en même temps sous
le ban Impérial, ce qui entraînait
l'exil, la confiscation des biens,
l'incapacité de toute fonction publique et
l'infamie
(1).
Nous ne possédons aucune
donnée sur les résultats
immédiats de ces décrets, ni sur leur
application aux Vaudois. En ce qui regarde notre
pays, le document le plus ancien, qui nous montre
les disciples de Valdo dans le Languedoc, nous les
présente disputant, à Narbonne
(1190), avec des théologiens romains ;
ce qui suppose en tous cas des poursuites fort peu
actives. Ils furent déclarés
hérétiques par l'arbitre, Raymond de
Deventer, et l'archevêque Bernard Gaucelin
les condamna. On ne voit pas qu'ils aient eu,
sur-le-champ, à se ressentir de cette double
sentence (2).
En revanche, Alphonse II, roi d'Aragon
(1162-1196), met les Pauvres de Lyon hors la loi de
ses États, il prescrit de les expulser, et
de confisquer les biens de tous ceux qui leur
donneraient asile (1192). C'était
l'application à l'Aragon des décrets
de Frédéric 1er et du pape Lucius III
(3).
Plus sévère, Pierre II le
Catholique (1197-1213), en renouvelant
l'édit de son prédécesseur,
ordonnait de brûler l'hérétique
saisi sur le territoire, après le
délai fixé pour l'exécution de
la loi (1198)
(4).
Ces décrets nous
intéressent, car les rois d'Aragon se
trouvaient alors suzerains d'un bon nombre de
seigneurs de la France actuelle. Il semble
cependant qu'ils aient été
édictés uniquement pour l'Aragon et
la Catalogne. Bien probablement ils n'avaient en
vue que les Vaudois proprement dits ou parfaits. Y
en eut-il qui tombèrent
alors victimes de leur zèle ? Aucun
document ne nous l'apprend. En tout cas, la
Constitution du roi ne semble pas avoir
rencontré dans la population un accueil
assez chaleureux pour obtenir l'effet
désiré
(5).
Le mot terrible de feu, lancé
officiellement pour première fois,
présageait une longue suite de supplices.
Pourtant Innocent III, en confiant à son
légat Raynier la mission de faire poursuivre
les Vaudois avec les autres
hérétiques du Languedoc,
réclamait simplement contre eux le
bannissement et la confiscation (1198)
(6).
Quelques années plus tard, nous
trouvons de nouveau des Vaudois, discutant à
Montréal, contre l'évêque Diego
d'Osma et saint Dominique, tous deux missionnaires
en Languedoc (7)
(1207). Si, en effet, parmi les contradicteurs des
missionnaires, des noms comme Guillebert de
Castres, appartiennent aux Cathares, certaines
questions disputées, sur la sainteté
de l'Église qualifiée par les
hérétiques de Babylone de
l'Apocalypse, sur l'institution divine ou
ecclésiastique de la messe, semblent se
rattacher plutôt aux doctrines vaudoises
qu'à celles des manichéens. Les
arbitres, des laïques, laissèrent la
conférence sans solution. On assure
cependant que cent cinquante
hérétiques (vaudois ou
cathares ?) (8) se
convertirent. une nouvelle
conférence à Pamiers mit encore les
Vaudois en tournoi pacifique avec les saints
missionnaires, redoutables jouteurs,
entourés d'une couronne de prélats
(1207). Les chroniqueurs virent
de très mauvais oeil la nouvelle fondation
(9).
Les « Pauvres
catholiques » ne vécurent pas
longtemps. D'un autre côté, une
tentative analogue, suscitée sans doute par
les paroles et l'exemple de Durand, au milieu des
Pauvres lombards, fut entreprise par un certain
Bernard Prim, que le pape prit également
sous sa protection, en lui indiquant la profession
de foi qu'il devait souscrire avec ses
adhérents. Cette réforme ne
paraît pas avoir eu plus de succès que
la première (10). Mais il peut
bien se faire
que
ces tentatives de couvents pauvres, fondés
par des convertis et inspirés par l'esprit
catholique, ne fussent pas étrangères
aux fondations autrement fécondes de saint
Dominique, à la Prouille ; de saint
François, à Assise.
Les luttes oratoires n'allaient pas tarder
à se changer en d'autres plus sanglantes.
Si, dans les affreux massacres des guerres
albigeoises, les catholiques, restés dans
les places assiégées,
partagèrent parfois le sort des rebelles
(11),
inutile
de requérir d'autres renseignements pour
deviner celui des Vaudois. Les croisés
n'avaient pas le loisir de chercher dans quelle
mesure exacte leur doctrine pouvait se rapprocher
ou s'écarter de celles des Cathares.
Désignés comme
coupables
d'hérésie, aussi bien que les
manichéens
(12),
les
enfants de Valdo eurent le sort des disciples de
Manès ; c'étaient des
hérétiques ; des croisés
les brûlèrent, les pendirent ou les
massacrèrent indistinctement. Dans quelques
cas assez rares, les chroniqueurs signalent
spécialement les Pauvres de Lyon parmi les
victimes. Ainsi le légat Robert de
Courçon en fit brûler sept, faits
prisonniers au château de Marillac
(13)
(1214).
Peut-être fut-ce dans ces circonstances fort
dangereuses pour eux que les Vaudois prirent les
habitudes de dissimulation, de réponses
subtiles, qui mécontentèrent ou
déroutèrent plus tard les
inquisiteurs
(14).
Pendant que se déroulaient les
drames sanglants du Languedoc, les
communautés vaudoises, à peine
fondées dans les provinces du Nord, se
voyaient, elles aussi, soumises à de rudes
épreuves. Si la mission ordonnée par
Innocent III à Metz (1200), et
confiée à trois abbés de
Citeaux, se contentait de brûler les
traductions de la Bible en langue vulgaire, et
d'expulser les missionnaires vaudois
(15), la
« fosse aux
hérétiques » de Strasbourg
(1212), servait de théâtre à
l'affreux autodafé qui vit brûler plus
de quatre-vingts personnes, dont la majorité
est dite vaudoise. Ce fut un coup de massue
terrible asséné par
l'évêque Henri II de
Behringen (1202-1233) (16). La
terreur répandue par
l'événement paraît avoir fait
disparaître, comme par enchantement, les
Vaudois de l'Alsace, de la Lorraine et de la
Flandre, car on n'en retrouve plus guère que
de très rares mentions dans les
années qui suivirent.
L'établissement de l'Inquisition
régulière allait du reste se livrer
à une chasse moins bruyante, quoique bien
plus efficace. Elle fera disparaître
complètement de la France
l'hérésie lyonnaise, sauf des
montagnes du Dauphiné et de quelques
districts de Provence où nous les
retrouverons plus tard.
Ce qui est singulier, c'est que la sorcellerie prit en Flandre d'assez bonne heure, en France vers le XVe siècle le nom des Vaudois. Était-ce en souvenir des véritables Léonistes du XIIIe siècle, restés dans la mémoire populaire comme les hérésiarques par excellence ; était-ce par une confusion ou par une certaine analogie avec les Vaudois des Alpes et d'Allemagne, combattant les mêmes dogmes romains, ou habitant les mêmes pays que les prétendus sorciers, il ne nous est pas facile de le savoir (17).
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