Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

II

L'homme tenté, l'homme tombé.

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Gen. 2 et 3; Rom. I: 18-3: 20; 5.

SECONDE ÉTUDE

L'homme tenté; l'homme tombé.


I.

Dans notre première étude, j'ai parlé de la destination originelle de l'homme et de sa constitution en vue de cette destination.

Essayons de dire aujourd'hui comment cette destination devait s'accomplir d'après le plan éternel de Dieu.

L'homme a donc été créé «âme vivante,» âme étroitement unie à l'Esprit de Dieu d'une part, et, de l'autre, à un organisme physique; et cela pour entrer dans le concert universel des êtres libres qui s'aiment en Dieu, et qui aiment Dieu de l'amour même de Dieu.

Oh! ce concert universel, cette communion ainsi que l'appelle saint Jean (I Jean I: 6, 7), que ne m'est-il accordé de réussir à dire ce que J'en entrevois! Quelle divine harmonie, quelle circulation de vie et de béatitude rayonnant incessamment de Celui qui est la vie! et, enrichie par l'élaboration de chacun, allant d'un être à l'autre, et d'un monde à l'autre, dans des cercles de plus en plus vastes, et pour remonter enfin à Dieu, de qui elle redescend aux êtres de plus en plus enrichis ainsi, chacun de la richesse de tous et tous de la richesse de chacun!

Dans cette circulation, parfaite solidarité qui peut s'exprimer dans notre devise helvétique «Un pour tous et tous pour un!» Et travail, divin travail; car Dieu travaille à sa manière (Jean 5: 7); et l'Esprit travaille; et les anges travaillent (Hébr. 1: 14), «ils servent jour et nuit;» et l'homme est appelé au travail, et c'est une erreur assez grave de faire dater le travail de la chute comme s'il était un châtiment.

Enfin, avec cette parfaite solidarité, qui ne supprime pas l'individualité, et ce parfait travail, le parfait progrès, non du mal au bien, ni du moins bien au mieux, mais d'une plénitude à une autre plénitude, faisant de l'homme un vase toujours rempli, qui s'agrandit à mesure qu'il se remplit, et qui se remplit à mesure qu'il s'agrandit.

Progrès éternel dans le bon, le vrai, le beau progrès harmonique et équilibré, du coeur, de la conscience, de l'esprit, et du corps lui-même.


II.

En quoi devait consister le progrès dans le corps? N'était-il pas parfait dès le début, et immortel?

«Bon, très bon,» tel que Dieu l'avait créé, il l'était sans doute, puisque Dieu a pu dire, au terme de son oeuvre, que «tout était bien.» (Gen. 1: 31) Mais le corps n'était, cependant, pas dès l'abord tel qu'il était appelé à devenir. Le corps primitif, Paul l'appelle psychique, terrestre, de poudre (I Cor. 15: 46-47), c'est-à-dire qu'il était en lui-même décomposable et mortel de nature, mais destiné à devenir graduellement immortel par une transformation de substance semblable à celle qui a commencé à s'accomplir en Christ jusqu'à sa transfiguration, et qui s'est achevée dans les quarante jours qui ont précédé son ascension glorieuse; la même transformation qui s'opérera, d'une façon subite, chez les témoins du retour de Christ. (I Cor. 15: 52.)

Ainsi devait se métamorphoser le corps de l'homme, pénétré toujours plus par l'âme, comme celle-ci par l'Esprit; et, une fois ce travail achevé, les hommes auraient passé du visible dans l'invisible par une sorte d'ascension, l'un après l'autre, au fur et à mesure de leur entier développement, et tout en restant, je pense, comme Christ avec ses apôtres, en rapport avec leurs frères moins avancés, et en proportion de cet avancement même.

Quelle distance entre cette issue triomphante de la vie terrestre, telle que Dieu la voulait et celle que le péché nous a faite!

Ah! si nous souffrons pour nous de cette «contradiction,» rappelons-nous que c'est là la mort que notre péché a value au Prince de la vie! Oh! le péché, le péché!


III.

Quant à l'esprit, lui, toujours plus illuminé et développé par l'Esprit de Dieu, il devait, de l'ignorance qui est compatible avec l'innocence, s'élever à la compréhension des mystères de Dieu.

En Éden, Dieu commença l'éducation de l'homme par un travail dont on ne comprend pas toujours assez l'importance.

Adam eut à nommer les animaux. (Gen. 2: 19.) Mais nommer, apprendre à bien nommer, ce travail est des plus difficiles. Il y a un certain nombre d'années, tout un congrès de savants ne s'est-il pas tenu à Genève uniquement pour réviser la nomenclature de la chimie?

Nos noms propres sont l'arbitraire même, et les noms scientifiques sont très barbares, et souvent très inexacts.

Bien nommer, c'est caractériser et c'est définir; c'est connaître à fond. Dieu seul, dans ce sens, nomme bien. Aussi, pour accomplir ce travail de nomenclature, Adam devait-il non seulement apprendre à observer, à réfléchir, à comparer, mais aussi consulter Dieu. Ce n'était pas moins que la science qui commençait, de sorte que, si Adam eut à cultiver le jardin, — à supposer que ce fût exclusivement au sens propre, — il eut à cultiver aussi, et encore plus, son esprit, sa mémoire, son intelligence, sa raison: seulement, tout cela dans des conditions bien différentes de celles que le péché a dès lors créées.

La science est donc voulue de Dieu. Elle a pu s'égarer: l'orgueil l'a souvent rendue hostile à Dieu. Mais, en principe, elle est conforme au plan de Dieu, à notre destination comme à notre nature première; et, bien loin d'en médire, nous devons la bénir, et bénir Dieu qui nous y a rendus propres, tout en lui demandant qu'elle retourne à ses origines premières, qui étaient la gloire même de Dieu.


IV.

La condition fondamentale de tous ces progrès et de tout progrès normal, c'est le développement moral de l'âme elle-même en Dieu. Ici encore on commet souvent une erreur en s'imaginant que l'âme a été créée sainte, c'est-à-dire telle qu'elle devait devenir par le progrès même.

Adam n'a pas été créé saint, pour la bonne raison que Dieu ne crée pas et ne peut pas créer un être saint. «Créer» — «saint,» la réunion de ces deux mots forme ce qu'on appelle une contradiction dans les termes autant que de dire: «faire un carré rond.» Car la sainteté suppose un acte de liberté. La sainteté, c'est l'accomplissement volontaire du bien. La volonté y intervient donc, et cette intervention ne peut pas se produire à l'instant même où un être est créé. Elle se produit après, de sorte qu'un être ne peut être saint à l'instant où il arrive à l'existence.

Aussi la Bible ne dit-elle nulle part que l'homme a été créé saint. Elle dit qu'il a été créé droit (Ecclés. 7: 9), ce qui est tout autre chose. On pourrait dire aussi qu'il a été créé pur, ou innocent; car, entre la sainteté et l'innocence, il y a cette différence essentielle que, tandis que la sainteté est l'accomplissement volontaire du bien, l'innocence en est l'accomplissement instinctif.

Dieu a créé l'homme innocent pour qu'il devînt saint. La sainteté est le but, l'innocence est le moyen. La sainteté est le terme du voyage, l'innocence est le point de départ. Et si l'innocence est le point de départ, tandis que la sainteté le terme, le but, quel sera le chemin qui de l'un conduira l'homme à l'autre?

Ce chemin, ce sera l'épreuve, c'est-à-dire l'occasion providentielle d'un libre choix.

L'épreuve, dans le sens de choix, est donc la transition indispensable entre l'innocence et la sainteté et la porte d'entrée obligée de la sainteté. Du moment que Dieu nous destine à la sainteté, il ne pouvait nous dispenser de l'épreuve, tout en entourant celle-ci de toutes les précautions que sa justice et sa sollicitude paternelle pouvaient lui inspirer. Car Dieu voulait que l'issue de l'épreuve fût l'obéissance, l'entrée dans la sainteté. Nous affirmons la nécessité de l'épreuve ou de la possibilité du mal, mais nous réprouvons, de toutes nos forces, l'idée de la nécessité de celui-ci.

Il est urgent que j'insiste sur ce point, et je vous prie instamment de redoubler d'attention pour vous efforcer de comprendre ce que je vais vous exposer.

Il y a, en effet, toute une théologie extraordinairement subtile, très séduisante et très envahissante parce qu'elle est très contagieuse, qui en vient à dénaturer l'Évangile tout entier, tout en conservant les termes mêmes de l'Évangile. Et elle y est entraînée par l'idée absolument fausse que, pour arriver à sa destination, à sa majorité, l'homme devait inévitablement connaître pratiquement le mal. À ses yeux le mal est nécessairement le premier pas de l'humanité faible et inexpérimentée.

Le mal inévitable, c'est donc le mal nécessaire? Mais si le mal est nécessaire, le mal n'est plus le mal. C'est le moins bien, c'est le bien inférieur, c'est l'imperfection native, mais ce n'est plus le mal tragique, le péché, la révolte; ce n'est plus la chute.

On nie donc la chute. On nie, ou à peu près, le péché. Mais nier le péché, la chute, c'est nier la corruption de l'homme; c'est attribuer à l'homme la possibilité d'arriver, dans son état actuel et par lui-même, à sa destination. On reconnaît qu'au début l'homme a trébuché, il est vrai, mais il n'est pas si irrémédiablement tombé qu'il ne puisse se relever lui-même. Et, de fait, il se relève d'époque en époque; il se sauve de siècle en siècle — il remonte, et il monte, et s'élève par une évolution graduelle ou un progrès dont il a le principe essentiel, le ressort en lui-même, vers le terme auquel il tend, et auquel tous aboutiront plus tôt ou plus tard, puisque le péché n'est qu'une imperfection et non une révolte, un crime qui mérite la réprobation de Dieu.

Et puisque l'homme se sauve ainsi lui-même par l'évolution, il va sans dire qu'il n'est plus besoin d'un Sauveur descendu du ciel pour le sauver. Jésus-Christ n'est donc pas Dieu fait homme, mais c'est l'homme devenu Dieu. C'est le plus excellent fruit de ce développement graduel de l'homme qui, par lui-même, dans sa communion avec le Père, est arrivé à la sainteté; et sa sainteté est sa divinité. À leur tour, les autres hommes y arriveront par l'attrait que cette sainteté exercera sur eux.

Et, par conséquent, tout ce qui, dans la Bible, nous parle de miracles, ce sont de pieuses légendes. Dès lors, il faut prendre dans la Bible l'esprit et laisser la lettre. Il faut rejeter l'enveloppe et garder l'amande seule.

Tel est l'engrenage de ces déductions dans lequel il faut se garder de mettre le bord de son vêtement, parce qu'infailliblement il saisit et il broie dans son impitoyable logique, logique interne, quand imprudemment on s'en approche.

Maintenons donc au mal, au péché son caractère monstrueux, et affirmons énergiquement que si, le Créateur a voulu l'épreuve, il n'a pas voulu le mal, mais le bien, au contraire.


V.

Et c'est pour cela qu'il y avait préparé l'homme en lui commandant de «garder le jardin,» et pour cela qu'il lui accordait tout à souhait en se bornant à lui refuser un fruit. C'est pour cela que l'épreuve devait commencer par une tentation très simple, par un fruit, comme pour Jésus-Christ par des pierres, afin de s'élever, de ce point de départ matériel, à des objets plus spirituels comme pour le second Adam. Et c'est enfin pour cela que le diable n'eut pas la liberté de se présenter à l'homme sous ses formes les plus séduisantes, mais seulement par l'entremise de l'un de ces êtres auxquels Adam devait commander et non pas obéir.

Beaucoup de chrétiens, et de très croyants chrétiens, sont persuadés que l'épreuve ne s'est pas produite, au début, sous les formes exactes et dans les circonstances que raconte le chapitre Genèse. À leurs yeux, ce récit n'est qu'une image, une parabole destinée à mettre à la portée d'un peuple enfant des faits et des notions trop spirituels ou trop délicats pour être exprimés autrement. Eh! bien, pour ma part, tout en comprenant cette pensée, le déclare que, plus le réfléchis à ces matières, sans aucun parti pris, et moins je découvre ce qu'aurait bien pu être, dans les circonstances d'un monde naissant, une autre forme d'épreuve permettant à notre Dieu de se montrer tel qu'il a été dans cette solennelle occasion.

Le seul mystère insondable que me paraît présenter ce récit, c'est le mystère de la liberté: le mystère d'un choix mauvais qui avait contre lui toutes les vraisemblances, tous les motifs, les prédispositions de la nature et de l'habitude du bien. Oui, restons étonnés et humiliés devant ce mystère de la liberté. Reconnaissons également que le mystère de la solidarité étroite qui fait dépendre, dans une si grande mesure, le sort de la race du chef de la race n'est pas encore sondé, et ne le sera jamais sans doute sur cette terre. Mais aux objections, souvent si légères et si profanes, qu'on fait au récit de la Genèse, répondons hardiment par le défi de nous expliquer mieux que celui-ci l'origine première du mal dans notre race.


VI.

Quant à l'issue de l'épreuve, nous savons, hélas! qu'elle a été la désobéissance. Et c'est la désobéissance, désobéissance par orgueil, qui est bien l'essence du péché. Peu importe, en effet, l'objet sur lequel porte la révolte. Peu importent les caractères accessoires et les manifestations extérieures de ce premier acte. Le crime, la monstruosité qui a fait frissonner d'horreur les anges, et rétrospectivement tout coeur régénéré, c'est que, créé pour vouloir la volonté de Dieu, dans la communion parfaite de tous les êtres qui gravitent librement autour de Dieu, l'homme ait osé vouloir une volonté propre et se détacher ainsi du concert universel; troubler, compromettre l'harmonie éternelle; prendre sa propre existence pour son but; et, autant que cela dépendait de lui, entreprendre en fait le détrônement même de Dieu, afin de se substituer à Dieu.

Oui, c'est là le péché. Plus tard, et bien vite, naîtront du péché tous les péchés, les hideux péchés, le cortège innombrable et sinistre de tous les crimes, de tous les vices, de tous les égoïsmes féroces ou raffinés, de toutes les infamies, de toutes les orgies, de toutes les corruptions et de toutes les impudicités; les fléaux de toute espèce, la luxure, le jeu, l'ivrognerie, la guerre et ses horreurs, chancres hideux qui rongent toujours plus profondément l'homme et l'humanité. Comme d'une source intarissable et empoisonnée tout cela sortira de ce principe; mais le principe même, par lequel tous les pécheurs sont égaux, le principe d'où, sans cesse et selon les circonstances, tout peut ressortir, c'est un coeur d'homme qui ne bat plus à l'unisson du coeur de Dieu, ne fût-ce que par un mouvement, un battement trop fort, un léger gonflement qui en fera le péché spirituel, d'autant plus virulent qu'il est plus refoulé et plus spirituel, péché de l'antéchrist qui, on peut en être sûr, ne sera pas, si c'est un individu, un monstre de grossièreté et de vice.

Du coup, l'ordre est profondément troublé: cet ordre, cet équilibre infini, éternel, entre Dieu et l'homme, dans l'homme et entre hommes, même entre le monde des hommes et le reste de l'univers.

Dans l'homme, l'esprit a perdu sa prééminence sur l'âme, et l'âme la sienne sur le corps. Bons en eux-mêmes, aussi longtemps qu'ils restaient sous la domination de l'âme et de l'esprit, les instincts naturels prévalent. Et, victorieux sur un point, ils vont l'être successivement sur tous.

De là, par exemple, les précautions de la pudeur. (Gen. 3: 7 Les yeux de l’un et de l’autre s’ouvrirent, ils connurent qu’ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures.) De là aussi les souffrances, et finalement la mort avec tout son cortège de maladies innombrables et épouvantables; car, la circulation de la vie divine étant troublée, la transformation graduelle du corps ne se fera plus. (Rom. 5: 12 — C’est pourquoi, comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort s’est étendue sur tous les hommes, parce que tous ont péché,... )

Et puis, parce qu'il y a rupture de l'équilibre des éléments constitutifs de l'homme, en particulier dans la volonté de l'homme, il y a aussi rupture de l'équilibre dans les rapports entre hommes (Gen. 3: 12 — L’homme répondit: La femme que tu as mise auprès de moi m’a donné de l’arbre, et j’en ai mangé; Tite 3: 3 — Car nous aussi, nous étions autrefois insensés, désobéissants, égarés, asservis à toute espèce de convoitises et de voluptés, vivant dans la méchanceté et dans l’envie, dignes d’être haïs, et nous haïssant les uns les autres): les forces centrifuges l'emportent sur les forces attractives; le désordre, la guerre commence entre hommes, comme la guerre a commencé dans l'homme; la guerre dans tous les cercles de la société: dans la famille, les classes, les nations et l'humanité; guerre intestine et guerre déchaînée; guerre de sentiments et guerre violente; guerre de l'envie, de la jalousie, de rivalités, d'antipathies, de haines, d'hostilités voilées, de compétitions déguisées; mais aussi guerres proprement dites, telles que celles qui ont transformé notre pauvre terre, qui est déjà un vaste cimetière, en un champ clos d'entr'égorgement mutuel, champ d'horreur indicible, aboutissant à des morts atroces.

Et, enfin, de plus en plus, cette guerre dans l'homme et cette guerre entre hommes aggravent la guerre entre Dieu et l'homme; car, devenu un désordre et un principe croissant de désordre, l'homme est un ennemi de Dieu (Rom. 5: 10 — car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à plus forte raison, étant réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie); d'abord en fait, puis en intention. L'homme fuit Dieu (Gen. 3: 8 — Alors ils entendirent la voix de l’Éternel Dieu, qui parcourait le jardin vers le soir, et l’homme et sa femme se cachèrent loin de la face de l’Éternel Dieu, au milieu des arbres du jardin); et, fuyant Dieu, il méconnaît Dieu; et, parce qu'il méconnaît Dieu, il en vient à haïr Dieu; et, de son côté, Dieu est obligé de prendre des mesures contre l'homme et de s'opposer à l'homme, finalement de briser l'homme si l'homme persévère dans le péché.

Et comment n'y persévérerait-il pas, dans le péché? Persévérer dans le péché! Mais, une fois qu'on y est entré, un inextricable enchaînement d'actions et de réactions, de causes et d'effets, qui, à leur tour, redeviennent incessamment des causes, un enchaînement ne peut qu'aggraver incessamment la lamentable condition de l'homme.

Car les actes créent les habitudes, qui deviennent une seconde nature; et, par conséquent, les habitudes reproduisent toujours plus les actes. Ainsi, la seconde nature devient une loi (Rom. 8: 2 — En effet, la loi de l’esprit de vie en Jésus-Christ m’a affranchi de la loi du péché et de la mort), monstrueuse loi, mais loi.

Enfin, le péché, oeuvre de Satan, livre toujours plus l'homme à Satan, et Satan enchaîne toujours plus sa victime au péché.

Qui dira ce que hier j'appelais un déraillement, qui est bien pire qu'un déraillement; car un train déraillé, après un moment horrible, s'arrête, brisé plus ou moins, mais s'arrête; tandis que ce train sorti de la voie qui s'appelle notre humanité ne peut qu'aller toujours plus loin et toujours plus bas dans l'abîme! Ah! le péché, le péché, quelle horreur il doit nous inspirer!


VII.

Et comment pouvoir espérer que par lui-même l'homme en pourra jamais sortir, ou que des secours ordinaires de Dieu l'en pourront délivrer? Autant vaudrait demander à un train déraillé de se remettre lui-même sur la ligne, ou à un homme tombé dans un puits de se hisser lui-même hors du puits en se soulevant et se tirant par la chevelure.

Non, non l'homme devenu pécheur, s'il doit être sauvé, ne pourra pas l'être par lui-même, à un degré quelconque: il ne faudra pas moins qu'une intervention de la toute-puissance de Dieu pour préparer, accomplir et lui approprier intérieurement le salut. Il faudra le salut dans toute son objectivité, un secours descendu du ciel, une re-création de son être, tout, absolument tout ce qui est compatible avec la persistance de l'identité de l'homme.

Mais, à ce compte-là, il pourra être sauvé. L'homme ne peut pas se sauver, mais il peut être sauvé. L'homme est un pécheur, il n'est pourtant pas encore un réprouvé, pas un démon. (Jean 6:70 — Jésus leur répondit: N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les douze? Et l’un de vous (Judas) est un démon!) L'image de Dieu dans l'homme est détruite dans son intégrité première, mais il en subsiste des vestiges, qui sont quelquefois beaux comme les ruines du château de Heidelberg. L'image de Dieu peut être restaurée; et c'est là la joie immense que non seulement elle peut être restaurée en chaque homme, mais que chaque homme peut être employé à restaurer cette image dans son frère malheureux. Si souillée, si oblitérée soit-elle, cette image peut reparaître, grâce au sang de Christ et à son Esprit.

Oh! vous qui, dans cette oeuvre de restauration divine, avez la mission de chercher, jusque dans la fange la plus repoussante, la drachme qui jadis avait été frappée à l'image de Dieu, du grand Dieu des cieux, vous qui, au milieu d'angoisses parfois inexprimables, avec des larmes brûlantes, et quelquefois même des tentations au découragement, avez à descendre, à la suite du Christ, «dans les parties les plus basses de la terre» pour chercher la drachme perdue, en subissant ainsi le contact le plus rapproché de la souillure pour arracher à la souillure, courage, mes frères, courage, mes soeurs: ne désespérez jamais! et que la perspective de faire briller, un jour, tout à nouveau, cette divine effigie, vous soutienne dans vos rudes efforts!

Comment? Dans l'espoir de découvrir dans le sol quelque monnaie frappée jadis à l'image d'un Tarquin ou d'un Caligula, des archéologues voyagent, explorent, travaillent, dépensent, se dépensent et s'exposent à des périls, peut-être même à la mort, puis annoncent au monde, avec des transports d'enthousiasme, qu'ils ont découvert, dans quelque recoin ignoré ou ignoble, une monnaie antique tout effacée, où ils ont pu à peine discerner les traits bestiaux de quelqu'un de ces monstres qui ont tyrannisé l'humanité, et vous qui avez la perspective d'enchâsser dans le diadème du Christ quelques diamants perdus et souillés, vous perdriez courage!

Ah! il vaut la peine de vivre et de souffrir, de mourir même, s'il le faut, fût-ce pour une seule âme, quand on a la perspective de pouvoir dire au Créateur des âmes: «Me voici avec ceux que tu m'as donnés!»

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