À l'avènement de Louis XVI, en 1774, un immense espoir s'empare des
protestants. Le nouveau roi est dévot mais bon et généreux. La
province du Haut-Languedoc lui adresse une requête éloquente.
Malesherbes, Turgot, au pouvoir, donnent une impulsion qui, quoique
contrariée par d'autres ministres, ne sera jamais détruite.
L'archevêque Loménie de Brienne s'efforce cependant d'entraîner le
nouveau roi dans une politique de violence. "Nous vous en conjurons,
Sire, ne différez pas d'ôter à l'erreur l'espoir d'avoir parmi nous
des temples et des autels, achevez l'ouvrage que Louis le Grand avait
entrepris. Il vous est réservé de porter le dernier
coup au calvinisme dans vos états".
Mais Louis XVI résiste à l'influence du clergé. Des circonstances de
politique intérieure ont aussi pour résultat d'adoucir le sort des
protestants.
Les mesures très libérales de Turgot concernant le commerce des grains
provoquèrent à Paris et dans la province des émeutes assez graves. Le
conseil du roi craignant de voir se dérouler des scènes de violence
difficiles à réprimer, envoie une lettre circulaire a tous les curés
du royaume pour qu'ils travaillent à l'apaisement.
La lettre est aussi envoyée à tous les pasteurs, ce qui, pour le
gouvernement, était reconnaître implicitement leur influence et leur
droit d'action sur les fidèles.
Cependant les protestants trouvaient que les améliorations se
faisaient trop lentement. Louis XVI était faible, la puissance de la
tradition et du clergé pesait sur ses décisions.
Élevé dans le catholicisme, il ne pouvait pas adopter l'idée d'une
tolérance absolue à l'égard des protestants. Il craignait de désobéir
à son devoir royal et de renverser l'édifice de Louis XIV. Il ne
pouvait pas se décider à abolir les lois pénales, mais elles restèrent
sans exécution. Seule la loi concernant l'état légal et civil des
protestants fut promulguée.
À partir de 1785, la pression de l'opinion publique, les écrits des
juristes et des philosophes, les efforts incessants de Rabaut St
Étienne, Malesherbes, Breteuil, obligent le roi à préparer un édit de
tolérance.
Le conseiller Robert de St Vincent prononce le 9 Février 1787 un
brillant discours devant le Parlement de Paris. Ce dernier arrête "que
Sa Majesté serait très humblement suppliée de vouloir bien peser dans
sa sagesse les moyens les plus sûrs pour donner un état civil aux
protestants".
Ce que le Parlement proposait, le gouvernement le décréta quelques
mois après. Avec quelle joie le vaillant pasteur qu'était Vernezobre
dut-il saluer l'édit de 1787, prélude de la liberté complète octroyée
deux ans après.
Dans le préambule, l'édit constate que Louis XIV n'a pas réussi dans
son oeuvre à cause des trompeuses apparences de conversion. La
violence est condamnée.
"Nous proscrirons avec la plus sévère attention toutes ces voies de
violence qui sont aussi contraires aux principes de la raison et de
l'humanité qu'aux véritables principes du christianisme".
Le nouvel édit n'est pas une reconnaissance totale du protestantisme,
il n'accorde aux "non-catholiques" que quatre avantages :
1° Le droit de vivre en France et d'y exercer une profession ou un métier sans être inquiété pour cause de religion.
2° La permission de se marier légalement devant les officiers de justice.
3° L'autorisation de faire constater les naissances devant le juge du lieu.
4° Le règlement pour la sépulture de ceux qui ne pouvaient pas être ensevelis selon le rite catholique.
Cette loi n'était pas telle que l'exigeait le principe de la liberté
religieuse. Le nom de protestant n'y était pas prononcé. Le préambule
annonçait même que le roi "favoriserait toujours de son pouvoir les
moyens d'instruction et de persuasion qui tendraient à lier tous ses
sujets par la profession commune de l'ancienne foi du royaume".
On lisait dans l'article premier : "La religion catholique,
apostolique et romaine continuera de jouir seule dans notre royaume du
culte public".
Mais si cette loi donnait peu, elle laissait tout prendre. L'existence
légale des protestants étant reconnue, comment les empêcher dès lors
d'avoir des pasteurs pour bénir leurs mariages, baptiser leurs enfants
et consoler les fidèles à leur lit de mort ?
Comment distinguer entre le culte privé qu'on autorisait
et le culte public qu'on persistait à interdire ? D'ailleurs il
n'était pas même prévu de sanctions pénales contre les délinquants. La
liberté totale pour laquelle Vernezobre luttait depuis cinquante ans
devait suivre deux ans après la proclamation de cet édit.
Dès le 21 Août 1789, l'assemblée constituante renverse les barrières
qui avaient jusque là empêché l'admission des protestants aux charges
de l'état en votant l'article XI de la déclaration des droits de
l'homme et du citoyen. "Tous les citoyens étant égaux aux yeux de la
loi, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois
publics selon leur capacité et sans autres distinctions que celles de
leurs vertus et de leurs talents".
L'article XVIII garantissait la liberté de conscience et de culte.
"Nul ne peut être inquiété pour ses opinions même religieuses pourvu
que leur manifestations ne trouble pas l'ordre public".
Le 15 Mai 1790, l'élection de Rabaut St Étienne, le fils de l'ancien
proscrit, à la présidence de l'assemblée constituante, marque le
progrès des esprits dans le domaine de la tolérance et de la liberté
religieuses. Les protestants sont devenus des citoyens jouissant des
mêmes droits civils et politiques que les catholiques.
Mais il leur restait à endurer une seconde persécution : la
terreur. Conséquence inévitable de tous les bouleversements sociaux,
la terreur mit davantage à l'épreuve le clergé romain, soutien de la
royauté déchue, que le protestantisme dont les souffrances passées
témoignaient favorablement aux yeux des révolutionnaires.
Dans les régions où les réformés sont nombreux, des bagarres éclatent,
provoquées par d'odieuses menées à l'égard des protestants ;
basses calomnies, exclusion systématique des conseils municipaux et de
toutes les charges électives.
Ce conflit mi-politique mi-religieux gagne tout le Sud de la France. À
Nîmes un combat de rues dure pendant trois jours. En général les
protestants ont pour eux la protection gouvernementale. C'est un
renversement peu banal de la situation. La sécurité de Vernezobre est
assurée par les gardes nationaux.
Ceux qui prennent à la hâte le chemin des bois écartés et des huttes
de pierre, ce ne sont plus les hérétiques endurcis, mais les prêtres
réfractaires, poursuivis par les insultes du même peuple qui avait si
souvent insulté les ministres.
Le clergé romain est la victime inattendue de l'intolérance qu'il a
préconisée à l'heure de sa puissance. Ces violences anti-catholiques
sont certes aussi atroces et coupables que celles
qui s'exerçaient contre les protestants. Mais la tyrannie
antireligieuse, redoublant à cause des obstacles qu'elle rencontrait,
finit par s'étendre jusqu'aux pasteurs. Eux aussi durent prêter
serment, c'était moins difficile pour eux que pour les prêtres.
Vernezobre, au synode de 1791, en qualité de modérateur, prononce le
premier la formule de fidélité à la nouvelle constitution.
L'année suivante, âgé et fatigué, il sollicite de ses collègues
l'autorisation de prendre sa retraite.
Article XVIII du synode du Bas Languedoc : Monsieur Pradel, ayant
demandé sa retraite pour l'année prochaine, s'appuyant sur son grand
âge et ses longs services, l'assemblée, après lui avoir témoigné la
reconnaissance et l'affection qu'ont inspirés ses travaux édifiants,
lui accorde sa retraite dater de l'année prochaine et lui fixe une
pension dont le minimum sera de 800 livres qui seront payées par
l'église de Marsillargues et par les églises du ressort de notre
synode, dans une proportion que le synode prochain fixera.
C'est à la veille de la courte crise révolutionnaire qui devait faire
le dernières victimes d'une persécution séculaire,
que Vernezobre abandonne la direction de son église. En effet au même
moment paraît l'ordonnance que les jésuites avaient autrefois dictée à
Louis XV et que maintenant les partisans de l'athéisme dirigent contre
les prêtres et les pasteurs.
Suivant les termes de cette ordonnance, les membres du clergé des deux
communions sont contraints à se retirer à vingt lieues des communes où
ils avaient exercé leurs offices. La tolérance si ardemment souhaitée
n'a-t-elle été obtenue que pour disparaître brutalement ?
Paul Rabaut, son vénérable collègue, l'ami d'enfance et de lutte,
accablé d'infirmités, à demi-impotent, est conduit en prison après
avoir vu périr son fils aîné sur l'échafaud.
Vernezobre se retire en 1794 à Toulouse, chez l'un de ses fils né de
son second mariage. L'année suivante, il meurt après avoir eu la
consolation d'assister au 9 thermidor à la chute de la dictature de
Robespierre.
Sous la poussière des manuscrits, une figure d'apôtre a surgi pour
nous enseigner la fidélité à la foi chrétienne évangélique.
Vernezobre n'a pas été un penseur vigoureux ni un brillant
prédicateur. À son style plutôt facile et ampoulé manquent l'éloquence
et le rythme qu'apporte la culture classique.
Si parfois il atteint l'éloquence véritable, c'est quand l'émotion ou
l'indignation l'emporte.
Dans les nuits du désert, sous un abri de fortune, le solitaire traqué
n'a pas approfondi les problèmes de la dogmatique, ni composé des
sermons bien bâtis, une tâche urgente l'attendait à l'aube ; les
questions pratiques posées par le temps, le milieu, les circonstances
difficiles, exigeaient une réponse immédiate.
Comme tous ses collègues de l'époque, il a saisi dans son vif la
misère épouvantable de l'Église et il a voulu, avant toutes choses, la
combattre.
Il a connu le secret de l'action féconde : il s'est oublié
lui-même dans son oeuvre. Il a consenti avec douleur mais avec une
force émouvante les sacrifices les plus difficiles au coeur humain.
Pour lemaintien et le triomphe de sa foi, il a
osé tout perdre : la douceur et la paix d'un foyer familial, la
sécurité civile et matérielle, la considération publique.
En silence, modestement, méconnu quelquefois ou trahi des siens en des
heures sombres, il a travaillé pour son Église affligée autant par des
actes que par des discours. Quand, excédé par une longue poursuite qui
ne lui laissait plus de repos depuis des semaines, il aurait pu
maudire ses ennemis, il se contentait, en partisan de la résistance
passive, d'envoyer une protestation respectueuse au roi.
Dans son attitude, il y avait plus de grandeur et de fidélité
évangélique que dans les déclarations véhémentes et les actes violents
de ses adversaires, champions du christianisme officiel.
Un siècle avant lui, la révolte des Camisards avait été brisée dans le
sang et les ruines. Le protestantisme paraissait abattu pour toujours,
incapable de retrouver sa force et sa vie.
Mais grâce à ce courageux pionnier et à ses collègues, par le seul
héroïsme de leur patience, de leurs sacrifices, voire même de leurs
martyres, le protestantisme n'a pas succombé. Aussi mettons-nous au
compte de Jean Pradel, dit Vernezobre, cette
définition d'un contemporain (1) :
"Les pasteurs du désert ont donné au monde une grande et salutaire leçon, ils ont prouvé que l'apostolat du sabre est impuissant à convertir les âmes et que pour triompher enfin du despotisme le plus colossal, il suffira toujours au plus faible peuple de souffrir en silence et d'espérer".
La majeure partie des lettres ont été puisées dans les manuscrits
d'Antoine Court.
De cette collection "des papiers Court", déposée ã la Bibliothèque
publique de Genève, nous avons utilisé les 28 volumes de la série N°
1.
Des renseignements ont été recueillis : Aux Archives de l'Hérault
à Montpellier, 8
Aux Archives protestantes de Nîmes,
Au Manuscrit Sayn-Serusclat déposé à la Bibliothèque du Protestantisme
français à Paris.
Les ouvrages consultés sont :
Edmond Hugues : "Histoire de la restauration du protestantisme au
XVIIIe siècle", 2 vol., Paris 1872.
Charles Coquerel : Histoire des églises du désert chez les
protestants de France, 2 volumes, Paris 1842.
Dardier 2 "Paul Rabaut, ses lettres à divers", 2 vol. Paris 1886.
Dardier ; "La vie des étudiants au désert, d'après les lettres de
l'un d'eux : Samuel Lombard". 1893
De Félice : "Histoire des protestants de France". Paris 1873.
Michelet : Histoire de France, Tome XVII.
Encyclopédie Lichtemberger : “Article de Dardier sur Pradel dit
Vernezobre".
"Mémoires d'Antoine Court" publiées avec une préface par E. Hugues,
1885.
Napoléon Peyrat : "Histoire des pasteurs du désert", 2 volumes,
Paris 1842.
Tous les extraits des décisions des synodes proviennent de l'ouvrage
de E. Hugues : “Les synodes du désert", 3 volumes.
En France au XVIIIe siècle, la porte des collèges était fermée aux jeunes protestants qui, de ce fait, ne pouvaient pas être instruits convenablement.
Sans les pensions de famille à Genève et à Lausanne, sans le séminaire de Lausanne, le corps pastoral français n'aurait pas pu se reconstituer, toutes les académies et écoles de théologie ayant été supprimées.
En 1742, Pradel dit Vernezobre quitte le séminaire et commence son
ministère aux environs de Nîmes.
Malgré cinquante ans de persécution, le protestantisme n'est pas
anéanti. Après une courte crise provoquée par la défaite des Camisards
et la pénurie de pasteurs qualifiés, les églises se regroupent dans
toutes les provinces sous l'action d'hommes énergiques.
Jusqu'en 1760, la politique royale à l'égard des réformés dépend des événements extérieurs. Quand l'armée est occupée sur les frontières, les protestants jouissent d'une grande liberté et le gouvernement ferme les yeux sur la violation flagrante des édits religieux. Dès que la paix est signée avec l'étranger, la persécution reprend partout.
Le clergé a été l'instigateur de toutes les mesures violentes prises par la cour.
Quelques ministres du roi et quelques gouverneurs de province n'ont jamais approuvé la politique de persécution.
Le pouvoir royal s'est attaqué surtout aux pasteurs. En 1752 un espion écrivait dans un rapport : "Quand il n'y aura plus de pasteurs, il n'y aura plus de baptêmes, plus de mariages au désert, plus de vie protestante".
Les pasteurs traqués n'auraient pas pu échapper si les protestants et, en de nombreux cas, les catholiques n'avaient pas favorisé leur fuite et ne les avaient pas protégés.
Les pasteurs accusés par le clergé d'être des agents de l'étranger ont montré un attachement loyal à la monarchie. Preuve en soit les nombreux placets et lettres adressés à Versailles.
Auprès des fidèles, les pasteurs ont joué un rôle de modérateurs.
Sans leurs efforts d'apaisement, des révoltes auraient éclaté.
Contrairement aux chefs Camisards, ils ont pensé qu'il valait mieux
endurer les vexations, les souffrances et même la mort plutôt que de
résister par la force et provoquer des représailles sanglantes qui
auraient définitivement anéanti les églises.
Ce n'est qu'en ce qui concerne le maintien des exercices religieux en
dépit de toutes les entraves que l'attitude des pasteurs a été ferme,
intransigeante et salutaire.
À partir de 1760, la cour abandonne l'espoir de convertir les protestants par la force. Elle affiche des ordonnances, prononce des jugements encore sévères, mais la lassitude perce à travers tous ses efforts. Le protestantisme en profite pour s'organiser solidement. Les deux synodes nationaux de 1756 et de 1758 scellent l'union des Églises dans la conformité de la foi, du culte, de la discipline, dans une exacte correspondance entre les provinces et dans la contribution aux dépenses à faire pour le bien de la cause commune.
La tolérance a été arrachée à la cour et au clergé par deux puissances : l'opinion publique et les philosophes. Elle est sortie d'abord des couches populaires. Ce n'est que dans la suite qu'elle est passée aux mains des hommes de lettres.
Il fallut l'Édit de Tolérance de 1787, puis la Révolution pour que les protestants obtiennent la liberté religieuse. Après la courte crise de la terreur les pasteurs purent enfin exercer sans danger leur ministère.
La prédication n'est pas seulement un discours religieux, ni un
commentaire sur un passage biblique, elle est un rayonnement de foi
communicative.
À ce titre, elle marque l'acte le plus émouvant que le pasteur
accomplit pour son Dieu qui l'a appelé.
Dans l'Église, son importance est capitale auprès des fidèles qui
attendent même lorsqu'ils n'en ont que très peu conscience, le message
de Dieu proclamé de tous temps au moyen des témoignages humains
(prophètes, apôtres, grands chrétiens du passé et du présent).
La prédication doit d'abord s'assurer des caractères psychologiques,
de l'état intellectuel et des besoins particuliers du milieu auquel
elle s'adresse.
Elle se prépare ensuite dans la prière, dans le sentiment de la
présence de Dieu, en plein accord avec l'Évangile et dans le désir non
pas de proclamer une vérité qui ne touche personne, mais de placer les
esprits incertains ou incrédules devant le salut chrétien.
Elle exige une mise au point matérielle trop souvent négligée (style,
vocabulaire) qui ne relève pas de la vanité humaine, mais qui sert à
la gloire de Dieu.
La prédication a besoin d'être associée à une liturgie adéquate.
Puisque le but du culte est d'annoncer la Parole de Dieu qui appellera
chaque auditeur au salut, il convient que la liturgie, les chants, les
prières et le sermon soient orientés chaque fois vers le même
sujet ; ce qui implique un choix de cantiques judicieux, des
prières spontanées non générales et parfois quelques adjonctions très
courtes et bien choisies à la confession des péchés ou à la confession
de la foi.
Chapitre précédent | Table des matières | - |