Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

GENÈVE RELIGIEUSE en 1857

1er Décembre 1857.

Si l'année qui va finir n'a été marquée, à Genève, par aucun grand événement religieux, les événements politiques qui en ont marqué le commencement étaient assez sérieux pour donner à la Religion un beau rôle. Déjà, aux fêtes de Noël, le danger de la patrie et les angoisses de tant de familles avaient fait rechercher avec plus d'ardeur qu'à l'ordinaire cette force et ces consolations qui ne se trouvent qu'en Dieu; le jour même du Nouvel-An avait vu ses fêtes bruyantes généralement remplacées par des sentiments plus graves, par des regards jetés avec angoisse sur un avenir prochain qui s'assombrissait d'heure en heure. Aux chances ordinaires de la fragilité de cette vie se joignait, pour beaucoup de nos concitoyens, la perspective d'une guerre qui ne pouvait pas éclater sans être immédiatement terrible; la vigueur, la jeunesse, était une chance de mort. Beaucoup donc songeaient à mourir; beaucoup, surtout, se voyaient déjà pleurant sur ceux qui ne seraient plus.

Dieu a permis que cette coupe amère s'éloignât de notre patrie. Nous n'avons pas à dire ici ce que la Suisse a gagné, par sa noble attitude, dans l'estime des nations; nous ne dirons pas non plus combien Genève a figuré dignement, au milieu du danger commun, par son patriotique enthousiasme. Ce que nous dirons, c'est qu'elle s'est souvenue, à l'heure du danger, de ses délivrances passées et de Celui qui les lui avait accordées; ce que nous voudrions pouvoir dire, c'est qu'elle s'en est encore souvenue après le danger, et que les fruits de l'épreuve ont été abondants et permanents. L'ont-ils été? — Dieu le veuille!

Le départ présumé de nos soldats nécessitait la nomination d'aumôniers pour les accompagner. Le Consistoire, sur le préavis de la Vénérable Compagnie, en désigna cinq: MM. Bret, Guillermet, Viollier, Oltramare et Jaquet. Ils acceptèrent avec empressement, comme auraient accepté tous leurs collègues; mais, un seul de nos bataillons ayant fait la campagne, M. Bret a eu seul à partir. Il a su, dans ces honorables et difficiles fonctions, se concilier l'estime et l'affection de tous; il a su faire aimer et respecter ce drapeau que l'Église avait mis entre ses mains, et qui doit flotter constamment au-dessus de tous les autres, les illuminant de sa lumière, les sanctifiant de sa sainteté. Constamment secondé par le commandant du bataillon, M. Bret a pu profiter de toutes les occasions de réunir le corps entier autour de la Parole Sainte; il a pu joindre tous les jours les exhortations individuelles aux exhortations générales, et former avec les soldats des relations qui en ont conduit plus d'un à mieux connaître et à mieux aimer l'Évangile. Ces vérités qu'on dédaigne ou qu'on oublie dans le cours ordinaire des choses de ce monde, le danger les rend plus incisives; l'éloignement du foyer domestique ouvre le cœur aux émotions pieuses, et, loin d'un père ou d'une mère, on pense plus volontiers à ce Père qui est partout. Par les soins de notre Société Biblique, chaque soldat a reçu des mains de l'aumônier un Nouveau-Testament sur la couverture duquel on lit: Armée Fédérale, 1857. Cet humble monument se conservera dans les familles, médaille honorable et bénie; et nous savons que plus d'un jeune homme qui n'y avait d'abord vu qu'un souvenir, qu'une médaille comme une autre, y a cherché et trouvé mieux.

Notre Église a été d'autant plus heureuse de la solution pacifique du conflit, que, malgré tous les torts du souverain avec lequel nous allions être en guerre, nous ne pouvions oublier ce que ce même souverain a fait pour l'Évangile, soit dans ses Etats, soit ailleurs. On l'a vu, tout en respectant pleinement les droits de ses sujets d'un autre culte, arborer toujours, et franchement, les convictions du protestantisme évangélique. Membre zélé de la grande société Gustave-Adolphe, il l'a constamment soutenue dans le patronage qu'elle exerce sur tant d'Églises, sur tant d'institutions, et, bien longtemps avant qu'elle fût créée, il était déjà le protecteur d'une foule de communautés éparses dans l'Europe catholique; celles d'Italie, par exemple, n'ont pu se former que grâce à lui, et bon nombre de genevois lui ont dû de retrouver, loin de Genève, les soins d'un pasteur genevois. Dieu n'a pas permis que nous eussions à tirer l'épée contre un frère en la foi, momentanément injuste et violent; nous en avons doublement béni sa miséricordieuse Providence.

Mais revenons de quelques semaines en arrière, et reprenons notre chronique où nous la laissâmes l'an dernier, — au 1er décembre 1856.

Notre société Gustave-Adolphe, celle des Secours Religieux pour les Protestants Disséminés, eut, le 14 de ce mois, son assemblée générale, et, comme à l'ordinaire, un public nombreux remplissait le temple de la Madeleine.

«Pendant que nous sommes, a dit le président, M. Munier, paisiblement et confortablement réunis dans cette maison sainte, sans qu'il en ait coûté à aucun de nous, ni sacrifice, ni contestation préalable, à la fin d'un Dimanche où l'Évangile a été prêché dans plus de vingt temples sur les quelques lieues carrées de notre canton, — à cette même heure, des milliers de protestants comme nous, soupirent tristement de n'avoir pu, ni eux, ni leurs enfants, célébrer aucun culte public, ou ne l'ont pu qu'avec la permission contrainte et révocable d'une autorité malveillante, en bravant des préjugés hostiles, peut-être en franchissant a pied, par de mauvaises routes, des distances dont la seule idée nous effrayerait. Et, pour combien d'entre eux, encore, le dimanche sans culte n'est pas l'exception, mais la règle! Pour combien d'entre eux des semaines, des mois, des années s'écoulent, sans qu'un pasteur vienne leur dire: «La paix soit avec vous,» sans qu'un ministre du Seigneur les rassemble, en son nom, autour de sa Parole et de sa Sainte Table, entretienne leur foi, soutienne leur courage, assiste leurs malades, adoucisse leurs deuils, instruise leurs enfants dans la science du salut, et les fortifie, par ses exhortations et son exemple, contre les terribles assauts du doute, de l'erreur et du péché!

Mais il n'était pas besoin, chers Frères, que je remisse sous vos yeux ce tableau, malheureusement trop vrai, pour que chacun de vous s'estime heureux d'avoir contribué en quelque mesure à en rendre, ça et là, les teintes un peu moins sombres, et remercie Dieu, en son cœur, de lui en avoir à la fois inspiré la pensée et procuré le moyen.

Effectivement, notre œuvre n'a pas été stérile; bien des circonstances l'ont favorisée. Dieu l'a bénie, et, quoique nous reconnaissions humblement que notre société n'a pas pris encore une extension proportionnée au pressant intérêt du but qu'elle poursuit, la marche qu'elle a suivie et le bien que Dieu lui a donné de faire, pendant les treize années écoulées de son existence, a de quoi nous encourager pour l'avenir.

Votre nombre nous encourage; on peut vous appliquer à la lettre ce que disait prophétiquement Ésaïe: «La famille est devenue un millier.» Les vicissitudes extérieures n'atteignent pas la sphère dans laquelle nous nous mouvons, et c'est au travers d'ébranlements incessants autour d'elle, que notre société s'est étendue et de plus en plus enracinée.

Vos libéralités précédentes et leur emploi nous encouragent. Compris notre recette de la présente année, qui dépasse 18,000 francs, mille de plus que l'année dernière, votre comité a disposé de 107,000 francs pendant l'espace de treize ans. Or, cette somme a contribué à la construction de 22 temples ou chapelles, à la construction et à l'entretien de 12 écoles évangéliques, à l'évangélisation directe en Suisse, en Savoie et dans sept départements de la France. La même somme nous a permis de venir en aide à douze sociétés étrangères qui ont le même but que la nôtre, et qui ont employé nos dons à secourir des protestants disséminés près d'elles, en France, en Suisse, en Belgique, en Allemagne, en Algérie, et jusqu'en Amérique.»

Il est facile à une société semblable de communiquer à ses membres d'intéressants rapports. Nous renvoyons à ceux qui furent lus dans cette séance, et qui ont été publiés. Deux pasteurs Vaudois, MM. Burnier et Lagier, apportèrent les salutations de leurs Églises. «Je me réjouis, a dit l'un d'eux, de ce qui se fait au milieu de vous pour l'avancement du règne de Dieu; mais vous pouvez et vous devez faire plus encore. Les ressources que vous possédez, les grâces que Dieu vous a accordées, vous imposent de grands devoirs. Il faut que Genève réponde à tout ce que son passé et sa position exigent d'elle. Il faut qu'elle soit comme la lumière qui éclaire au loin, comme une flèche qui porte des coups toujours plus nombreux et plus forts. L'assemblée annuelle de votre société a lieu au mois de décembre; le 12 de ce mois vous rappelle que, sans la protection dont Dieu a couvert votre ville, vous seriez aujourd'hui au nombre des disséminés. Mais, surtout, le 25 nous rappelle à tous la plus grande des délivrances: faites donc participer vos frères à tous les bienfaits que Jésus est venu apporter aux hommes. Du coteau que j'habite, je vois les rayons du soleil couchant dorer les tours de votre Saint-Pierre, et je demande à Dieu que la lumière du Soleil de Justice ne s'éteigne jamais au milieu de vous, qu'elle y brille toujours plus vive, et se répande toujours plus au loin.»

La Société Biblique a eu sa séance le 23 juin, dans le temple de l'Auditoire, et le rapport a montré comment une œuvre qu'on pourrait croire à peu près terminée, peut indéfiniment se continuer et s'élargir. Si le canton de Genève, amplement pourvu de Livres Saints, offre peu d'aliment à l'activité de ceux qui les répandent, plus d'un pays voisin en est encore à avoir grand besoin qu'on pense à lui. C'est ce qui a été fait, entre autres, pour le Jura bernois, et, profitant des foires nombreuses qui ont lieu dans cette contrée, un colporteur de la Société y a répandu, en peu de mois, plusieurs centaines d'exemplaires des Saints-Livres. Nous avons dit ce que la Société a fait pour le bataillon genevois; mais elle a fait de même pour beaucoup d'autres soldats suisses, soit protestants, soit catholiques, et elle s'est rencontrée, dans cette œuvre, avec les Sociétés Bibliques de Neuchâtel et de Bâle. Plus de dix mille exemplaires, en somme, ont été ainsi donnés ou vendus; un bataillon soleurois, catholique, en a acheté à peu près autant qu'il en avait reçu gratis, et en a emporté, en tout, près de 1,300. D'autres occasions, plus près de nous, se sont également offertes. Les chantiers du chemin de fer ont vu plus d'un ouvrier acheter le Saint-Livre, et plus d'une fois cet homme avait commencé par se moquer et du livre et du colporteur. Nous sommes les ouvriers du grand Semeur; n'espérons pas être toujours mieux reçus qu'il ne le fut lui-même. Mais persistons; il est toujours puissant pour ouvrir les cœurs.

La Société des Missions s'est réunie le 31 mai, jour de Pentecôte, dans le temple de la Madeleine; elle avait avancé l'époque pour profiter du séjour à Genève de M. Daumas, missionnaire français au sud de l'Afrique. Quoique des récits antérieurs nous eussent mis au courant de ce qui s'est fait et se fait dans cette portion intéressante de l'immense champ des missions, la voix d'un des ouvriers qui y travaillent a eu, comme toujours, le privilège d'exciter vivement notre attention et notre sympathie. Le pays des Bassoutos est, d'ailleurs, un de ceux où les succès visibles de la prédication de l'Évangile sont le mieux de nature à encourager les missionnaires et tous les amis de leur œuvre. «Si on me demande, a dit M. Daumas, des résultats positifs et statistiques, je suis, grâce à Dieu, en mesure de répondre. Nous ne comptons pas, il est vrai, plus de 1,800 à 2,000 convertis; mais la génération nouvelle grandit sous l'influence de l'Évangile. Plusieurs catéchumènes viennent suivre nos leçons. Le nombre des païens bien disposés va toujours croissant, ou, plutôt, le peuple entier des Bassoutos, composé de 150,000 âmes, peut être regardé comme chrétien de nom. Nous traversons librement leur pays dans tous les sens, et, dans quelque endroit que nous nous arrêtions, ils se réunissent promptement pour nous écouter. Nos chapelles ne manquent pas d'auditeurs. La Parole de Dieu est respectée là même où elle n'est pas reçue. Le souffle de l'Éternel a passé sur ces contrées.»

En regard de cette extrême prudence, de cette persistance à n'appeler chrétiens que ceux qui le sont pleinement, et à n'altérer en rien, pour attirer ces peuplades grossières, la spiritualité de l'Évangile — il serait difficile de ne pas se rappeler combien le catholicisme est moins scrupuleux, et comme tout lui est bon pour se recruter chez les païens. Voici ce que nous avons récemment lu, par exemple, dans un ouvrage du capitaine Lafond, assez hostile, du reste, au protestantisme et aux missions protestantes. «En entrant à l'église (près de Lépic, au Mexique), ma surprise fut extrême. Je voyais une foule d'indiens, hommes et femmes, portant des espèces de poupées informes, couvertes de chiffons, de rubans, de fleurs, de tresses de joncs; c'étaient leurs fétiches, leurs dieux domestiques, qu'ils apportaient pour les faire bénir. Quelques-unes de ces idoles n'avaient pas même une forme humaine: c'était un caillou, un coquillage, un fruit, une tige ou d'autres objets, qui tous, cependant, indiquaient clairement les restes des anciennes superstitions mexicaines, et, dans tous les cas, une flagrante idolâtrie. La cérémonie achevée, nous rentrâmes au presbytère, et on se mit à table. Vers la fin du repas, je me hasardai à témoigner à mon voisin, ecclésiastique à la physionomie intelligente, ma surprise des cérémonies profanes et véritablement païennes que je venais de voir. C'est une nécessité, me dit-il; il a fallu faire aux Indiens quelques concessions, qui n'altèrent en rien la foi ni le dogme.» — Ces derniers mots semblent une plaisanterie; mais nous sommes habitués à les entendre. Toutes les superstitions que l'Église romaine commande ou autorise, on nous répond toujours, quand nous les lui reprochons, qu'elles n'altèrent pas la foi. Essayez de comprendre ce que peut être la foi, la foi chrétienne, des Indiens de Lepic, ou sans aller si loin, de bon nombre d'Italiens, d'Espagnols, etc. Rien ne ressemble plus aux informes poupées du Mexique que les madones des chaumières d'Espagne ou d'Italie. Le culte qu'on leur rend n'est même plus, en beaucoup de cas, un culte à la vierge Marie; c'est le culte direct, matériel, de la grossière image, divinité de plâtre ou de bois.

Félicitons-nous donc de ce que les missions de nos Églises ressemblent si peu à celles qui produisent de tels chrétiens. Mais, s'il faut tout dire, nous craignons que nos missionnaires ne soient un peu dans l'extrême contraire, et que, dans leur juste frayeur de faire la porte trop large, ils ne se laissent aller à la faire un peu trop étroite. Il nous semble que les apôtres ne poussaient pas aussi loin le scrupule, et que l'Église ne doit pas craindre d'être, dans une sage mesure, ce grand filet sous l'image duquel elle est représentée dans l'Évangile. Nous comprenons, du reste, que la conduite à tenir doive beaucoup varier suivant les pays et les temps, et c'est en toute humilité que nous présentons cette observation aux missionnaires et aux sociétés qui les envoient.

Les recettes de la Société Biblique se sont élevées à 9,358 fr., et celles de la Société des Missions à 22,595 fr. L'association dite du Sou Missionnaire, ou du Sou par semaine, a recueilli, en outre, près de 6,000 fr. Elle compte environ 2,400 sociétaires. (Nous en avons expliqué, l'an passé, l'organisation ingénieuse.)

La Société Evangélique a continué de réunir, dans son champ d'action, plusieurs œuvres; société biblique et société de colportage, société missionnaire et société pour les disséminés, elle a rendu, au-dedans et au-dehors, des services à la grande œuvre commune, celle de l'avancement du règne de Dieu.

Les récents désastres de l'Inde ont douloureusement retenti dans notre Église. Elle s'est associée de cœur au jeûne solennel que la communauté anglaise de Genève a célébré le 7 octobre, et le Consistoire a été l'organe du sentiment public lorsqu'il a ordonné qu'une prière spéciale fût lue, le dimanche suivant, dans tous nos temples, pour demander à Dieu la fin de cette effroyable guerre. Les fautes des Anglais dans l'Inde, fautes qu'ils ont, du reste, si noblement reconnues, ne peuvent pas nous faire oublier que leurs progrès sont et seront, directement ou indirectement, les progrès du christianisme. Si, comme tout l'annonce, ils sortent vainqueurs de cette lutte, elle aura eu déjà pour résultat de leur faire comprendre qu'il n'y a rien à gagner, chez ces peuples, à respecter si scrupuleusement leurs superstitions et leurs mœurs. Non qu'il faille, sans doute, arriver à l'intolérance; mais il faudra, et c'est ce que l'Angleterre paraît décidée à faire, que le drapeau du christianisme soit ouvertement arboré, qu'on se défasse de ces ménagements timides que la politique avait crus habiles, et qui, les événements l'ont montré, ne l'étaient pas. La barbarie indoue n'a su y voir que de la faiblesse; elle a méprisé comme impuissante une religion qui n'osait pas s'afficher dans les régions du pouvoir, et qui ne venait à elle que par quelques missionnaires sans caractère officiel.

Un triste spectacle a été donné au monde, par la joie que les catholiques anglais et l'ultramontanisme en général ont fait éclater à la nouvelle des malheurs de l'Angleterre. C'est la première fois peut-être que l'esprit de parti osait aller jusqu'à se réjouir ouvertement de désastres marqués par des atrocités pareilles. Que la profondeur de cette haine, soit pour l'Angleterre une preuve de plus de la grandeur du rôle auquel elle est appelée. Qu'elle ne perde pas son temps à haïr ceux qui la haïssent; qu'elle marche en avant, et qu'elle leur laisse la honte d'avoir haï en elle l'Évangile.

Les Annales Catholiques, publiées dans notre ville, ont continué de nous montrer, chaque mois, à quel point nous partageons avec l'Angleterre l'honneur d'être odieux aux défenseurs de l'Église romaine. Personne, à Genève, ne relève plus les assertions de ce journal; il est trop évident que les rédacteurs s'inquiètent peu d'être démentis à Genève, et que leurs articles sont faits en vue de l'étranger, où nos démentis n'arriveraient pas. Des détails curieux nous sont revenus, de diverses villes, sur la manière dont ces articles ont été reproduits et amplifiés, en chaire, par les prêtres envoyés pour recueillir les dons nécessaires à l'achèvement de la nouvelle église catholique. Il n'a pas tenu à ces prêtres que l'Europe ne crût les catholiques de Genève dans le plus triste état d'asservissement et d'oppression; c'est à d'innocentes victimes de l'intolérance protestante que leurs amis de tous pays ont cru tendre la main. Des assertions semblables auraient été déjà plus que fausses il y a trente ans; mais les répéter aujourd'hui, lorsque l'égalité religieuse et politique est complète en droit, lorsque, en fait, un gouvernement qui ne peut se passer de l'appui des catholiques leur abandonne, pour se les concilier, toute l'influence et toutes les places, — répéter, disons-nous, de semblables assertions, c'est avoir renoncé à se donner même l'apparence de dire la vérité. De là encore le silence obstinément gardé, sauf dans une courte et obscure phrase du discours d'inauguration, sur le don du terrain où s'est élevée l'église, don voté par un Grand Conseil aux deux tiers protestant, et par un Conseil Municipal tout protestant. Ce terrain valait deux cent mille francs au moins. Dira-t-on que le parti protestant, le vieux parti genevois, n'eût pas accordé ce don? Eh bien! qu'on prenne les budgets de 1815 à 1835, et l'on verra que, pendant cette période, règne du vieux parti genevois, il a été dépensé pour le culte catholique environ deux millions et demi (2,453,969 francs. À cette somme pourrait être ajoutée celle de 123,000 fr. pour le collège de Carouge, établissement mixte en droit, mais catholique en réalité. N'oublions pas non plus que les catholiques étaient admis, sans restriction quelconque, dans les établissements d'instruction dont la Société Économique faisait les frais en tout ou en partie, collège, académie, etc.; encore des sommes protestantes dont une portion s'ajouterait aux deux millions et demi. N'oublions pas, enfin, que ces mêmes catholiques, si largement traités dans le budget des dépenses, ne figuraient, au budget des recettes, que dans une proportion très inférieure à celle de leur nombre; les propriétés et les fortunes étant presque toutes protestantes, les revenus de l'État provenaient presque tous, en réalité, des protestants.), c'est-à-dire plus de trois fois le budget total de la république, dont la moyenne, pendant ces vingt années, fut de 800 mille francs. Le culte protestant, payé en grande partie par la Société Économique, n'a reçu de l'État, pendant ces mêmes vingt ans, qu'un peu plus d'un demi-million (537,422 francs.). Dans les communes catholiques devenues genevoises en 1814, écoles, églises, presbytères, tout était à faire ou à refaire; tout a été fait ou refait sous le gouvernement de ces mêmes protestants qu'on accuse de tyrannie, et qui bien souvent, au contraire, furent faibles, pour ne pas dire timides, devant des exigences que leur large bonté ne servait qu'à multiplier. À ces largesses du budget, joignez celles de la charité publique. Dans une période de huit ans, le Bureau de Bienfaisance a donné aux communes catholiques un total de 309,423 francs, et, aux communes protestantes, un total de... 2,575. Dans les collectes qui alimentaient le Bureau, presque rien ne venait des catholiques; les legs, montant à 65,316 fr., sont venus tous de protestants.

Parmi les autres accusations colportées par les prédicateurs et les journalistes catholiques, celle d'acheter les prosélytes a naturellement continué de figurer au premier rang; il va sans dire que nous avons continué, nous, à les défier de citer des faits. L'archevêque de Gênes ayant reproduit la même accusation dans un de ses mandements, les ecclésiastiques spécialement chargés de l'instruction des prosélytes lui adressèrent directement, par une lettre signée d'eux, le même défi; cette lettre, comme on devait s'y attendre, est restée sans réponse. Ce que nos adversaires nous accusent de faire, c'est nous qui pourrions prouver qu'ils le font, qu'ils l'essayent, du moins, et tous les jours; nos pasteurs se trouvent à tout moment sur la trace de promesses ou d'offres faites sous la condition d'une entrée ou d'une rentrée dans l'Église catholique, et ce n'est pas en vain que nous voyons figurer au budget de la Société pour la Propagation de la Foi, dont le siége est à Lyon, quarante et quelques mille francs pour le diocèse de Genève. D'autres moyens ne sont pas négligés. Ainsi, par exemple, un prêtre allemand a organisé un petit orchestre, et, chaque dimanche, il dit une messe en musique. Tous les allemands protestants qu'il a occasion de rencontrer, il les convie à venir entendre, non sa messe, dont il ne leur parle pas, mais sa musique. Avec la musique et la messe, on entend un sermon, mais un sermon où le catholicisme est presque toujours tellement voilé, adouci, arrangé, que des gens sans défiance peuvent n'en apercevoir aucune trace. Aucune conversion n'a encore été, que nous sachions, le résultat de cette tactique; mais il est bon qu'elle ne soit pas ignorée, et c'est ce qui nous fait la signaler.

En présence de cet envahissement numérique dont la nouvelle église est le symbole, il est évident que nous devons, non nous décourager, car ce serait douter de l'Évangile, mais redoubler de vigilance et d'efforts pour conseryer à ce même Évangile le poste où Dieu nous a placés. Si les sujets de tristesse abondent, les encouragements abondent. Le monde évangélique nous sait gré de tout ce que nous faisons, de tout ce que nous tentons; et n'y a-t-il pas, dans cela seul, un ordre, une promesse de Dieu? Tant d'autres ont usé leur vie à des travaux qui n'avaient que Dieu pour témoin; nous, qui ne travaillons pas seulement sous son regard, mais sous celui de tant de millions d'hommes qui s'intéressent à nos succès et avons nos revers, comment ne nous sentirions-nous pas doublement appelés à être fidèles, doublement coupables si nous ne l'étions pas?

Nous mentionnerons, entre autres œuvres, le cours public d'instruction religieuse spécialement destiné aux catholiques. Deux réceptions publiques ont eu lieu dans la salle du Consistoire; l'exhortation a été faite, dans la première, par M. le pasteur Duby, et, dans l'autre, par M. le pasteur Oltramare. Le chiffre des prosélytes a été de 38, et le chiffre total, depuis 1853, de 322. Ce chiffre ne comprend que les adultes, appelés à l'abjuration proprement dite; les enfants acquis à notre Église par le fait de l'admission des parents, n'y figurent pas. Ce chiffre ne comprend pas non plus les jeunes gens nés catholiques et entrés dans notre Église, comme catéchumènes, par l'instruction religieuse ordinaire. Cette catégorie a toujours été assez nombreuse; il n'est pas rare que des catholiques abjurent, en quelque sorte, dans la personne de leurs enfants. Quant aux mariages mixtes, ils nous donnent la presque totalité des enfants qui en proviennent.

Nous avons dit précédemment dans quel esprit se font les leçons publiques; l'enseignement direct des vérités évangéliques y occupe toujours une grande place, et la controverse n'est jamais l'objet principal. Elle l'est encore moins dans les leçons plus intimes que les prosélytes sont appelés à recevoir, avant leur admission, soit de M. le pasteur Rœhrich, soit de M. le ministre Ferrier, son aide dans cette tâche. Deux évangélistes laïques travaillent sous la direction de ces deux ecclésiastiques. Le cours public s'est rouvert, comme à l'ordinaire, en novembre. Chaque mois a lieu une réunion où sont convoqués tous les anciens prosélytes, et où on les entretient des progrès de l'Évangile, soit à Genève, soit au-dehors. 

Nous annonçions, l'an passé, une série de Conférences de M. le ministre Bungener, sur les causes des erreurs dans l'Église chrétienne. Le vieil homme reprenant la domination sur le nouveau, le cœur humain altérant l'élément divin, — telle devait être, disions-nous, l'idée centrale de ces six Conférences. Ajournées à cause des événements, elles seront préchées dans les trois premiers mois de 1858. La Commission de la Vie Religieuse, sachant que ces discours sont le résumé d'un grand travail sur l'histoire de l'Église, a demandé à M. Bungener de les développer ensuite dans des séances familières, où il pourrait user de tous les matériaux recueillis par lui. Ces séances auront lieu le lundi soir, au Casino. La même commission s'occupe d'en organiser d'autres, comme précédemment au local du Fort-de-l’Écluse. On en annonce quelques-unes de M. le professeur Chastel sur les Conciles Réformateurs (Pise, Constance et Bâle).

Une autre série de Conférences, spécialement destinées aux hommes, a été prêchée dans les six semaines avant Pâques. M. le pasteur Bouvier, qui en était chargé, les a publiées sous le titre de: «Le Chrétien, ou l'homme accompli.» Ce titre indique assez dans quel point de vue l'orateur a pris le christianisme. Il a voulu juger l'arbre à ses fruits; il a fait de l'apologétique morale, de l'apologétique intime, dirions-nous volontiers, si ce dernier mot n'avait été tant prodigué dans des sujets profanes. Il a montré le christianisme s'imposant lui-même aux âmes, en dehors de toute démonstration historique ou philosophique, par sa puissance même, par sa divinité, par ses effets. Il serait dangereux d'abuser de cette argumentation, et d'y voir l'apologétique tout entière; mais, dans les limites tracées par M. Bouvier, nous ne pouvons que l'accepter pleinement. Des discours aussi pleins d'idées n'ont pas pu ne pas soulever des objections, qu'il serait trop long d'aborder ici. La plus grave, au point de vue de l'utilité réelle et du fruit à tirer de ces discours, c'est le manque de directions pratiques, non pas constant, sans doute, mais dans beaucoup d'endroits où on eût aimé en trouver. Les auditeurs de M. Bouvier ont eu souvent à se demander: «Que faut-il donc faire?» Mais c'est déjà un succès, et un grand, que d'amener les gens à se faire cette question, à concevoir un idéal qu'ils désirent réaliser, qu'ils regrettent de ne pas savoir réaliser. Sous ce rapport, le succès de M. Bouvier a été complet.

Un nombreux auditoire, également tout d'hommes, a assisté aux séances données, dans le local dit de la Rive Droite, sur l'histoire des trois premiers siècles de l'Église. M. le pasteur Viguet, chargé de l'introduction, a tracé un tableau fidèle et vivant de l'état du monde, au moment de l'apparition du Christianisme. M. de Gasparin a raconté le premier siècle, naturellement subdivisé en deux époques, celle des Apôtres et celle des Pères dits apostoliques. Il a montré combien la seconde fut, à beaucoup d'égards, loin de la première, et combien vite parurent, dans l'Église, les germes de toutes les erreurs postérieures. M. Bungener a fait l'histoire du deuxième siècle, résumée dans deux sujets principaux. Une première séance a été consacrée aux persécutions, envisagées surtout dans les questions qui s'y rattachent: nature et esprit des persécutions païennes, leur intensité, leurs effets, etc.; une seconde séance a résumé les attaques des philosophes et les réponses des chrétiens. Des analogies curieuses ont pu être signalées entre les objections païennes contre le christianisme, et les objections romaines contre le protestantisme; M. Bungener en avait également signalé plus d'une entre les cruautés de la Rome des Césars et celles de la Rome des papes. Deux séances, enfin, ont été consacrées par M. Merle d'Aubigné à l'histoire de deux hommes et des tendances personnifiées en eux: Origène et la science, Cyprien et la pratique. Il a groupé, autour de ces deux noms, l'histoire du troisième siècle, pleine d'enseignements pour tous les siècles, et, en particulier, pour le nôtre.

Ces conférences, demandées par l'Union Chrétienne des Jeunes-Gens, ont été publiées par elle sous le titre de: «Le Christianisme aux trois premiers siècles». La prospérité matérielle de Genève, disent les éditeurs dans la préface, est grande aujourd'hui. Au milieu de ce développement considérable, que deviendront les intérêts moraux et religieux de notre pays? La nouvelle Genève sera-t-elle, quant à l'intelligence, quant à la science et surtout quant à la foi, ce que fut l'ancienne Genève, aux temps qui suivirent sa bienheureuse réformation? Nous pouvons et nous voulons l'espérer. On se souvient de la foule qui, en 1853 et 1854, remplissait les temples de Saint-Gervais et de la Madeleine. Le peuple genevois avait senti que ses intérêts les plus chers étaient en danger, et qu'il fallait les défendre. Depuis lors, l'Évangile a fait de nouveaux progrès. Si, d'un côté, le matérialisme progresse, un noble instinct, de l'autre, se ranime dans la partie saine de la population, et lui dit que le Christianisme seul peut sauver Genève; on ne voit plus avec indifférence le doute qui fait languir, l'incrédulité qui dessèche, et le papisme qui étouffe. On étudie les questions; on cherche la vérité.»

Applaudissons donc aux efforts des hommes qui travaillent à entretenir le mouvement. Ce volume, déjà traduit en Hollande et en Angleterre, y a été accueilli avec faveur, et nous pourrions en dire autant de plusieurs publications genevoises de ces dernières années. L'Histoire de la Réformation, de M. Merle, déjà traduite en tant de langues, l'a été récemment en suédois. Les Études historiques sur la charité, de M. Chastel, couronnées par l'Institut de France, et déjà répandues en Allemagne par la traduction du docteur Wichern, viennent d'être traduites en anglais par un des hommes distingués de l'Amérique, le docteur Matile, de Philadelphie. Christ et le Siècle, de M. Bungener, a paru, cette année, en hollandais, en anglais, en allemand et en danois. Notre littérature religieuse tend à reprendre, dans le monde protestant, la place que le nom de Genève aurait toujours dû lui assurer.

Le Savonarole de M. Paul y figurera avec honneur. Quoiqu'il n'en ait encore publié que le premier volume, on a reconnu une œuvre de conscience et de talent. Moins complet, moins savant, ce livre aurait plus de chances de popularité; mais nous ne saurions conseiller à l'auteur de condamner à l'oubli aucun des documents que ses recherches ont mis entre ses mains. Ce travail éclaircit une foule de questions, et contribuera à fixer l'opinion des gens sérieux sur Savonarole et son époque. Savonarole nous appartient-il, oui ou non? Savonarole était-il catholique? — Il ne s'agit que de bien poser la question. Savonarole a voulu être catholique; Savonarole aurait frémi à la pensée de ne plus l'être. Mais Luther commença aussi par frémir. Il s'agit donc de savoir si Savonarole a été ce qu'il voulait être, s'il a réellement cru à l'Église romaine, à ses principales doctrines, et, documents en main, grâce au livre de M. Paul, nous pouvons hardiment répondre non.

Les œuvres du pasteur Baulacre, mort en 1761, ont été recueillies par sa famille. Elles forment deux volumes, et se composent en grande partie de recherches intéressantes sur Genève et l'Église de Genève.

M. le pasteur Oltramare a publié deux sermons, prêchés, l'un à une réception de catéchumènes, l'autre, à une communion, sur le texte: «Venez, car tout est prêt.» L'un et l'autre renferment des pages remarquables d'élévation et de simplicité.

Une commission de sept membres, nommée par la Compagnie des Pasteurs, travaille à la rédaction d'un catéchisme qui paraîtra, probablement, vers le milieu de l'année prochaine.

Sous le titre modeste de Conseils pour la direction des Écoles de Patronage dans les paroisses de Saint-Pierre et de la Madeleine, un livre qui ne se vend pas, et qui n'est encore qu'autographié, renferme les résultats d'une longue et chrétienne expérience. Une publicité plus étendue confirmerait sûrement le succès que ce travail a eu, et qu'il mérite à tous égards.

Le Comité des Publications Religieuses a donné une nouvelle édition du Jeune Chrétien, d'Abbott, traduction revue par M. le pasteur Viguet. Il prépare le second volume du recueil Foi et Charité, si bien accueilli il y a trois ans. Il a poursuivi avec zèle la tâche qu'il s'est imposée, de faciliter, sous toutes les formes, la diffusion des livres religieux; les bibliothèques de campagne lui ont dû, comme précédemment, des dons nombreux. Il a eu, enfin, l'heureuse idée de publier une édition genevoise du Bon Messager, de Lausanne, édition où tout ce qui concernait particulièrement le canton de Vaud, est remplacé par des articles analogues concernant le canton de Genève. Cet almanach se substituera toujours mieux, nous l'espérons, à ces almanachs prophétiques qui n'ont que trop été en faveur dans nos campagnes. Il renferme, cette année, un curieux tableau des prédictions du Messager Boiteux pour 1855, mises en regard de la réalité. Le prétendu prophète a dû nécessairement, sur 365 jours, attraper quelquefois juste; mais il y a aussi des mois entiers où le temps n'a pas été quatre fois ce qu'avait dit l'almanach. Laissons l'avenir à Dieu, aussi bien l'avenir modeste de nos semailles que celui des plus grandes choses. C'est le meilleur moyen de vivre en paix.

Le même Comité va publier deux sermons récents de M. Tournier, sur les devoirs des parents et des enfants. Il s'est aussi occupé d'un recueil d'anecdotes religieuses, qui paraîtra sous le patronage de la Société de Toulouse. Les anecdotes religieuses peuvent être d'un grand secours dans l'enseignement chrétien, surtout auprès des enfants; mais il faut qu'elles soient vraies et de fond et de forme, et c'est ce qu'on a cherché à réunir dans ce recueil.

M. Janin a donné une traduction nouvelle du livre de l'Ecclésiaste. On en loue beaucoup l'exactitude et l'élégance.

Deux questions avaient été mises au concours, pour cette année, par la Faculté de Théologie. La première était une étude exégétique et dogmatique du livre du prophète Joël. Deux prix ont été adjugés, l'un à M. Reymond, étudiant genevois, et l'autre à M. Fermaud, étudiant français. La seconde était une Étude sur la prédication au dix-septième siècle. Les prix et l'accessit ont été donnés à MM. Berger, Tarrou et Larnac.

Les séances mensuelles de la Compagnie des Pasteurs, séances familières et inofficielles auxquelles sont invités tous les ecclésiastiques genevois, ainsi que les pasteurs étrangers présents à Genève, ont été l'occasion de travaux, souvent très développés, sur la littérature théologique ou religieuse, la prédication, les œuvres chrétiennes, etc.

La Semaine Religieuse a continué de nous tenir au courant de toutes les nouvelles du monde évangélique. Elle a dû, plus que précédemment, s'occuper du catholicisme; l'histoire religieuse de notre temps ne serait pas complète si elle n'enregistrait, à côté des progrès de l'Évangile, les actes et les paroles d'une Église qui en devient de plus en plus l'ennemie.

La Société de Secours a publié une notice historique sur son origine, ses travaux, ses transformations successives. Cet opuscule est un document intéressant pour l'histoire de la bienfaisance à Genève.

M. G. Moynier, secrétaire de cette société, a réuni, sous le titre de La Prévoyance à Genève, une série de notices sur nos diverses institutions de prévoyance, et ce tableau en indique vingt et une. Une d'elles (Secours mutuels) se subdivise en une trentaine de sociétés particulières, suivant les métiers, les nations, etc. Cet opuscule aura également un jour un véritable intérêt historique.

M. Gustave Revilliod a poursuivi son intelligente et active publication de documents du seizième siècle. Après nous avoir donné le Levain du Calvinisme, par Jeanne de Jussie, et les Actes et Gestes merveilleux de la Cité de Genève, par Froment, il a publié, cette année, les Advis et Devis de la Source de l'Idolâtrie et Tyrannie papale, par Bonivard. Il nous promet encore les Chroniques, du même auteur. Dans les Advis et Devis, comme dans les volumes précédents, l'éditeur a fait tous ses efforts pour rappeler, par l'impression et l'ornementation, la typographie du seizième siècle; ajoutons que l'imprimerie Fick, d'où sortent ces volumes, se trouve, par un curieux hasard, sur l'emplacement occupé jadis par celle des fameux Estienne.

L'enseignement oral ne s'est pas borné aux sept séances sur les trois premiers siècles de l'Église. M. Vaucher-Mouchon en a donné quelques-unes sur La bienfaisance à Rome. Un séjour dans cette ville lui avait permis de recueillir des documents du plus haut intérêt, et il a impartialement signalé les qualités comme les vices de la charité catholique. La Société des Amis de l'Instruction a entendu quelques leçons de M. Bungener sur l'histoire du protestantisme français. M. Gaberel a donné, au Casino, un cours sur l'histoire religieuse de Genève au seizième siècle; d'importants documents, retrouvés par lui à Turin, lui ont permis de dire des choses nouvelles dans un sujet qu'on pouvait croire épuisé. C'est aussi grâce à des documents nouveaux qu'il a pu intéresser vivement le nombreux public appelé à une séance sur l'Escalade. Genève aimera toujours à entendre parler de sa miraculeuse délivrance, et elle vient d'en perpétuer le souvenir par une fontaine monumentale, élevée près d'un des lieux que ce jour a rendu fameux.

M. Marcillac, dans un cours sur l'histoire de la musique, a donné beaucoup de place à celle de la musique religieuse. Ce cours va être publié.

On annonce, pour cet hiver, un cours de M. Jules Bonnet sur l'histoire de la Réformation en Italie. Les amateurs de travaux sérieux et de nouveautés historiques seront heureux d'avoir, en quelques séances, la primeur d'un ouvrage impatiemment attendu, et recommandé d'avance par le nom de l'auteur.

On annonce aussi des séances de M. Gaberel sur les relations de Rousseau avec Genève et les Genevois. M. Gaberel a montré, dans son cours sur Voltaire, qu'il savait être juste envers les hommes du dix-huitième siècle. Il le sera sans doute envers Rousseau; mais Rousseau a rendu bien difficile la tâche de ceux qui voudraient faire son histoire sans trop blesser ses admirateurs.

Rousseau fera aussi le sujet de quelques leçons dans lesquelles M. Rambert, professeur de littérature à Lausanne, étudiera parallèlement l'Émile et l'Éducation Progressive. Il demandera à Rousseau, nous dit le programme, la critique des mauvaises méthodes, et à Mme Necker-de-Saussure les principes positifs d'une éducation chrétienne. Rousseau, de cette manière, sera vu dans son véritable jour, habile à démolir, impuissant ou absurde dès qu'il prétend reconstruire.

M. le pasteur Léger, du canton de Vaud, a récemment ouvert un cours d'introduction à la lecture de la Bible. Il se propose d'offrir, outre des notions spéciales sur quelques-uns des livres de l'Ancien Testament, un tableau des rapports qui lient entre elles toutes les portions de l'Écriture.

Nous pourrions mentionner encore quelques séances isolées, occasionnellement données par des pasteurs ou laïques étrangers. C'est ainsi que M. Rosseeuw-Saint-Hilaire a raconté, le 28 juin, dans le temple de la Madeleine, les progrès de l'évangélisation à Paris, et l'érection d'une chapelle protestante au sein du quartier le plus catholique de cette ville. Des dons recueillis à Genève avaient facilité cette œuvre.

Bien d'autres œuvres ont réclamé nos dons. Avons-nous fait tout ce que nous pouvions faire, tout ce que nous devions faire? C'est la question qu'il faut que chacun s'adresse. Il y a malheureusement encore beaucoup de gens qui ne donnent pas, qui n'ont pas l'idée de donner; il y a, disions-nous l'année dernière, beaucoup de gens qui, parce qu'ils ne sont pas précisément riches, considèrent les œuvres chrétiennes comme ne les regardant à peu près point, et, en définitive, sont plus loin encore que les riches de donner en proportion de leur avoir. Un temps viendra-t-il où chacun comprendra, sur ce point, son devoir, sa responsabilité? Espérons; les bonnes habitudes sont longues à se prendre, mais, avec la bénédiction de Dieu, elles se prennent enfin. Il faut qu'on sache donner, non seulement dans des occasions exceptionnelles et graves, comme quand la souscription nationale, en janvier, a dépassé cent mille francs en huit jours, mais sans aucune de ces excitations momentanées; il faut que l'Évangile ait son budget dans nos familles, budget ne différant de tout autre que par la possibilité indéfinie de s'élargir.

La vente annuelle, dont le produit se partage entre les Missions du Bengale et la Société des Protestants disséminés, a produit, cette année, 9,443 francs. Elle ne s'était pas encore élevée à cette somme.

Une vente a eu lieu, dans l'Église suisse de Londres, par les soins du pasteur, M. Choisy fils. Genève y a contribué par l'envoi d'une quantité assez considérable d'objets de toute espèce.

Quelques grandes infortunes ont sollicité notre charité. Des souscriptions ont eu lieu pour les inondés de l'Ardèche, les incendiés de Saint-Oyen, de Viuzen-Salaz et d'autres lieux, les familles des victimes du Hauenstein, etc., etc.

La collecte extraordinaire ordonnée par le Consistoire, pour subvenir à divers besoins intérieurs de son administration, a produit, quoique contrariée par les événements de janvier, au-delà de la somme indiquée dans l'appel. Le Consistoire demandait vingt cinq mille francs, et il en a reçu trente-trois mille. Il a donc pu réaliser toutes les améliorations qu'il avait projetées; son rapport annuel donne à ce sujet des détails auxquels nous renvoyons.

Ce rapport renferme des faits nombreux qu'il serait également trop long de reproduire; plusieurs, d'ailleurs, ont déjà trouvé place dans notre précédent compte rendu. Tenons-nous-en donc aux principaux, en y ajoutant ceux des derniers mois, car l'année consistoriale finit au mois de juin.

Trois consécrations au saint ministère ont eu lieu: MM. Paul et Ferrier en décembre 1856, et M. Bert en novembre 1857.

M. Bourrit, pasteur à Cologny, après plusieurs congés qui n'avaient malheureusement pas amené d'amélioration dans sa santé, s'est vu forcé de résigner ses fonctions. M. le ministre L. Thomas, qui le remplaçait depuis plusieurs mois, a été élu en sa place.

M. Lavit, pasteur à Saint-Gervais, a dû aussi résigner des fonctions que sa santé et l'accroissement de sa paroisse rendaient trop pesantes pour lui; mais il a exprimé au Consistoire le désir de continuer, dans des limites plus étroites, son activité pastorale. M. Bouvier, pasteur à Céligny, a succédé à M. Lavit, et M. Paul à M. Bouvier.

M. Ferrier succède à M. Tissot comme aide de M. Droin, pasteur à Carouge.

Pendant l'absence de M. Bret, aumônier du bataillon genevois, sa paroisse a été administrée par M. Barde, ancien pasteur, et par M. le ministre Chalumeau.

M. Claparède-Appia a conservé, dans le nouvel Hôpital Cantonal, les fonctions de chapelain qu'il remplissait, depuis plusieurs années, dans l'Hôpital de Genève.

À l'hospice des Vernaies, M. le ministre Braschoss a succédé à M. Théod. Claparède, appelé l'année dernière à Chancy.

À l'Hospice des Vieillards, un culte a lieu, le jeudi, par les soins de M. Viollier, pasteur à Saconnex.

Les protestants de Versoix ont eu la joie de poser, le 5 septembre, la première pierre de leur temple. La paroisse de Chêne se prépare à célébrer, en 1858, le centième anniversaire de la dédicace du sien.

Le temple de Saint-Gervais a été éclairé au gaz, comme l'était déjà, depuis 1853, celui de la Madeleine.

La question du chauffage de Saint-Pierre est enfin résolue; notre belle cathédrale ne sera plus fermée une partie de l'année. Quatre grands appareils, nécessaires pour obtenir dans toutes les parties du temple une température uniforme et agréable, coûteront environ 15,000 francs, somme qu'on ne peut songer à prélever sur les revenus fixes alloués au Consistoire. Une souscription est donc ouverte; aucun doute n'est possible sur le résultat de cet appel, que devançaient depuis tant d'années les vœux de tous les amis de l'Église.

Les services du soir, définitivement entrés dans nos habitudes religieuses, feront désormais partie de la tâche ordinaire et régulière des pasteurs. Il y avait été pourvu, jusqu'à cet hiver, d'une manière inoflicielle et libre, ce qui, du reste, grâce au zèle de MM. les pasteurs et au concours de MM. les ministres, n'en avait jamais compromis la régularité.

Une innovation importante, décidée en 1856, a été réalisée cette année. Jusqu'ici, les prédications ordinaires et extraordinaires, dans les temples de la ville, étaient réparties à tour de rôle, d'après un mode de circulation régulier, entre les pasteurs. Des échanges volontaires pouvaient seuls modifier la tabelle, arrêtée dès la fin de l'année précédente. On avait souvent regretté que cette répartition des offices, fixée d'avance et entre les seuls pasteurs de la ville, se prêtât difficilement à l'introduction de services spéciaux, et ne permît pas d'utiliser plus souvent le concours des pasteurs de la campagne, des pasteurs émérites et des ministres. C'est pour parer à cet inconvénient qu'il a été arrêté que, chaque année, avant la rédaction de la tabelle, on statuera sur trente-six prédications auxquelles le Consistoire se réserve de pourvoir directement. L'emploi de ces prédications, les époques auxquelles elles auront lieu, le nombre des ecclésiastiques qui devront en être chargés, sont arrêtés ultérieurement par le Consistoire, sur préavis de la Vénérable Compagnie. On a voulu, par ce nouveau mode de vivre, introduire plus de variété dans les offices, et satisfaire d'une manière plus directe aux exigences spéciales des différentes époques de l'année, ou aux besoins nouveaux que les circonstances pourront faire naître. On a voulu surtout assurer de plus en plus à la prédication la haute influence qui lui a toujours été attribuée dans notre Église, et réunir, au nom des intérêts religieux de Genève, toutes les forces vives qui doivent travailler à l'avancement du règne de Dieu au milieu de nous.

Le Consistoire ne peut donc avoir eu la pensée d'amoindrir l'autorité de la Compagnie des Pasteurs dans des choses qui sont si évidemment du domaine de ce dernier corps. Tout en usant des droits presque souverains que la Constitution lui donne, il s'est souvenu et se souviendra toujours que cette Constitution a été faite par des hommes hostiles à l'Église, pour ne pas dire à la Religion, et qu'elle est loin d'avoir été ni voulue ni votée, en ce qui concerne l'Église, par la majorité de la population protestante du pays. Aux yeux de l'Église, aux yeux du monde protestant, la Compagnie des Pasteurs reste et restera responsable de tout ce qui n'est pas administration proprement dite; et, en présence de cette responsabilité qu'aucune Constitution n'effacera ni même n'amoindrira, il serait profondément illogique d'ordonner ou d'exécuter, sans sa participation directe, aucune des mesures que leur nature même, le sens public et une habitude de trois siècles, placent dans ses attributions.

L'ajournement des Conférences a laissé, au commencement de l'année, dans les services du matin, douze vides qui ont dû être remplis par des prédications d'un autre genre. Elles ont emprunté aux circonstances un intérêt tout particulier, et les ecclésiastiques qui en étaient chargés ont pu s'inspirer heureusement des sentiments qui remplissaient les cœurs.

Les prières de la semaine préoccupent depuis longtemps les corps directeurs de l'Église. Ces services, qui remontent aux premiers temps de la Réformation, sont peu fréquentés. Faut-il cependant supprimer un culte qui, bien que suivi par un petit nombre de personnes, peut avoir sur celles-ci une action consolante et bénie, et leur donne l'occasion d'aller chercher dans un temple, chaque jour, le recueillement et la paix? On ne l'a pas pensé. Précédemment déjà, par quelques modifications, on avait cherché à redonner de la vie à ce culte. L'hiver dernier, les services célébrés chaque soir pendant l'absence du bataillon genevois ont momentanément remplacé les services de prières, auxquels, du reste, ils ressemblaient beaucoup; suivis par un nombreux auditoire et avec une grande assiduité, ils ont paru pouvoir être maintenus et avantageusement substitués aux anciens services de jour. Ce nouveau mode paraît, jusqu'à présent, avoir réalisé une véritable amélioration.

Un autre service, remontant également aux premiers temps de la Réformation, souffrait aussi, depuis quelques années, de cette défaveur qui s'attache, de nos jours, à tout ce qui reste immobile au milieu du mouvement général. C'était celui des Congrégations du jeudi. Il a été récemment décidé que celle de l'Auditoire resterait au jeudi matin, mais que celle du Temple-Neuf aurait lieu le soir, à la Madeleine. Ce changement paraît avoir été favorablement accueilli. On sait, que ce service a pour objet l'exposition suivie de tous les livres historiques de l'Ancien et du Nouveau-Testament. La série de ces prédications dure plusieurs années, et elles ont été, depuis trois siècles, l'occasion d'une masse énorme de travaux. Tous les pasteurs, même émérites, y sont successivement appelés, de semaine en semaine.

L'enseignement religieux n'a pas subi, cette année, de modification notable. Celui des collèges a continué sous la direction de MM. Rœhrich et Bonneton, et le dernier concours, tout en présentant des résultats assez inégaux suivant les classes, a cependant montré que cet enseignement est suivi avec intérêt par le plus grand nombre des enfants. Les divisions sont toujours au nombre de dix. La distribution des prix a eu lieu, le 26 juin, dans le temple de la Madeleine. M. Trembley-Naville, président du Consistoire, a adressé aux élèves un discours remarquablement propre à produire une sérieuse impression. Beaucoup de parents assistaient à cette cérémonie.

Dans l'école secondaire et supérieure des jeunes filles, le chapelain est M. Bonneton. Pour la première fois, le Consistoire a accordé dans cette école des prix de bonnes notes. La distribution s'en est faite, le 23 juin, dans le temple de l'Auditoire.

Dans les écoles primaires de la ville, diverses modifications ont été introduites. Le personnel de ces écoles s'était augmenté tellement qu'il avait fallu fractionner chacune d'elles en plusieurs groupes; l'enseignement religieux a dû se subdiviser en même temps que l'enseignement primaire. Mais il n'est pas aisé de l'établir avec une régularité complète dans un milieu aussi mobile que celui des écoles primaires de la ville. Il n'en est pas de même à la campagne, où les rapports de MM. les pasteurs signalent des résultats satisfaisants.

Les leçons d'été, connues sous le nom de leçons du matin, et servant d'instruction préparatoire aux jeunes filles qui vont aborder leur instruction religieuse, ont recommencé au mois d'avril. M. le pasteur Bourdillon a conservé l'école de la Rive droite; en l'absence de M. Dufour père, l'école de la Rive gauche a été tenue, l'été dernier, par M. Paul.

Un quatrième catéchisme élémentaire du dimanche aura lieu dorénavant, à neuf heures, dans le temple de l'Auditoire. M. le ministre Lecoultre en est chargé.

L'instruction des catéchumènes a continué d'être donnée par chaque pasteur dans sa paroisse, et on ne peut que s'applaudir toujours plus d'avoir étendu à la ville de Genève ce mode si conforme au système paroissial (On se rappelle que les catéchumènes de la ville étaient précédemment tous réunis dans quatre grandes classes.). Un catéchumène qui avait commencé son instruction à Genève, et l'avait brusquement interrompue pour entrer au service militaire à Rome, a senti tout à coup se réveiller ses aspirations religieuses et protestantes. Un de nos ministres, qui se trouvait à Rome, a achevé l'instruction de ce jeune homme, et a reçu du Consistoire l'autorisation de l'admettre à la Sainte-Cène. Cette réception a donc eu lieu, dans une cérémonie dont la simplicité touchante contrastait singulièrement avec la pompe des fêtes de Pâques dans la capitale du romanisme. L'Évangile rentre à Rome aussi obscurément qu'il y est entré jadis.

L'enseignement religieux est donc constitué, chez nous, de manière à suivre l'enfant dès le début de sa vie, jusqu'au moment où il est appelé à confirmer le vœu de son baptême. Depuis l'école primaire jusqu'à la préparation à la Sainte-Cène, il n'est pas un âge auquel ne soit appropriée une instruction religieuse: catéchismes du dimanche, leçons au collège, leçons du matin, écoles des diaconies, instruction religieuse proprement dite, celle qui précède l'admission à la Sainte-Cène, — voilà autant d'institutions qui accompagnent l'enfant et le jeune homme dans toutes les périodes de son développement.

Les archives de l'ancienne Société des Catéchumènes, conservées par M. le pasteur Heyer, son ancien président, ont été remises par lui au Consistoire. Elles peuvent fournir des renseignements précieux sur l'instruction religieuse à Genève depuis 1725, date de la fondation de la Société.

Le chant sacré a continué d'être l'objet de toute la sollicitude des directeurs de l'Église. L'étude en a été rendue obligatoire pour les catéchumènes, mesure à laquelle les parents ne se sont pas tous prêtés comme ils l'auraient dû. Une classe supérieure, créée pour les anciens catéchumènes et confiée à un maître éminent, M. Wehrstedt, a été mieux accueillie et paraît devoir réussir. L'état des orgues continue à laisser beaucoup à désirer. Plus on attend, plus le mal augmente, et il devient de plus en plus difficile de savoir à quoi mettre la main. Les bonnes intentions du Conseil Municipal sont paralysées par un mauvais vouloir que nous n'avons pas à qualifier ici; mais, en fût-il autrement, nous n'approuverions pas davantage un état de choses où le matériel du culte est sous l'administration d'un corps surchargé d'autres soins, corps politique, d'ailleurs, et soumis à tous les inconvénients de son origine et de son rôle.

En attendant que le goût de la musique sacrée pénètre mieux, par l'étude, dans notre population, la Société de Chant sacré continue à le populariser par ses concerts, de plus en plus goûtés; elle est d'ailleurs elle-même une école, où plus de deux cents personnes s'exercent à rendre les œuvres des grands maîtres. Elle a donné, cette année, trois concerts, dont l'un, en janvier, au profit de la souscription nationale. Elle a exécuté, dans un des deux autres, le fameux oratorio de Haëndel, Le Messie; un nombreux public l'a encouragée par sa présence, et a applaudi à son succès.

Les diaconies ont eu en mai leur septième assemblée générale. Tous les ans, à pareille époque, elles soumettent au Consistoire le résumé de leurs travaux pendant l'exercice qui vient de finir. Le rapport de cette année a montré que cette institution, désormais entrée dans nos mœurs, a triomphé des objections qui lui avaient été faites, et s'est développée d'une manière éminemment utile. C'est ce que prouvent, en particulier, les dons nombreux et parfois importants, venus de toutes les classes de la population, qui ont encouragé l'œuvre et consacré l'institution. — L'impératrice-mère de Russie, à son passage à Genève, a envoyé 2,000 francs.

Le mode d'action varie suivant chaque diaconie, et nous voyons avec plaisir que, sauf des traits généraux de ressemblance, chacune conserve cependant la physionomie du quartier qu'elle administre. Depuis un an, les cinq bureaux ont des séances périodiques sous la présidence d'un membre du Consistoire; cette nouvelle mesure a produit d'heureux résultats, en créant des relations plus étroites entre les diaconies, et en leur donnant l'occasion de discuter ensemble des questions d'utilité générale.

En ce qui concerne la distribution des aumônes, les diaconies ont usé, cette année, plus que jamais, d'une extrême réserve; et si elles ont été appelées à donner parfois des secours en argent ou en nature, la plus grande partie de leurs dépenses a porté sur des apprentissages facilités, des écolages payés, des pensions à la campagne pour enfants malades, etc. Ce sont là autant de points qui, loin d'affaiblir l'énergie et la responsabilité du pauvre, tendent, au contraire, à le moraliser en facilitant le travail pour lui et sa famille. Quant aux œuvres d'utilité publique, toutes celles que nous avions précédemment mentionnées ont continué d'occuper les diaconies. Quelques œuvres nouvelles ont été entreprises; nous citerons, entre autres, l'industrie du tressage de la paille, ressource précieuse pour certaines personnes, et l'essai d'une caisse de prévoyance pour les loyers.

La Société de Prévoyance pour l'hiver a vu le chiffre de ses membres s'élever à 1,600, et celui de ses recettes à 47,000 francs. Une autre société, ayant le même but, mais organisée sur des bases un peu différentes, fonctionne sous le patronage immédiat des diaconies de la Madeleine et du Temple-Neuf.

Celle de Saint-Gervais-Sud a réalisé une de ces idées qu'on s'étonne toujours de n'avoir pas eues plus tôt. Que chacun fouille dans ses armoires, disait la circulaire, et ce mot explique assez bien la chose; il allait droit au but, et ce but a été atteint. On a donc fouillé; on a rassemblé tout ce qu'on avait de vieux, d'inutile ou de peu utile; on l'a porté à quelques dames dévouées, qui ont occupé des ouvrières à les transformer en vêtements divers et nombreux, vendus ensuite à bon marché. C'est l'art, non seulement de faire du neuf avec du vieux, mais surtout d'employer à quelque chose ce qui ne servait à rien, de donner de l'ouvrage à des gens qui n'en avaient pas, et de procurer à d'autres ce dont, à cause du prix, elles auraient dû se passer.

La Société des Domestiques protestantes, qui compte près de 1,700 membres, a eu son assemblée générale dans le temple de Plainpalais. Le rapport annuel a constaté des progrès satisfaisants; l'œuvre religieuse s'est développée. Après avoir raconté deux morts édifiantes: «Que ce soit pour nous, a dit M. le pasteur Barde, un avertissement et une direction quant à la marche à suivre. Dieu nous a montré l'utilité d'un asile qui reçoit les sociétaires malades, d'une diaconesse qui les soigne, de pasteurs qui les visitent, de cultes qui répandent l'onction de la Parole Sainte.» M. le pasteur Germend, fondateur de l'établissement des diaconesses dans le canton de Vaud, a adressé quelques exhortations pleines de vie. «Jésus, a-t-il dit, était pauvre; mais la pauvreté n'a été qu'une des formes de son abaissement. Il a pris, nous dit saint Paul, la forme de serviteur. Il n'est pas venu, nous dit-il lui-même, pour être servi, mais pour servir. Aimez-la donc, chères sœurs, cette condition que Jésus a choisie pour lui-même. Acceptez-la de bon cœur; soyez simples et modestes. L'ouvrier est digne de son salaire, sans doute; mais gardez-vous de courir à un salaire toujours plus élevé; qu'un motif plus pur vous excite dans l'accomplissement de votre tâche. La femme, plus encore que l'homme, doit bénir Dieu lorsqu'elle est placée sous une autorité qui la dirige et la protège. Des mécomptes amers l'attendent presque toujours en dehors.»

La Société des Intérêts Protestants a continué de veiller sur les grands intérêts dont elle s'occupe. Diverses modifications se sont successivement introduites dans son régime intérieur et dans son action au-dehors. À mesure que les besoins et les événements traçaient la route, quelques œuvres se sont amoindries et d'autres se sont développées.

Mentionnons, parmi ces dernières, une école créée dans le quartier de Saint-Gervais, sur le principe d'une prépondérance sérieuse donnée à l'élément religieux. Une école semblable, en pleine prospérité, existait depuis plusieurs années dans l'autre partie de la ville; on a voulu que Saint-Gervais jouît du même avantage, et que les parents qui approuvaient le principe eussent la possibilité immédiate de l'appliquer à l'éducation de leurs enfants. Le succès, lent d'abord, est aujourd'hui assuré, et, vu le nombre des élèves, l'école va être dédoublée. Cette œuvre était appelée, évidemment, par le premier des deux grands buts que poursuit la Société, savoir, la moralisation et l'éducation religieuse de la population protestante. 

Parmi les œuvres qui se rattachent au second but, l’évangélisation des catholiques, mentionnons l'espèce de paroisse que la Société a constituée avec les 322 prosélytes et leurs familles. Il importait que ces personnes fussent plus particulièrement sous l'influence d'un pasteur, soit pour le développement de la vie chrétienne en eux, soit aussi pour l'œuvre future, que la constitution de ce noyau peut aider puissamment.

Comme les années précédentes, plusieurs paroisses de la campagne ont eu des réunions religieuses, dans lesquelles le pasteur, assisté de quelques collègues et souvent aussi de quelques laïques, rend compte à ses paroissiens des œuvres entreprises par les sociétés chrétiennes. Ces assemblées ont toujours excité un vif intérêt, et sont un symptôme heureux du développement de la vie religieuse dans nos populations rurales. Il faut que cette vie aille chercher ceux qui ne la chercheraient pas, et qui, souvent, n'y sont restés étrangers que parce qu'on ne la leur a pas présentée.

L'Église de Nîmes a de nouveau appelé un pasteur genevois à aller prêcher dans ses chaires. M. Couliri fils accomplit en ce moment même (novembre et décembre) ce ministère honorable pour notre Église et pour lui.

M le ministre Frundler, pasteur de la petite communauté protestante d'Annecy, a été reconnu en cette qualité par le gouvernement des États Sardes. Comme les curés du pays, il tient, pour sa paroisse, les registres de l'Etat-Civil, et cette position officielle a facilité sa tâche, difficile encore, cela va sans dire, et délicate. Le parti catholique, toujours puissant en Savoie, se prête peu aux tendances libérales du gouvernement central.

M. Mallet-d'Hauteville, membre du Consistoire, a représenté notre Église au Synode des Églises vaudoises du Piémont; il leur a porté le témoignage de notre affection chrétienne, et du souvenir que nous gardons de leur longue persévérance au milieu des plus terribles épreuves.

M. le pasteur Eymar a assisté, à Berlin, à l'assemblée générale de l'Alliance Évangélique. Il nous en a rendu compte dans deux réunions intéressantes.

Le projet d'un monument à Luther, dans cette ville de Worms qui le vit si courageux et si grand, ne pouvait qu'avoir notre sympathie. Le Consistoire a pris sous son patronage la souscription ouverte à Genève à cet effet.

Les Églises de la Suisse nous ont été longtemps plus étrangères, semblait-il, que celles de France, de Hollande et de quelques autres pays; nous voyons avec joie qu'il n'en est plus ainsi. Berne et Zurich, particulièrement, échangent des communications fréquentes avec nos corps ecclésiastiques. Tout récemment, le Synode de Berne a mis à leur disposition des documents nombreux sur une question importante, souvent reprise et étudiée chez nous, celle de l'administration des sacrements dans les maisons particulières.

À ces relations officielles se joignent les relations inofficielles, mais plus intimes, que la Société Pastorale établit d'année en année davantage entre les ecclésiastiques de tous les cantons protestants.

L'assemblée annuelle a eu lieu, comme nous l'avions annoncé, à Lausanne; et quoique les journaux en aient publié tous les détails, nous ne pouvons nous dispenser d'en consigner ici les principaux.

Le mardi 4 août, une première réunion familière eut lieu sur la belle terrasse de la Société de l'Arc, à Montbenon. Il y avait là, comme toujours dans les assemblées de ce genre, des hommes qui ne s'étaient pas vus depuis vingt ou trente ans, et qui, après des études faites ensemble, se retrouvaient vieillards ou presque vieillards. Les ecclésiastiques genevois, au nombre de trente-trois, étaient particulièrement heureux de rendre à leurs frères vaudois la visite que ceux-ci leur firent en si grand nombre en 1855, et les Vaudois, de leur côté, n'avaient pas oublié l'hospitalité genevoise. Le gouvernement vaudois et la municipalité de Lausanne avaient mis la plus grande bienveillance à faciliter la tâche du Comité Central. Le président de ce Comité, M. le professeur Fabre, inaugura la fête par une courte et chaleureuse allocution de bienvenue.

Le lendemain, au nombre de plus de deux cents, les pasteurs partirent de la Bibliothèque à huit heures, pour se rendre à la cathédrale. L'entrée fut émouvante. Les cloches, l'orgue, puis un beau chœur avec instruments de cuivre, saluèrent l'arrivée de la Société. M. le pasteur Vuilleumier, chargé de l'office, prononça un remarquable discours sur ces paroles de Jésus-Christ: «Je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles.» Des idées justes, une onction profondément sérieuse, captivèrent puissamment l'attention de l'auditoire. Après les dernières prières, l'assemblée entonna le célèbre choral de Luther, et ce fut encore un moment d'une émotion profonde. Les instruments de cuivre vibraient sous ces hautes voûtes avec une indicible majesté, et la magnifique mélodie apparaissait dans toute sa grandeur.

On se transporta ensuite dans la salle du Grand Conseil, mise par le gouvernement à la disposition de l'assemblée. La question à l'ordre du jour était: Le Baptême. Le rapporteur, M. le pasteur Bauty, d'Yverdon, avait à rendre compte des travaux envoyés sur ce sujet par les sections cantonales, et à formuler, en son propre nom, les idées qui serviraient ensuite de terrain à la discussion. Son rapport a duré plus de deux heures, et n'a pas lassé un seul moment. Il serait difficile d'imaginer plus de sérieux et plus d'esprit à la fois; M. Bauty a depuis longtemps fait ses preuves. Ce rapport sera publié, selon l'usage, ainsi que la discussion. Un fait cité a incidemment provoqué un assez long débat. Il s'agissait de certaines atteintes à la liberté religieuse dans un canton de la Suisse allemande, et un membre proposait un blâme contre ces mesures. L'assemblée, tout en se montrant unanime dans le sentiment de blâme qu'on lui demandait de formuler, est restée fidèle aux traditions de la Société, qui lui interdisent de voter sur tout ce qui touche aux rapports entre l'État et l'Église. Ces rapports variant d'un canton à l'autre, la Société ne pourrait, sans inconvénients très graves, s'en constituer juge.

C'est ce qu'avait rappelé, au commencement de la séance, M. le professeur Fabre, président, dans une nouvelle allocution pleine de tact, d'esprit et de cordiale chaleur.

Vers quatre heures, l'assemblée se transporta au Casino, où l'attendait le dîner. La vaste salle se trouvait à peine suffisante, car de nouveaux hôtes étaient arrivés dans la journée; mais, grâce aux dispositions prises, il n'y eut nul encombrement. Plusieurs discours ont reproduit, au dessert, sous la forme plus familière qu'autorisaient le lieu et l'occasion, les sentiments déjà exprimés la veille et le jour même. On a remarqué, entre autres, un toast de M. Fabre au gouvernement vaudois; un de M. Chapuis, vice-président, a la municipalité de Lausanne; un de M. Munier aux Vaudois et à l'hospitalité vaudoise; un de M. Hagenbach, de Bâle, à la Société Pastorale; un de M. Lagier aux vieux pasteurs, nombreux dans l'assemblée; un de M. Meystre, conseiller d'État, à l'Église et à ses ministres. Ce dernier toast, ou plutôt ce dernier discours, a produit une vive impression. L'orateur a envisagé l'Église et l'État, non dans leurs rapports discutables, mais dans leurs rapports moraux et civilisateurs. Il a montré la nationalité vaudoise existant et se formant dans l'Église, deux siècles et demi avant de pouvoir exister politiquement et civilement; malgré la domination bernoise, le Pays de Vaud avait son Église, dominée, sans doute, mais debout, respectée, refuge de beaucoup de belles intelligences et pépinière de citoyens. «Tout a changé dans le monde, a dit M. Meystre, et tout peut changer encore; mais, à travers les révolutions et les siècles, un homme ne change pas. C'est celui que nous retrouvons toujours au chevet du malade, sous le toit du pauvre et de l'affligé; c'est celui qui aime le peuple, et que le peuple aime, parce qu'il s'en voit aimé, aimé par devoir, par dévouement, aimé par des principes supérieurs à toutes les querelles de la terre. Cet homme, c'est le pasteur.» Félicitons M. Meystre de s'être élevé si bien lui-même au-dessus des passions vulgaires, et d'avoir tenu un langage qui ressemble si peu à ce qu'on entend souvent ailleurs.

Une promenade au bois de Sauvabelin devait terminer la journée. La pluie ne le permit pas; mais la joie de la voir venir, après une si longue sécheresse, compensa amplement la perte du plaisir qu'on s'était promis, et on la salua comme une bénédiction de plus sur ce jour déjà béni.

Le lendemain, nouvelle séance. Le rapporteur, choisi par le Comité Central, était M. le professeur Munier, président de la Société en 1855, lors de la réunion à Genève. La question était celle-ci:

«Quelles sont les causes des divisions entre les chrétiens? Comment faut-il les envisager? Comment faut-il se conduire en présence de ces divisions?»

Ce sujet avait excité des craintes. L'union n'a rien à gagner, se disait-t-on, à l'examen des causes qui ont pu la rompre, surtout lorsqu'elle est en train de faire, comme c'est le cas aujourd'hui, de si réjouissants progrès. Laissez faire les cœurs, et ne mêlez pas à leur œuvre les spéculations toujours plus ou moins dissolvantes de l'esprit.

Le rapport de M. Munier a dissipé ces craintes, car jamais le cœur et l'esprit n'ont été mieux unis, Toute analyse de ce travail nous mènerait beaucoup trop loin; nous ne pouvons ici que constater le succès qu'il a eu. Les pasteurs d'Églises séparées l'ont accueilli avec le même enthousiasme que ceux des Églises nationales. L'assemblée, aux derniers mots, s'est levée tout entière dans une émotion profonde, et M. le pasteur Chapuis, de l'Église libre de Lausanne, a exprimé, dans une fervente prière, les impressions et la joie de tous. Aucune discussion n'a eu lieu ni n'était possible. Les orateurs n'ont fait que déclarer leur adhésion; M. Haller, de Berne, a parlé avec une haute éloquence.

Après avoir voté sur quelques affaires courantes, on se rendit au Casino. Les discours, au dîner, se sont naturellement empreints des émotions de la matinée. M. Munier porta la santé du Comité Central. M. Le Fort, dans un toast religieusement patriotique, rappela les bénédictions de Dieu sur la Suisse, dans les temps passés et cette année même. MM. Henriod (de Neuchâtel) et Archinard (de Genève) ont chaleureusement et pittoresquement reproduit le sujet du jour, l'union. Quelques vers de M. Rœhrich, pleins d'esprit et de grâce, ont été fort applaudis. M. Gaberel a relevé l'assertion trop modeste d'un orateur vaudois, que le pays de Vaud avait été pour peu de chose dans l'histoire de la Réformation; il a montré l'Évangile établi ou presque établi dans la contrée longtemps avant que les armes bernoises en eussent amené l'établissement officiel.

Après d'autres toasts de MM. Lagier, Archinard (de Saint-Cierge), Chavannes et Pasquet, est venu M. Legrand, de Bâle, l'homme de toutes les belles et saintes œuvres, et, en outre, un des plus spirituels vieillards qui se puissent voir. Il a demandé une quête pour les vallées vaudoises du Piémont, ravagées par la grêle, et cette quête a eu lieu aussitôt, Mais un autre vieillard a surtout ému l'assemblée. Répondant au toast du jour précédent, M. le professeur Cellérier, au nom des vieillards, s'est adressé aux plus jeunes, et, avec cette jeunesse du cœur qui reverdit perpétuellement en lui, il a éloquemment légué aux hommes de l'avenir les bénédictions et les vœux des hommes du passé. M. Cellérier avait clos, par une admirable prière, la séance du matin; il a également clos, par ce discours, le dernier repas de la session, et des larmes dans tous les yeux lui ont assez dit comment on l'avait écouté.

Terminons.

Malgré les réjouissants progrès qui s'accomplissent et que nous venons d'enregistrer, malgré l'accueil que toute pensée chrétienne et toute œuvre chrétienne sont sûres de rencontrer auprès d'un nombre encore grand de nos concitoyens, et même d'un nombre croissant, — nous ne saurions nous dissimuler, d'autre part, les progrès que font en même temps, chez d'autres, l'indifférence et même l'hostilité. Au milieu de l'affaissement moral qui est un des caractères les plus marqués de notre époque, Genève peut encore se glorifier, devant les hommes, de l'avoir moins subi que d'autres peuples; mais, devant Dieu, devant son grave et glorieux passé, elle ne peut que s'humilier et s'effrayer.

Comment ne pas voir, en effet, de combien d'envahissements l'envahissement catholique se complique? Les étrangers qui nous sont le moins hostiles au point de vue protestant nous apportent cependant, trop souvent, des habitudes, des mœurs, des idées, dont nous avons tout à craindre au point de vue religieux. Apôtres du matérialisme, ils le prêchent, les uns, par le culte absolu des intérêts matériels, les autres, plus directement, par des systèmes subversifs de toute religion et de toute moralité.

Envahie donc par une foule étrangère à ses croyances, à ses mœurs, à son histoire, transformée de plus en plus en une grande ville, dans le mauvais sens de ce mot en même temps que dans le bon, notre Genève est entraînée à accepter peu à peu tout ce qu'elle aurait proscrit jadis, tout ce qui contribue à lui ôter sa vieille physionomie protestante, c'est-à-dire, chrétienne. Voyez, comme symbole de cet état de choses, les progrès que fait l'inobservation du dimanche. Aux portes d'un grand pays où le dimanche, dans les villes, n'existe à peu près plus, une portion considérable de notre population industrielle s'achemine à l'oubli complet du jour du Seigneur. «Nous n'avons pu être indifférents, nous dit le rapport du Consistoire, à ce qui se passait dans les chantiers du chemin de fer de Genève à Lyon. Rien ne distinguait le dimanche des autres jours de la semaine; aux abords de la ville comme en rase campagne, à toutes les heures du jour, même activité, même travail, même bruit. Ne devions-nous pas redouter qu'il n'en résultât une influence fatale sur notre population, et un exemple déplorable pour beaucoup de nos compatriotes, enclins à agir de même? Le Consistoire a cru qu'il rentrait dans son mandat d'adresser quelques représentations à l'administration du chemin de fer. Il n'a eu qu'à se louer de la forme pleine d'égards dans laquelle il lui a été répondu, bien qu'au fond l'administration cherchât à lui faire comprendre que les termes dans lesquels avaient été passés les marchés avec les entrepreneurs, ne permettaient pas de leur imposer de nouvelles conditions. Elle a cependant fait suspendre les travaux pendant l'heure du service divin, et nous a donné l'assurance que, le chemin une fois fini, elle mettrait en vigueur, dans ses gares, le règlement adopté dans d'autres administrations du même genre, à la tête desquelles se trouve notre honorable compatriote M. Bartholony. Le Consistoire a dû se contenter du peu qu'il avait obtenu, et se borner à faire des vœux pour que, les travaux de construction une fois terminés, nous voyions, le plus tôt possible, mettre en activité des dispositions qui sauvegardent le respect du jour du Seigneur. Le Consistoire sera heureux si les démarches qu'il a faites contribuent à diminuer un mal qui avait laissé de pénibles impressions chez un grand nombre de nos concitoyens.»

Le temps n'est plus où le Consistoire intervenait, de droit, dans tous les actes de l'administration publique, censurant avec une égale liberté magistrats et citoyens, rappelant les uns et les autres au respect des lois violées, soit divines, soit humaines. Nous ne pouvons regretter pour lui un pouvoir qui n'aboutirait, de nos jours, qu'à soulever des animosités contre lui, contre l'Église, contre le christianisme; mais il n'aurait, du reste, que trop d'occasions de l'exercer. Il faut donc que l'Église entière se fasse Consistoire, et que l'opinion publique, l'opinion chrétienne, apprenne à flétrir énergiquement tout ce qui n'est pas droit, tout ce qui n'est pas bien, tout ce qui démoralise, tout ce qui tend à démoraliser. Il ne faut pas qu'un grand scandale cesse de la scandaliser, parce qu'il sera passé à l'état de fait accompli; il ne faut pas, par exemple, qu'une maison de jeu puisse espérer qu'en bravant quelques premiers cris, et en restant effrontément ouverte, elle lassera l'indignation et finira par faire en paix son infâme métier. Si les lois humaines, qui la condamnent (Code pénal, article 410. «Ceux qui auront tenu une maison de jeux de hasard et y auront admis le public, soit librement, soit sur la présentation des intéressés ou affiliés, les banquiers de cette maison, tous administrateurs, préposés ou agents, seront punis d'un emprisonnement de deux mois au moins, et d'une amende de cent francs à six mille francs.»), sont forcées de se taire, que l'autre loi parle d'autant plus haut, que chacun s'en fasse l'organe, et que l'impunité ne soit jamais acquise au mal. Sachons aussi ne pas garder toute notre indignation pour tel ou tel scandale plus en vue; les plus grands ne sont devenus possibles que parce qu'on a été trop indulgent pour de plus petits et de plus cachés. Sachons, enfin, ne pas être contents de nous, de notre vertu, parce que la vue du mal nous aura fait de la peine, parce que nous en aurons gémi tout bas. C'est tout haut que le chrétien doit gémir, doit s'indigner, doit parler; une indignation qui se tait, devient complice du scandale. Le christianisme est encore et sera toujours, croyez-le bien, l'épée de Dieu; malheur au bras timide qui n'ose pas s'en armer contre le mal!

Une page a été ajoutée, cette année, à l'histoire de nos délivrances. Ce que la patrie menacée a obtenu de nous si facilement et si vite, il faut, — et c'est là le plus grand des enseignements à recueillir de cette solennelle crise, — il faut que nous arrivions à nous sentir tenus de le reporter en plein sur la patrie d'en-haut; ce dévouement, qui était prêt, qui ne calculait plus, et qui, par la bonté de Dieu, n'a eu à se dépenser qu'en si faible partie, pourquoi quelqu'un n'en hériterait-il pas, et pourquoi ce quelqu'un ne serait-il pas notre Dieu?

Quand les événements de cette année ne devraient nous parler que par leur côté le plus grossier, le plus matériel, voici ce qu'ils nous diraient encore:

Vous étiez résignés, pour le salut de la patrie, à toutes les pertes d'argent que la guerre amènerait; vous aviez, en particulier, pourvu d'avance aux besoins des familles momentanément privées de leurs soutiens. Ces sommes que vous auriez doublées, triplées, s'il l'eût fallu, vous n'avez eu à en livrer qu'une partie, qu'une faible partie. Le reste est dans vos bourses. Qu'en ferez-vous? Ce reste est à Dieu, sachez-le bien, car vous le lui aviez donné dans la personne de vos concitoyens souffrants. Le reprendre, ce serait un de ces regards en arrière dont il est écrit qu'ils ferment le ciel; et quand il y a autour de vous, non seulement tant de misères, mais tant d'œuvres chrétiennes dont le développement importe à la prospérité et à l'existence même de votre patrie religieuse, — voilà les héritiers naturels et légitimes de tout ce que vous n'avez pas eu à dépenser pour la patrie politique.

Mais laissons ce côté des choses. L'argent seul, ce ne serait encore rien, rien qu'une erreur de plus peut-être, si nous allions, en le livrant, nous figurer que nous voilà quittes envers Dieu.

Pères, mères, Dieu vous a rendu vos enfants. Rappelez-vous qu'avant d'être à vous, ils sont à lui et que le premier devoir imposé à votre amour par le bonheur de les avoir vus revenir, c'est de leur apprendre à être véritablement à lui.

Et vous, que Dieu a rendus aux prières qui s'élevaient du foyer paternel, écoutez. Cette vie que vous étiez prêts à donner et que Dieu vous a conservée, il vous la redemande, et c'est encore au nom de la patrie. Il est des intérêts plus hauts que ceux que vous étiez allés défendre; il est un dévouement auquel l'enfant de Genève n'est pas tenu de loin en loin, dans des occasions exceptionnelles, mais tous les jours et à tous les moments, dans sa vie privée comme dans sa vie publique, dans ses travaux, dans ses relations domestiques, partout. Vos pères n'ont pas été grands parce qu'ils savaient, au besoin, courir aux remparts ou aux frontières, mais parce que ce courage accidentel n'était qu'une des formes de ce courage permanent dont la source était dans la foi; le dévouement à la patrie ne fut longtemps, chez nous, que le dévouement à Jésus-Christ. Voulons-nous séparer ce que nos pères ont uni? Puisse, puisse plutôt le dévouement à la patrie n'avoir été, pour nous, qu'un apprentissage nouveau de ce qui fit leur force et leur grandeur!


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