Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

I

DECOUVRIR LES TRESORS

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Je te donnerai des trésors cachés.

(Ésaïe 45. 5)


I

Le second Ésaïe annonce à Israël captif en Babylonie que Dieu va lui susciter un Sauveur en la personne de Cyrus. Ce roi de Perse va connaître l'heure des plus splendides triomphes. Il s'emparera de l'opulente capitale, cité des jardins suspendus et des temples fabuleux, métropole commerciale de l'Orient. L'Éternel, par la voix du prophète, salue l'entrée du conquérant victorieux : Je marcherai devant toi, j'aplanirai les chemins montueux, je romprai les portes d'airain, je briserai les verrous de fer, je te donnerai des trésors cachés, des richesses enfouies, afin que tu saches que je suis l'Eternel qui t'appelle par ton nom. En réalité ce monarque païen, d'ailleurs noble et généreux, ne s'est point converti au Dieu de Moïse, mais l'histoire nous confirme bien la splendeur de ses victoires ; il se serait emparé à Babylone de quelque trois milliards de francs, au dire d'anciens chroniqueurs.

Chrétiens, vous êtes appelés à une autre conquête que celle-là, à la conquête de la Vie. Dieu vous confirmera la vérité de votre vocation, en ouvrant devant vous les portes de la vie belle, abondante, enrichie des trésors cachés que le Sauveur découvre aux yeux de ceux qui croient.

Celui qui découvre des trésors c'est celui qui a été préparé par une initiation à cette découverte.

Le cas du laboureur (Matth., XIII, 44.) qui remue la terre, et dont la pioche heurte par hasard quelque coffret précieux, enterré, peut-être en temps de guerre, et qui contient une fortune, ne constitue qu'une rare exception. Il faut apprendre à découvrir les trésors cachés.

Par une belle journée de printemps vous vous promenez à travers la campagne fleurie ; et certes vous n'êtes point insensibles à la beauté sereine, à la pure fraîcheur dans laquelle la terre semble baignée. Mais voici qu'à côté de vous chemine le botaniste ; il découvre, lui, dans les secrets des corolles et dans la variété des floraisons, des richesses que vous ne soupçonniez pas ; il s'arrête devant la plante rare qui surgit dans le gazon. C'est un initié qui est préparé à déchiffrer le langage multiple de la vie végétale.

Avez-vous comme compagnon de route un artiste ! Alors que vous avancez heureux, mais inattentifs, vous le voyez s'arrêter soudain Pour contempler... quoi ? une merveille inouïe, un spectacle inédit ? Non pas, mais tout simplement l'arbre dont la forme harmonieuse le frappe, ou les jeux de l'ombre et de la lumière sur le mur usé d'une chaumière décrépite. Il est initié à saisir ce qui vous échappait, les richesses infinies des nuances et des formes.

Un paysan vous reçoit sur le seuil de sa ferme. Son regard interroge tour à tour le sol et l'horizon. Il calcule le temps qu'il faudra encore pour que lève la semence, ou mûrisse le fruit; il compare l'état de son champ avec celui des champs voisins. Il a été initié aux mystères de la terre productrice.

Tous trois, le savant, le peintre et le laboureur contemplent cette même nature avec un regard identique et différent ; tous trois, chacun à sa manière, y lisent un langage que vous ne comprenez qu'à peine ; tous trois découvrent des trésors cachés.

Il en est de même du voyage de la vie ; pour découvrir des trésors, vous avez besoin d'être préparés. Devenir chrétien, c'est s'initier à cette découverte. Et puisque, dans la pensée de Jésus, il s'agit avant tout d'une initiation du cœur, l'enrichissement qu'elle promet est offert à tous, sans distinction. Tandis que bien des trésors d'ici-bas ne sont accessibles qu'à certains, voici que s'ouvre, avec l'Evangile, la voie royale sur laquelle toute existence humaine peut être assurée de trouver un enrichissement, auquel nul autre ne saurait être comparé. Car ici c'est Dieu même qui vient vous dire : Je te donnerai des trésors cachés.


Il

Quels sont donc ces trésors? Demandons à Jésus ce qui a fait la beauté de sa vie.

Regardez tout d'abord Jésus en face de l'existence, de cette existence humaine faite pour lui aussi (songez à sa carrière obscure dans l'atelier de Nazareth comme à la brève période de son action publique) de la succession monotone des jours et des heures, du rythme alterné des peines, et des joies.

Jésus a cru au trésor des heures. Jacob le patriarche distinguait de loin en loin, dans sa carrière, des heures spéciales et privilégiées qui lui avaient apporté quelque révélation de Dieu, et dont les dates mémorables dominaient la brume du passé. Un matin, au réveil, il retrouve le rêve qui avait visité son sommeil. Une échelle était dressée, s'élevant de la terre au ciel ; et il s'écrie, troublé : Dieu était en ce lieu, et moi, je ne le savais pas (Genèse, XXVIII, 16.) Jésus n'a jamais dit cela, parce que chaque heure lui manifestait à nouveau la perpétuelle présence du Père.

Ses paraboles nous apportent les pures intuitions d'une âme toute imprégnée de Dieu ; il découvre dans le travail du paysan ou du pêcheur, dans l'oiseau et dans la fleur, dans la vigne et dans la semence, un trésor secret: la voix de l'Eternel, traduite dans la langue de tous les jours, et interprétée par le langage même des choses muettes.

Celui qui a dit : A chaque jour suffit sa peine a eu aussi cette pensée : Si chaque heure est assez chargée de soucis pour que nous n'alourdissions pas notre marche en nous chargeant du poids de l'avenir, chaque heure est aussi assez lourde de beauté et de signification pour que nous la saluions au passage comme une messagère de Dieu! Et cela, Jésus l'a éprouvé, non pas parce qu'il a cherché dans les fantaisies de son imagination un refuge contre la dure réalité. Il l'a pu sentir en pleine bataille, face à l'ennemi, face au péché, face à la mort. La confiance qui l'anime est telle qu'il discerne des richesses secrètes, jusque dans l'heure qui semble fatale. Maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je ? Père, délivre moi de cette heure ? Mais c'est pour cela que je suis arrivé à cette heure. Père, glorifie ton nom (Jean, XII, 27.) ! Jésus va au devant de toutes les heures, claires ou sombres, convaincu que chacune a son sens divin. Son inaltérable foi dans la Providence le situe tout à l'opposé des désabusés et des blasés. Avec une fraîcheur d'âme toujours nouvelle il entend le Père lui dire constamment, et jusqu'à l'aurore ,de la Passion : Je vais te donner de nouveaux trésors!

Dans notre monde actuel l'amour de la vie semble parfois s'effondrer, parce que cet amour ne peut s'affirmer et persister que chez celui qui a salué derrière la vie un Dieu qui la domine et la dirige.

Vous avez peur de la vie, et -vous avez raison d'avoir peur, s'il n'est vraiment hors de vous et de votre faible volonté que les puissances aveugles d'un monde voué au désordre et à la haine. Vous vous résignez à la vie, et quelle autre attitude prendre, si elle vous impose des devoirs austères et des épreuves cruelles, et si vous vous refusez à croire que ces devoirs et ces épreuves puissent avoir un sens, un résultat, une portée dans l'invisible? Vous vous ennuyez dans une vie tissée dans un réseau d'heures insignifiantes et de tâches médiocres. Ne comprenez-vous pas qu'il appartient à votre foi d'imprimer à votre existence sa direction et sa grandeur ? L'extraordinaire chrétien ne s'épanouit pas toujours dans les événements uniques ou dramatiques ; il s'affirme aussi dans le cadre des plus ordinaires circonstances. «Jésus-Christ rencontre sur sa route une troupe d'enfants, une femme adultère, la Samaritaine ; et trois fois de suite, l'humanité monte à la hauteur de Dieu (MALTEBLINCK, La Sagesse et la Destinée.)».

Sans prétendre donner à nos humbles vies une grandeur qu'elles ne sauraient avoir, il nous faut avouer que nous méprisons trop souvent les heures que Dieu nous donne. Soyons plus reconnaissants aux jours de paisible bonheur, plus confiants aux jours de lutte et d'ombre ; et par la foi au Dieu de l'Evangile, notre vie découvrira ces mille trésors cachés, auprès desquels nous passons en aveugles indifférents.


III

Dans le cadre universel de la vie, je dessine maintenant un cadre plus étroit, celui de la vie sociale. Vous avez admiré Jésus en face de la nature et de la vie ; regardez Jésus en face des âmes. C'est là qu'il apparaît le plus grand.

Voyez Jésus, l'ami, vis à vis des esprits frustes des disciples, toujours prêts à lui poser des questions sottes ou enfantines: «Montre-nous Dieu!» «Qui de nous est le plus grand ?» Ces âmes sont des chambres encore fermées où reposent des richesses. Oui, il y a des trésors cachés chez Pierre, chez Jean, chez tous les autres. On peut parler de la solitude qu'éprouva le Christ, même au sein du cercle de ces intimes, dont nul ne sut vraiment le comprendre. Mais il faut dire aussi la joie de Jésus, lorsqu'il voit, sous les rayons de son amour, éclore dans ces cœurs la foi naissante, germe de ce qui sera demain la foi triomphante des apôtres, vainqueurs d'un monde aboli. Oh ! l'allégresse de Jésus lorsque Pierre lui déclare, sur le chemin de Césarée: «Tu es le Christ!» Oh! l'éclair de réconfort dans son regard mourant, quand du haut de la croix, son regard ultime se pose sur Jean et Marie ! S'il a consacré tant d'efforts, de prières, de larmes, à l'éducation de ce petit troupeau, c'est qu'il découvre dans les siens des trésors cachés ; il les regarde en Dieu, et il regarde Dieu en eux.

Voyez Jésus, le Sauveur des perdus. Il y a un trésor dans tout enfant de Dieu, et une âme est toujours une âme. Qu'on la lui amène cette âme de misère sur qui le monde a prononcé l'impitoyable verdict: «Incurable! Perdue !» Jésus contemple cette âme longuement, cette âme enfouie sous l'encombrement des égoïsmes et des passions, cette âme souillée par le sordide vêtement de l'impureté. Et Jésus fouille cette âme, la pénètre, l'aime et l'enveloppe de sa forte tendresse jusqu'à ce qu'apparaisse le trésor. C'est un cri de détresse, un sanglot de repentir, un regard qui supplie: « Sauve! Pardonne! Aie pitié ! Augmente ma foi !» Et c'est la réponse divine: «Va en paix, âme ressuscitée, sortie du sépulcre à l'appel de ton Sauveur !»

Les trésors enfouis dans les âmes de nos frères, l'Esprit de Dieu peut les découvrir aux yeux de notre foi ; il peut les faire émerger de l'ombre à l'appel de notre amour. Sachez aimer, comme saint Paul aimait ses amis de Philippes, avec la tendresse de Jésus-Christ, (Phil. 1. 8.) apprenez à regarder les âmes, avec le regard du Sauveur, et vous découvrirez les trésors cachés.

Des trésors cachés! Savez-vous, parents, les chercher dans vos enfants (les premières âmes dont Dieu vous demandera compte) et les chercher derrière les défauts, les réserves, les indifférences qui parfois vous découragent et vous persuadent que vous ne pouvez rien pour eux, au delà des soins que réclame leur santé, et des soucis que vous impose leur éducation professionnelle! Qu'elle est grande pourtant la récompense, immédiate et terrestre, des parents qui ont compris que leur devoir le plus urgent était de découvrir et de cultiver dans leur enfant, l'image de Dieu imprimée dans son âme !

Des trésors cachés ! Jeunes qui êtes à l'âge des amitiés ferventes, savez-vous le prix de l'amitié chrétienne, de ce lien précieux par lequel des âmes se rapprochent non pas pour partager quelque plaisirs, souvent douteux et toujours superficiels, mais bien pour mettre ensemble ce qu'ils ont de meilleur, pour s'encourager mutuellement à résister, à croire et à prier ?

Des trésors cachés ! Chrétiens, qui vous réclamez du Bon Samaritain, comment hésiteriez-vous à vous intéresser, tous, à ce qui se fait, au près et au loin, pour le relèvement des tombés, pour la restauration de ces personnalités vaincues par le paganisme, ou par les crimes collectifs de notre civilisation, la misère, la débauche et l'alcool ! Mais ces relèvements mêmes sont la perpétuelle illustration de l'Evangile, la séculaire démonstration du pouvoir du grand médecin des âmes.

Entrez dans ce travail sacré, et vous retrouverez la réelle communion avec Jésus ; vous le sentirez vivre en vous, prêt à faire sauter les verrous des captifs pour aller chercher, jusque dans la boue de l'humanité déchue, les diamants de sa couronne ! Votre cœur n'est-il pas ému à la pensée de tous ces trésors méconnus qui tout près de vous, dans vos cités, dans vos foyers peut-être, aussi bien que sur les terres lointaines, attendent que vienne les découvrir le conquérant qui puisse les rendre à leur vrai possesseur? Car ils appartiennent à Dieu, à ce Dieu dont l'infinie richesse doit être un jour glorifiée encore par la restitution des drachmes perdues, par la découverte des trésors égarés dans la poussière du monde. Croyez à ces trésors cachés. Y croire, c'est se préparer à les retrouver.


IV

Pénétrons dans un troisième cercle, celui de la vie intérieure, celui où tu te retrouves seul avec toi même, avec toi-même et avec ton Dieu. Rentrer en soi-même, pour n'y trouver que soi, sans éprouver le frémissement d'une présence invisible et sainte, cela n'a rien de réconfortant. Si tant d'hommes redoutent la méditation et le silence, c'est qu'ils ont perdu le sentiment du Dieu intérieur. Il leur semble qu'au moment où s'arrête l'effort du travail, et où s'éteignent les rumeurs du monde et le bruit des plaisirs, il ne reste que le vide. Jésus, tout au contraire pensait que cet instant-là était celui de la plénitude, puisqu'il devenait celui de l'entretien intime, nécessaire et bienfaisant, entre le Père et l'enfant, puisqu'il offrait à l'âme recueillie le retour à sa source.

Saint Paul dit : Votre vie est cachée avec Christ en Dieu (Col. III. 4.). Les œuvres de la charité et de la foi ne lui paraissent possibles que parce qu'est possible la prière. Et voilà le trésor, le plus méconnu du monde, celui de la rencontre personnelle avec Dieu. Il en est de Dieu, principe premier de notre béatitude, comme du bonheur en général. Beaucoup vont le chercher très loin : «Là-bas, là-bas !, courons vite vers le bonheur !» alors qu'il est tout proche, à la portée de leur main. Dieu n'est pas loin ; il demeure au fond de ton âme.

Dans nos existences contemporaines, où le travail et le plaisir dévorent tout le reste, vous risquez de perdre les seules clefs qui vous permettraient de pénétrer dans la chambre secrète où votre Dieu vous attend.

Serai-je surpris d'entendre des gens me dire j'ai couru partout, visité cent églises et vingt sectes, lu tant et tant de livres, pesé, toutes les opinions, et je n'ai pas encore trouvé Dieu! Je n'en suis point étonné. On peut trouver Dieu dans l'humanité, dans l'Église, dans la nature, et dans les livres, sans doute ; mais à une condition, c'est qu'on l'ait d'abord trouvé à l'intérieur de son âme.

Hors de nous, mille choses nous le montrent, mais mille choses nous le dérobent, et son langage ne nous parvient que déformé par tous les prismes des erreurs humaines et des opinions changeantes.

Si Jésus a vu Dieu dans la nature, cette nature si riche en beauté, mais si féconde aussi en mystères troublants, c'est qu'il portait en lui la certitude d'un Dieu qui lui avait dit son amour et dont il se sentait intérieurement enveloppé. Si Jésus a trouvé Dieu dans les hommes, ces hommes, si magnifiquement dotés par le Créateur, mais si cruellement déformés par le mal, et si voisins parfois de l'animalité brutale, c'est qu'il avait trouvé en lui, la révélation d'un amour divin qui veut la rédemption de la créature perdue.

Rien ne prouve Dieu à qui n'a jamais connu l'évidence du contact intérieur, l'atmosphère de la prière dans laquelle les voiles se déchirent pour laisser resplendir ce premier trésor, le Dieu qui réside en nous ! C'est en vous que l'Eternel vous donne tout d'abord rendez-vous. C'est votre âme qui doit être ce miroir où Dieu vous révèle et l'image de votre misère, et l'image radieuse des trésors d'amour et de foi, que sa bonté vous offre.

Quelle joie, lorsqu'une âme qui se croyait pauvre, dépourvue et vaincue, découvre en rentrant en elle-même, l'incomparable richesse que Dieu accorde à son repentir et à sa prière ! De cette âme jaillit alors un cri de victoire. Ce cri fait écho à celui de l'apôtre, méprisé et persécuté, qui peut en écrivant à ses amis leur dire et se répéter à lui même : Nous sommes pauvres et nous en enrichissons plusieurs. Nous ne sommes que des vases de terre, mais nous portons le trésor divin (Il Cor. IV. 7 ; VI. 10.)!

Les voilà évoqués devant vous, les trésors que le Christ a conquis pour nous dans la grande Babylone de la vie humaine. A, qui en a contemplé les splendeurs, toute autre gloire semble misérable. Nul sacrifice n'est trop grand pour nous permettre de connaître, dès aujourd'hui, avec le Christ, la divine beauté des choses et des êtres, les trésors enfouis dans les âmes de nos frères et dans notre propre coeur.

Aujourd'hui, l'éclat de ces trésors ne brille pas aux yeux du monde. Mais au jour où le soleil de Dieu fera rentrer dans la nuit toutes les clartés prétentieuses qui éclairent toutes les richesses illusoires, ce sont eux seuls, les trésors cachés que le Christ nous a rendus, dont l'éclat impérissable illuminera l'éternité!

1921-1927.


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