Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA VIE EN CHRIST

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Ce n'est plus moi qui vit, mais c'est Christ qui vit en moi.
(Épître aux Galates, chap. II, 20.)

CHRÉTIENS, BIEN-AIMÉS FRÈRES EN JÉSUS-CHRIST NOTRE SEIGNEUR !
Nous approchons du terme, et nous entrons aujourd'hui plus avant dans le sanctuaire chrétien. Dois-je craindre de vous intéresser moins parce que j'aurai moins à vous parler des choses de la terre et des questions de la terre ?
Cette crainte, quand je l'aurais, ne m'arrêterait pas ; je dois, avant tout, remplir ma tâche, et, si ce sont des hommes qui m'ont appelé ici, c'est la voix de mon Maître que j'ai entendue dans la leur. Mais je ne l’ai pas, cette crainte ; je ne veux pas l'avoir.
Vous m'avezécouté ; vous m'écouterez encore, car j'ai à compléter, à résumer tout ce que je vous ai dit.
Ce résumé, je l'ai trouvé tout fait dans les paroles que vous venez d'entendre, et je viens vous demander si c'est là votre profession de foi.
Commençons donc par en fixer le sens.

Vous avez là l'énoncé d'un grand fait, souvent oublié ou méconnu : c'est que le Christianisme n'est pas une doctrine seulement, mais une vie ; que Jésus-Christ n'est pas seulement un maître à écouter, un chef à suivre, mais un être en qui et par qui nous devons vivre.

Reprenez les paroles de saint Paul, et cette idée vous apparaîtra clairement. Cela vu, suivez-le dans les conséquences qu'il en tire.
« Ce n'est plus moi qui vis, » vous dit-il.
Ce n'est plus moi. Il y a donc eu un temps où c'était lui qui vivait, lui, l'homme, le vieil homme, et, ce temps, il le considère évidemment comme un temps où il ne vivait pas, où sa vie n'était pas véritablement la vie.

Première conséquence : Si je ne vis que de ma propre vie, j'ai beau être vivant aux yeux des hommes, jouer même un grand rôle, contribuer aux progrès de la civilisation, régner par le génie sur les événements ou les idées, devant Dieu, je ne vis pas ; je suis mort.
« Mais, ajoute l'apôtre, c'est Christ qui vit en moi. »
Donc, dès ce monde, une autre vie est possible, et, celle-là, c'est la vraie.

Deuxième conséquence : Si je veux pouvoir dire, mais chrétiennement et tout de bon, que je vis, il faut que ce soit Christ qui vive en moi.

Voilà, mes Frères, ce que je viens vous dire, ce que vous vous direz vous-mêmes si Dieu me donne de ne pas vous parler en vain. Vous le voyez : il ne s'agit pas ici de reconnaître vaguement que nous ne sommes pas tout ce que nous devrions être, que nous ne vivons pas en parfaits disciples du Christ ; aveu qui ne coûte rien, mais aussi qui ne mène à rien, aveu qui pourrait ne servir qu'à nous inspirer la fausse paix d'une humilité pleine d'orgueil.
Il faut, puisque Dieu nous a donné d'étudier sérieusement les abords de la question, que nous nous placions maintenant en face de tout l'amour dont il a aimé le monde quand il donna son Fils au monde ; il faut que nous arrivions à bien comprendre, non seulement ce qu'il a entendu lui donner en le lui donnant, mais ce que nous avons, nous, à recevoir en le recevant.
Je dis nous, chacun de nous, et vous vous rappelez que c'est une des idées sur lesquelles j'insistai le plus en commençant. N'adhérer au Christianisme, vous disais-je, que comme à une puissance sociale, c'est en méconnaître l'essence ; c'est aussi le placer, par cela même, en dehors des véritables conditions de sa force.
Son règne dans le monde ne peut avoir réellement pour base que son règne dans les âmes, dans les âmes une à une, et, l'idéal de son règne dans une âme, c'est cette vie en Christ dont je viens vous entretenir. La question se concentre ; n'allez pas dire qu'elle se rapetisse, car ce serait montrer qu'elle vous échappe encore dans ses éléments essentiels. Dites, au contraire, qu'elle arrive à ses véritables termes, à sa véritable hauteur, et puissions-nous, avant de nous séparer, le comprendre de mieux en mieux !

Sous cette belle expression de saint Paul : « Ce n'est plus moi qui vis, » il y a, mes Frères ;
une idée toute simple, tout ordinaire, dont l'apôtre s'est emparé et q\1'il n'a fait qu'agrandir.
Dans toutes les langues, en effet, dans tous les temps, pour exprimer soit un état d'agitation, d'angoisse, de longue et douloureuse attente, soit l'absence de quelque élément important de progrès ou de bonheur, toujours et partout, dis-je, on s'est servi de ce mot : « Ne pas vivre. »
S'agit-il d'un événement quelconque dont l'issue, longtemps douteuse, vous intéressait vivement ou péniblement : « Je ne vivais pas, » dites-vous, et tout le monde vous comprend.
S'agit-il de quelque grand et heureux changement survenu dans votre existence ?
Une source de joies et d'affections nouvelles vient-elle de s'ouvrir pour vous ?
Si vous voulez peindre d'un seul mot ce qu'est maintenant à vos yeux l'époque antérieure, ce que votre vie d'alors vous paraît avoir eu d'incomplet et de misérable, vous direz encore : « Je ne vivais pas. » Peut-être étiez-vous resté des années sans vous trouver malheureux, sans vous douter de ce qui vous manquait. N'importe ! Ce demi-bonheur, ce demi-développement qui vous suffisait alors, vous ne comprenez plus qu'i l'ait pu jamais vous suffire, et il vous semble, enfin, n'avoir commencé à vivre que du moment où un monde nouveau s'ouvrit à vous.

Eh bien ! ce sentiment que nous avons tous éprouvé, tous exprimé, plus ou moins, dans le cours de nos affections ou de nos affaires terrestres, c'est celui que vous retrouvez dans une âme où les joies de la piété viennent de succéder aux joies du monde, la paix en Dieu à la fausse paix du monde, la vie en Christ à cette fièvre ou à cette torpeur que le monde appelle la vie.

Un jour, dans une conversation pieuse, on demandait à un vieillard son âge. « Mon âge ? dit-il. Lequel ? » Et comme on le regardait avec étonnement : « Oui, reprit-il, je pourrais dire quatre-vingts ans et plus ; laissez-moi dire deux ans, et ce sera plus vrai. »
Il y avait donc quatre-vingts ans qu'il était chrétien par le baptême, deux ans qu'il l'était par la foi, et sa vie, à ses yeux, ne datait plus que de là.
Ah ! que de vivants, à ce compte, qui ne sont pas nés encore !
Que d'hommes dont le nom figure depuis longtemps, avec éclat peut-être, dans les affaires d'ici-bas, et dont on ne pourrait pas dire qu'ils vivent depuis deux ans, depuis deux jours !

Avez-vous commencé à vivre, vous tous qui n'avez encore vécu que pour la terre, je ne dis pas pour ses biens les plus vils ou pour ses plaisirs les plus grossiers, car ce serait alors trop évident, mais pour la terre envisagée même dans ce qu'elle a de plus relevé, les distinctions, le pouvoir, la gloire ? Et ne croyez pas, mes Frères, que je m'adresse ici à tels et tels, opulents, haut placés, plutôt qu'à vous et à tout le monde.
Les passions ne se proportionnent pas, en nous, au plus ou moins d'importance extérieure de ce qui les a excitées ; quand elles règnent, quel qu'en soit l'objet, elles règnent, et elles règnent partout où Dieu n'est pas. Dans un village comme dans une ville, chez le plus obscur ouvrier comme chez l'homme déjà puissant et riche, partout, enfin, partout il y a place, et de reste, pour toutes les avidités, pour celles de la richesse, vous l'avez vu, pour celles de l'orgueil, pour celles de l'ambition, incurables angoisses qui vous prennent vos jours, vos mois, vos années, votre santé, votre âme, Que de fatigues ! Que de déboires ! Quel inextricable enchaînement de préoccupations et de travaux !

On a banni un maître, le seul bon, et on en a pris vingt autres ; on lui a refusé les quelques moments qu'il demandait, et on les a donnés à dévorer, comme le reste, à ce monde qui n'en rendra jamais rien, rien qu'un amer souvenir au lit de mort.
Aussi, tous ceux qui auront eu le malheur de s'abandonner jusqu'à la fin à l'insatiable tourbillon, que vous diront-ils, alors, s'ils ne persistent pas à s'étourdir, s'ils veulent et s'ils peuvent se demander où ils en sont ?
À quelque moment que la mort vienne couper court à leurs projets, ce sera :

« Déjà ! Déjà !.. Mais je ne suis pas plus avancé qu'au commencement ! Mais il a fui devant moi, ce but que je me croyais toujours sur le point d'atteindre !
J'ai amassé des biens, et je n'en ai jamais joui.
J'ai travaillé pour me reposer après, et je ne me suis pas reposé.
J'allais, j'allais encore ; l'avenir, toujours l'avenir, et le présent était foulé aux pieds.
Ailleurs, toujours ailleurs devaient se trouver la paix, le contentement, le bonheur... Et voici, tous ces avenirs successifs ne sont plus qu'un passé désert et mort !.. »

Traduisez cela, mes Frères, en langage un peu plus chrétien, et voyez si cela ne veut pas dire : « Je croyais vivre, et je n'ai pas vécu. »
D'autres, me direz-vous, se sont arrêtés à temps. Ils n'ont pas consumé leurs jours en travaux indéfiniment renouvelés ; ils ont su, même dans la période la plus active de leur vie, se ménager des moments pour respirer.
Pour respirer, peut-être ; pour penser à leur âme, et sérieusement, non !
Cette sagesse-là, si quelque chose de mieux ne s'y est joint ou ne vient s'y joindre, vous la verrez infailliblement accompagnée d'égoïsme, de cet égoïsme intime qui ne s'affiche pas et sait garder les bienséances, mais qui devient la nature même, s'empare de l'âme entière, la ferme aux impressions chrétiennes, la dessèche et la tue.

Ils se sont arrêtés, ces hommes, mais pour jouir. Ils ont dit : « J'ai assez de biens, » mais ce n'a pas été pour se mettre à chercher des biens meilleurs. Ils ont su ne pas s'absorber dans les soucis de la terre ; mais ce n'a été qu'un calcul, qu'une manière plus habile de s`assurer le fruit de leurs travaux. Et en effet, ils n'ont pas un instant quitté la terre ; ils lui appartiennent corps et âme ; ils ne comprennent pas qu'on attende rien d'ailleurs. Ils se sont fait un bonheur à leur usage, un bonheur, il est vrai, qui durera autant que leurs prospérités terrestres, qui s'évanouira au premier souffle de ce que le monde appelle le malheur ; mais, le malheur, on n'y pense pas. Ah ! quand il ne devrait jamais venir, quand ce bonheur-là devrait durer, quand un semblable état se prolongerait, inaltérable, au delà même des limites ordinaires de l'existence humaine, ne croyez pas que jamais le chrétien, le vrai chrétien, en soit jaloux, et que jamais, à ses yeux, ce soit la vie.
Végéter n'est pas vivre ; et si c'est là ce qu'on dit avec raison, dans le monde, d'un homme qui ne peut pas ou ne veut pas utiliser ses facultés, à qui, je vous le demande, à qui ce mot s'appliquera-t-il mieux qu'à celui qui abdique la plus noble de toutes, celle de s'unir à son Dieu par la foi et par l'amour ?

Un homme qui aura manqué sa vocation terrestre, vous le condamnerez ou le plaindrez ; un homme qui aura manqué sa vocation céleste, sachez au moins lui dire qu'il l'a manquée, sachez surtout vous demander si vous ne seriez pas en chemin de la manquer comme lui.

Jamais encore, mes Frères, il n'avait été si nécessaire de s'adresser cette question, et sévèrement, et souvent, car jamais il n'y avait eu telle tendance à se contenter du bonheur des sens, à prendre le bien-être pour la paix, l'égoïsme pour la sagesse, la jouissance pour la vertu, la fausse vie pour la vraie. Jamais le monde n'avait si habilement multiplié ses séductions ; jamais, d'ailleurs, comme j'ai déjà eu occasion de le remarquer, jamais il n'avait eu tant de moyens de fasciner les fidèles mêmes, en les enveloppant de l'étourdissante atmosphère où brillent, où s'agitent, où vivent tant de choses qui semblent vous communiquer leur vie.
Le siècle marche : on croit marcher, comme si c'était marcher que de s'éloigner de Dieu.
Le siècle vit : on croit vivre, comme si c'était vivre que de s'agiter loin de Dieu.

Ceux mêmes donc qui ne se consument pas pour un avenir trompeur, vous les voyez, la plupart, s'absorber dans le présent ; ils se tourmentent un peu moins pour le lendemain terrestre, mais, le lendemain éternel, ils ne s'en tourmentent pas du tout. En vain la vie elle-même et ses éloquentes décadences leur en ont donné le conseil ; en vain l'année a ramené ces grands jours où retentissent tant d'exhortations pressantes, où Jésus est à la porte des cœurs, frappant, frappant encore ; en vain la mort, enlevant vos amis, vos proches, a fait d'eux autant de prédicateurs nouveaux de cette universelle vérité que tout passe, que tout échappe, - vous avez poursuivi, ô insensés !

Vous avez persisté à n'être que les hommes du présent, les hommes de la matière, et si parfois il a bien fallu, malgré vous, vous rappeler que tout prend fin, ce n'a été que pour vous mettre à en profiter plus vite et plus obstinément. Il vous semblait gagner sur Dieu ce que vous tiriez du monde ; c'était comme un défi aux déclarations de l'Évangile sur la fausseté des biens terrestres, et, à chaque nouvelle jouissance, à chaque jour écoulé en la goûtant, vous sembliez dire : « Autant de pris ! »
Autant de pris !
Non, autant de perdu !
Quand vous calculerez sous l'œil de Dieu, à votre dernière heure, ce qu'a duré véritablement votre vie, vous ne les compterez pas, soyez-en sûrs, ces jours-là, - heureux si votre juge voulait bien ne pas vous en demander le compte !

Vous-mêmes, hommes de travaux plus nobles, hommes de science et d'étude, oserez-vous mieux les compter comme de vrais jours de vie, ces jours que vous aurez consacrés, loin de Dieu, à vos recherches, quelque glorieux ou utiles que les résultats aient pu en être ?
Suffira-t-il que vous ne soyez pas allés, comme ces savants impies dont nous parlions ailleurs, jusqu'à nier l' auteur de ces merveilles dont vous trouviez le secret ?
Suffira-t-il que le christianisme n'ait pas été l'objet de vos attaques ?
Ce qu'il pouvait seul vous donner, vous ne l'aurez pas eu ; que deviendra, au seuil de l'éternité, tout le reste ?
Vous preniez en pitié l'homme d'argent, et vous aviez raison ; mais la science, après tout, n'est-ce pas aussi une richesse, et, le savant, un riche ? Il n'est donc, loin de Dieu, qu'un mauvais riche. La science, comme la fortune, peut devenir la mort d'une âme ; elle a, comme la fortune, ses enivrements, ses aveuglements, et, en illuminant l'esprit, elle peut ne servir, si elle est seule, qu'à épaissir les ténèbres du cœur.
Vous avez eu, en apparence, plus de raisons de vous croire vivants ; devenez chrétiens, et, vous aussi, vous direz : ? « Je ne vivais pas ! » Vos découvertes, vos gloires, vous les jetterez aux pieds du Christ ; si vous cherchez de nouvelles couronnes, ce sera pour les y jeter encore.
Alors le nouvel homme ennoblira les travaux de l'ancien, et les couronnes périssables s'entrelaceront à l'éternelle.
Alors, - et ce n'est plus ici votre histoire seulement, mais celle de tout homme, savant ou non, riche ou pauvre, jeune ou vieux, qui a reçu Christ en son cœur, - alors vous retrancherez de vos jours, mais avec joie, tous ceux où vous ne l'aurez pas connu ; alors vous vous résignerez, mais de grand cœur, à n'avoir vécu réellement qu'une courte portion de votre vie, fût-ce la plus obscure aux yeux du monde ou la plus durement labourée par l'épreuve, pourvu que vous ayez, pendant ce temps, connu Christ, aimé Christ, vécu en Christ.
Ce que disait si bien le roi-prophète :
« Un jour, ô Dieu, dans ta maison, vaut mieux que mille ailleurs, » - le chrétien le répétera, mais dans un sens plus haut encore et plus divinement spirituel. Il n'est pas dans le temple ; il est lui-même le temple. Il ne va pas chercher Christ ; il le reçoit en lui, il l'a en lui, il le sent vivre en lui.

Étonnez-vous qu'un de ces jours, un seul, lui paraisse valoir mieux que mille, mieux que dix mille !

Voilà, mes Frères, ce que vous enseigneront les paroles de saint Paul, si vous savez aller au fond. Elles paraissent, au premier abord, bien mystiques, et elles s'éclaircissent par les faits les plus simples ; on dirait un miroir, terne de loin, et, de plus près, d'une merveilleuse transparence. Elle revêt donc bien des formes, - et je ne les ai pas toutes énumérées, bien s'en faut, - cette fausse vie dont l'apôtre se réjouit d'être débarrassé, cette mort, pour mieux dire, cachée sous les apparences de la vie. Un chrétien qui vous parlera de sa renaissance en Christ pourra n'avoir rien eu de commun, aux yeux des hommes, avec celui qui vous en parlait la veille. L'un avait erré loin de Dieu dans l'opulence, l'autre dans la misère ; l'un aura fait ouvertement le mal et mérité la réprobation des hommes, l'autre n'aura jamais mérité que leurs éloges, mais s'en sera autorisé pour oublier ou braver Dieu.
Les voici d'accord, maintenant, quelle qu'ait été leur histoire, dans une même joie ; les voici disant avec saint Paul que ce qui vit en eux ce n'est plus eux.
Demandez-lui, à saint Paul aussi, son histoire ; il vous la redira avec bonheur, car c'est moins la sienne que celle des miraculeuses compassions du Sauveur qu'il vous prêche.

Où donc est-il, cet homme qui se suffisait ù lui-même, s'enorgueillissait de sa science, se complaisait dans sa justice, s'admirait dans ses œuvres ? Le voilà qui vous dit :
« Christ est venu pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier ; » le voilà qui se glorifie de ne plus savoir qu'une chose, Christ, Christ crucifié.

Où est l'ennemi de l'Évangile ?
Où est l'homme qui ne se contentait pas de le repousser pour son compte, mais travaillait opiniâtrement à le détruire ?
Où est l'ambitieux qui n'avait de zèle pour le ciel qu'afin d'asservir la terre ?
Où est le pharisien, où est le Paul d'autrefois ?

Ah ! ne le cherchez plus dans son tombeau, lui que Dieu a ressuscité, et ressuscité nouvel homme.
Il est mort, le Paul d'autrefois ; il est vivant, le Paul qui ne mourra plus, et qui passera, glorieux, des misères de la terre aux éternelles joies. Un autre est en lui, respire en lui. Il ne peut mourir, celui-là, car il est le « prince de la vie. » Ce qu'il est, il l'était avant que le monde fût ; il le sera sur les ruines du monde, après l'avoir été, dans tous les siècles, pour quiconque aura voulu être à lui.
Le sera-t-il pour vous, mes Frères ?
Si vous le voulez, oui, et je me demande maintenant comment vous pourriez ne pas le vouloir.
Vous n'avez pas eu, comme saint Paul, le malheur d'ignorer Jésus pendant une portion de vos années. On vous l'a prêche dès votre enfance ; on ne vous a pas laissés un jour sans vous parler de lui, sans vous montrer ce que vous aviez à gagner auprès de lui, à perdre loin de lui.

Lui-même il a été sans cesse présent par sa parole, par l'effusion visible de ses grâces, par la force dont il armait ses élus contre le péché, contre l'épreuve, par la joie et la paix dont il inondait leurs cœurs.
Vous avez, en naissant, respiré le Christianisme, et le Christianisme dans toute sa pureté. Point, ici, point de ces commandements d'homme qui en altèrent la simplicité divine ; point de ces dogmes ajoutés qui asservissent la raison sans profit pour le cœur ; point de ces abus qui peuvent rendre la vérité même odieuse ; point de ces veines formes qui cachent ou gâtent le fond ; point d'hommes entre vous et Christ pour vous mesurer ses grâces, pour asservir vos âmes en son nom, mais des amis, des frères qui mettent leur gloire à s'effacer, à n'être que les messagers de l'Évangile, à vous dire, comme je le fais en ce moment et n'ai cessé de le faire, d'aller à Christ, à lui seul, directement à lui, toujours à lui !

Et ils ne sont pas seuls, ces frères, à vous le dire. Vos pères au nom du passé, vos enfants au nom de l'avenir, le sol que vous foulez, les souvenirs de votre histoire, la terre comme le ciel, tout parle, tout vous dit, tout vous crie d'être chrétiens, et de ne pas l'être à demi, et d'embrasser de toutes les forces de votre âme la régénération qui vous est offerte en Jésus-Christ.

Toutes ces grâces, mes Frères, tous ces grands souvenirs, il faudrait pouvoir y répondre en répétant avec saint Paul : « Je ne vis plus ; c'est Christ qui vit en moi. » Saint Paul ne promet pas ; il ne dit pas qu'il désire, qu'il tâchera, mais que la chose est faite. La grâce a achevé son œuvre ; le grand miracle du Christianisme est accompli.
Ce n'est plus Paul qui est en Paul ; c'est son Sauveur, c'est Christ.

Nous, plût à Dieu que nous en fussions même à la promesse et au désir, pourvu que la promesse fût sincère et le désir sérieux !
Plus heureux que saint Paul, disais-je, nous avons connu Christ dès notre enfance. Connu, oui ; mais comment ?
Il s'agit, vous le comprenez assez, de toute autre chose qu'une connaissance historique et intellectuelle, qu'une simple notion du Christ, du Christianisme et de l'Église ; un incrédule même, de cette manière-là, dirait aussi qu'il connaît le Christ, qu'il connaît le Christianisme. Il faut donc plus ; la simple raison le dit.

Connaître
Dieu, dans le langage chrétien, ce n'est pas seulement reconnaître qu'il existe, mais le craindre, l'aimer, le servir, se donner à lui. De même, connaître Christ, c'est accepter sa loi, toute sa loi, son œuvre, toute son œuvre ; c'est ne laisser perdre aucune goutte ni du lait de sa Parole, ni de son sang versé pour nous ; c'est, en un mot, s'unir à lui de cette ineffable union qu'il comparaît lui-même à son union avec Dieu.

Où sont-ils, aujourd'hui, ceux qui le connaissent ainsi ?
Où sont-ils ceux que le progrès terrestre, les événements qui s'entassent, les soucis ou les séductions de la fortune, n'ont pas jetés hors de cette voie ?
Il y en a, sans doute, comme il y en a eu dans tous les temps, car l'Évangile est toujours l'Évangile et Jésus est toujours Jésus ; ce qu'il avait fait en un saint Paul, il le fait encore en ses fidèles, et, n'en restât-il sur la terre qu'un imperceptible troupeau, sa vertu n'en serait pas moins visible en eux, sa gloire pas moins entière.
Mais pourquoi, chez tant d'autres, si peu d'empressement à voir par eux-mêmes ce qu'il est, ce qu'il peut donner, ce qu'il donne ?
Pourquoi, quand nous ne pouvons voir un heureux selon le monde sans que son bonheur nous fasse envie, pourquoi si peu d'ardeur à convoiter le bonheur de ceux-là ?

La foule passe et repasse devant le festin des rachetés ; elle entend leurs chants d'allégresse ; elle sait qu'il y a place pour quiconque entrera. .. et elle ne veut pas entrer !
Il faut le vouloir, pourtant ; il faut au moins que le désir d'avoir part à cette éternelle fête ne soit pas trop misérablement au-dessous de ce qu'elle vaut. Suffirait-il, quand Dieu nous y invite, de répondre en courant que saint Paul était heureux, en effet, d'y trouver tant de bonheur, qu'on voudrait bien être de ceux à qui la piété tient lieu de tout ?
Mais cela, mes Frères, tout le monde sait le dire ; tout le monde le dit, dans l'occasion, souvent avec d'autant plus d'empressement qu'on est plus loin de songer à en faire l'expérience.
Au moindre ennui, au moindre froissement, des gens vous diront qu'ils sont las de toutes ces misères, qu'ils voudraient bien en sortir une fois comme on prétend que les chrétiens en sortent, comme en est sorti tel ou tel, devenu chrétien.
On déclame alors contre le monde ; on le méprise, en paroles, plus que ne font peut-être ceux mêmes qui l'ont vaincu. On parlera de délivrance, mais on ne veut pas être délivré ; on dira que ce n'est pas vivre, mais on ne veut pas vivre autrement. Encore une fois ; quoi cela
Tantôt, avouez-le, ce n'est que la secrète frayeur des engagements qui résulteraient d'une acceptation plus complète. Nous sentons qu'un amour sans bornes, qu'un don parfait de notre âme répondrait seul à l'amour de Jésus venant à nous. Nous comprenons que lorsqu'il nous dirait, appelé par un vœu sincère : « Me voici ! » - il n'y aurait qu'une réponse à faire, non des lèvres, mais du cœur, du plus profond du cœur : « Me voici !
Me voici pour faire ta volonté, me voici pour t'aimer, me voici pour être à toi, tout à toi ; me voici pour te porter avec moi à travers les agitations et les discussions de la terre ; me voici pour être, au milieu des hommes, comme un flambeau allumé à ton souffle et que nulle tempête n'éteindra !
Voilà ce que nous ne voulons pas dire, et, après tout, si nous ne nous sentons pas la volonté de tenir notre promesse, si nous tremblons de ne plus avoir pour maître ce monde que nous maudissions l'instant d'avant, autant vaut ne nous engager à rien.

Malheureusement, chez beaucoup d'hommes, ce n'est pas même la qu'est la raison de leur tiédeur. Cette frayeur supposerait au moins une sorte d'intelligence de l'état du chrétien vivant en Christ, et, cette intelligence, beaucoup ne l'ont pas, beaucoup ne se sont jamais inquiétés de l'avoir.
Comment, dès lors, comment le désirer dignement, ce bonheur dont on ne se fait aucune idée ?
Comment repousser ce que le monde viendra sans cesse nous offrir pour nous détourner d'y songer ?
La vie en Christ, d'ailleurs, - et ceci est une objection qu'on a faite, souvent de très bonne foi, - la vie en Christ n'est-elle pas quelque chose de trop haut, de trop difficile à concevoir, de trop en dehors des appréciations ordinaires et possibles ?
Le seul moyen d'en savoir le prix, tout le prix, ce serait de la posséder déjà...

Eh bien, mes Frères, si c'est là ce que vous seriez tentés de me répondre, je veux voir si vous y avez bien réfléchi. J'ai un moyen pour cela ; vous m'aiderez, et plus peut-être que vous ne le pensez. Venez. Mettons en commun nos souvenirs, apportons chacun notre peu d'expérience chrétienne, et, avec la bénédiction de Dieu, nous ne nous quitterons pas sans nous être entendus.

Au milieu des bruits de la terre, il vous est bien certainement arrivé, au moins une fois, de vous sentir plus calmes, plus assis, plus heureux. Il vous semblait, - que dirai-je ? - être emportés moins vite et posséder mieux votre cœur. C'était - voyons... dites-le vous-mêmes... c'était avant ou après une communion, peut-être la première, peut-être une autre, mais que vous aviez eu quelque intention de rendre bonne ; c'était chez vous, pendant ou après une lecture, une prière solitaire ; c'était ici, dans le temple, pendant ou après une prière en commun, pendant ou après un sermon qui s'était trouvé convenir à l'état de votre âme ; c'était un jour quelconque ou un jour de fête solennelle ; c'était peut-être simplement en face de la nature, seul avec Dieu, qui vous devenait visible dans ses œuvres, ou avec un ami qui vous apprenait à l'y voir ; c'était n'importe comment, ni en quel lieu, ni en quelles circonstances, mais, enfin, vous aviez en vous quelque chose dont vous ne vous rendiez pas compte, et, volontiers, à qui vous aurait demandé ce que vous éprouviez, vous auriez répondu : « Je respire mieux..., je me sens vivre... »

Ce ne sont pourtant encore là que des impressions vagues. Poursuivons ; vous aurez bien quelque chose de plus positif à me fournir.

Ne vous serait-il pas possible de retrouver dans votre passé un jour, une heure, où les vérités de la foi se soient présentées à vous plus nettes qu'à l'ordinaire, plus puissantes, plus pénétrantes ? Vous ne les aviez jamais niées, au moins formellement, mais c'était pour vous lettre morte, et la lettre morte, tout à coup, venait de se réveiller esprit et vie. C'était, - je ne sais, - c'était ici, c'était chez vous, c'était devant la Bible, c'était devant la Table Sainte, c'était, encore une fois, n'importe comment ni en quel lieu, car « l'Esprit souffle où il veut, » dit l'Écriture, et Dieu nous saisit où bon lui semble. C'était peut-être un jour de joie, un de ces jours où le bonheur aide à la piété ; c'était, plus probablement, un jour de tristesse ou d'épreuve. Vous veniez, malgré vous, de calculer la fuite des années, et vous aviez vu poindre, à l'horizon, le terme de votre course.
Vous veniez d'assister à quelqu'une des grandes chutes que l'histoire enregistre, ou bien, atteint vous-même dans votre fortune, dans vos plans, les richesses du ciel avaient hérité de tout l'éclat enlevé à celles de la terre. Vous veniez d'être abandonné ou trahi par un ami, et vous vous étiez souvenu qu'il y en a un, là-haut, qui n'abandonne pas. Vous veniez de fermer les yeux à un père, à une mère, à une épouse, à un enfant, - et l'immortalité vous apparaissait, dans la mort, avec toutes ses promesses, tous ses enseignements, toutes ses joies ; cette vie supérieure et divine dans laquelle venait d'entrer celui que vous pleuriez ; la foi, en ce moment, vous en ouvrait à vous-mêmes les portes. Vous vous étiez dit ; « Je veux croire, » - et vous aviez cru ; vous vous étiez dit : « Je veux vaincre, » - et vous aviez vaincu, ou, pour parler plus chrétiennement, Dieu vous avait donné lui-même et de croire et de vaincre.
Une lueur céleste avait éclairé vos ténèbres ; une joie tout autre que celle des jours heureux avait dilaté votre cœur, et, durant ces instants bien courts peut-être, mais abondamment bénis, vous auriez répété, vous auriez compris, du moins, ce que disait une fois une grande âme épurée au feu des épreuves : « Mon cœur est si joyeux, que je ne le reconnais plus ! »

Vais-je trop loin ? Suis-je au delà de ce que vous avez pu tous éprouver, au moins en quelque mesure, au moins pendant quelques moments ?

Non, mes Frères, non. Je ne croirai pas qu'il y ait personne ici qui ne se reconnaisse dans quelques-uns de ces traits. Maintenant donc, un pas de plus. Ces éléments épars dans l'histoire de votre âme, réunissez-les par la pensée, animez-les de tout ce que l'homme peut avoir d'aspirations vers l'infini, d'enthousiasme pour le beau, d'amour pour un maître adorable, - et voilà par où vous commencerez, si vous ne l'avez pu encore, à comprendre saint Paul et cette nouvelle vie qu'il vous déclare être la sienne.
Élargissez sans crainte, embellissez, divinisez ; vous ne serez jamais trop haut, jamais au delà de ce qui fut la réalité pour beaucoup d'âmes, et peut l'être encore pour la vôtre. Ainsi, ces lueurs fugitives, supposez-les devenues une inaltérable clarté, une éblouissante atmosphère ; cette sérénité momentanée d'une âme où les passions et les douleurs mêmes se taisent, où les bruits du monde n'arrivent qu'impuissants et inaperçus, comme le tumulte expirant d'une tempête lointaine, ce mystérieux bien-être, ces élévations si calmes et cependant si vigoureuses, cette foi qui est déjà presque la vue, tous ces élans que j'ai dû supposer une s'être produits chez vous qu'à de longs intervalles, dans des circonstances particulièrement favorables et bénies, - supposez-les constants, soutenus, se fortifiant l'un par l'autre, multipliant à l'infini, grâce à cette action réciproque, la somme de paix et de joie qu'ils vous donneraient séparément, - et vous aurez mes Frères, vous aurez enfin une idée de ce que vous éprouveriez, de ce que vous seriez, si votre vie était en Christ.
Ainsi vivent, dans le ciel, les élus assis à sa droite ; ainsi vivent, dès ce monde, dans la mesure de leurs facultés moins hautes et de leur développement moins avancé, ceux qui ont cependant « saisi, » comme dit encore l'Écriture, cette vie éternelle à laquelle ils sont appelés.

Est-ce à dire que cet état bienheureux n'ait pas ses relâchements et ses intermittences ?
Non ; il faut que notre misère reste visible jusqu'au bout, afin que, jusqu'au bout, la gloire soit toute à Dieu. Où le chercher, ce juste qui, après avoir cru marcher, voler vers Dieu et vers la cité de Dieu, je dis plus, après avoir réellement et vigoureusement marché, volé, n'ait pas eu la douleur de se retrouver, un jour, faible, incertain, chétif, pécheur, esclave de la terre ! Il avait plané au-dessus, et, voici, après tant de tempêtes affrontées ; une autre était venue qui lui avait brisé les ailes, et peut-être aura-t-il encore l'humiliation de reconnaître qu'il avait vaincu les plus terribles, qu'il a été vaincu par la plus faible.
Dût-il ne pas retomber jusque dans la poussière ou dans la boue, assez de choses lui rappelleront encore qu'il est homme, qu'il est pécheur, comme elles l'ont rappelé, dans tous les siècles, aux plus éminents chrétiens. Il y en eut un qui écrivait : « Je ne fais pas le bien que je voudrais, je fais le mal que je ne voudrais pas ; je suis captif de la loi du péché... Misérable que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort !... » - et le chrétien qui disait cela, mes Frères, c'était le miraculeux converti du chemin de Damas, c'était celui en qui nous venons précisément d'étudier la vie en Christ.

Ah ! nous nous émouvons au récit des chutes d'empires, des défaites de grands guerriers, et le plus obscur des hommes pourrait avoir aussi, comme chrétien, son histoire, sa longue histoire, semée de débris, palpitante de catastrophes. Nous le verrions se lever, tomber, se relever, tomber encore. Pleurant sur sa misère, il nous instruirait, comme saint Paul, par ses larmes ; indifférent à sa misère, il nous instruirait encore, car nous nous demanderions comment il peut y être indifférent, nous lui dirions d'aller à Christ, et nous sentirions mieux le besoin d'y aller nous-mêmes.
Crainte, crainte salutaire, toujours ; découragement, jamais. Tu es debout ? crains de tomber. Tu es tombé ? courage ! Je te dirai qui te relèvera.

Ainsi se renouvelle et s'accomplit, à travers les chutes de l'homme, l'œuvre de Dieu ; ainsi s'amassent et se perfectionnent dans nos âmes, tantôt malgré nos chutes, tantôt par nos chutes mêmes, les éléments de la vie en Christ.
Quand je les cherchais, tout à l'heure, parmi des impressions généralement éprouvées, et que je vous aidais à les retrouver en vous, il en est un que je n'indiquai pas, et c'était cependant, de tous, le plus essentiellement chrétien. Le voici qui nous apparaît maintenant dans toute sa nécessité, dans toute sa grandeur. Avec les autres, où en seriez-vous réellement ?

Âmes intelligentes, vous auriez la lumière ; âmes affligées, vous auriez la consolation ; âmes pécheresses, qu'auriez-vous ?
Il vous faut donc, et pour réparer vos chutes, et pour vous armer contre le mal, et pour que la consolation soit véritable, et pour que la lumière soit lumière, il vous faut, dites-vous-le bien. un sauveur, et jamais Christ ne sera véritablement en vous s'il n'y est, avant tout, comme sauveur. Sauveur !

Ah ! ce beau titre peu d'hommes le lui refusent en paroles, peu le lui donnent dans leur cœur, sincèrement, pleinement, car il y a cent manières, mes Frères, de le lui refuser.
Vous le lui refusez, vous qui croyez, n'importe sous quelle forme, à la possibilité de vous sauver vous-mêmes, par vous-mêmes, et d'acheter par des vertus d'un jour une éternité de bonheur.
Vous le lui refusez si vous dites, comme saint Paul, qu'il est venu « pour sauver les pécheurs, » sans ajouter, comme saint Paul, qu'il est venu pour vous, et que « le premier » des pécheurs, à vos yeux, c'est vous.

En vain, - je vous l'ai montré ailleurs, - en vain vous inclinerez-vous devant la croix, si elle est pour vous autre chose que le signe du salut ; en vain écouterez-vous des prédications chrétiennes, si ce n'est pas là, par-dessus tout, ce qui en ressort pour vous.
En vain prendrez-vous part aux solennités de l'Église ; en vain vous approcherez-vous, à certains jours, de cette table où Jésus vous attend ; vous le lui refuserez encore, et toujours, ce nom de Sauveur, si vous n'approchez pas, comme dit notre antique liturgie, avec la foi que cet acte demande ; - et quelle est-elle, cette foi, sinon que vous acceptiez, et pleinement, et fermement, le salut par la croix ?
Il l'acceptait, saint Paul, et voilà pourquoi il a pu dire : « C'est Christ qui vit en moi. »
Ils l'acceptaient, les disciples de saint Paul, les fidèles des premiers siècles, et voilà pourquoi Christ était si visiblement en eux.
Ils l'acceptaient, les martyrs, quand ils bravaient la Rome païenne, quand ils mouraient si bien pour ce Jésus mort pour eux.
Ils l'acceptaient, vos glorieux ancêtres, quand il fallut renouveler les rudes combats des premiers siècles, et que chaque rigueur, chaque supplice, les retrouvait plus fermes, plus joyeux, plus vivants.
Ils l’acceptaient, enfin, tous ceux qui ont combattu le bon combat, soldats ou chefs, contre le péché, contre l'erreur, contre la persécution, contre le monde, tous ceux qui ont été forts, tous ceux qui ont été grands.
Ils l'acceptaient, et cela seul, l'accepter, était déjà leur joie et leur couronne ; toutes les gloires de la terre n'auraient pas valu, à leurs yeux, cette triomphante humiliation, être sauvé !

Ils l'acceptaient, - et vous voudriez ne l'accepter qu'à demi ! Vous voudriez n'être redevables que de ce dont il vous plaira de l'être ! Vous mesureriez le bienfait sur votre ingratitude, et vous en retrancheriez tout ce qui ne va pas à votre orgueil !
Étonnez-vous, après cela, que le Christianisme ait souvent l'air d'avoir perdu sa vertu d'autrefois !
Étonnez-vous que les incrédules l'accusent de n'être plus ni une vie pour les individus, ni une force pour les peuples ! C'est vous qui en avez fait un corps sans âme, et, les premiers punis, ce sera vous. Il vous manquera dans vos épreuves ; il vous manquera dans vos luttes.
Vous aurez cru vous suffire à vous-mêmes, et vous n'y aurez réussi ni pour l'éternité, ni pour le temps.
Mais ce qu'il a été, il l'est encore ; il l'est pour quelques-uns, il peut le redevenir pour tous.
À nous, avec l'aide de Dieu, à nous de reconquérir notre place autour des sources de la vie !

Je vous ai montré où elles sont, et je vous ai dit ce qui vous manque. Je vous l'ai dit avec une entière franchise, ne respectant aucune erreur, aucune illusion, aucun orgueil. J'ai été sévère de paroles, mais parce qu'une vive charité m'animait envers vous, parce que j'ai longtemps vécu, dans de studieux travaux, avec vos pères, parce que mon vœu le plus ardent serait de les voir revivre, non dans de froides pages, mais dans des enfants dignes d'eux.
Je suis venu sans autre autorité que celle d'une conviction profonde ; « j'ai cru ; c'est pourquoi j’ai parlé. » Non ! il ne faut plus que personne puisse se figurer qu'on est chrétien parce qu'on aura éprouvé encore, dans de rares occasions, quelques émotions pieuses, parce qu'on aura écouté, sous l'attrait d'une voix nouvelle, d'antiques vérités qu'on n'écoutait plus depuis longtemps, qu'on n'écoutera plus le lendemain.

Il ne faut plus que chacun se fasse un Christianisme à sa taille ; il ne faut plus qu'on s'aventure aux combats de la terre avec cette armure incomplète, fragile, humaine, qui compromet le salut des combattants et la gloire du chef. « Prenez, nous est-il dit, le bouclier de la foi, l'épée de l'esprit et le casque du salut ; » prenez, en d'autres termes, les armes du Christianisme, mais prenez-les comme Dieu les a faites.
Prenez-les pour les grands combats de l'Évangile en ce siècle où tant d'ennemis l'assaillent, ennemis ouverts, ennemis cachés ; prenez-les dans tous les dangers qui sont plus particulièrement ceux de votre Église, champion du Christianisme évangélique contre un Christianisme corrompu ; prenez-les dans vos épreuves intimes, dans vos luttes de tous les jours contre le péché ou la douleur ; prenez-les parce que Jésus vous les offre, et qu'il veut combattre avec vous.

Si vous n’êtes à lui, vous êtes nécessairement au monde ; si ce n'est pas lui qui vit en vous, c'est le monde, et, le monde, c'est l'agitation sans repos, c'est la gloire sans bonheur ou l'obscurité sans paix, c'est le rongement d'esprit, c'est le vide, c'est le néant.
Il faut le combler, et sans retard, ce vide que nous avons beau ne pas sentir ou ne pas avouer, et qui est en nous, et qui nous ronge, et qui nous rongerait, comme enfants du siècle, toujours plus.
Il est dans les jouissances grossières, et il est aussi, tôt ou tard, dans les plus relevées que le monde ait à nous offrir ; il est dans les petits intérêts de cette terre, et il est aussi dans les grands ; il est dans les plaisirs du riche, dans les découragements du pauvre ; il est au fond de tout ce qui est du monde, tristesse ou joies, revers, prospérités ; il est partout, enfin, hormis dans le grand refuge, hormis en l'Évangile, hormis en Christ.

Saisissez-la donc, cette « bonne part » qui ne vous sera point ôtée ; saisissez-la, et vous vivrez ; saisissez-la, et, quel que soit votre rôle dans le siècle, appelés ou non aux grands combats, vous redirez avec l'Apôtre que « ni la mort, ni la vie, ni les choses présentes, ni les choses à venir, » rien, rien au monde ne vous séparera « de l'amour de Dieu en Jésus-Christ. »
Enfants de Dieu, rachetés de Christ, héritiers de tant de martyrs, le voulez-vous ?
Si vous le voulez, courage ! Dieu fera le reste.
Amen !

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