Ce n'est plus moi qui vit, mais c'est Christ
qui vit en moi.
(Épître aux Galates, chap. II,
20.)
CHRÉTIENS, BIEN-AIMÉS FRÈRES
EN JÉSUS-CHRIST NOTRE SEIGNEUR !
Nous approchons du terme, et nous entrons
aujourd'hui plus avant dans le sanctuaire
chrétien. Dois-je craindre de vous
intéresser moins parce que j'aurai moins
à vous parler des choses de la terre et des
questions de la terre ?
Cette crainte, quand je l'aurais, ne
m'arrêterait pas ; je dois, avant tout,
remplir ma tâche, et, si ce sont des hommes
qui m'ont appelé ici, c'est la voix de mon
Maître que j'ai entendue dans la leur. Mais
je ne l’ai pas, cette crainte ; je ne
veux pas l'avoir.
Vous
m'avezécouté ;
vous m'écouterez encore, car j'ai à
compléter, à résumer tout ce
que je vous ai dit.
Ce résumé, je l'ai trouvé tout
fait dans les paroles que vous venez d'entendre, et
je viens vous demander si c'est là votre
profession de foi.
Commençons donc par en fixer le sens.
Vous avez là l'énoncé d'un
grand fait, souvent oublié ou
méconnu : c'est que le Christianisme
n'est pas une doctrine seulement, mais une
vie ; que Jésus-Christ n'est pas
seulement un maître à écouter,
un chef à suivre, mais un être en qui
et par qui nous devons vivre.
Reprenez les paroles de saint Paul, et cette
idée vous apparaîtra clairement. Cela
vu, suivez-le dans les conséquences qu'il en
tire.
« Ce n'est plus moi qui vis, »
vous dit-il.
Ce n'est plus moi. Il y a donc eu un temps
où c'était lui qui vivait, lui,
l'homme, le vieil homme, et, ce temps, il le
considère évidemment comme un temps
où il ne vivait pas, où sa vie
n'était pas véritablement la vie.
Première conséquence : Si je ne
vis que de ma propre vie, j'ai beau être
vivant aux yeux des hommes, jouer même un
grand rôle, contribuer aux progrès de
la civilisation, régner par le génie
sur les événements ou les
idées, devant Dieu, je ne
vis pas ; je suis mort.
« Mais, ajoute l'apôtre, c'est
Christ qui vit en moi. »
Donc, dès ce monde, une autre vie est
possible, et, celle-là, c'est la vraie.
Deuxième conséquence : Si je
veux pouvoir dire, mais chrétiennement et
tout de bon, que je vis, il faut que ce soit Christ
qui vive en moi.
Voilà, mes Frères, ce que je viens
vous dire, ce que vous vous direz vous-mêmes
si Dieu me donne de ne pas vous parler en vain.
Vous le voyez : il ne s'agit pas ici de
reconnaître vaguement que nous ne sommes pas
tout ce que nous devrions être, que nous ne
vivons pas en parfaits disciples du Christ ;
aveu qui ne coûte rien, mais aussi qui ne
mène à rien, aveu qui pourrait ne
servir qu'à nous inspirer la fausse paix
d'une humilité pleine d'orgueil.
Il faut, puisque Dieu nous a donné
d'étudier sérieusement les abords de
la question, que nous nous placions maintenant en
face de tout l'amour dont il a aimé le monde
quand il donna son Fils au monde ; il faut que
nous arrivions à bien comprendre, non
seulement ce qu'il a entendu lui donner en le lui
donnant, mais ce que nous avons, nous, à
recevoir en le recevant.
Je dis nous, chacun de nous, et
vous vous rappelez que c'est une des idées
sur lesquelles j'insistai le plus en
commençant. N'adhérer au
Christianisme, vous disais-je, que comme à
une puissance sociale, c'est en
méconnaître l'essence ; c'est
aussi le placer, par cela même, en dehors des
véritables conditions de sa force.
Son règne dans le monde ne peut avoir
réellement pour base que son règne
dans les âmes, dans les âmes une
à une, et, l'idéal de son
règne dans une âme, c'est cette vie en
Christ dont je viens vous entretenir. La question
se concentre ; n'allez pas dire qu'elle se
rapetisse, car ce serait montrer qu'elle vous
échappe encore dans ses
éléments essentiels. Dites, au
contraire, qu'elle arrive à ses
véritables termes, à sa
véritable hauteur, et puissions-nous, avant
de nous séparer, le comprendre de mieux en
mieux !
Sous cette belle expression de saint Paul :
« Ce n'est plus moi qui
vis, » il y a, mes
Frères ;
une idée toute simple, tout ordinaire, dont
l'apôtre s'est emparé et q\1'il n'a
fait qu'agrandir.
Dans toutes les langues, en effet, dans
tous les temps, pour exprimer
soit un état d'agitation, d'angoisse, de
longue et douloureuse attente, soit l'absence de
quelque élément important de
progrès ou de bonheur, toujours et partout,
dis-je, on s'est servi de ce mot :
« Ne pas vivre. »
S'agit-il d'un événement quelconque
dont l'issue, longtemps douteuse, vous
intéressait vivement ou
péniblement : « Je ne vivais
pas, » dites-vous, et tout le monde vous
comprend.
S'agit-il de quelque grand et heureux changement
survenu dans votre existence ?
Une source de joies et d'affections nouvelles
vient-elle de s'ouvrir pour vous ?
Si vous voulez peindre d'un seul mot ce qu'est
maintenant à vos yeux l'époque
antérieure, ce que votre vie d'alors vous
paraît avoir eu d'incomplet et de
misérable, vous direz encore :
« Je ne vivais pas. »
Peut-être étiez-vous resté des
années sans vous trouver malheureux, sans
vous douter de ce qui vous manquait.
N'importe ! Ce demi-bonheur, ce
demi-développement qui vous suffisait alors,
vous ne comprenez plus qu'i l'ait pu jamais vous
suffire, et il vous semble, enfin, n'avoir
commencé à vivre que du moment
où un monde nouveau s'ouvrit à vous.
Eh bien ! ce sentiment que nous avons tous
éprouvé, tous exprimé, plus ou
moins, dans le cours de nos affections ou de nos
affaires terrestres, c'est celui que vous retrouvez
dans une âme où les joies de la
piété viennent de succéder aux
joies du monde, la paix en Dieu à la fausse
paix du monde, la vie en Christ à cette
fièvre ou à cette torpeur que le
monde appelle la vie.
Un jour, dans une conversation pieuse, on demandait
à un vieillard son âge.
« Mon âge ? dit-il.
Lequel ? » Et comme on le regardait
avec étonnement : « Oui,
reprit-il, je pourrais dire quatre-vingts ans et
plus ; laissez-moi dire deux ans, et ce sera
plus vrai. »
Il y avait donc quatre-vingts ans qu'il
était chrétien par le baptême,
deux ans qu'il l'était par la foi, et sa
vie, à ses yeux, ne datait plus que de
là.
Ah ! que de vivants, à ce compte, qui
ne sont pas nés encore !
Que d'hommes dont le nom figure depuis longtemps,
avec éclat peut-être, dans les
affaires d'ici-bas, et dont on ne pourrait pas dire
qu'ils vivent depuis deux ans, depuis deux
jours !
Avez-vous commencé à vivre, vous tous
qui n'avez encore vécu que pour la terre, je
ne dis pas pour ses biens les plus vils ou pour
ses plaisirs les plus grossiers,
car ce serait alors trop évident, mais pour
la terre envisagée même dans ce
qu'elle a de plus relevé, les distinctions,
le pouvoir, la gloire ? Et ne croyez pas, mes
Frères, que je m'adresse ici à tels
et tels, opulents, haut placés, plutôt
qu'à vous et à tout le monde.
Les passions ne se proportionnent pas, en nous, au
plus ou moins d'importance extérieure de ce
qui les a excitées ; quand elles
règnent, quel qu'en soit l'objet, elles
règnent, et elles règnent partout
où Dieu n'est pas. Dans un village comme
dans une ville, chez le plus obscur ouvrier comme
chez l'homme déjà puissant et riche,
partout, enfin, partout il y a place, et de reste,
pour toutes les avidités, pour celles de la
richesse, vous l'avez vu, pour celles de l'orgueil,
pour celles de l'ambition, incurables angoisses qui
vous prennent vos jours, vos mois, vos
années, votre santé, votre âme,
Que de fatigues ! Que de
déboires ! Quel inextricable
enchaînement de préoccupations et de
travaux !
On a banni un maître, le seul bon, et on en a
pris vingt autres ; on lui a refusé les
quelques moments qu'il demandait, et on les a
donnés à dévorer, comme le
reste, à ce monde qui n'en rendra
jamais rien, rien qu'un amer
souvenir au lit de mort.
Aussi, tous ceux qui auront eu le malheur de
s'abandonner jusqu'à la fin à
l'insatiable tourbillon, que vous diront-ils,
alors, s'ils ne persistent pas à
s'étourdir, s'ils veulent et s'ils peuvent
se demander où ils en sont ?
À quelque moment que la mort vienne couper
court à leurs projets, ce sera :
« Déjà !
Déjà !.. Mais je ne suis pas
plus avancé qu'au commencement ! Mais
il a fui devant moi, ce but que je me croyais
toujours sur le point d'atteindre !
J'ai amassé des biens, et je n'en ai jamais
joui.
J'ai travaillé pour me reposer après,
et je ne me suis pas reposé.
J'allais, j'allais encore ; l'avenir, toujours
l'avenir, et le présent était
foulé aux pieds.
Ailleurs, toujours ailleurs devaient se trouver la
paix, le contentement, le bonheur... Et voici, tous
ces avenirs successifs ne sont plus qu'un
passé désert et
mort !.. »
Traduisez cela, mes Frères, en langage un
peu plus chrétien, et voyez si cela ne veut
pas dire : « Je croyais vivre, et je
n'ai pas vécu. »
D'autres, me direz-vous, se sont
arrêtés à temps. Ils n'ont pas
consumé leurs jours en travaux
indéfiniment renouvelés ; ils
ont su, même dans la période la plus
active de leur vie, se
ménager des moments pour respirer.
Pour respirer, peut-être ; pour penser
à leur âme, et sérieusement,
non !
Cette sagesse-là, si quelque chose de mieux
ne s'y est joint ou ne vient s'y joindre, vous la
verrez infailliblement accompagnée
d'égoïsme, de cet égoïsme
intime qui ne s'affiche pas et sait garder les
bienséances, mais qui devient la nature
même, s'empare de l'âme entière,
la ferme aux impressions chrétiennes, la
dessèche et la tue.
Ils se sont arrêtés, ces hommes, mais
pour jouir. Ils ont dit : « J'ai
assez de biens, » mais ce n'a pas
été pour se mettre à chercher
des biens meilleurs. Ils ont su ne pas s'absorber
dans les soucis de la terre ; mais ce n'a
été qu'un calcul, qu'une
manière plus habile de s`assurer le fruit de
leurs travaux. Et en effet, ils n'ont pas un
instant quitté la terre ; ils lui
appartiennent corps et âme ; ils ne
comprennent pas qu'on attende rien d'ailleurs. Ils
se sont fait un bonheur à leur usage, un
bonheur, il est vrai, qui durera autant que leurs
prospérités terrestres, qui
s'évanouira au premier souffle de ce que le
monde appelle le malheur ; mais, le malheur,
on n'y pense pas. Ah ! quand il ne devrait
jamais venir, quand ce
bonheur-là devrait durer,
quand un semblable état se prolongerait,
inaltérable, au delà même des
limites ordinaires de l'existence humaine, ne
croyez pas que jamais le chrétien, le vrai
chrétien, en soit jaloux, et que jamais,
à ses yeux, ce soit la vie.
Végéter n'est pas vivre ; et si
c'est là ce qu'on dit avec raison, dans le
monde, d'un homme qui ne peut pas ou ne veut pas
utiliser ses facultés, à qui, je vous
le demande, à qui ce mot s'appliquera-t-il
mieux qu'à celui qui abdique la plus noble
de toutes, celle de s'unir à son Dieu par la
foi et par l'amour ?
Un homme qui aura manqué sa vocation
terrestre, vous le condamnerez ou le
plaindrez ; un homme qui aura manqué sa
vocation céleste, sachez au moins lui dire
qu'il l'a manquée, sachez surtout vous
demander si vous ne seriez pas en chemin de la
manquer comme lui.
Jamais encore, mes Frères, il n'avait
été si nécessaire de
s'adresser cette question, et
sévèrement, et souvent, car jamais il
n'y avait eu telle tendance à se contenter
du bonheur des sens, à prendre le
bien-être pour la paix, l'égoïsme
pour la sagesse, la jouissance pour la vertu, la
fausse vie pour la vraie. Jamais
le monde n'avait si habilement
multiplié ses séductions ;
jamais, d'ailleurs, comme j'ai déjà
eu occasion de le remarquer, jamais il n'avait eu
tant de moyens de fasciner les fidèles
mêmes, en les enveloppant de
l'étourdissante atmosphère où
brillent, où s'agitent, où vivent
tant de choses qui semblent vous communiquer leur
vie.
Le siècle marche : on croit marcher,
comme si c'était marcher que de
s'éloigner de Dieu.
Le siècle vit : on croit vivre, comme
si c'était vivre que de s'agiter loin de
Dieu.
Ceux mêmes donc qui ne se consument pas pour
un avenir trompeur, vous les voyez, la plupart,
s'absorber dans le présent ; ils se
tourmentent un peu moins pour le lendemain
terrestre, mais, le lendemain éternel, ils
ne s'en tourmentent pas du tout. En vain la vie
elle-même et ses éloquentes
décadences leur en ont donné le
conseil ; en vain l'année a
ramené ces grands jours où
retentissent tant d'exhortations pressantes,
où Jésus est à la porte des
cœurs, frappant, frappant encore ; en
vain la mort, enlevant vos amis, vos proches, a
fait d'eux autant de prédicateurs nouveaux
de cette universelle vérité que tout
passe, que tout échappe, - vous avez
poursuivi, ô
insensés !
Vous avez persisté à n'être que
les hommes du présent, les hommes de la
matière, et si parfois il a bien fallu,
malgré vous, vous rappeler que tout prend
fin, ce n'a été que pour vous mettre
à en profiter plus vite et plus
obstinément. Il vous semblait gagner sur
Dieu ce que vous tiriez du monde ;
c'était comme un défi aux
déclarations de l'Évangile sur la
fausseté des biens terrestres, et, à
chaque nouvelle jouissance, à chaque jour
écoulé en la goûtant, vous
sembliez dire : « Autant de
pris ! »
Autant de pris !
Non, autant de perdu !
Quand vous calculerez sous l'œil de Dieu,
à votre dernière heure, ce qu'a
duré véritablement votre vie, vous ne
les compterez pas, soyez-en sûrs, ces
jours-là, - heureux si votre juge voulait
bien ne pas vous en demander le compte !
Vous-mêmes, hommes de travaux plus nobles,
hommes de science et d'étude, oserez-vous
mieux les compter comme de vrais jours de vie, ces
jours que vous aurez consacrés, loin de
Dieu, à vos recherches, quelque glorieux ou
utiles que les résultats aient pu en
être ?
Suffira-t-il que vous ne soyez pas allés,
comme ces savants impies dont nous parlions
ailleurs, jusqu'à nier l' auteur de ces
merveilles dont vous trouviez le
secret ?
Suffira-t-il que le christianisme n'ait pas
été l'objet de vos
attaques ?
Ce qu'il pouvait seul vous donner, vous ne l'aurez
pas eu ; que deviendra, au seuil de
l'éternité, tout le reste ?
Vous preniez en pitié l'homme d'argent, et
vous aviez raison ; mais la science,
après tout, n'est-ce pas aussi une richesse,
et, le savant, un riche ? Il n'est donc, loin
de Dieu, qu'un mauvais riche. La science, comme la
fortune, peut devenir la mort d'une
âme ; elle a, comme la fortune, ses
enivrements, ses aveuglements, et, en illuminant
l'esprit, elle peut ne servir, si elle est seule,
qu'à épaissir les
ténèbres du cœur.
Vous avez eu, en apparence, plus de raisons de vous
croire vivants ; devenez chrétiens, et,
vous aussi, vous direz : ? « Je
ne vivais pas ! » Vos
découvertes, vos gloires, vous les jetterez
aux pieds du Christ ; si vous cherchez de
nouvelles couronnes, ce sera pour les y jeter
encore.
Alors le nouvel homme ennoblira les travaux de
l'ancien, et les couronnes périssables
s'entrelaceront à l'éternelle.
Alors, - et ce n'est plus ici votre histoire
seulement, mais celle de tout homme, savant ou non,
riche ou pauvre, jeune ou vieux, qui a reçu
Christ en son cœur, - alors
vous retrancherez de vos jours,
mais avec joie, tous ceux où vous ne l'aurez
pas connu ; alors vous vous résignerez,
mais de grand cœur, à n'avoir
vécu réellement qu'une courte portion
de votre vie, fût-ce la plus obscure aux yeux
du monde ou la plus durement labourée par
l'épreuve, pourvu que vous ayez, pendant ce
temps, connu Christ, aimé Christ,
vécu en Christ.
Ce que disait si bien le
roi-prophète :
« Un jour, ô Dieu, dans ta
maison, vaut mieux que mille ailleurs, » -
le chrétien le répétera, mais
dans un sens plus haut encore et plus divinement
spirituel. Il n'est pas dans le temple ; il
est lui-même le temple. Il ne va pas chercher
Christ ; il le reçoit en lui, il l'a en
lui, il le sent vivre en lui.
Étonnez-vous qu'un de ces jours, un seul,
lui paraisse valoir mieux que mille, mieux que dix
mille !
Voilà, mes Frères, ce que vous
enseigneront les paroles de saint Paul, si vous
savez aller au fond. Elles paraissent, au premier
abord, bien mystiques, et elles
s'éclaircissent par les faits les plus
simples ; on dirait un miroir, terne de loin,
et, de plus près, d'une merveilleuse
transparence. Elle revêt donc bien des
formes, - et je ne les ai pas toutes
énumérées,
bien s'en faut, - cette fausse
vie dont l'apôtre se réjouit
d'être débarrassé, cette mort,
pour mieux dire, cachée sous les apparences
de la vie. Un chrétien qui vous parlera de
sa renaissance en Christ pourra n'avoir rien eu de
commun, aux yeux des hommes, avec celui qui vous en
parlait la veille. L'un avait erré loin de
Dieu dans l'opulence, l'autre dans la
misère ; l'un aura fait ouvertement le
mal et mérité la réprobation
des hommes, l'autre n'aura jamais
mérité que leurs éloges, mais
s'en sera autorisé pour oublier ou braver
Dieu.
Les voici d'accord, maintenant, quelle qu'ait
été leur histoire, dans une
même joie ; les voici disant avec saint
Paul que ce qui vit en eux ce n'est plus eux.
Demandez-lui, à saint Paul aussi, son
histoire ; il vous la redira avec bonheur, car
c'est moins la sienne que celle des miraculeuses
compassions du Sauveur qu'il vous prêche.
Où donc est-il, cet homme qui se suffisait
ù lui-même, s'enorgueillissait de sa
science, se complaisait dans sa justice, s'admirait
dans ses œuvres ? Le voilà qui
vous dit :
« Christ est venu pour sauver les
pécheurs, dont je suis le
premier ; » le voilà qui
se glorifie de ne plus savoir qu'une chose, Christ,
Christ crucifié.
Où est l'ennemi de
l'Évangile ?
Où est l'homme qui ne se contentait pas de
le repousser pour son compte, mais travaillait
opiniâtrement à le
détruire ?
Où est l'ambitieux qui n'avait de
zèle pour le ciel qu'afin d'asservir la
terre ?
Où est le pharisien, où est le Paul
d'autrefois ?
Ah ! ne le cherchez plus dans son tombeau, lui
que Dieu a ressuscité, et ressuscité
nouvel homme.
Il est mort, le Paul d'autrefois ; il est
vivant, le Paul qui ne mourra plus, et qui passera,
glorieux, des misères de la terre aux
éternelles joies. Un autre est en lui,
respire en lui. Il ne peut mourir, celui-là,
car il est le « prince de la
vie. » Ce qu'il est, il
l'était avant que le monde fût ;
il le sera sur les ruines du monde, après
l'avoir été, dans tous les
siècles, pour quiconque aura voulu
être à lui.
Le sera-t-il pour vous, mes
Frères ?
Si vous le voulez, oui, et je me demande maintenant
comment vous pourriez ne pas le vouloir.
Vous n'avez pas eu, comme saint Paul, le malheur
d'ignorer Jésus pendant une portion de vos
années. On vous l'a prêche dès
votre enfance ; on ne vous a pas
laissés un jour sans vous parler de lui,
sans vous montrer ce que vous aviez à gagner
auprès de lui, à perdre loin de
lui.
Lui-même il a été sans cesse
présent par sa parole, par l'effusion
visible de ses grâces, par la force dont il
armait ses élus contre le
péché, contre l'épreuve, par
la joie et la paix dont il inondait leurs
cœurs.
Vous avez, en naissant, respiré le
Christianisme, et le Christianisme dans toute sa
pureté. Point, ici, point de ces
commandements d'homme qui en altèrent la
simplicité divine ; point de ces dogmes
ajoutés qui asservissent la raison sans
profit pour le cœur ; point de ces abus
qui peuvent rendre la vérité
même odieuse ; point de ces veines
formes qui cachent ou gâtent le fond ;
point d'hommes entre vous et Christ pour vous
mesurer ses grâces, pour asservir vos
âmes en son nom, mais des amis, des
frères qui mettent leur gloire à
s'effacer, à n'être que les messagers
de l'Évangile, à vous dire, comme je
le fais en ce moment et n'ai cessé de le
faire, d'aller à Christ, à lui seul,
directement à lui, toujours à
lui !
Et ils ne sont pas seuls, ces frères,
à vous le dire. Vos pères au nom du
passé, vos enfants au nom de l'avenir, le
sol que vous foulez, les souvenirs de votre
histoire, la terre comme le ciel, tout parle, tout
vous dit, tout vous crie d'être
chrétiens, et de ne pas
l'être à demi, et d'embrasser de
toutes les forces de votre âme la
régénération qui vous est
offerte en Jésus-Christ.
Toutes ces grâces, mes Frères, tous
ces grands souvenirs, il faudrait pouvoir y
répondre en répétant avec
saint Paul : « Je ne vis plus ;
c'est Christ qui vit en moi. » Saint Paul
ne promet pas ; il ne dit pas qu'il
désire, qu'il tâchera, mais que la
chose est faite. La grâce a achevé son
œuvre ; le grand miracle du Christianisme
est accompli.
Ce n'est plus Paul qui est en Paul ; c'est son
Sauveur, c'est Christ.
Nous, plût à Dieu que nous en fussions
même à la promesse et au désir,
pourvu que la promesse fût sincère et
le désir sérieux !
Plus heureux que saint Paul, disais-je, nous avons
connu Christ dès notre enfance. Connu,
oui ; mais comment ?
Il s'agit, vous le comprenez assez, de toute autre
chose qu'une connaissance historique et
intellectuelle, qu'une simple notion du Christ, du
Christianisme et de l'Église ; un
incrédule même, de cette
manière-là, dirait aussi qu'il
connaît le Christ, qu'il connaît le
Christianisme. Il faut donc
plus ; la simple raison le dit.
Connaître Dieu, dans le langage
chrétien, ce n'est pas seulement
reconnaître qu'il existe, mais le craindre,
l'aimer, le servir, se donner à lui. De
même, connaître Christ, c'est accepter
sa loi, toute sa loi, son œuvre, toute son
œuvre ; c'est ne laisser perdre aucune
goutte ni du lait de sa Parole, ni de son sang
versé pour nous ; c'est, en un mot,
s'unir à lui de cette ineffable union qu'il
comparaît lui-même à son union
avec Dieu.
Où sont-ils, aujourd'hui, ceux qui le
connaissent ainsi ?
Où sont-ils ceux que le progrès
terrestre, les événements qui
s'entassent, les soucis ou les séductions de
la fortune, n'ont pas jetés hors de cette
voie ?
Il y en a, sans doute, comme il y en a eu dans tous
les temps, car l'Évangile est toujours
l'Évangile et Jésus est toujours
Jésus ; ce qu'il avait fait en un saint
Paul, il le fait encore en ses fidèles, et,
n'en restât-il sur la terre qu'un
imperceptible troupeau, sa vertu n'en serait pas
moins visible en eux, sa gloire pas moins
entière.
Mais pourquoi, chez tant d'autres, si peu
d'empressement à voir par eux-mêmes ce
qu'il est, ce qu'il peut donner, ce qu'il
donne ?
Pourquoi, quand nous ne pouvons voir un heureux
selon le monde sans que son
bonheur nous fasse envie, pourquoi si peu d'ardeur
à convoiter le bonheur de
ceux-là ?
La foule passe et repasse devant le festin des
rachetés ; elle entend leurs chants
d'allégresse ; elle sait qu'il y a
place pour quiconque entrera. .. et elle ne veut
pas entrer !
Il faut le vouloir, pourtant ; il faut au
moins que le désir d'avoir part à
cette éternelle fête ne soit pas trop
misérablement au-dessous de ce qu'elle vaut.
Suffirait-il, quand Dieu nous y invite, de
répondre en courant que saint Paul
était heureux, en effet, d'y trouver tant de
bonheur, qu'on voudrait bien être de ceux
à qui la piété tient lieu de
tout ?
Mais cela, mes Frères, tout le monde sait le
dire ; tout le monde le dit, dans l'occasion,
souvent avec d'autant plus d'empressement qu'on est
plus loin de songer à en faire
l'expérience.
Au moindre ennui, au moindre froissement, des gens
vous diront qu'ils sont las de toutes ces
misères, qu'ils voudraient bien en sortir
une fois comme on prétend que les
chrétiens en sortent, comme en est sorti tel
ou tel, devenu chrétien.
On déclame alors contre le monde ; on
le méprise, en paroles, plus que ne font
peut-être ceux mêmes qui l'ont vaincu.
On parlera de délivrance,
mais on ne veut pas être
délivré ; on dira que ce n'est
pas vivre, mais on ne veut pas vivre autrement.
Encore une fois ; quoi cela
Tantôt, avouez-le, ce n'est que la
secrète frayeur des engagements qui
résulteraient d'une acceptation plus
complète. Nous sentons qu'un amour sans
bornes, qu'un don parfait de notre âme
répondrait seul à l'amour de
Jésus venant à nous. Nous comprenons
que lorsqu'il nous dirait, appelé par un
vœu sincère : « Me
voici ! » - il n'y aurait qu'une
réponse à faire, non des
lèvres, mais du cœur, du plus profond
du cœur : « Me voici !
Me voici pour faire ta volonté, me voici
pour t'aimer, me voici pour être à
toi, tout à toi ; me voici pour te
porter avec moi à travers les agitations et
les discussions de la terre ; me voici pour
être, au milieu des hommes, comme un flambeau
allumé à ton souffle et que nulle
tempête n'éteindra !
Voilà ce que nous ne voulons pas dire, et,
après tout, si nous ne nous sentons pas la
volonté de tenir notre promesse, si nous
tremblons de ne plus avoir pour maître ce
monde que nous maudissions l'instant d'avant,
autant vaut ne nous engager
à rien.
Malheureusement, chez beaucoup d'hommes, ce n'est
pas même la qu'est la raison de leur
tiédeur. Cette frayeur supposerait au moins
une sorte d'intelligence de l'état du
chrétien vivant en Christ, et, cette
intelligence, beaucoup ne l'ont pas, beaucoup ne se
sont jamais inquiétés de l'avoir.
Comment, dès lors, comment le désirer
dignement, ce bonheur dont on ne se fait aucune
idée ?
Comment repousser ce que le monde viendra sans
cesse nous offrir pour nous détourner d'y
songer ?
La vie en Christ, d'ailleurs, - et ceci est une
objection qu'on a faite, souvent de très
bonne foi, - la vie en Christ n'est-elle pas
quelque chose de trop haut, de trop difficile
à concevoir, de trop en dehors des
appréciations ordinaires et
possibles ?
Le seul moyen d'en savoir le prix, tout le prix, ce
serait de la posséder
déjà...
Eh bien, mes Frères, si c'est là ce
que vous seriez tentés de me
répondre, je veux voir si vous y avez bien
réfléchi. J'ai un moyen pour
cela ; vous m'aiderez, et plus peut-être
que vous ne le pensez. Venez. Mettons en commun nos
souvenirs, apportons chacun notre peu
d'expérience chrétienne, et, avec la
bénédiction de Dieu, nous ne nous
quitterons pas sans nous être
entendus.
Au milieu des bruits de la terre, il vous est bien
certainement arrivé, au moins une fois, de
vous sentir plus calmes, plus assis, plus heureux.
Il vous semblait, - que dirai-je ? -
être emportés moins vite et
posséder mieux votre cœur.
C'était - voyons... dites-le
vous-mêmes... c'était avant ou
après une communion, peut-être la
première, peut-être une autre, mais
que vous aviez eu quelque intention de rendre
bonne ; c'était chez vous, pendant ou
après une lecture, une prière
solitaire ; c'était ici, dans le
temple, pendant ou après une prière
en commun, pendant ou après un sermon qui
s'était trouvé convenir à
l'état de votre âme ;
c'était un jour quelconque ou un jour de
fête solennelle ; c'était
peut-être simplement en face de la nature,
seul avec Dieu, qui vous devenait visible dans ses
œuvres, ou avec un ami qui vous apprenait
à l'y voir ; c'était n'importe
comment, ni en quel lieu, ni en quelles
circonstances, mais, enfin, vous aviez en vous
quelque chose dont vous ne vous rendiez pas compte,
et, volontiers, à qui vous aurait
demandé ce que vous éprouviez, vous
auriez répondu : « Je respire
mieux..., je me sens
vivre... »
Ce ne sont pourtant encore là que des
impressions vagues. Poursuivons ; vous aurez
bien quelque chose de plus positif à me
fournir.
Ne vous serait-il pas possible de retrouver dans
votre passé un jour, une heure, où
les vérités de la foi se soient
présentées à vous plus nettes
qu'à l'ordinaire, plus puissantes, plus
pénétrantes ? Vous ne les aviez
jamais niées, au moins formellement, mais
c'était pour vous lettre morte, et la lettre
morte, tout à coup, venait de se
réveiller esprit et vie. C'était, -
je ne sais, - c'était ici, c'était
chez vous, c'était devant la Bible,
c'était devant la Table Sainte,
c'était, encore une fois, n'importe comment
ni en quel lieu, car « l'Esprit
souffle où il veut, » dit
l'Écriture, et Dieu nous saisit où
bon lui semble. C'était peut-être un
jour de joie, un de ces jours où le bonheur
aide à la piété ;
c'était, plus probablement, un jour de
tristesse ou d'épreuve. Vous veniez,
malgré vous, de calculer la fuite des
années, et vous aviez vu poindre, à
l'horizon, le terme de votre course.
Vous veniez d'assister à quelqu'une des
grandes chutes que l'histoire enregistre, ou bien,
atteint vous-même dans votre fortune,
dans vos plans, les richesses du ciel avaient
hérité de tout l'éclat
enlevé à celles de la terre. Vous
veniez d'être abandonné ou trahi par
un ami, et vous vous étiez souvenu qu'il y
en a un, là-haut, qui n'abandonne pas. Vous
veniez de fermer les yeux à un père,
à une mère, à une
épouse, à un enfant, - et
l'immortalité vous apparaissait, dans la
mort, avec toutes ses promesses, tous ses
enseignements, toutes ses joies ; cette vie
supérieure et divine dans laquelle venait
d'entrer celui que vous pleuriez ; la foi, en
ce moment, vous en ouvrait à
vous-mêmes les portes. Vous vous étiez
dit ; « Je veux croire, »
- et vous aviez cru ; vous vous étiez
dit : « Je veux vaincre, »
- et vous aviez vaincu, ou, pour parler plus
chrétiennement, Dieu vous avait donné
lui-même et de croire et de vaincre.
Une lueur céleste avait
éclairé vos
ténèbres ; une joie tout autre
que celle des jours heureux avait dilaté
votre cœur, et, durant ces instants bien
courts peut-être, mais abondamment
bénis, vous auriez
répété, vous auriez compris,
du moins, ce que disait une fois une grande
âme épurée au feu des
épreuves : « Mon cœur
est si joyeux, que je ne le reconnais
plus ! »
Vais-je trop loin ? Suis-je au delà de
ce que vous avez pu tous éprouver, au moins
en quelque mesure, au moins pendant quelques
moments ?
Non, mes Frères, non. Je ne croirai pas
qu'il y ait personne ici qui ne se reconnaisse dans
quelques-uns de ces traits. Maintenant donc, un pas
de plus. Ces éléments épars
dans l'histoire de votre âme,
réunissez-les par la pensée,
animez-les de tout ce que l'homme peut avoir
d'aspirations vers l'infini, d'enthousiasme pour le
beau, d'amour pour un maître adorable, - et
voilà par où vous commencerez, si
vous ne l'avez pu encore, à comprendre saint
Paul et cette nouvelle vie qu'il vous
déclare être la sienne.
Élargissez sans crainte, embellissez,
divinisez ; vous ne serez jamais trop haut,
jamais au delà de ce qui fut la
réalité pour beaucoup d'âmes,
et peut l'être encore pour la vôtre.
Ainsi, ces lueurs fugitives, supposez-les devenues
une inaltérable clarté, une
éblouissante atmosphère ; cette
sérénité momentanée
d'une âme où les passions et les
douleurs mêmes se taisent, où les
bruits du monde n'arrivent qu'impuissants et
inaperçus, comme le tumulte expirant d'une
tempête lointaine, ce mystérieux
bien-être, ces
élévations si calmes et cependant si
vigoureuses, cette foi qui est déjà
presque la vue, tous ces élans que j'ai
dû supposer une s'être produits chez
vous qu'à de longs intervalles, dans des
circonstances particulièrement favorables et
bénies, - supposez-les constants, soutenus,
se fortifiant l'un par l'autre, multipliant
à l'infini, grâce à cette
action réciproque, la somme de paix et de
joie qu'ils vous donneraient
séparément, - et vous aurez mes
Frères, vous aurez enfin une idée de
ce que vous éprouveriez, de ce que vous
seriez, si votre vie était en Christ.
Ainsi vivent, dans le ciel, les élus assis
à sa droite ; ainsi vivent, dès
ce monde, dans la mesure de leurs facultés
moins hautes et de leur développement moins
avancé, ceux qui ont cependant
« saisi, » comme dit encore
l'Écriture, cette vie éternelle
à laquelle ils sont appelés.
Est-ce à dire que cet état
bienheureux n'ait pas ses relâchements et ses
intermittences ?
Non ; il faut que notre misère reste
visible jusqu'au bout, afin que, jusqu'au bout, la
gloire soit toute à Dieu. Où le
chercher, ce juste qui, après avoir cru
marcher, voler vers Dieu et vers la cité de
Dieu, je dis plus, après
avoir réellement et vigoureusement
marché, volé, n'ait pas eu la douleur
de se retrouver, un jour, faible, incertain,
chétif, pécheur, esclave de la
terre ! Il avait plané au-dessus, et,
voici, après tant de tempêtes
affrontées ; une autre était
venue qui lui avait brisé les ailes, et
peut-être aura-t-il encore l'humiliation de
reconnaître qu'il avait vaincu les plus
terribles, qu'il a été vaincu par la
plus faible.
Dût-il ne pas retomber jusque dans la
poussière ou dans la boue, assez de choses
lui rappelleront encore qu'il est homme, qu'il est
pécheur, comme elles l'ont rappelé,
dans tous les siècles, aux plus
éminents chrétiens. Il y en eut un
qui écrivait : « Je ne fais
pas le bien que je voudrais, je fais le mal que je
ne voudrais pas ; je suis captif de la loi du
péché... Misérable que je
suis, qui me délivrera de ce corps de
mort !... » - et le chrétien
qui disait cela, mes Frères, c'était
le miraculeux converti du chemin de Damas,
c'était celui en qui nous venons
précisément d'étudier la vie
en Christ.
Ah ! nous nous émouvons au récit
des chutes d'empires, des défaites de grands
guerriers, et le plus obscur des hommes pourrait
avoir aussi, comme chrétien, son histoire,
sa longue histoire, semée
de débris, palpitante de catastrophes. Nous
le verrions se lever, tomber, se relever, tomber
encore. Pleurant sur sa misère, il nous
instruirait, comme saint Paul, par ses
larmes ; indifférent à sa
misère, il nous instruirait encore, car nous
nous demanderions comment il peut y être
indifférent, nous lui dirions d'aller
à Christ, et nous sentirions mieux le besoin
d'y aller nous-mêmes.
Crainte, crainte salutaire, toujours ;
découragement, jamais. Tu es debout ?
crains de tomber. Tu es tombé ?
courage ! Je te dirai qui te
relèvera.
Ainsi se renouvelle et s'accomplit, à
travers les chutes de l'homme, l'œuvre de
Dieu ; ainsi s'amassent et se perfectionnent
dans nos âmes, tantôt malgré nos
chutes, tantôt par nos chutes mêmes,
les éléments de la vie en Christ.
Quand je les cherchais, tout à l'heure,
parmi des impressions généralement
éprouvées, et que je vous aidais
à les retrouver en vous, il en est un que je
n'indiquai pas, et c'était cependant, de
tous, le plus essentiellement chrétien. Le
voici qui nous apparaît maintenant dans toute
sa nécessité, dans toute sa grandeur.
Avec les autres, où en seriez-vous
réellement ?
Âmes intelligentes, vous auriez la
lumière ; âmes affligées,
vous auriez la consolation ; âmes
pécheresses, qu'auriez-vous ?
Il vous faut donc, et pour réparer vos
chutes, et pour vous armer contre le mal, et pour
que la consolation soit véritable, et pour
que la lumière soit lumière, il vous
faut, dites-vous-le bien. un sauveur, et jamais
Christ ne sera véritablement en vous s'il
n'y est, avant tout, comme sauveur.
Sauveur !
Ah ! ce beau titre peu d'hommes le lui
refusent en paroles, peu le lui donnent dans leur
cœur, sincèrement, pleinement, car il y
a cent manières, mes Frères, de le
lui refuser.
Vous le lui refusez, vous qui croyez, n'importe
sous quelle forme, à la possibilité
de vous sauver vous-mêmes, par
vous-mêmes, et d'acheter par des vertus d'un
jour une éternité de bonheur.
Vous le lui refusez si vous dites, comme saint
Paul, qu'il est venu « pour sauver les
pécheurs, » sans ajouter, comme
saint Paul, qu'il est venu pour vous, et que
« le premier » des
pécheurs, à vos yeux, c'est vous.
En vain, - je vous l'ai montré ailleurs, -
en vain vous inclinerez-vous devant la croix, si
elle est pour vous autre chose que le signe du
salut ; en vain
écouterez-vous des
prédications chrétiennes, si ce n'est
pas là, par-dessus tout, ce qui en ressort
pour vous.
En vain prendrez-vous part aux solennités de
l'Église ; en vain vous
approcherez-vous, à certains jours, de cette
table où Jésus vous attend ;
vous le lui refuserez encore, et toujours, ce nom
de Sauveur, si vous n'approchez pas, comme dit
notre antique liturgie, avec la foi que cet acte
demande ; - et quelle est-elle, cette foi,
sinon que vous acceptiez, et pleinement, et
fermement, le salut par la croix ?
Il l'acceptait, saint Paul, et voilà
pourquoi il a pu dire : « C'est
Christ qui vit en moi. »
Ils l'acceptaient, les disciples de saint Paul, les
fidèles des premiers siècles, et
voilà pourquoi Christ était si
visiblement en eux.
Ils l'acceptaient, les martyrs, quand ils bravaient
la Rome païenne, quand ils mouraient si bien
pour ce Jésus mort pour eux.
Ils l'acceptaient, vos glorieux ancêtres,
quand il fallut renouveler les rudes combats des
premiers siècles, et que chaque rigueur,
chaque supplice, les retrouvait plus fermes, plus
joyeux, plus vivants.
Ils l’acceptaient, enfin, tous ceux qui ont
combattu le bon combat, soldats ou chefs, contre le
péché, contre l'erreur,
contre la persécution,
contre le monde, tous ceux qui ont
été forts, tous ceux qui ont
été grands.
Ils l'acceptaient, et cela seul, l'accepter,
était déjà leur joie et leur
couronne ; toutes les gloires de la terre
n'auraient pas valu, à leurs yeux, cette
triomphante humiliation, être
sauvé !
Ils l'acceptaient, - et vous voudriez ne l'accepter
qu'à demi ! Vous voudriez n'être
redevables que de ce dont il vous plaira de
l'être ! Vous mesureriez le bienfait sur
votre ingratitude, et vous en retrancheriez tout ce
qui ne va pas à votre orgueil !
Étonnez-vous, après cela, que le
Christianisme ait souvent l'air d'avoir perdu sa
vertu d'autrefois !
Étonnez-vous que les incrédules
l'accusent de n'être plus ni une vie pour les
individus, ni une force pour les peuples !
C'est vous qui en avez fait un corps sans
âme, et, les premiers punis, ce sera vous. Il
vous manquera dans vos épreuves ; il
vous manquera dans vos luttes.
Vous aurez cru vous suffire à
vous-mêmes, et vous n'y aurez réussi
ni pour l'éternité, ni pour le
temps.
Mais ce qu'il a été, il l'est
encore ; il l'est pour quelques-uns, il peut
le redevenir pour tous.
À nous, avec l'aide de Dieu, à nous
de reconquérir notre
place autour des sources de la vie !
Je vous ai montré où elles sont, et
je vous ai dit ce qui vous manque. Je vous l'ai dit
avec une entière franchise, ne respectant
aucune erreur, aucune illusion, aucun orgueil. J'ai
été sévère de paroles,
mais parce qu'une vive charité m'animait
envers vous, parce que j'ai longtemps vécu,
dans de studieux travaux, avec vos pères,
parce que mon vœu le plus ardent serait de les
voir revivre, non dans de froides pages, mais dans
des enfants dignes d'eux.
Je suis venu sans autre autorité que celle
d'une conviction profonde ;
« j'ai cru ; c'est pourquoi
j’ai parlé. » Non !
il ne faut plus que personne puisse se figurer
qu'on est chrétien parce qu'on aura
éprouvé encore, dans de rares
occasions, quelques émotions pieuses, parce
qu'on aura écouté, sous l'attrait
d'une voix nouvelle, d'antiques
vérités qu'on n'écoutait plus
depuis longtemps, qu'on n'écoutera plus le
lendemain.
Il ne faut plus que chacun se fasse un
Christianisme à sa taille ; il ne faut
plus qu'on s'aventure aux combats de la terre avec
cette armure incomplète, fragile, humaine,
qui compromet le salut des combattants et la gloire
du chef. « Prenez,
nous est-il dit, le bouclier de la foi,
l'épée de l'esprit et le casque du
salut ; » prenez, en d'autres
termes, les armes du Christianisme, mais prenez-les
comme Dieu les a faites.
Prenez-les pour les grands combats de
l'Évangile en ce siècle où
tant d'ennemis l'assaillent, ennemis ouverts,
ennemis cachés ; prenez-les dans tous
les dangers qui sont plus particulièrement
ceux de votre Église, champion du
Christianisme évangélique contre un
Christianisme corrompu ; prenez-les dans vos
épreuves intimes, dans vos luttes de tous
les jours contre le péché ou la
douleur ; prenez-les parce que Jésus
vous les offre, et qu'il veut combattre avec
vous.
Si vous n’êtes à lui, vous
êtes nécessairement au monde ; si
ce n'est pas lui qui vit en vous, c'est le monde,
et, le monde, c'est l'agitation sans repos, c'est
la gloire sans bonheur ou l'obscurité sans
paix, c'est le rongement d'esprit, c'est le vide,
c'est le néant.
Il faut le combler, et sans retard, ce vide que
nous avons beau ne pas sentir ou ne pas avouer, et
qui est en nous, et qui nous ronge, et qui nous
rongerait, comme enfants du siècle, toujours
plus.
Il est dans les jouissances grossières, et
il est aussi, tôt ou tard, dans les plus
relevées que le monde ait
à nous offrir ; il est dans les petits
intérêts de cette terre, et il est
aussi dans les grands ; il est dans les
plaisirs du riche, dans les découragements
du pauvre ; il est au fond de tout ce qui est
du monde, tristesse ou joies, revers,
prospérités ; il est partout,
enfin, hormis dans le grand refuge, hormis en
l'Évangile, hormis en Christ.
Saisissez-la donc, cette « bonne
part » qui ne vous sera point
ôtée ; saisissez-la, et vous
vivrez ; saisissez-la, et, quel que soit votre
rôle dans le siècle, appelés ou
non aux grands combats, vous redirez avec
l'Apôtre que « ni la mort, ni la
vie, ni les choses présentes, ni les choses
à venir, » rien, rien au monde ne
vous séparera « de l'amour de Dieu
en Jésus-Christ. »
Enfants de Dieu, rachetés de Christ,
héritiers de tant de martyrs, le
voulez-vous ?
Si vous le voulez, courage ! Dieu fera le
reste.
Amen !
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