Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Préface

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Le Consistoire de Nîmes décida, dans les premiers jours de février, d'appeler un prédicateur genevois à prêcher dans cette ville, avant Pâques, une série de conférences destinées spécialement aux hommes. Cette tâche me fut offerte, et je l'acceptai avec joie.
Une seule chose, l'extrême brièveté du temps donné, aurait pu me faire hésiter. Je bénis Dieu de m'avoir inspiré de passer outre, et de m' avoir prêté jusqu'au bout courage et force

Mais de quelques bénédictions qu'il lui ait plu d'accompagner le prédicateur et ses travaux, les discours que je publie se sont nécessairement ressentis de la rapidité avec laquelle ils furent préparés, et, quoique revus, ils en garderont les traces.
On les accusera., non moins justement, d'être incomplets ; mais ce ne sera pas, j'espère, sans être persuadé que je m'en suis aperçu mieux que personne. Cette pensée m'a suivi de partie en partie, de page en page. Ce ne sont pas des détails seulement, mais des idées de première importance, des sujets tout entiers, qu'il m'a fallu laisser de côté ou n'indiquer qu'à peine, heureux encore quand cette légère indication ne m'exposait pas au reproche d'avoir mis trop de choses dans un même discours, et d'en avoir compromis l'unité.

Mais je m'inquiétais peu de ce reproche, comme de tous ceux qui n'atteindraient que l'œuvre extérieure, oratoire ; je m'étais imposé la loi de voir avant tout l'œuvre chrétienne. C'est celle que Dieu a bénie, parce qu'elle était la sienne.
J'ai donc prêché ces discours d'abord à Nîmes, le dimanche soir pour les hommes, le jeudi pour tous les fidèles, car le Consistoire avait jugé bon de me les redemander. Puis vinrent, de la part de beaucoup d'autres Consistoires, des demandes qui étaient pour moi des ordres, mais à plusieurs desquelles, faute de temps, il m'a été impossible de me rendre. Ce que j'ai pu faire, je l'ai fait. C'est ainsi que j'ai successivement reproduit ces mêmes discours, sauf quelques modifications de détail ou de formes, à Alais, à Montpellier, à Montauban, à Clairac et à Bordeaux. Que toutes ces Églises veuillent bien recevoir ici l'expression de ma reconnaissance, non pour l'empressement avec lequel elles m'ont écouté, car des chrétiens ne font que leur devoir en écoutant qui leur parle au nom du Maître, mais pour l'accueil profondément cordial que j'ai trouvé chez leurs pasteurs, les membres de leurs Consistoires, les professeurs de leur académie, les fidèles de tout rang, à quelque nuance religieuse que les uns et les autres appartinssent.

Cet accueil, il est vrai, ne s'adressait pas seulement à l'homme dont les écrits ont peut-être fait quelque bien parmi les protestants de France. Cet homme représentait parmi eux, sinon officiellement, du moins par sa qualité seule de Genevois et de pasteur genevois, une Église à laquelle mille souvenirs les lient ; et ceux mêmes, s'il y en a, qui avaient pu croire un moment que l'ancienne Genève n'était plus, ont été heureux de la saluer vivante dans un de ses plus humbles, mais de ses plus dévoués représentants.
Aussi ai-je pu sans crainte, et dans la chaire, et partout, faire appel a ces souvenirs ; je l'ai pu d'autant mieux que la gloire en est à Dieu seul, à Dieu qui nous rendit, il y a trois siècles, l'Évangile, à Dieu qui nous donna de le garder à travers tant d'épreuves. On se souvient, à Genève, de ces innombrables Français qui vinrent à tant d'époques, abandonnant patrie et biens, se réfugier dans son sein ; on se souvient, en France, de l'hospitalité qu'ils y reçurent malgré les colères des rois.

Et comment l'aurais-je laissée dans l'ombre, cette glorieuse histoire, quand je n'avais pu faire un pas sans me trouver en présence de quelqu'un de ses monuments ? Villes ou villages, montagnes, châteaux, rivières, quel lieu n'avait pas eu à m'en raconter quelque épisode ?
Même les lieux et les objets qui n'avaient rien de précis à me dire, mon cœur les interrogeait comme le reste. Ce rocher, ce vieil arbre qui me voyait passer, il a vu passer, me disais-je, ces admirables hommes du Désert, ces pasteurs que la potence épiait à chaque tournant de route ; il les a vus porter intrépidement l'Évangile à. ces intrépides troupeaux qui ne s'étonnaient même plus qu'on bravât la mort pour aller à eux, quand ils la bravaient, eux, ou pour entendre, ou pour cacher, ou pour sauver l'apôtre.

Que seraient aujourd'hui, me demandais-je, dans de semblables circonstances, et les troupeaux et les pasteurs ? - Redoutable question qui me remplissait tantôt d’effroi, tantôt d' une sainte confiance en Celui qui donne la force à qui il impose les combats.

Un lieu surtout m'a longtemps vu plongé dans ces pensées. C'est celui, il est vrai, où j'avais déjà le plus vécu par l’imagination et par le cœur, la Tour de Constance, à Aigues-Mortes.
Je ne l'avais jamais vue, et j'ai pu constater que j'avais eu de bons renseignements ; mais je m'arrêtai peu, je le confesse, à la froide satisfaction d'avoir été un historien exact. Je ne sais même si j'y songeai.
J'entrai donc, tout entier à mon émotion pieuse.
J'entrai comme chez moi, car je m'y reconnaissais.

J'entrai comme dans un tombeau, et c'en est un tombeau jadis pour les héroïques prisonnières, tombeau maintenant par son silence, tombeau toujours par la lugubre épaisseur de ses murailles et l'éternel crépuscule de ses salles. J'entrai surtout comme dans un sanctuaire ; et quel autre, me disais-je, a vu des immolations plus longues ?
Ici ont vécu, ici sont mortes, après des captivités d'un demi-siècle, tout ce qu'on pouvait y entasser de femmes enlevées à ces pauvres Églises sous la croix. Ici arrivait la mère arrachée à ses enfants, la fille arrachée à sa mère ; ici venait vieillir l'épouse arrachée à. son époux au milieu même de la bénédiction nuptiale interrompue.
On voudrait croire que des siècles ont passé là-dessus, - et il y en a un, moins d'un ; nous avons des vieillards qui ont vu sortir de la tour nos dernières prisonnières, et du bagne de Toulon nos derniers galériens.
Une Église implacable osa gémir de leur délivrance ; elle n'y sut voir qu'un échec pour sa domination et ses principes. Prisonnières, galériens, nul n'avait abjuré. Ce mot qui aurait pu les rendre à la liberté, à la vie, cette conversion qu'on eût acceptée avec joie aussi incomplète, aussi légère qu'il leur eût plu de l'offrir, ils n’avaient pas même eu l'air de comprendre qu'on pût la leur demander. Ah ! c'est que la ligne droite était leur devise, et sans phrases, comme elle fut celle de ces pasteurs qu'elle menait droit au gibet.

Disciples de Jésus-Christ, ils savaient ne pas maudire, mais ils ne savaient pas faire leur cour ; ils n'auraient pas pensé que le petit-fils d'un d'entre eux donnât un jour à la France protestante le spectacle qu'il vient de lui donner, posant froidement sur leurs tombeaux son pied d'homme d'État, et s'inclinant devant le principe impitoyable qui les envoyait à la mort.
Pour moi, quand j'ai jeté, dans le deuxième de ces discours, quelques pages sévères sur les souplesses fatalistes, je ne me doutais pas que mes paroles dussent avoir, dans quelques jours, un si triste à-propos.

Mais je ne saurais me repentir de les avoir écrites. Plus l'esprit du siècle obtiendra de ces déplorables triomphes sur la vérité, sur la conscience, plus nous serons dans notre droit en lui en faisant honte. À ces reniements, à ces souplesses qu'il excelle à couvrir de mots sonores, opposons invinciblement les lois de la conscience chrétienne. Laissons le catholicisme et ses amis se rendre possibles à tout prix ; notre gloire sera d’être impossibles partout où il faudrait ou renier notre passé ou abdiquer notre avenir.

Le catholicisme, du reste, nous aide assez lui-même à démontrer ce qu'il y à d'étrange dans de pareils hommages. Ce principe d'autorité qu'on s'est mis à trouver si beau, il s'est mis, lui, à en tirer hardiment les conséquences les plus incompatibles, je ne dis plus avec les idées protestantes, mais avec une liberté quelconque, en religion, en politique, en n'importe quoi. Tout ce qui semblait conquis, voilà quelques années que nous l'entendons contester ; on préconise, on réclame, en plein dix-neuvième siècle, des droits qui ne furent jamais exercés sans contestation, même au quinzième, et on a soin, pour ce qui nous concerne, de ne nous laisser aucun doute sur la manière dont on les exercerait.
Aux menaçantes théories, aux vœux impitoyables, ajoutez les injures prodiguées à notre histoire, à nos ancêtres, à notre foi, à tout ce qui nous est sacré. Le moment est au moins singulièrement choisi pour caresser qui nous attaque avec de pareilles armes ! Journaux, livres, leçons, prédications, tout a reçu le mot d'ordre, et j'ai pu recueillir de ville en ville, après le dernier carême, l'écho des plus délirantes paroles contre le protestantisme et contre nous.
Dans quelques-unes de ces villes, on a cru que je venais répondre ; on s'est trompé. Les Consistoires ne m'appelaient point pour cela. On m'avait demandé de parler du Christianisme, et j'ai parlé du Christianisme ; c'était la meilleure des réponses. À peine ai-je fait çà et là quelques allusions au catholicisme ; mais, quoique décidé à ne point m'en occuper, que pouvais-je dire qui ne fit contraste, au fond, avec ses tendances ou ses dogmes ?
Que resterait-il de lui si le Christianisme devenait, dans le monde, celui que j'ai prêché, celui que supposent constamment les applications que j'en ai faites ?

Si le catholicisme est ce qu'on en fait aujourd'hui, - et je ne vois pas qu'on puisse, historiquement ni logiquement, en faire autre chose, - si c'est la négation de la liberté religieuse, le pouvoir accordé au prêtre de se rendre odieux en intervenant partout, l'interdiction de la Bible, l'infaillibilité du Pape, la concentration, entre ses mains, de tous les pouvoirs de l'Eglise, la multiplication indéfinie des pratiques, la rédemption de plus en plus dans l'ombre, la Vierge de plus en plus substituée au Christ ; si le catholicisme est cela, dis-je, et il l'est, et il ne peut plus ne pas l'être, - comprenne qui pourra comment la France ou toute autre contrée pourrait devenir chrétienne en restant catholique ; nous dirons, nous, qu'elle ne le deviendra qu'en rompant avec le catholicisme.

Mais nous le dirons toujours en nous attachant beaucoup moins à renverser qu'à construire. L'édificedivin se fait lui-même sa place, dans les cœurs, sur les débris de tout ce qui n'est qu'humain ; j'en ai eu les plus consolantes preuves avec plusieurs des nombreux catholiques qui sont venus m'entendre. Ils m'ont écouté d'autant mieux que je pensais moins à eux ; ils m'ont suivi plus loin qu'ils ne le savent peut-être encore eux-mêmes.
Que Dieu, qui a commencé l'œuvre, la continue et l'achève dans leurs cœurs !

Quant à ceux pour qui j'étais venu et à qui je dédie ces discours, je ne puis faire plus pour eux que de les remettre également aux mains du bon berger. Me sera-t-il donne de les revoir dans ce monde ? Dieu le sait ! Mais ce qu'ils savent, ce que j'ai rappelé à tous ceux que je quittais, c'est que tous, un jour, au delà du voile, nous nous retrouverons devant ce Maître que nous aurons aimé ou méconnu. Heureux, alors, heureux qui l'aura aimé ! Heureux qui aura répondu à ses appels l

Paris, mai 1856

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