BROUSSON
(CLAUDE)
était né à Nîmes en 1647 de Jean Brousson et de Claude Paradès.
Il embrassa la carrière du barreau, s'établit d'abord à Castres,
ensuite à Castelnaudary, enfin à Toulouse, suivant la chambre de
justice mi-partie lorsqu'elle fut successivement transférée de
l'une de ces villes dans l'autre. Après avoir plaidé plusieurs
causes avec succès dans la capitale du Languedoc, il s'occupa
activement des affaires religieuses, et pour
veiller aux droits des Églises réformées de France, il organisa un
Comité de résistance qui s'assemblait dans sa propre
maison. Il était composé de seize membres appartenant à cinq
provinces du midi de la France, qui se rendirent si secrètement à
Toulouse et conférèrent si mystérieusement ensemble, qu'ils se
dérobèrent à toute la vigilance du gouvernement. Immédiatement
après la publication de l'arrêt du 8 mars 1683, ils convinrent
d'employer tous les moyens de résistance qui ne mèneraient pas à
la rébellion; ainsi il fut résolu par eux: qu'à un jour marqué on
rouvrirait les temples interdits; que pendant les prières et le
prêche les portes resteraient ouvertes, afin que tout le monde pût
juger de la pureté du culte; que dans tous les endroits où les
temples étaient abattus, on s'assemblerait sur leurs ruines; que
tous ceux qui avaient cédé à la violence et signé des abjurations
, ne se réuniraient qu'en des lieux écartés, afin de se dérober
aux procès qu'on voudrait peut-être leur intenter comme relaps;
que ces dernières assemblées ne seraient
tenues ni avec un éclat qui pût occasionner le désordre, ni avec
un secret qui les empêchât d'être remarquées, parce qu'on désirait
qu'elles le fussent et que la Cour même en fût instruite, pour lui
prouver que l'abolition du protestantisme en France n'était pas
aussi facile que quelques courtisans gagnés par les jésuites le
supposaient.
Claude
Brousson
porta lui-même cette délibération à Nîmes, sa ville natale, où il
était connu et où ses amis étaient nombreux et dévoués.
Mais cette proposition fut sévèrement blâmée par les hommes
politiques du Consistoire, qui la trouvèrent si hardie et si
dangereuse , que, tremblants à la seule idée de la voir mettre en
pratique, ils conseillèrent au contraire la soumission passive et
l'obéissance subite; alors quelques-uns de leurs collègues,
s'indignèrent à leur tour, appelèrent lâcheté, trahison, conduite
déloyale, un abandon aussi prompt et aussi complet des droits de
l'église et se séparèrent ouvertement d'eux; de là l'origine des
deux partis protestants de cette époque, l'un composé des
hommes timides
ou politiques, et l'autre des chrétiens zélés ou de la résistance.
Ces
derniers
s'assemblèrent en cachette après cette scission qui s'opéra le 18
avril 1685, avec Brousson, Fonfroide , plusieurs de leurs amis et
quelques pasteurs des environs, pour aviser à ce qu'il y avait à
faire dans des conjectures si alarmantes et en présence de la
persécution ouvertement déclarée; l'ardeur brûlante de leur âme
les fit malheureusement sortir des bornes de la modération,
puisqu'elle leur fit mettre en avant des projets qui ne tendaient
à rien moins qu'à s'emparer de la ville à main armée, avec le
secours des habitants des Cévennes qu'ils savaient être prêts à
marcher au premier signal.
C'était réorganiser la guerre civile. Mais ce complot coupable fut
déjoué par une trahison.
Leur
assemblée
secrète tenue du 2 au 3 mai 1685, dans la maison d'un nommé
Vincent, fut dénoncée aux officiers du présidial, par les membres
du Consistoire appartenant au parti des timides ou politiques, qui
de concert avec eux prirent des mesures pour arrêter les chefs des
conjurés. Saint-Cosme, que le duc de Noailles avait gagné,
s'entendit avec le président de Rochemaure pour faire venir des
troupes d'Anduze; le soir même ils allèrent ensemble à leur
rencontre jusqu'à la Croix-de-Fer, pour leur donner des ordres
précis. La ils se croisèrent avec un homme à cheval qui arrivait
du côté de cette ville; ils le prirent pour un dragon
d'avant-garde et lui demandèrent à quelle distance pouvaient être
ses camarades qu'ils attendaient. Celui-ci, qui était de Nîmes,
reconnut ses interrogateurs mystérieux, et comme il appartenait
lui-même au parti des zélés ou de la résistance, il s`empressa
d'aller avertir Brousson et ses associés de ce qui se tramait
contre eux. La nuit était sombre et il pleuvait par torrents, ce
qui leur permit de sortir aussitôt de leurs domiciles sans être
découverts, pour aller chercher un asile chez des amis.
Le lendemain malgré les plus actives recherches, on ne put trouver
que Fonfroide , qui n'avait pas été averti et qui se sauva même,
parce que à sa place, on s'empara de son frère couché
dans le même lit que lui. Le désappointement du duc de Noailles
fut extrême; aussi fit-il défense aux habitants de la ville, sous
peine de mort, de recevoir chez eux les proscrits. Ceux qui les
avaient cachés tremblèrent aussitôt, et quelques-uns résolurent de
les livrer à la justice; de ce nombre se trouvèrent les hôtes de
Brousson; reculant pourtant devant cette infamie, ils le prièrent
seulement avec instances de se réfugier ailleurs. Il sortit donc
le soir même de leur maison, ne sachant où aller; pendant deux
jours et deux nuits il erra à l'aventure, se cachant dans des
réduits obscurs, transi de froid et mourant de faim; à force de
recherches et d'observations, il découvrit que le grand égout dont
l'orifice se trouvait au milieu de la rue du Collège (1)
pourrait lui offrir une issue favorable pour s'échapper; il y
entra donc en hésitant, le parcourut à tâtons, s'enfonçant à
chaque pas dans une boue noire et puante, et après des efforts
incroyables , étant parvenu à sortir dans
le fossé des Calquières , il partit à l'heure même pour les
Cévennes, d'où il put se réfugier en Suisse.
Il s'établit à Lausanne, avec sa femme et son fils unique, né d'un premier mariage, et y exerça ses fonctions d'avocat. En 1687 il fut envoyé par ses coreligionnaires exilés comme lui, avec un ancien pasteur des Cévennes, en députation vers le roi de Prusse, pour solliciter des secours. Arrivé à Berlin, on lui offrit de le nommer professeur de l'Université de cette ville, si célèbre par ses institutions scientifiques et littéraires; mais il refusa cette place sans hésitation, parce que un projet hardi, qui demandait autant de dévouement que de sacrifices dans son exécution, couvait au fond de son cœur.
Il se reprochait de laisser ses frères de France sous la croix des persécutions, sans venir au secours de leurs pauvres âmes, qui languissaient errantes, sans bergers pour les conduire, sans eaux courantes pour les désaltérer. Pendant l'insomnie de la nuit, il croyait entendre ces longs gémissements, ces sanglots de désespoir, ces plaintes déchirantes, que les nombreux prisonniers de la Tour-de-Constance d'Aigues-Mortes et de la citadelle de Nîmes, poussaient dans leur détresse commune, sans autre perspective de délivrance qu'un infâme gibet ou qu'un douloureux bûcher; et l'esprit de Dieu agitent sa conscience, le poussait à leur venir en aide, pour adoucir leurs souffrances ou mourir avec eux.
De retour à Lausanne il fut atteint d'une maladie si grave, que les médecins la jugèrent mortelle, sans pouvoir en déterminer la cause; lui seul au monde la connaissait; et ce fut précisément lorsque son corps affaibli par une fièvre dévorante pouvait à peine se tenir debout, qu'il prit la résolution énergique d'aller en France rejoindre ses frères en la foi. Il la communiqua à sa femme et à ses amis, qui tous la trouvèrent si périlleuse, si au-dessus de ses forces, au moment où sa vigueur physique se trouvait complètement épuisée, qu'ils travaillèrent d'un commun accord à l'en détourner par leurs plus vives instances et leurs plus ardentes prières.
Il
demeura
inébranlable; sans consulter la chair et le sang, il se mit en
chemin, aussitôt que sa convalescence put le lui permettre, et le
Seigneur lui rétablit la santé dans un voyage qui, à vues
humaines, devait occasionner sa mort.
Arrivé en cachette dans le Bas-Languedoc , il se fit immédiatement
consacrer au ministère évangélique par François Vivens , simple
ouvrier cardeur de laine de Valleraugues, qui étant allé lui-même
recevoir l'ordination apostolique en Hollande, était devenu prédicant
du désert.
Brousson, sans partager son caractère turbulent et ses vues ambitieuses, le surpassa par son zèle fervent et par son dévouement héroïque, en se consacrant sans réserve au service de son maître Jésus-Christ, après avoir pris pour sa sûreté personnelle le surnom de Paul Beauclose. Quoique sa constitution physique, par suite de la maladie qu'il venait d'essuyer, fut d'une extrême faiblesse, il ne s'en livra pas moins sans relâche à l'exercice de ses pénibles fonctions. Il réunissait les fidèles, la nuit, entre deux rochers, dans un lieu éloigné et solitaire, et là, à la lueur de quelques torches résineuses ou à la pâle clarté de la lune, il annonçait avec la foi la plus vive et l'élan de l'âme le plus expansif, Christ et sa justice, Christ et son salut, à ces assemblées plus ou moins nombreuses selon les temps ou les circonstances. En descendant de chaire, quoique couvert de sueur et exténué de fatigue, il baptisait des enfants, bénissait des mariages, et profitait ensuite du reste de la nuit pour se rendre, accompagné d'un guide et à la faveur des ténèbres, dans quelque maison du voisinage, afin d'y célébrer un service funèbre à l'occasion d'un mort, que l'on était obligé de cacher, en creusant sa tombe ou sous le hangar d'une remise, ou au fond d'une écurie, quelquefois même à côté du lit sur lequel il avait rendu le dernier soupir.
En face de ce cadavre prescrit après son décès, la voix du pasteur du désert s'élevait lente et mélancolique, et dans une prière, que les lamentations doublement amères poussées par les parents groupés autour de lui et éclairés par la pâle lumière de quelques lampes, rendaient aussi impressive que solennelle, il implorait les bénédictions de Dieu et sur la famille en larmes et sur l'église en deuil.
Voici dans toute sa simplicité, la reproduction littérale d'un récit sorti de la bouche d'un vieillard des environs de Nîmes, qui nous a été communiqué.
«Quelque temps avant que nos frères des Cévennes eussent levé l'étendard de la guerre sainte, nous fûmes prévenus que dans trois jours, le respectable Brousson tiendrait une assemblée dans la baume des Bergines , près de Vergèze. Le lieu qui portait ce nom était une vaste caverne, que la main du Tout-Puissant avait pratiquée sur le versant oriental d'une colline couverte d'oliviers; l'ouverture en était si étroite qu'on ne pouvait y entrer qu'en rampant; les oliviers, emblèmes de la paix, semblaient nous promettre une profonde sécurité en masquant par leurs épais rameaux le lieu de notre retraite.
Dès le matin du jour fixé, pour détourner les soupçons des catholiques, les uns se plaignirent d'une maladie qu'ils n'avaient pas, les autres allèrent ostensiblement à la messe; mais en même temps les Psautiers furent déterrés, ainsi que les armes qui avaient échappé aux recherches. Les femmes tremblaient et cependant elles ne conseillaient à personne de ne pas se rendre à l'assemblée, car elles voulaient y aller elles-mêmes, le désir d'être réunies avec des frères leur faisant affronter le péril.
Qu'il nous parut long ce jour, qui se passa tout entier dans l'attente d'une grande joie et dans l'appréhension d'un grand danger! Enfin la nuit parut, et avec elle une pluie froide et pénétrante rendit le temps ténébreux; Dieu évidemment nous favorisait; nous nous esquivâmes furtivement de nos demeures, y laissant nos vieillards au désespoir de ne pouvoir pas nous suivre, et nos mères qui priaient pour nous avec émotion. Je n'avais pas atteint ma dix-huitième année; ma sœur, mon frère et mon père m'accompagnaient.
Sur la route nous rencontrâmes nos sentinelles qui nous promirent de faire bonne garde.
L'assemblée était déjà nombreuse quand nous arrivâmes; de toute la Vaunage on était accouru. Quel spectacle déchirant! des femmes, des filles, des enfants, dont les habits trempés laissaient découler l'eau de toutes parts. Le peuple s'engouffrant dans ces hautes tranchées, faisait entendre un plaintif sifflement; et pour éclairer ces sombres lieux, il n'y avait que quelques petites lanternes dont la faible clarté ne rendait que plus horribles les ténèbres de la grotte.
Au milieu de l'assemblée était assis le respectable Brousson, portant son costume grossier de paysan, rendu plus ignoble encore par la boue qui le souillait. Les femmes avaient entouré de leurs tabliers noirs la chaise qui servait de chaire. Sur une pierre étaient déposés les calices et le pain de la communion. Le service commença par la lecture de la Bible et par le chant des Psaumes; oh! qu'ils étaient bien appropriés à la circonstance!
En
écoutant
le malheureux Fulcran Rey, de Nîmes, chargé de cette partie du
culte, et qui faisait ainsi son apprentissage du martyr, nous
n'avions plus froid, nous n'entendions plus l'orage, nous ne
pensions plus aux dragons.
Le prédicateur choisit pour texte les mémorables paroles de
Jésus-Christ que l'on trouve St-Matth.
X, 22: Celui-là
seul sera sauvé qui persévérera jusqu'à la fin.
Voulant prouver que le salut n'est assuré que pour ceux qui
combattent sans cesse le combat de la foi, il nous cita
l'exemple de tous les confesseurs des temps anciens et ceux des
temps apostoliques; ensuite il nous peignit le courage des
martyrs de nos jours, confondant leurs juges devant les
tribunaux, émouvant leurs bourreaux sur la roue et recevant dans
le ciel la couronne de vie; et puis, il nous retraça les
tourments des lâches apostats, réservés au feu éternel, et
dévorés dès cette vie des angoisses du remords. Oh! que de
larmes de repentance coulaient en ce moment! que de
serments
d'être fidèles furent prononcés!
Ce fut au milieu de nos sanglots que le pasteur bénit le pain et le vin de la communion; alors nous nous prosternâmes tous devant Dieu, lui demandant de nous pardonner et de nous fortifier..... Lorsque tout à coup, une voix retentissante s'écria : Voici les dragons! fuyez! fuyez sans retard!
Au même instant une décharge de mousqueterie nous apprit que notre dernière heure venait de sonner..... Vous dire ce qui se passa dans la grotte; je ne le puis. Les ténèbres les plus épaisses nous environnaient; les jurements des soldats et les cris lamentables des mourants se confondaient dans cet affreux tumulte... Je ne sais comment je me sauvai.
J'arrivai
auprès
de ma mère égarée et au désespoir; mes parents ne s'y étaient
pas encore rendus; en vain nous les attendîmes, ils ne
reparurent plus. Mon père fut trouvé gisant dans un précipice où
il s'était fracassé le crâne en tombant; mon frère avait reçu
une balle dans la poitrine; et ma sœur avait été conduite dans
la
Tour-de-Constance, avec les femmes qui avaient été faites,
prisonnières.....
Quinze jours après j'accompagnai ma mère dans une autre
assemblée du désert...»
Cette assemblée, Brousson la présida encore, elle fut de nouveau attaquée; cette fois-ci on voulait le pasteur, Baville avait ordonné de le prendre, aussi les attaques combinées des soldats se dirigèrent vers lui; quand tout à coup au milieu de la confusion et du tumulte, il disparut comme par enchantement; où s'est-il caché? se demandèrent les chefs de l'expédition, il faut le trouver quoi qu'il en coûte! ... Sur leurs ordres les recherches les plus actives s'organisent, plusieurs compagnies de soldats y sont employées; on sonde-le terrain, on en suit minutieusement les détours, on abat les taillis, on pénètre avec des torches dans toutes les excavations, plusieurs heures sont consacrées sans relâche à ces perquisitions qu'une pluie battante qui survient n'a pas la puissance de suspendre... et le fugitif ne se trouve nulle part....
Qu'était-il
devenu?
Il s'était glissé inaperçu dans l'angle d'un rocher, contre lequel
il se tint collé et immobile, et les dragons étaient passés cent
fois à ses côtés; mais frappés d'aveuglement comme les Syriens qui
furent envoyés pour s'emparer d'Élie le prophète, ils ne l'avaient
pas aperçu.....
Cette circonstance fut cause que l'intendant Baville, par une
ordonnance du 26 novembre 1691, mit sa tête à prix, comme
répandant dans l'esprit du peuple des sentiments de rébellion et
causant ainsi non seulement la perte de ceux qui l'écoutaient,
mais encore la ruine du pays. Il la fit afficher avec son
signalement à la porte de toutes les églises et au coin de tous
les carrefours, promettant en outre la somme de deux cents francs
à ceux qui dénonceraient une assemblée, afin qu'il fût plus facile
de la découvrir; et le comte de Broglie, lieutenant-général du
Languedoc, venant en aide à son subordonné pour détruire une
révolte, selon lui, aussi audacieuse, prescrivit à tous les
consuls des villes et des villages de son ressort de faire fermer
toutes les cavernes ou baumes, qui servaient de retraite aux
prédicants vagabonds et mal intentionnés, dont ils devaient avoir
connaissance, sous peine de répondre de tous les désordres qui
pourraient arriver par suite de leur refus ou de leur négligence.
Que fit alors Brousson?
Sur les instances de ses amis, il alla chercher en Suisse un peu
de repos auprès de sa femme et de son fils qui y étaient demeurés.
Mais avant de partir il écrivit la lettre suivante, qui a été
conservée, à son persécuteur Baville:
«Brousson, serviteur de Dieu et fidèle ministre de sa parole..... à Monseigneur de Baville, intendant du Languedoc...
Monseigneur!
permettez-moi
de représenter à votre grandeur que je ne puis pas vous
reconnaître comme mon juge, parce que par l'abolition des édits,
qui étaient perpétuels et irrévocables, nous sommes privés de
nos juges légitimes et traités non pas en hommes libres, mais en
esclaves.
Cependant, si j'avais âme défendre devant des
juges compétents je ne serais pas en peine de faire voir mon
innocence. Je ne suis pas un méchant homme; tous ceux qui ont
été témoins de ma conduite à Castelnaudary et à Toulouse,
peuvent rendre témoignage que j'ai vécu dans le monde avec
l'approbation publique, comme un homme de bien, craignant Dieu,
sans reproche.... Je ne suis pas un perturbateur du repos
public, comme vous le dites dans votre dernière ordonnance, mais
un fidèle serviteur de Dieu qui travaille à l'instruction, au
salut et à la consolation de son peuple désolé.... Je puis bien
prendre encore à témoin. ce grand Dieu qui connaît mes plus
secrètes pensées, que c'est uniquement pour la crainte de son
nom, et pour les intérêts de sa gloire, de son service et du
salut de son peuple, que je m'expose depuis si longtemps à tant
d'alarmes, à tant de dangers dans ce royaume.
Plut
à
Dieu qu'il eut plût au roi de faire quelque considération des
avis sincères que j'ai pris la liberté d'envoyer à la cour,
depuis dix ans et davantage; il ne se
trouverait pas dans l'état où il est maintenant, et on n'aurait
pas sujet de craindre, ce qu'on a sujet de craindre encore; car
enfin, Monseigneur, Dieu frappe maintenant l'état de terribles
fléaux, et il faudrait être bien aveugle pour ne pas le voir.
Maintenant cela n'est rien en comparaison des suites que l'on
doit craindre raisonnablement. L'état se soutient encore avec
éclat parce qu'il emploie toutes ses forces, mais en les
employant il les consume.
Le royaume est dans un état violent, mais les choses violentes
ne sont pas de durée.
On ne peut pas dire, Monseigneur, que nous ne soyons de vrais fidèles: Nous ne servons pas les créatures, mais l'Éternel, le Dieu vivant et véritable, le créateur du ciel et de la terre; nous mettons toute notre confiance en la miséricorde de Dieu le Père, en la grâce de Jésus-Christ son fils, et au salutaire secours du Saint-Esprit; c'est ce grand Dieu dont j'ai toujours la crainte devant les yeux, dont je médite sans cesse la parole depuis mon enfance, et qui a daigné, me faire participant de sa lumière. C'est pourquoi je supplie votre grandeur, de cesser enfin de persécuter un innocent et un fidèle serviteur de Dieu, qui ne peut se dispenser de s'acquitter des devoirs de son ministère....
Autrement je déclare que j'appelle de votre ordonnance devant le tribunal de Dieu, qui est le roi des rois, le souverain juge du monde. - Le maître que je sers et pour lequel je souffre depuis si longtemps tant de martyres... qui m'a conservé jusqu'à cette heure, au milieu des flammes de cette horrible persécution, ne m'abandonnera pas, s'il lui plaît, à l`avenir et me fera justice.»
Brousson
partit
pour Lausanne dans le courant de l'automne 1693; mais arrivé
dans cette ville, son esprit ne put rester dans l'inaction.
Aussitôt que ses forces le lui permirent, il prêcha
hebdomadairement aux réfugiés français qui se trouvaient
disséminés dans les cantons de Vaud, de Berne et de Zurich. Il
passa ensuite en Hollande et alla s'établir à La Haye avec sa
famille: le synode des Provinces-Unies ayant validé sa
consécration au ministère évangélique, comme l'exigeait la
discipline ecclésiastique, il prêcha dans les principales chaires
de ce pays où il demeura deux ans. Pendant ce temps il fit
imprimer un recueil de sermons sous le titre de: Manne
Mystique du Désert, qu'il avait composés dans son cabinet
d'études, qui était ordinairement le dessous d'un chêne dont le
feuillage touffu le préservait des ardeurs du soleil, en plaçant
sur ses genoux un pupitre léger, qu'il appelait par cette raison
la table du désert.
Son
style
était figuré, son langage quelquefois mystique, mais son âme
s'épanchait vive et ardente devant un auditoire de malheureux
proscrits voués à la mort. Souvent croyant voir le glaive de la
loi levé sur leurs têtes, il s'écriait dans un pieux transport:
frappe! frappe!...
Mais toi, Seigneur, convertis-nous! On trouve dans tous ses
sermons imprimés, l'empreinte de cette aberration de l'esprit qui
séduit ordinairement les mystiques par le bonheur réel ou
imaginaire qu'elle procure, par les illusions qu'elle
entretient, ou par les ravissements qu'elle promet; ce qui ne
l'empêche pas d'être élevée dans ses tendances et presque toujours
unie aux plus éclatantes vertus. Celui en particulier qui est
intitulé la Colombe, porte ce caractère distinctif; puisque sous
l'image de la Sulamite cachée dans les fentes des rochers du Liban
(cantique
de Salomon II, 14), pendant les ténèbres de la nuit,
l'orateur de la tribulation y trouve le symbole de l'Église
réformée, réduite à se cacher aussi dans les autres des Cévennes.
Dans
le
mois de septembre 1695, Brousson rentra en France, en traversant
les forêts des Ardennes, sous la conduite d'un guide expérimenté
nommé Brumen; il arriva à Sédan, la patrie du grand Turenne, pour
y consoler les restes d'une église florissante, qui avait possédé
une académie célèbre. Là il fut dénoncé et poursuivi par le guet
avec un tel acharnement, qu'une protection visible de Dieu put
seule le faire sortir de la ville déguisé en portefaix.
De là il se rendit en Normandie ,parcourut la Flandre
et
l’Artois, au milieu des voleurs, à pied, marchant de nuit,
supportant la fatigue avec courage, prêchant partout où il en
trouvait l'occasion, exposé aux orages, témoin des maux
qu'enfantaient partout la mortalité et la guerre civile; et malgré
tout cela, s'estimant plus heureux, comme il l'écrivait à sa
femme, que s'il avait été établi dans la meilleure église de
Hollande, parce que les consolations que Dieu lui faisait goûter
se trouvaient au-dessus de tout ce qu'il aurait pu en dire.
Cependant
après
une année de courses dans les églises du Nord de la Loire, il fut
si vivement poursuivi en Bourgogne qu'il ne put échapper à la mort
qu'en rentrant en Suisse en 1696.
Il ne fit que la traverser pour se rendre à La Haye, et ce fut
pendant le séjour qu'il y fit, que se conclut le traité de paix de
Ryswick, par lequel le prince d'Orange fut reconnu roi
d'Angleterre et les droits des réfugiés français furent sacrifiés
à son ambition. Par suite de la cessation de la guerre, les
troupes rentrèrent dans leurs cantonnements; Baville fit servir
celles qui étaient sous ses ordres à de
nouvelles exactions envers les protestants: s'il leur défendit de
les frapper de leurs glaives, il les autorisa à piller les
maisons, à emporter les meubles, à confisquer les denrées, à
saisir le bétail, à ravager les récoltes, et à imposer des amendes
exhorbitantes, de telle sorte que plus de quarante mille
Languedociens quittèrent leurs montagnes, pour aller chercher du
repos sur une terre étrangère.
La désolation était à son comble, les esprits opprimés tombèrent dans l'extase religieuse, dans les visions surnaturelles, dans les ravissements et jusques dans les prophéties. Les cris de douleur se mêlaient à la proclamation des prodiges, et leur bruit eut un retentissement si lointain, qu'il arriva aux oreilles de Brousson; ce fut un appel auquel il ne demeura pas insensible, il partit en toute hâte, dans le courant de 1697, et rentra pour la troisième fois dans sa patrie, mais ce fut pour aller a des amis et des frères qui se groupèrent avec d'autant plus d'empressement autour de lui, que depuis quatre mois ils n'avaient pas entendu annoncer la parole de la réconciliation par le sang de Christ. Plusieurs rendirent en sa présence un témoignage éclatant de leur foi, ce qui inonda son âme d'une joie que le monde dédaigne parce qu'il ne la connaît pas. C'est, en effet, en parlant de son séjour dans ces contrées qu'il écrivait, en date des 2 et 14 décembre 1697:
«J'ai été assiégé pendant trois semaines par les neiges; cependant le Seigneur m'a fait la grâce de travailler à la consolation de son pauvre peuple. La Providence Divine m'a fait passer dans des pays qui semblaient entièrement abandonnés; car il n'y a qu'un de nos frères qui y soit passé comme un éclair, depuis quatre mois; mais où j'ai vu, ouï et appris, par un très grand nombre de témoignages indubitables, de si grandes merveilles, qu'elles feront le sujet de l'admiration de toute la terre. Il y a des gens qui ont travaillé à ensevelir les merveilles de Dieu; mais Dieu saura bien les faire connaître. Je ne voudrais pas pour des millions que le Seigneur m'eût refusé la grâce qui m'était nécessaire pour travailler à son œuvre.»
Au printemps suivant, après avoir traversé le Rhône, il entra dans le Vivarais dont il parcourut tous les villages, accompagné partout de foules considérables, d'autant plus avides à écouter ses prédications, qu'elles le regardaient comme un homme choisi de Dieu pour relever les murs de Sion réduite en cendres par le feu de la persécution, qui redoublait sa rage et devenait beaucoup plus forte que dans les premiers temps.
Après
avoir
consolé et fortifié ses frères, il descendit dans les Cévennes et
arriva dans les environs de Nîmes, le 28 avril 1698. l'intendant
Baville, informé de son retour par ses agents toujours aux aguets,
augmenta la mise à prix de sa tête et la porta à deux cents louis
d'or. Les perquisitions devinrent par cela même beaucoup plus
actives, mais Brousson, les affrontant avec audace, eut
l'imprudence d`entrer dans la ville et d'y mettre à la poste une
requête signée de sa main, qu'il envoyait
au roi. Ce fut un indice qui mit les espions sur ses traces; ils
le serrèrent de près; mais Dieu le gardant encore, il eut le
bonheur de leur échapper. Ils le suivirent pourtant de loin, comme
à la piste, et s'assurèrent de la maison où il était allé chercher
une retraite dans un bourg voisin; ils la firent aussitôt cerner
par des dragons....
Comment faire? Toutes les issues étaient gardées au dehors... Où
se cacher?
Aucune
disparition
n'était possible...... Il allait donc se rendre sans résistance,
lorsque son hôte vint à son secours et le fit descendre dans une
citerne à sec, au fond de laquelle il y avait une excavation
naturelle où il put se tenir blotti; mais l'un des soldats qui
était du pays en connaissait l'existence et il s'y fit descendre
par ses camarades, quelques moments après lui. Le fugitif et le
gendarme allaient se trouver en face; l'heure de l'arrestation
avait irrévocablement sonné....
Cependant, ô surprise! ô faveur inespérée! ce dernier arrivant au
fond, se sentit tout à coup saisi d'une froideur glaciale; ses
membres
échauffés par une marche rapide , se mirent à trembler
convulsivement, ses dents s'entrechoquèrent avec violence, et il
demanda qu'on le tirât au plus vite de ce lieu ténébreux, qui
allait devenir mortel pour lui... Sa prière fut écoutée et il
sortit sans avoir aperçu le proscrit qui, à son tour, sortit plus
tard avec l'aide de son ami, sans avoir éprouvé aucun mal. Après
quelques heures de repos Brousson se mit en route, et se retira
sans autre accident à Orange, où depuis la paix de Ryswick le
culte public se célébrait sans empêchement et sans entraves sous
la protection de Guillaume III de Nassau, roi d'Angleterre, qui
dans le traité conclu dans cette ville de Hollande, le 20
septembre 1697, entre la France, l'Espagne, l'Angleterre et les
États généraux des Provinces-Unies des Pays-Bas, avait stipulé
cette clause en faveur de cette petite principauté, berceau de sa
famille.
Le retour de Brousson à Nîmes était impossible, il le comprit lui-même, et sur l'invitation de ses amis les plus intimes, il se décida, quoiqu'à regret, à partir pour le Béarn. Chemin faisant, il s'arrêta dans les nombreuses églises des Cévennes, du Rouergue, du Pays-de-Foix et du Bigorre, qui se trouvèrent sur son passage, et les encouragea à la persévérance et à la fidélité par ses exhortations et par ses prières; mais arrivé à Pau, le séjour qu'il y fit lui devint funeste, puisqu'il occasionna sa mort.
Une méprise en fut cause; au lieu de remettre une lettre de recommandation dont il était porteur, à un protestant fidèle auquel elle était adressée, il la donna à un autre qui portait le même nom, mais qui avait renié la foi de ses frères et s'était joint à leurs persécuteurs. Il le dénonça à l'instant même aux autorités de cette ville, qui mirent avec promptitude leurs agents à sa poursuite pour s'emparer de lui.
Averti
du
danger par un ami, Brousson n'eut le temps que de s'évader de la
ville et de se diriger en poste vers Oloron. Les soldats l’y
suivirent, y arrivèrent presque aussitôt que lui et se saisirent
de sa personne à l'aide de son signalement que Baville avait
envoyé partout. Il ne fit aucune résistance; il ne
cacha ni son nom, ni sa profession, ni le but de son voyage, et se
laissa conduire avec la docilité d`une brebis qu'on mène à la
tuerie, à Lescar, devant Pinon, intendant de la Province, qui le
fit conduire sans violence à Pau, où les tours du château qui,
sous la reine Jeanne d'AIbret, avaient été l'un des boulevards les
plus redoutés du Protestantisme, lui servirent momentanément de
prison.
Lorsque son dénonciateur vint réclamer les 3,000 livres promises à
ceux qui vendaient les ministres du désert, Pinon lui répondit
avec indignation: «Misérable! ne rougis-tu pas de voir les hommes
quand tu trafiques de leur sang? Retire-toi, je ne puis supporter
ta présence!»
Ces paroles annoncent une âme compatissante. L'intendant du Béarn,
bien différent de son prédécesseur Foucauld qui, avec Marsillac ,
avait organisé les dragonnades dans cette Province, était en effet
un magistrat affable, doux et plein d'humanité; ce qui le prouve,
c'est que lorsqu'il se vit dans l'obligation d'envoyer son
prisonnier à Baville, qui l'avait réclamé à cause de
son origine nîmoise et des fonctions pastorales qu'il avait
exercées pendant neuf ans dans les environs de la ville, il ne
voulut point charger ses mains de chaines et le laissa marcher en
liberté au milieu des soldats qu'il lui donna pour escorte,
comptant plutôt sur la promesse qu'il lui avait faite de ne point
s'évader, que sur leur surveillance.
Brousson,
de
son côté, ne trompa pas la confiance qu'il lui avait accordée
d'une manière si loyale et si généreuse; car, embarqué à Toulouse
sur le Canal du Languedoc, il s'aperçut, à son arrivée au Somail ,
que ses gardes étaient tous plongés dans le plus profond sommeil;
il n'avait qu'à sortir de la barque de poste pour recouvrer la
liberté et échapper encore une fois à une mort certaine; mais il
n'en conçut pas même la pensée; il avait promis de rester
prisonnier, et sa parole était inviolable; car un chrétien ne
sauve jamais sa vie au prix d'une lâcheté.
D'ailleurs la mort des martyrs, loin de lui paraître redoutable,
était peut-être l’objet des vœux secrets de son cœur. Ce
qui le fait présumer, c'est une lettre
qu'il avait écrite de La Haye, trois ans auparavant, et dans
laquelle, en parlant du supplice d'un ministre du désert comme
lui, nommé Papus, il dit:
«Dieu l'a fait entrer dans le combat, mais il l'a rendu victorieux; sa foi a été la victoire du monde, il a été même plus que vainqueur par Jésus-Christ qui l'a aimé; il a éclaté en chants de triomphe au milieu de son angoisse, et il a senti la force et la consolation de l'Esprit de Dieu, qui lui ont fait perdre le sentiment de l'amertume de la mort.
Ah! qu'il est heureux mon cher frère, puisqu'il devait un jour mourir et qu'il ne pouvait pas même prolonger sa vie au-delà du terme que Dieu lui avait marqué! sa fin pouvait-elle être plus heureuse et plus glorieuse, sa constance, sa débonnaireté, sa patience, son humilité, sa foi, son espérance et sa piété ont édifié et ses juges et les faux pasteurs qui le voulaient séduire, et les gens de guerre qui assistaient à son martyre. Il ne pouvait mieux prêcher que dans sa mort. Le sang des martyrs a toujours été la semence de l'Église.»
Brousson arriva à Montpellier le 30 octobre 1698 et fut renfermé dans la citadelle, où cinq jours après, il fut jugé par l'intendant de Baville et les officiers du présidial de cette ville. Immédiatement après que les portes en furent ouvertes, la salle d'audience se trouva envahie par une foule d'ecclésiastiques, de gentilshommes et de bourgeois. Baville qui depuis son arrivée avait eu quelques attentions pour lui l'interrogea avec soin, mais sans trop de malveillance.
Les crimes dont il l'accusa furent d'avoir été le principal auteur des délibérations prises en 1683 pour faire le prêche et s'assembler avec armes. D'être rentré plusieurs fois en France pour y soulever le peuple. D'avoir soutenu une liaison étroite avec Vivens et tenté d'introduire, de concert avec lui, le duc de Schomberg en France et une armée étrangère.... Quoique Brueys, présent à la séance, rapporte dans son histoire du fanatisme, que l'accusé fut confondu, lorsque le greffier lui présenta le projet de cette dernière insurrection, écrit de sa propre main, le témoignage de Brousson, qui s'écria à cet aspect «Ce n'est pas mon écriture et je n'ai été d'aucune conspiration!» est bien plus concluant à nos yeux. Ce qu'il ajouta ensuite pour se défendre porta le caractère évident de la franchise et de la vérité; s'il avait été avocat distingué, il était devenu pasteur fidèle; voilà pourquoi il n`eut recours à aucun artifice oratoire, à aucun argument captieux, à aucun subterfuge adroit: il parla comme en présence de Dieu, «qui connaît le cœur de tous les hommes, qui découvre les pensées de leur esprit une par une, et qui pèse leurs entreprises», niant avec fermeté d'avoir trempé dans aucun complot formé dans le but de troubler la tranquillité du royaume; mais aussi, avouant sans déguisement et sans honte, qu'à l'exemple des apôtres, il s'était fait un devoir et de plus une gloire d'annoncer partout l'efficace de la Croix du Christ, à tous les pécheurs qui sentaient leur misère morale et leur corruption invétérée, puisque à ses yeux l'Évangile était une puissance propre à renverser les forteresses de ses ennemis.
L'application était directe, tous les assistants en comprirent le sens et la portée; Baville en éprouva une indignation telle, qu'il la manifesta hautement par ses gestes d'impatience, et par ses regards pleins de courroux; et comme le loup ne peut entendre les réprimandes de l'agneau sans le déchirer à l'instant même de sa dent meurtrière, après une courte consultation avec les juges qui siégeaient à côté de lui, il prononça une sentence par laquelle Claude Brousson, convaincu de rébellion et de révolte aux lois du royaume, fut condamné...... à subir d`abord la question ordinaire et extraordinaire.... à être ensuite rompu vif sur la roue... et enfin, à être attaché après sa mort sur le gibet des malfaiteurs.
La
victime
était dévouée, elle baissa humblement la tête, et se mit en
prières. À l'exemple de Saint-Étienne, lapidé à Jérusalem, et
surtout à l'imitation de Jésus son Sauveur, mourant sur la Croix
du Calvaire, Brousson pria pour ses juges, qui par leur cruauté
étaient devenus ses bourreaux. Cette humble et fervente invocation
mentale,
ne fut ni inutile, ni vaine; elle produisit au contraire un effet
immédiat, celui d'adoucir l'inhumanité de Baville à son égard,
puisque, par un reste de compassion, il ordonna que le bourreau le
présentât seulement à la torture, qu'il lui laissât ses vêtements,
qu'il ne le touchât que sur l'échafaud, et qu'il lui fit subir le
supplice du gibet avant de lui rompre les jambes.
Mais l'heure du délogement de ce monde n'en était pas moins
arrivée pour le pasteur de Nîmes.
Il
marcha
au supplice le 4 novembre 1698, à l'âge de cinquante-un ans, sans
faiblesse, comme sans orgueil. Il fut conduit à pied, entre deux
haies de soldats pour le préserver des insultes de la populace, de
la citadelle sur la place du Peyrou, qui servait à cette époque
aux exécutions judiciaires. Lorsqu'il y fut arrivé, il essaya de
parler une dernière fois à la multitude qui le contemplait avec
étonnement, si ce n'est avec admiration; mais le roulement de
dix-huit tambours ayant couvert sa voix... il se résigna au
silence, se mit à genoux, joignit ses mains, éleva les yeux
vers
le ciel où son âme allait s'élancer triomphante, et fit sa
prière... prière solennelle! puisqu'elle fut le dernier accent
d'une bouche qui allait se fermer pour toujours sur la terre et le
dernier recours d'un pécheur à la grâce de Dieu...; elle ne fut
point entendue, à cause du bruit et du tumulte, des oreilles
impures qui l'entouraient, et le Seigneur seul l'accueillit dans
sa miséricorde...
Après cela, il se livra à l'exécuteur des hautes œuvres, qui, tout
tremblant et tout ému, accomplit son terrible et sanglant
ministère......
On sait de la propre bouche de ce dernier quelles furent les agitations qui assaillirent son cœur endurci, puisque quelques jours après, achetant une tasse d'argent chez un orfèvre, il dit: «J'ai exécuté, plus de deux cents condamnés, mais aucun ne m'a fait trembler comme M. Brousson. Quand on le présenta à la question le commissaire et les juges étaient plus pâles et plus tremblants que lui, qui levait les yeux au ciel en priant Dieu. Je me serais enfui, si je l'avais pu, pour ne pas mettre à mort un si honnête homme. Si j'osais parler, j'aurais bien des choses à dire sur lui! Certainement il est mort comme un saint!»
Ce témoignage désintéressé était précieux à recueillir; il le fut, en effet, dans une lettre adressée aux fidèles du Languedoc, qui fut imprimée à La Haye en 1699 , et répandue partout dans la province, sous le titre de Glorieux martyre de Claude Brousson. Que le lecteur le compare avec celui de l'apostat Brueys, qui l'accuse d'avoir été un homme superstitieux, turbulent et sanguinaire.... et qu'il choisisse lui-même lequel il veut accepter pour vrai!
Le cadavre du supplicié au lieu de rester sur les fourches patibulaires, comme c'était l'usage, fut enlevé pendant la nuit et inhumé dans la citadelle...... Là il repose encore attendant le jour de la résurrection, qui le mettra en présence de ses accusateurs et de ses juges, pour débattre de nouveau leurs droits devant le tribunal de l'éternelle justice.
FIN.
1) Ou Grand'Rue. Cet égout fut détruit par délibération du Conseil de la ville du 25 janvier 1744.
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