Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

APOCALYPSE DE JEAN

Chapitre 18

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1 Après cela je vis descendre du ciel un autre ange qui avait une grande puissance, et la terre était éclairée par sa splendeur. Il cria d'une voix forte et dit: Elle tombe, elle tombe, la grande Babylone; elle devient la demeure des démons, la prison de tous les esprits impurs, et la prison de tous les oiseaux impurs et détestés: car c'est du vin brûlant de son impudicité que toutes les nations ont bu et les rois de la terre ont fait débauche avec elle, et les marchands de la terre se sont enrichis par son luxe!

XVIII, 1-3. Le dix-huitième chapitre est l'un des plus simples et des plus faciles de tout le livre; malgré cela, il a pu offrir une difficulté aux commentateurs; c'est de déterminer le moment précis (dans le texte) où doit s'accomplir la ruine de Rome, déjà prédite au chapitre précédent, et positivement consommée au commencement du dix-neuvième. Le fait est que l'événement comme tel n'est pas raconté ou décrit, il ne fait pas l'objet d'une vision; et le lecteur peut, à première vue, hésiter s'il doit regarder les trois voix, qui dans le chap. XVIII célèbrent successivement la chute de la capitale, comme prophétisant l'avenir ou comme constatant la catastrophe accomplie. Or, il est vrai que la première voix (v. 1-3) parle au passé, mais les deux autres (v. 4-20 et V. 21-24) reviennent au futur, et cela doit nous faire envisager aussi le premier discours comme proclamant moins la consommation que la certitude du fait. Cette considération nous a dicté le choix des temps pour notre traduction. Il est à remarquer que l'auteur, dans cette partie de son texte, sort complètement du cadre de son drame apocalyptique et parle comme un prophète ordinaire, ayant son point de vue et de départ dans la situation réelle et actuelle. Car tandis que, au point de vue apocalyptique, il ne doit plus y avoir, à l'époque de la destruction de Rome, que les élus d'un côté, de l'autre les Romains et leurs adhérents, tous voués à la mort par l'intervention de l'Antéchrist et de son armée orientale, le point de vue de la simple prophétie, empruntant les couleurs de ses tableaux à l'Ancien Testament, parle d'hommes en grand nombre qui, ruinés politiquement par la chute de Rome, mais non enveloppés dans sa catastrophe, pleureront sa destinée par intérêt plutôt que par pitié.

Le premier ange se borne à proclamer la destruction de la ville (l'allégorie de la femme est également remplacée par l'expression propre). Elle sera désormais un désert. Le désert était.considéré par l'antiquité juive comme la demeure des démons et des animaux immondes. Ésaïe (chap. XIII, 21; XXXIV, 14; comp. Baruch IV, 35) y place les satyres ou mauvais génies de forme hideuse et semblables à des boucs, ainsi que (chap. XXXIV, 11; comp. Jér. L, 39) les oiseaux et autres bêtes qui habitent les ruines et les solitudes et dont la chair était interdite par la loi. Aucune créature n'étant censée se confiner volontairement dans un pareil séjour, le désert est représenté comme une prison qui leur est assignée.

La cause de la ruine de Rome, c'est, comme il a déjà été dit (chap. XIV, 8; XVII, 2), qu'elle a fait boire aux peuples le vin enivrant de son impudicité, c'est-à-dire qu'elle leur a fait prendre part à son impiété et à son idolâtrie, en les soumettant à son empire et en les associant à sa civilisation corruptrice. Les rois n'ont ni pu ni voulu se soustraire à l'ascendant de sa puissance, de son luxe, de ses mœurs; et les peuples, ne vivant plus que dans le matérialisme du négoce et des affaires mondaines, et pour cette raison désignés ici d'une manière générale comme marchands, ont couru après les richesses à acquérir par le trafic, en sacrifiant leur indépendance. — leur nationalité, leurs habitudes traditionnelles, tout ce qui aurait pu les disposer à recevoir la parole de Dieu. Rome est ainsi responsable de la perte spirituelle du monde entier.

4 Puis j'entendis une autre voix venant du ciel qui disait: Sortez de là, mon peuple, pour que vous n'ayez point part à ses péchés et que vous ne receviez pas une part de ses plaies! car ses péchés se sont accumulés jusqu'au ciel et Dieu s'est souvenu de ses iniquités. Payez-la comme elle a payé elle-même et doublez-lui sa rémunération selon ses œuvres! Dans la coupe qu'elle vous a fait boire, faites-lui boire doublement! Autant elle s'est glorifiée et livrée au luxe, autant rendez-lui en tourment et en deuil! Car elle dit dans son cœur: je trône en reine et je ne suis point veuve, et jamais je ne connaîtrai le deuil. C'est pour cela que ses plaies surviendront en un seul jour, la peste et le deuil et la famine, et elle sera consumée par le feu: car il est puissant, le Seigneur Dieu qui l'a jugée!

9 Et les rois de la terre, qui ont fait débauche avec elle, et qui ont partagé son luxe, pleureront et se lamenteront sur elle quand ils verront la fumée de son embrasement. Se tenant à distance, pleins de la terreur de son tourment, ils diront: Malheur, malheur à toi, grande ville, Babylone, ville puissante: ton arrêt s'accomplit en une seule heure!

11 Et les marchands de la terre pleurent et s'affligent sur elle, parce que personne n'achète plus leur cargaison, leur cargaison d'or et d'argent, de pierres précieuses et de perles, d'étoffes de lin, de pourpre, de soie et d'écarlate; ni aucun bois de cyprès, ni aucun objet d'ivoire, ni aucun objet en bois précieux, en airain, en fer et en marbre; plus de cannelle, de pommades, de parfums, d'onguent, d'encens, de vin, d'huile, de farine fine, de blé, de bœufs, de moutons, de chevaux, de voitures, d'esclaves et de personnes humaines. «Toute cette moisson de choses que désirait ton âme s'en est allée loin de toi, et toutes ces choses brillantes et magnifiques sont perdues pour toi, et tu ne les trouveras plus jamais!» Les marchands de ces choses, qui se sont enrichis par elle, se tiendront à distance, pleins de la terreur de son tourment, pleurant et se lamentant, et ils diront: Malheur, malheur à toi, grande ville, qui t'es revêtue de lin, de pourpre et d'écarlate, qui t'es parée d'or, de pierreries et de perles; en une seule heure tant de richesses ont été détruites!

17 Et chaque pilote, et quiconque navigue quelque part, et les marins, et tous ceux qui exploitent la mer, se tiennent à distance, et s'écrient, en voyant la fumée de son embrasement: Qu'est-ce qui égalait la grande ville? Et ils jettent de la poussière sur leurs têtes et s'écrient en pleurant et en se lamentant, et disent: Malheur, malheur à toi, grande ville, par l'opulence de laquelle s'enrichissaient tous ceux qui avaient des vaisseaux sur mer; tu as été détruite en une seule heure! «Réjouissez-vous sur elle, ô cieux, et vous, saints apôtres et prophètes, de ce que Dieu a vengé sur elle votre cause!»

XVIII, 4-20. Ce morceau éloquent, formant le discours d'une seconde voix céleste, contient d'abord une exhortation adressée au peuple de Dieu, pour l'engager à sortir de Rome afin de ne pas être enveloppé dans sa ruine, et à s'associer, du moins en esprit, à la vengeance rémunératrice qui va la frapper. Cette idée est exprimée plus d'une fois par les anciens prophètes quand ils prédisent la ruine de Babel; plus particulièrement l'auteur paraît avoir eu en vue Jér. LI, 9. Jésus aussi avait averti ses disciples de fuir de Jérusalem à l'approche de la catastrophe (Matth. XXIV, 15 ss.). Parlant au point de vue prophétique, et tenant compte des réalités, Jean pense ici aux nombreux chrétiens qui habitaient Rome de son temps, malgré la persécution récente. Comme apocalypticien, idéalisant les faits, il n'aurait pas dû oublier qu'il les avait déjà tous réunis à Jérusalem à l'abri de toute tribulation ultérieure (chap. XI; XV).

Il serait cependant possible que l'invitation à la vengeance (v. 6) ne fût point adressée aux chrétiens pressés de fuir, mais à ceux que Dieu chargeait spécialement de cette œuvre, c'est-à-dire aux satellites de l’Antéchrist. On aurait à supposer, dans ce cas, qu'ils en reçoivent ici la mission spéciale par une espèce d'arrêt du juge suprême. En tout cas, la forme du discours appartient également aux anciens prophètes. (Jér. L, 15. Ésaïe XLVII, 8, 9). La coupe est le symbole de la destinée; Rome-Babylone doit subir celle qu'elle a préparée à d'autres.

Le sort de Rome est ensuite exposé d'une manière très dramatique par les plaintes de tous ceux qui avaient un intérêt à sa conservation. Nous voyons ici successivement les rois, les marchands et les marins exprimer leurs doléances dans des formules dont la monotonie même semble être calculée pour peindre la grandeur et l'irréparabilité de la catastrophe. Les rois ne sont pas ici ceux des chapitres précédents, les alliés de l'Antéchrist venus de l'Orient, mais les nombreux petits vassaux de l'empire qui, protégés par l'autorité centrale, exerçaient une odieuse tyrannie sur de malheureuses populations doublement asservies et soupirant sous un joug d'autant plus intolérable qu'il était plus faible par lui-même. La puissance de ces rois est brisée avec celle de Rome. Les marchands se plaignent de la ruine de leur commerce, l'incendie de la ville et la ruine de l'empire faisant tarir les sources de leurs profits. Les détails du tableau sont puisés dans les discours des anciens prophètes contre la ville de Tyr (Es. XXIII. Éz. XXVII). Tous les objets de luxe, qui formaient la base du commerce et de la richesse du monde entier, sont énumérés ici avec un sentiment évident de dédain et de répulsion; le commerce lui-même, tant de fois signalé, par les anciens prophètes, comme un agent de corruption, comme un élément destructeur de la pureté nationale, est aussi exécré par leur disciple qui se complaît à faire l'inventaire de son désastre. Cet inventaire est appelé la récolte, la moisson des désirs, la provision des choses désirées. Enfin les marins, les alliés naturels des marchands, viennent s'associer aux plaintes de ces derniers; et pour eux le texte reprend tout à coup le prétérit du style apocalyptique, ce qui n'a pu être rendu à la lettre sans faire naître très mal à propos une obscurité qui n'existe nullement dans le sens. Pour le fond, voyez Éz. XXVII, 29 ss.

Le morceau se termine par un cri de triomphe, qui forme avec toutes ces lamentations une antithèse d'un grand effet rhétorique. Plus les plaintes avaient été longues et monotones, plus cette exclamation finale donne, par sa brièveté même, du relief au jugement de Dieu. (Les prophètes dont il est parlé sont les orateurs chrétiens connus par les Actes et les Épîtres; Rome n'était pas coupable d'avoir versé le sang de ceux de l’Ancien Testament.)

21 Alors un ange puissant prit une pierre semblable à une grande meule et la jeta dans la mer en disant: Ainsi Babylone, la grande ville, sera précipitée avec violence et ne sera plus jamais trouvée! Et la voix des musiciens, des joueurs de harpe et de flûte et des trompettes ne sera plus jamais entendue chez toi, et nul ouvrier de quelque art que ce soit ne s'y trouvera plus jamais, et le bruit du moulin n'y sera plus jamais entendu, et la lumière de la lampe n'y luira plus jamais, et la voix de l'époux et de l'épouse n'y sera plus jamais entendue, parce que tes trafiquants étaient les grands de la terre et que par tes enchantements toutes les nations ont été séduites, et parce que c'est là qu'a été trouvé le sang des prophètes et des saints et de tous ceux qui ont été égorgés sur la terre.

XVIII, 21-24. Voilà maintenant le discours de la troisième et dernière voix céleste chargée de proclamer la chute de Rome. Ses paroles sont précédées d'un acte symbolique. L'ange jette une grosse pierre molaire dans le fond de la mer, ce qui signifie à la fois la rapidité irrésistible de la chute et l'impossibilité absolue d'une restauration. L'image est empruntée à Jér. LI, 63.

Le discours lui-même est destiné à peindre l'affreuse solitude de la ville détruite quand tous ses habitants seront tués ou anéantis. Le texte en est copié dans Jérémie (chap. XXV, 10; comp. És. XXIV, 8 ss.). La péroraison récapitule encore une fois les crimes de Rome: ses négociants étaient les grands de la terre (És. XXIII, 8); en d'autres termes, c'étaient les richesses, gagnées par ceux qui pourvoyaient au luxe effréné de la capitale du monde, qui procuraient aux habiles financiers et commerçants les moyens d'arriver en même temps au pouvoir et aux hautes places; l'aristocratie de l'argent, odieuse par ses origines, étendait au loin son influence corruptrice. Puis Rome séduisait les peuples comme une enchanteresse (Nah. III, 4, et ci-dessus v. 3), les asservissait à son esprit et à ses intérêts. Enfin le sang des fidèles avait coulé dans ses murs.

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