Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre 26

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1 Là-dessus Agrippa dit à Paul: «Tu as la permission de parler de ton affaire.» Alors Paul, faisant un geste de la main, se justifia en ces termes: «Je m'estime heureux, ô roi Agrippa, de ce que ce soit en ta présence que j'aie à me justifier aujourd'hui de tout ce dont je suis accusé par des Juifs, parce que tu connais parfaitement toutes les coutumes des Juifs et les questions qui s'agitent parmi eux: je te prie donc de m'écouter avec patience. Quant à ma conduite pendant ma jeunesse, telle qu'elle s'est passée depuis le commencement au milieu de mon peuple et à Jérusalem, tous les Juifs la savent; ils me connaissent d'ancienne date, s'ils veulent bien en convenir, pour avoir vécu selon les principes du parti le plus rigide de notre religion, c'est-à-dire comme Pharisien.

6 Et maintenant me voilà mis en cause au sujet de l'espérance fondée sur la promesse faite par Dieu à nos pères, et que notre nation tout entière, priant avec instance nuit et jour, espère enfin voir s'accomplir: c'est pour cette espérance-là que je suis accusé par des Juifs! Est-ce donc chose incroyable à votre gré que Dieu ressuscite des morts?

9 Eh bien, moi, j'avais regardé comme un devoir d'agir hostilement à l'égard du nom de Jésus de Nazareth; et c'est aussi ce que je fis à Jérusalem: je fis mettre en prison un grand nombre de fidèles, m'étant fait donner des pouvoirs par les chefs des prêtres; et quand on les mettait à mort, moi j'y applaudissais hautement; je sévissais contre eux maintes fois dans toutes les synagogues, en les forçant à blasphémer, et me livrant contre eux à des fureurs extrêmes, je les persécutais jusque dans les villes du dehors. Entre autres, je me rendis à Damas avec des pleins pouvoirs et un mandat de la part des chefs des prêtres, et là, en plein jour, sur la route, je vis, ô Roi, une lumière venant du ciel et plus brillante que celle du soleil, qui m'enveloppait de son éclat, ainsi que mes compagnons de voyage. Et comme nous tombâmes tous à terre, j'entendis une voix qui me parlait et qui me disait en hébreu: Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? Il te sera difficile de regimber contre l'aiguillon. Et moi je dis: Qui es-tu, Seigneur? Et le Seigneur répondit: Je suis Jésus que tu persécutes. Mais lève-toi et tiens-toi debout; car c'est pour cela que je te suis apparu, pour t'élire comme mon ministre et comme témoin de ce que tu viens de voir, et de mes apparitions futures, te protégeant contre ce peuple et contre les païens, vers lesquels je t'envoie pour leur ouvrir les yeux, afin qu'ils se convertissent des ténèbres à la lumière et de la puissance de Satan à Dieu, pour obtenir, par la foi en moi, le pardon des péchés et une part de l'héritage des saints.

19 Par cette raison, ô roi Agrippa, je n'ai pas voulu désobéir à la vision céleste, mais j'ai prêché, à ceux de Damas d'abord, et à ceux de Jérusalem, et par toute la Judée, et aux païens, qu'ils eussent à se repentir et à se convertir à Dieu, en faisant des œuvres dignes de la repentance. C'est pour cela que les Juifs m'ont saisi dans le temple et ont essayé de me mettre à mort. Mais avec le secours de Dieu j'y suis resté jusqu'à ce jour, rendant témoignage devant les petits et les grands, et ne disant rien en dehors de ce que les prophètes et Moïse ont annoncé comme devant arriver: savoir que le Christ devait souffrir, et que, comme le premier des ressuscites, il devait annoncer la lumière au peuple et aux païens.»

XXVI, 1 - 23. Le discours de Paul est qualifié de justificatif et par lui-même et par son biographe; cependant il conviendra de ne pas perdre de vue que ce n'est pas le plaidoyer d'un accusé qui se défend devant son juge, mais un exposé de la cause, adressé à une personne non seulement tout à fait désintéressée, mais supposée assez bien instruite de la situation générale, pour comprendre ce qui avait pu rester obscur au juge romain. C'est à ce point de vue qu'Agrippa invite Paul à parler de son affaire, et non pas, comme le texte vulgaire lui fait dire, à se défendre. C'est à ce point de vue encore que Paul se félicite dans son exorde d'être enfin mis en présence d'un homme qui comprend de quoi il s'agit au fond, et qui, Juif lui-même, n'aura pas de peine à apprécier à leur juste valeur les accusations produites par des Juifs (sans article, comp. v. 7, Paul voulant insinuer que c'était de la part de ces Juifs-là une espèce de contradiction, de défection, de reniement, que de faire un sujet d'accusation d'une conviction qui, à vrai dire, devait être celle de tous les Juifs). Les deux termes de coutumes et de questions résument en quelque sorte toute la vie religieuse des Juifs, ce sont, comme nous dirions, les doctrines et les formes du culte.

Après cet exorde, Paul en vient à parler de ses antécédents, jusqu'à l'époque de sa conversion (v. 4-11). Il rappelle toutes les garanties qu'il a données à la synagogue, par sa conduite rigoureusement légale d'abord, ensuite même par son zèle fanatique contre la secte prétendue novatrice. C'est dans cette partie que se reproduit naturellement l'argumentation déjà employée dans les occasions précédentes (XXIV, 14; comp. plus bas, v. 22). Au fond, dit Paul, je suis accusé pour une croyance qui est celle de notre nation tout entière (litt.: des douze tribus). Tous les Juifs reconnaissent que Dieu a fait des promesses à notre peuple relativement à son avenir; ces promesses sont le fondement de leurs plus chères espérances; ils ne cessent d'en demander l'accomplissement (en un mot: ils attendent avec impatience le salut et le Sauveur promis); eh bien, moi je dis que cette promesse est accomplie, l'espérance réalisée. Je dis que le Sauveur est venu, je le prouve par le fait positif de la résurrection de Jésus; or, à moins de nier d'une manière absolue la possibilité de la résurrection d'un mort par la volonté du Tout-Puissant (négation qu'aucun Juif orthodoxe n'osera faire), vous ne pourrez trouver aucun motif de douter de cette résurrection particulière et individuelle, si fortement documentée.

Par ce raisonnement, l'apôtre a déjà établi de fait que l'accusation était injuste, et reposait soit sur un malentendu, soit sur la malveillance et la mauvaise foi. Il peut admettre la première de ces explications, la moins sévère; du moins, il en réclame le bénéfice pour lui-même. Moi aussi, dit-il, j'étais animé des sentiments les plus hostiles contre ceux qui professaient le nom que je prêche aujourd'hui, — mais, va-t-il ajouter, j'en suis revenu et par des motifs décisifs. À cette occasion, il entre dans des détails sur la part qu'il a prise aux anciennes persécutions dirigées contre les chrétiens (comp. VIII, 3). On voit que le nombre des victimes a dû être assez considérable; qu'il y avait aussi des peines correctionnelles, infligées, selon la coutume, dans les synagogues, et des contraintes morales tendant à provoquer des abjurations (blasphémer, maudire Jésus), etc.

Puis il raconte sa conversion miraculeuse sur le chemin de Damas (comp. chap. IX et XXII), dont l'exposé ne nous arrêtera ici que pour quelques détails. La phrase proverbiale: regimber contre l’aiguillon, est empruntée à la coutume des cultivateurs, qui stimulaient les bœufs attelés à la charrue par un bâton terminé en pointe ferrée, contre lequel les ruades étaient un vain moyen de défense. Cette image doit représenter ici l'inutilité des efforts du fanatisme contre les desseins de Dieu, tendant à faire avancer son règne par la propagation de l'évangile. — Dans la suite du récit mis ici dans la bouche de Paul, les instructions par lesquelles Paul est constitué apôtre de Jésus-Christ, sont présentées comme émanant directement de ce dernier, sans l'intervention du disciple de Damas, nommé dans les autres relations. Cette différence peut être facilement expliquée, soit tout simplement par le besoin du rédacteur d'abréger un récit suffisamment connu des lecteurs, soit, si l'on veut, par celui de Paul même, de s'en tenir à la chose essentielle, qui était toujours l'origine divine de la mission que Paul s'attribue. Ce qu'il y a de plus intéressant, c'est que cette mission, d'après notre texte, ne s'adresse pas aux païens seuls; cela résulte non seulement de ce que l'apôtre dit de ses prédications à Damas, à Jérusalem et dans la Judée, mais aussi de la construction grecque de la phrase précédente, dans laquelle le pronom (vers lesquels je t'envoie) ne peut pas se rapporter aux Grecs seuls, ce que la traduction n'a pu faire ressortir. Ainsi les Juifs aussi, tant qu'ils ne se convertissent pas, sont sous la puissance de Satan et dans les ténèbres, et n'ont point part à l'héritage qui appartient aux saints seuls, c'est-à-dire à ceux qui se sont consacrés à Dieu par la foi en Christ. Si cette interprétation est juste, notre passage est, dans tout le livre des Actes, le plus explicitement paulinien qu'on puisse trouver.

Relevons encore: 1° La phrase: mes apparitions futures, litt.: les choses à cause desquelles je t'apparaîtrai, — nous aurions pu traduire: ce que je te révélerai encore plus tard, si nous n'avions craint d'effacer l'allusion positive à la forme de ces révélations. 2° La phrase: te protégeant, au lieu de: te choisissant. Notre traduction se fonde sur l'usage constant des Actes (VII, 10; XII, 11; XXIII, 27; comp. Gal. I, 4). Paul ne pouvait pas dire que Dieu l'avait choisi d'entre les païens; mais il pouvait avoir un intérêt à constater que le secours céleste lui était assuré contre tous ses ennemis. 3° La phrase finale (comp. v. 6, 7) reproduit l'idée que l'évangile prêché par l'orateur n'est pas contraire à la loi, dont il n'est que l'accomplissement quant à son élément prophétique. La forme en apparence dubitative d'une partie de cette phrase (si Christ devait souffrir?) s'explique par l'omission d'une idée intermédiaire: Je n'ai pas prêché contre la loi en prêchant Christ crucifié et ressuscité; mais comme c'est là une chose contestée parmi les Juifs, j'ai dû examiner si, et démontrer que les textes sacrés l'enseignent ainsi. Avec ce mot-là, Paul caractérise très nettement le point de divergence entre la théologie juive et celle du christianisme. La lumière à annoncer aux Juifs et aux païens, est le vrai salut dans le sens évangélique.

24 Comme il parlait ainsi pour sa justification, Festus s'écria à haute voix: «Tu es fou, Paul! Ce sont tes longues études qui te poussent à la folie.» Et il répondit: «Je ne suis pas fou, ô excellent Festus; ce sont des paroles de vérité et de bon sens que je prononce. Le roi sait ces choses et c'est à lui que j'en parle avec confiance; car je ne crois pas qu'il ignore rien de tout cela, parce que cela ne s'est pas fait en cachette. Crois-tu aux prophètes, ô roi Agrippa? Je sais que tu y crois!»

28 Et Agrippa dit à Paul: «Tu vas me persuader bientôt de devenir chrétien!» À cela Paul répliqua: «Que ce soit tôt ou tard, je souhaiterais par Dieu que non seulement toi, mais tous ceux qui m'écoutent aujourd'hui, devinssent tels que je suis, moi, sauf ces chaînes-là!» Alors le roi et le gouverneur et Bérénice se levèrent, ainsi que toute l'assemblée, et en se retirant ils s'entretinrent entre eux en disant que cet homme ne faisait rien qui méritât la mort ou la prison. Et Agrippa dit à Festus: «Cet homme aurait pu être relâché, s'il n'en avait appelé à l'empereur.»

XXVI, 24-32. Le discours de Paul peut être considéré comme complet et terminé; tout de même le rédacteur, à en juger par la forme grammaticale de son récit, paraît avoir voulu introduire les paroles de Festus comme une interruption. Le gouverneur ne comprenait pas grand'chose, cela va sans dire, à la plupart des faits allégués, et plus Paul parlait, plus il était impatienté, parce qu'il se voyait trompé dans son attente de voir jaillir quelque nouvelle lumière de cet examen réitéré de la cause. Sachant que Paul passait ses longs loisirs à étudier des livres inconnus à lui, Festus, il pense que ces études ont pu lui faire tourner la tête. Il parle donc très sérieusement, et bien décidé à mettre fin à cette séance. Paul a recours à un moyen bien simple pour prouver qu'il ne déraisonnait pas; il en appelle au témoignage du prince Agrippa, qui, en sa qualité de Juif, était au fait de la question, qui connaissait les idées et les espérances de son peuple, la source sacrée à laquelle ces dernières étaient puisées, la notoriété toute populaire des questions qui s'y rattachaient, et qui, après tout, à moins de renier sa nationalité et la foi de sa famille même, ne pouvait pas ne pas s'associer en quelque sorte aux intérêts défendus par l'apôtre. Cet appel est adressé au prince d'une manière tellement directe, que celui-ci devait se trouver dans un singulier embarras. En présence de Juifs nombreux et distingués, il ne pouvait pas se prononcer de manière à opposer à Paul une dénégation plus on moins raide et explicite; en présence des Romains, il ne voulait pas faire une profession qui l'aurait mis au niveau d'un homme que Festus venait de déclarer fou. Il se tire d'affaire par une plaisanterie; il évite de faire la profession juive, la seule que Paul lui demandait en ce moment, et affecte de croire qu'on lui demande une profession chrétienne. «Tu vas me persuader, dit-il, de devenir chrétien.» Il se sert d'un terme inventé par les païens, et usité chez eux seuls. La phrase adverbiale que nous avons rendue par bientôt, peut être prise dans le sens du temps ou de l'énergie de l'action; en tout cas, c'est en souriant qu'Agrippa la prononce; aussi Paul la relève-t-il seulement pour l'écarter et pour y substituer, de son plus grand sérieux, le désir de voir en réalité ce que la frivole ironie du prince affectait de présenter comme une possibilité. En même temps, avec une tournure très spirituelle, il fait allusion à sa captivité et rappelle à la fois l'injustice de sa détention et l'entière conviction qu'il a de la bonté de sa cause.

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