Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre 12

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1 Vers ce temps-là, le roi Hérode se mit à persécuter quelques-uns d'entre les membres de l'Église. Il commença par faire mourir par le glaive Jacques, le frère de Jean; et voyant que cela était agréable aux Juifs, il fit aussi arrêter Pierre, C'était pendant la semaine de Pâques.

XII, 1-3. Le roi Hérode dont il est question ici, ne doit pas être confondu avec celui dont il est parlé dans les Évangiles. Il était le neveu de celui-ci, petit-fils d'Hérode-le-Grand et de Mariamne. Il s'appelait proprement Agrippa et avait passé sa jeunesse à Rome, où il avait été le compagnon de débauche du prince Gaïus (Caligula). Celui-ci étant parvenu au trône en l'an 37, lui donna la principauté de Batanée (l'ancien Bas'an de la Bible), devenue tout juste vacante par la mort de son autre oncle, le tétrarque Philippe. Deux ans plus tard, il fut aussi investi de la principauté de Galilée, lorsqu'un troisième oncle, le tétrarque Antipater (l'Hérode de l'histoire évangélique, le meurtrier de Jean-Baptiste), tomba en disgrâce et fut exilé en Gaule. Agrippa résidait à Rome, et y mangeait les revenus de ses deux principautés. Cependant, lorsque Claude succéda à Caïus, le nouvel empereur, pour récompenser le prince juif des services qu'il lui avait rendus dans cette occasion, lui donna, avec le titre de roi, toutes les terres qu'avait possédées son grand-père, la Judée proprement dite, la Samarie et l'Idumée. Ceci se passait en 41. Dès lors, Agrippa alla s'établir en Palestine et y sut gagner l'affection des Juifs, lassés de leurs sous-préfets avides et hautains, par une sage et habile politique de conciliation. Mais il mourut subitement, après trois ans de règne, en 44, et depuis cette époque la Judée fut de nouveau administrée par des procureurs romains. Cet Agrippa laissa trois enfants, qui paraîtront tous sur la scène dans la suite de cette histoire: Agrippa II, et deux filles, Drusille, femme du procureur Félix, et Bérénice, devenue célèbre comme maîtresse de Vespasien et de Tite.

C'est à l'une des dernières années du règne d'Agrippa (on adopte communément l'an 44) qu'il faut fixer la mort de Jacques, fils de Zébédée. Le roi traitait probablement cette affaire au point de vue purement politique, d'après lequel il voyait dans la secte chrétienne un élément révolutionnaire.

Suivent les détails de l'incarcération de Pierre.

4 Quant à celui-ci, il le fit saisir et mettre en prison, en le donnant à garder à quatre escouades de soldats, se proposant de lui faire son procès en public, après la fête. Pierre était donc gardé dans la prison, et il se faisait, de la part de l'Église, des prières ferventes, adressées à Dieu en sa faveur.

6 Or, lorsque Hérode voulut le faire comparaître, dans cette même nuit, Pierre dormait entre deux soldats, attaché avec deux chaînes, et des sentinelles, placées devant la porte, gardaient la prison. Voilà que tout à coup un ange du Seigneur apparut, et une lumière resplendit dans la cellule; et frappant Pierre au côté, il le réveilla en disant: «Lève-toi vite!» et les chaînes tombèrent de ses mains. Et l'ange lui dit: «Ceins-toi et chausse tes souliers!» Et il le fit. Et il dit encore: «Jette ton manteau sur toi et suis-moi!» Et il sortit et le suivit, sans savoir que ce que l'ange lui faisait faire était une réalité; il croyait avoir une vision.

10 Cependant, ayant passé la première sentinelle et puis la seconde, ils parvinrent à la porte de fer qui conduisait à la ville. Celle-ci s'étant ouverte d'elle-même devant eux, ils sortirent et traversèrent une rue, et aussitôt l'ange le quitta et disparut. Et Pierre étant revenu à lui-même, dit: Maintenant je reconnais en vérité que le Seigneur a envoyé son ange pour m'arracher aux mains d'Hérode et à l'avide impatience du peuple juif.

12 Et après avoir réfléchi, il alla à la maison de Marie, la mère de Jean dit Marc, où beaucoup de personnes étaient rassemblées en prières. Et quand il eut frappé à la porte, une servante, nommée Rhodé, y alla pour écouter, et ayant reconnu la voix de Pierre, au lieu d'ouvrir la porte, elle rentra en toute hâte, dans sa joie, pour annoncer que Pierre était devant la porte. Mais les autres lui dirent: «Tu es folle!» Et comme elle soutenait avec force qu'il en était ainsi, ils disaient: «C'est son esprit!»

16 Cependant Pierre continuait à frapper; enfin ils ouvrirent et furent hors d'eux d'étonnement en le voyant. Mais il leur fit signe de la main de se taire et leur raconta comment le Seigneur l'avait fait sortir de la prison; et il ajouta: «Allez annoncer cela à Jacques et aux frères!» Puis il sortit et se rendit dans un autre endroit.

18 Cependant, quand le jour fut venu, la consternation ne fut pas peu grande parmi les soldats, qui ne savaient ce que Pierre pouvait être devenu. Mais Hérode, quand il voulut le faire chercher et qu'il ne le trouva point, ordonna de mettre les sentinelles à la question et les fit exécuter.

XII, 4-19. Ce récit peut donner lieu à une série d'observations archéologiques; mais il ne saurait être question d'en discuter le fond pour le réduire à des proportions qui excluraient le miracle. Il ne contient aucun élément qui serait de nature à appuyer une critique faite dans ce sens-là, soit qu'on voulût songer à une connivence des sentinelles et du geôlier, soit qu'on se laissât aller à la supposition que le roi lui-même se serait ravisé et aurait préféré étouffer l'affaire que de faire un nouvel éclat. Les détails racontés sont contraires à toutes ces hypothèses, et si l'on se décide à ne pas tenir compte du texte, il vaut mieux le négliger tout à fait que de le dénaturer préalablement.

Hérode n'avait pas de soldats romains à son service, mais les règlements militaires de ses troupes étaient naturellement calqués sur ceux des Romains. Ainsi la nuit était divisée en quatre veillées, de sorte que pour chaque poste à fournir on mettait quatre hommes de garde. Or, il fallait ici quatre factionnaires, deux dans la cellule, auxquels le prisonnier était attaché, et deux aux portes; le poste entier se composait donc de seize hommes ou de quatre escouades. Ce mot & escouades, d'origine romaine ou italienne, signifie précisément les quatre hommes nécessaires pour chaque poste pendant une nuit entière.

Notre texte nous offre aussi la première trace historique des assemblées nocturnes des chrétiens, dont il est si souvent question dans les premiers siècles. Elles paraissent avoir été dans le principe un effet de la peur et de la persécution, plus tard elles devinrent une habitude religieuse, et n'ont pas peu contribué à accréditer les préjugés populaires et les calomnies injurieuses répandues contre les fidèles. L'Église a fini par interdire elle-même ces réunions, quand elles furent devenues réellement la source de divers abus.

Jean Marc, nommé ici pour la première fois, est un disciple dont il sera parlé plus loin comme d'un compagnon de voyage de l'apôtre Paul, dans les épîtres duquel son nom est également mentionné à diverses reprises. C'est lui, sans aucun doute, auquel la tradition attribue la rédaction d'un de nos évangiles. Il paraît avoir été originaire de Jérusalem, où sa mère possédait l'une des maisons où les disciples se réunissaient. La scène qui se passe là, est décrite avec une vivacité de couleurs et une vérité psychologique qui paraissent être les reflets d'un souvenir très positif. Cette servante qui, dans sa joie, oublie d'ouvrir la porte parce qu'elle a hâte d'annoncer l'heureuse nouvelle aux autres, atteste mieux que tout le reste le fait d'une délivrance inattendue et jugée impossible.

Une grande difficulté s'attache à la phrase que nous avons rendue par ces mots: C'est son esprit. Ordinairement on traduit: son ange. Mais cela ne nous paraît pas donner un sens plausible. L'ange de Pierre, ce pourrait être à la rigueur son ange tutélaire, idée qui n'est pas étrangère à cette époque (Livre de Tobie; Matth. XVIII, 10); mais il faut remarquer que la fille prétend avoir reconnu Pierre à la voix, et personne n'a jamais dit que les anges tutélaires imitent la voix de leurs clients. D'un autre côté, il est évident qu'on veut désigner quelque chose de supérieur à ce monde matériel, à notre mode d'existence, puisque ce ne peut être Pierre lui-même (d'après l'opinion des personnes présentes) et que c'est pourtant sa voix, quelque chose qui ne peut être que de lui. Au fond, ce n'est pas étonnant que le même mot soit employé pour l'ange et pour l'esprit (le revenant), ce dernier terme faisant chez nous également le double usage.

Pierre fait avertir Jacques. Ce Jacques, évidemment différent du frère de Jean (v. 2), doit donc dès lors avoir été placé à la tête de l'église de Jérusalem, comme nous le verrons plus nettement indiqué aux chap. XV et XXI, et dans l'épître aux Galates. C'est celui que le Nouveau Testament désigne par la qualification de frère du Seigneur. Si, après cela, l'auteur dit que Pierre alla dans un autre endroit, il est évident que c'était pour mieux échapper aux recherches de la police. Mais il est impossible de déterminer cet endroit. Ou bien Luc lui-même ne savait rien de précis à cet égard, ou bien il veut simplement dire qu'il ne resta pas dans la maison de Marie. Comme nous le trouverons encore plus tard à Jérusalem, il est peu probable que cette phrase si vague doive faire allusion à un voyage lointain. (Les commentateurs protestants ont songé à Antioche Gal. II, 11; des catholiques l'ont envoyé directement à Rome.)

19 Ensuite il quitta la Judée et séjourna à Césarée. Il était alors exaspéré contre les Tyriens et les Sidoniens, et ceux-ci se présentèrent chez lui d'un commun accord, et ayant gagné Blastus, le chambellan du roi, ils sollicitaient un accommodement, parce que leur pays tirait sa subsistance de celui du roi.

21 Hérode donc, à un jour fixé, les harangua en audience solennelle, assis sur son trône et revêtu des habits royaux, et le peuple se mit à crier: «C'est un Dieu qui parle, et non un homme!» A l'instant même, un ange du Seigneur le frappa, parce qu'il n'avait pas rendu la gloire à Dieu, et il expira rongé par les vers.

XII, 19-23. Luc relate incidemment la mort d'Agrippa, bien qu'elle ne fût pas dans une liaison directe avec l'histoire de l'Église. Mais sa relation, qui n'est pas précisément des plus claires et qui peut soulever quelques doutes, a été encore travestie par les traducteurs, qui lui font dire qu'Hérode s'apprêtait à faire la guerre aux Tyriens. Mais les Tyriens étaient les sujets de l'empereur, les sujets immédiats, et non des vassaux comme il l'était lui-même. Hérode aurait donc eu l'idée d'attaquer l'empire romain dans la personne des Tyriens. Ç’aurait été une pure folie, et en tout cas sa propre ruine. Mais Luc raconte tout autre chose. Entre les Tyriens et Hérode, il y avait eu des froissements d'intérêts quelconques, comme cela arrive entre voisins, et il leur gardait rancune (litt.: il leur faisait la guerre dans le cœur). Or, il avait les moyens de leur nuire; il pouvait leur couper les vivres, en gênant la circulation ou la libre exportation des grains et d'autres denrées alimentaires qu'ils tiraient de la Palestine, et en frappant de droits d'entrée les provenances de leurs entrepôts. Pour un peuple de marchands, c'était là la guerre la plus redoutable. Ils tâchèrent donc de conjurer l'orage, de faire révoquer ces mesures fiscales ou de les prévenir, en gagnant l'un des officiers supérieurs du palais; et par son entremise, ils se raccommodèrent avec le roi. Celui-ci leur donna à cette occasion, et selon les usages, une audience publique dans l'amphithéâtre, où l'on célébrait justement des jeux en l'honneur de l'empereur (Josèphe, Antiqq. XIX. 7). Dans cette audience, il fit une harangue où, sans doute, il prônait sa générosité, et le peuple, c'est-à-dire les habitants grecs et syriens (non pas les Juifs), l'acclamaient avec des formules comme elles étaient à l'ordre du jour depuis Alexandre, et dans lesquelles des surnoms divins étaient prodigués aux souverains. C'était la mode du temps et de l'empire.

Le reste du récit a une couleur traditionnelle. Il est dit qu'à l'instant même un ange frappa Hérode, de sorte qu'il expira rongé par les vers, et cette mort subite est représentée comme un châtiment de Dieu infligé au roi pour avoir accepté des honneurs dûs à la divinité seule. Josèphe aussi raconte qu'il fut frappé subitement de maladie pendant les jeux (il ne dit rien des Tyriens), et qu'il expira au bout de cinq jours. L'opinion commune était qu'il mourut empoisonné. La phrase, être rongé par les vers, paraît avoir été employée pour des maladies d'intestins (2 Macc. IX, 5 ss.).

24 Cependant la parole de Dieu se répandait de plus en plus; et Barnabas et Saul, après avoir accompli leur mission, s'en retournèrent de Jérusalem en emmenant avec eux Jean dit Marc.

1 (13) II y avait alors à Antioche, dans l'église qui s'y trouvait, en fait de prophètes et de docteurs, Barnabas et Siméon dit Niger, et Lucius de Cyrène, et Menahem, le frère de lait du tétrarque Hérode, et Saul. Or, un jour qu'ils célébraient le culte du Seigneur et qu'ils jeûnaient, le Saint-Esprit leur dit: «Députez-moi Barnabas et Saul pour l'œuvre à laquelle je les ai appelés.» Alors, après avoir jeûné et prié, ils leur imposèrent les mains et les laissèrent partir.

XII, 24-XIII, 3. C'est ici que commence la seconde partie du livre, en tant que l'on prend en considération la suite des événements extérieurs. C'est l'histoire des missions (nous entendons des missions organisées) dans les pays païens. Le centre de ce mouvement ne fut pas Jérusalem, mais Antioche.

Le récit commence très méthodiquement par la nomenclature des directeurs de cette communauté, qui forment ainsi comme qui dirait un second corps d'apôtres. La première partie du livre avait également commencé par un pareil catalogue. La majorité des personnes ici nommées nous sont inconnues. Il est vrai que la légende identifie Siméon avec celui qui porta la croix de Jésus, et Lucius avec Saint-Luc. Mais de pareilles combinaisons sont purement arbitraires. Pour nous, Barnabas et Saul restent les héros de l'histoire, les premiers véritables missionnaires, dans le sens propre du mot, pionniers de l'Évangile dans un nouveau monde, dont le sol en friche encore se montra bientôt plus fécond que celui qui avait été labouré déjà par les prophètes de l'antiquité. Pour la distinction à faire entre les prophètes et les docteurs, nous renvoyons le lecteur au commentaire que Paul nous donne à ce sujet dans la première aux Corinthiens, chap. XIV. Du reste, la combinaison chronologique la plus naturelle sera de supposer que les deux députés d'Antioche, arrêtés plus ou moins longtemps dans leur voyage à travers la Judée, n'arrivèrent à Jérusalem qu'après les événements racontés dans le chapitre précédent, la mort de Jacques ayant eu lieu (XII, 1) vers l'époque de leur départ d'Antioche.

Le v. 2 a donné lieu à de singulières interprétations. L'exégèse catholique persiste à y trouver la messe. Le verbe que nous avons rendu par célébrer le culte, est employé dans la bible grecque pour le culte lévitique de l'autel. Mais il nous paraît très naturel de penser à une réunion ordinaire d'édification, où l’on priait, chantait et prêchait, et pendant laquelle l'Esprit saint, par la bouche de l'un des prophètes peut-être de Barnabas lui-même, suggéra à la communauté l'idée d’organiser une mission. L'imposition des mains, dans cette circonstance, était un acte symbolique accompagnant la prière par laquelle on implorait la bénédiction de Dieu sur les missionnaires.

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