Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CANTON DE VAUD

SCÈNES HORRIBLES À VEVEY.

1833 -1834

(à cause de l'intolérence religieuse)


SUITE:
Abolition de la loi du 20 mai 1824
Affaires du canton de Vaud.

***

Nous transcrivons la lettre suivante que nous trouvons dans la Gazette évangélique de Genève. De pareils faits doivent être partout connus. Il y a eu aussi quelques troubles à Lausanne, mais d'une nature moins grave.


Vevey, 31 août 1833.

Des scènes de sang viennent d'avoir lieu à Vevey. On remarquait toujours à Rome païenne, après les bacchanales, un redoublement de persécutions contre les disciples du Crucifié; les fêtes de Vevey ont eu les mêmes suites, ont produit les mêmes effets.

Avant cela, les chrétiens y jouissaient d'une grande paix; et soit dissidents, soit nationaux, se réunissaient avec une entière liberté, pour s'édifier autour de la Parole de Dieu.

La fête des vignerons, dès qu'elle fut décidée, réveilla chez les masses cette haine contre l'Évangile, qui ne meurt jamais dans un coeur irrégénéré, mais qui paraît quelquefois y sommeiller: il est à croire même que chez plusieurs elle fut principalement une manifestation de cette haine. Hâtons-nous d'ajouter cependant que nous sommes bien éloignés d'en dire autant de tous ceux qui y prirent part. Nous devons dire, et nous le faisons avec joie, que plusieurs aussi des partisans, que quelques-uns des directeurs de la fête se trouvaient au premier rang de ceux qui, avant-hier, cherchaient à ramener l'ordre et à protéger un innocent; et nous sommes persuadés qu'ils auraient eu horreur de cette momerie païenne, s'ils en avaient pu prévoir les conséquences.

Quoi qu'il en soit, voici les faits, dont nous croyons pouvoir garantir l'exactitude.

Depuis quelque temps déjà, il se manifestait beaucoup d'irritation contre les chrétiens de notre ville parmi la populace; «car (comme le disait le baron de Staël, dans une lettre à un respectable landammann, précisément à l'occasion des violences du même peuple de Vevey, en 1824 , contre le même frère dont nous allons parler), car une foule qui se porte à de pareils excès descend de la dignité républicaine, et devient en effet une populace.»

Cette populace, comme on a tout lieu de le croire, était excitée, fanatisée, et même soudoyée par quelques meneurs, qui avaient encore assez de crainte ou assez de pudeur pour ne pas se ravaler personnellement au rang d'assassins.

Voici les griefs, (car il fallait bien que cette exaspération s'appuyât sur quelques prétextes, à défaut de bonnes raisons), voici, dis-je, les griefs qu'on alléguait contre les chrétiens. Vous remarquerez qu'ils ont tous rapport à la fête; c'est un fait qui dit beaucoup.

Plusieurs des enfants de Dieu avaient témoigné par des faits, en s'éloignant de la ville, en fermant leurs maisons, et même par des paroles, quand ils y avaient été appelés, leur désapprobation d'une fête à laquelle leur conscience et l'Évangile leur défendaient de participer (Eph. V, 11: ne prenez point part aux oeuvres infructueuses des ténèbres, mais plutôt condamnez-les.).

Quelques-uns, dans le but d'éclairer leurs compatriotes aveuglés sur le péché qu'ils allaient commettre, avaient fait imprimer un choix de seize passages de la Parole de Dieu, propres à réveiller les consciences et à détourner du mal.

Un ministre national, prêchant dans le temple quelques semaines avant la fête, et traitant le sujet de l'idolâtrie, avait prononcé une phrase pour condamner les scènes idolâtres qui devaient avoir lieu plus tard.

Un autre ministre national, plus de quinze jours après la fête expliquant à des catéchumènes la triste section de notre catéchisme où il est parlé de trois sortes d'actions humaines, voulut leur faire comprendre entre autres que se divertir n'était point, comme le dit le livre, une oeuvre indifférente; à quoi il ajouta:

«qu'il avait appris avec peine que plusieurs catéchumènes eussent figuré à la fête des vignerons, ou pris plaisir à la voir; qu'un instant de réflexion suffisait pour voir combien une telle fête s'accordait peu avec l'amour de Dieu et quel éloignement du coeur elle prouvait pour celui qui seul devrait le remplir; que par conséquent ce qui nous éloigne de Dieu ne peut pas être considéré comme une oeuvre indifférente

Quelques-unes des jeunes filles auxquelles ce fidèle serviteur de Christ s'adressait ne craignirent pas de répéter à leurs parents, non pas les paroles si modérées de leur pasteur, mais des phrases odieuses qu'elles lui prêtèrent, et que les pareils se plurent à augmenter encore.

La ville fut bientôt remplie de ces calomnies; et un coup fut monté, s'il ne l'était pas déjà auparavant. Mais contre qui? Ô justice mondaine! contre l'excellent pasteur de l'église dissidente, à qui l'on ne pouvait cependant imputer aucune participation aux actes que nous venons d'énumérer (On pourrait ajouter à ces faits celui-ci: Un boulanger chrétien fut le seul qui, pendant la fête, refusa d'augmenter le prix du pain, le blé étant en baisse, ce qui fit perdre plusieurs pratiques à ses confrères et les exaspéra beaucoup coutre lui.).

Dans la nuit du mardi (27 courant) au mercredi, on s'était introduit par violence dans l'oratoire où les chrétiens nationaux se réunissent le soir, et on avait cru l'infecter à toujours en répandant sur les bancs et sur le pupitre de l'assa-foetida en abondance (son odeur d’œuf pourri provient de la grande quantité de soufre qu’elle contient.). On s'en était aperçu à temps, et grâce aux mesures prises l'assemblée eut lieu le mercredi soir assez tranquillement et avec bénédictions.

Jeudi 29, nos frères dissidents devaient avoir leur réunion ordinaire à sept heures du soir, dans leur salle située au Bourg-dessous, maison de M. G. Durand. Avant sept heures les abords de cette maison se trouvèrent encombrés par un attroupement décidé à empêcher la réunion et à faire bien pis. M. le pasteur Rochat arrive, sur ces entrefaites, de Corseaux, village à un quart de lieue de la ville, où il est domicilié, afin de faire son office accoutumé. On le persuade de ne pas chercher à entrer dans la maison Durand, et on l'introduit dans une maison voisine dont on ferme les portes. Dès ce moment déjà des magistrats et des personnes amies de l'ordre cherchaient à contenir ces hommes égarés, qui demandaient à grands cris la mort de M. Rochat, de la même manière que les Juifs criaient autour du prétoire: «Ôte, ôte, crucifie-le». Comme l'attroupement toujours plus nombreux et plus acharné menaçait de brûler la maison où se trouvait M. Rochat, quelques magistrats influents, pensant qu'ils pourraient en imposer à la multitude et le garantie, l'engagent à descendre, et, l'entourant de leurs personnes, le conduisent au milieu des vociférations brutales et des cris de mort de quelques centaines de misérables fanatiques.

Ce ne fut pas sans que ce cher frère reçût bien des coups qu'on put traverser la ville et arriver au faubourg Saint-Antoine. Là, les principaux magistrats, voyant que leur autorité était complètement méconnue, et qu'ils n'avaient plus le pouvoir de protéger l'innocent, le firent entrer dans l'auberge de l'Aigle, pour le soustraire à ses assassins. Mais tout fut inutile: la troupe furieuse brisa les fenêtres, pénétra dans l'auberge, et alors se passa une scène déplorable; ce n'est que par une espèce de miracle que la vie de M. Rochat fut préservée.

Cependant un renfort de citoyens honorables était arrivé pour le défendre; ils lui firent un bouclier de leurs corps, et ce triste cortège recommença à marcher du côté de Corseaux.

Rien de plus hideux que les cris de ces malheureux qui augmentaient à mesure que l'on s'approchait du but. Les uns, montés sur les murs des deux côtés de la route, assaillaient, de pierres, d'autres cherchaient à atteindre avec des perches, d'autres menaçaient de leurs couteaux l'objet de leur fureur, dont le chapeau était perdu, les vêtements entièrement déchirés et le visage tout ruisselant de sang.

Ce martyre, prolongé dura trois heures de temps; le convoi, parti du Bourg-dessous à sept heures et demie, n'arriva guère à Corseaux qu'à dix heures et demie. Ce fut encore par un miracle, et grâce au dévouement de deux messieurs, que M. Rochat, renversé près de sa porte par un furieux qui demandait un couteau pour l'égorger, put être rapidement introduit et rendu à sa famille alarmée. Alors le préfet ordonna de faire battre la générale dans le village: quelques citoyens dévoués se présentèrent en armes, et la foule se dissipa.

Les réflexions se pressent en fonte après un tel récit.

Nous laissons à nos lecteurs le soin de considérer ces choses, et nous les engageons à prier beaucoup pour leurs frères de Vevey, qui ont besoin de toute leur sympathie chrétienne.

Qu'ils demandent à Dieu de faire tourner ces choses à notre bien et à l'avancement de son règne; de pardonner à ce peuple égaré, et de donner abondamment à ses enfants son Esprit de force, de charité et de prudence.

Nous ne terminerons pas sans rendre un juste hommage à la conduite honorable, des magistrats parmi lesquels nous citerons surtout le préfet, le juge de paix, l'inspecteur de police et plusieurs municipaux, et de nombre de citoyens de Vevey.

Le courage et l'intrépidité qu'ils ont montrés sont au-dessus de tout éloge; la plupart ont été insultés et même frappés, et ce n'est qu'au péril de leur vie qu'ils ont pû soustraire M. Rocha à une multitude avide de son sang. Que le Seigneur, dans sa miséricorde, veuille les en récompenser!

P. S. On répandait hier que la même bande devait se porter sur la maison de M. Burnier, suffragant du premier pasteur, auteur du catéchisme dont nous avons parlé. M. le préfet l'engagea à sortir de la ville, lui disant qu'il ne garantissait pas sa vie. Il y a eu en effet, dit-on, pendant la nuit, des chants et des hurlements devant sa maison. On le menace de l'empêcher demain de monter en chaire.

Tout ceci n'est pas fini, et j'aurai peut-être d'autres scènes à vous raconter. Nous avons pleine confiance, convaincus que Celui qui est avec nous est plus fort que celui qui est dans le monde.

On dit que les autorités de Vevey, pour ramener la tranquillité, veulent commencer par faire fermer l'église des dissidents et l'oratoire des nationaux.

Ce serait un bien triste système; quelle justice! sont-ce les victimes qu'il faut d'abord frapper?

Ce serait donner, gain de cause aux perturbateurs de l'ordre; ce serait leur fournir une arme que tôt ou tard ils emploieront contre les imprudents qui la leur ont tendue.

Nous avons la joie d'annoncer que, grâce à la protection visible de l'Éternel, M. Rochat n'a point reçu de blessure sérieuse, et qu'hier il a pu partir avec sa famille pour Lausanne. Le gouvernement a dirigé de la force armée sur Vevey, et a adressé une proclamation aux habitants de cette ville.

Les faits ci-dessus sont pleinement confirmés par toutes les feuilles publiques qui font mention de cette hideuse scène, sous quelque point de vue qu'elles l'envisagent. Les sauvages de Vevey laissent, comme on voit, bien loin derrière eux les sauvages Lutry, comme les appelait en 1829 M. le général César Laharpe.

Nous plaignons les coeurs assez passionnés contre l'Évangile pour trouver encore, en face de la soif du sang et des essais d'assassinats tentés par les incrédules, des sarcasmes et des injures à jeter aux Chrétiens.

Ceux-ci pleurent sur une population capable de se livrer à de pareils excès, et prient pour ceux qui les maudissent. Les furieux qui avaient fait serment, il y a dix-huit siècles, de ne manger ni boire qu'ils n'eussent tué Paul, étaient moins coupables, car ils avaient eu moins d'occasions de s'éclairer, et ils ne portaient pas du moins le nom sacré de Christ, dont ne craignent pas de se parer ceux qui, à Vevey, demandaient le sang d'un disciple de Christ, parce qu'il est disciple de Christ.

Puisse l'Esprit qui animait, fortifiait, consolait l'apôtre, habiter avec abondance chez les chrétiens du Canton de Vaud dans ce moment critique! Puisse le contraste de leur conduite avec celle des ennemis de l'Évangile frapper un grand nombre d'esprits, et amener ainsi beaucoup d'âmes captives à l'obéissance de Jésus-Christ!

Leurs frères de France souffrent avec eux et combattent avec eus par leurs prières.

Ayons bon courage!

Notre Maître et Sauveur a vaincu le monde!

Les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre son Église!

Nulles armes forgées contre elle ne prospéreront! a dit l'Éternel.

On a dit que le gouvernement Canton Vaud propose de faire, à cette, occasion, revivre la loi inique et si universellement réprouvée du 20 mai 1824.

Nous ne pouvons croire ni à une pareille injustice, ni à un pareil aveuglement de la part d'hommes qui se sont montrés jusqu'ici justes et éclairés. L'expérience est faite pour cette odieuse loi; et nous espérons au contraire que le gouvernement régénéré que possède aujourd'hui le Canton de Vaud se sentira assez fort pour abroger la loi immédiatement, et ôter ainsi aux perturbateurs du repos public un semblant de légalité sur lequel quelques-uns cherchent à s'appuyer. Une enquête est commencée.

L'honorable conduite de l'autorité dans ces derniers troubles ne permet pas de supposer pour un instant que la punition sera, comme il y a quelques années, pour les persécutés et l'impunité pour les persécuteurs.


***

L'article ci-dessus était déjà composé lorsque nous avons reçu du Canton de Vaud la lettre suivante, en date du 5 courant. Nous n'en supprimons que les faits déjà mentionnés.

Nous suspendons notre jugement sur la remise en vigueur de l'abominable loi de 1824, jusqu'à ce que nous ayons reçu à ce sujet quelques informations qui nous manquent, et que nous sachions quel usage le gouvernement se propose de faire de cet instrument de tyrannie et de persécution. En attendant nous persistons à croire qu'il ne s'agit que d'un acte de prudence politique commandé par les circonstances du moment, et que, en 1833, personne, dans le Canton de Vaud, ne sera condamné à l'amende, ni à la «confination» dans une commune, ni à la prison, ni au bannissement pour avoir présidé des assemblées de cette secte, ou s'être réunis avec d'autres Chrétiens pour rendre A Dieu le culte que leur prescrit leur conscience.

Nous citerons textuellement dans notre prochain numéro les paroles prononcées par M. Burnier. On verra avec quelle fausseté elles ont été rapportées.

« Je vais vous entretenir des déplorables circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, et vous exprimer le besoin que nous avons du concours des prières de tous nos frères. — L'opposition que les Chrétiens de Vevey, nationaux et dissidents, avaient manifestée à la fête des Vignerons, avait été augmentée et renforcée par celle de plusieurs personnes influentes qui, sans envisager cette fête sous le point de vue religieux, trouvèrent cependant peu convenable de la célébrer dans des temps où la Suisse était déchirée par des partis, et où la pauvreté d'un grand nombre d'habitants de nos villes et de nos campagnes devait faire redouter toute nouvelle occasion de dépenses et de perte de temps.

Ce fut donc au milieu d'un grand nombre de voix qui condamnaient hautement de telles réjouissances que cette fête fut décidée. Et comme sa célébration exigeait le concours de plusieurs centaines de personnes, la ville fut partagée comme en deux camps:

l'un composé de tous ceux qui s'appuyaient ou sur l'Évangile ou sur des considérations politiques et sociales pour repousser la fête,

l'autre formé au contraire de tous ceux qui l'approuvaient ou qui devaient en être les acteurs.

La plupart des personnes qui tenaient des auberges, cafés ou cabarets faisaient partie du dernier, à cause du gain qu'ils avaient en perspective; et l'on peut facilement imaginer la funeste influence qu'ils exercèrent sur le peuple; aussi toutes les démarches et tous les discours des fidèles de Vevey furent observés, et l'on jugea leurs paroles et leurs actes, non point d'après la Parole de Dieu ou seulement d'après le bon sens, mais d'après la passion.

(Suivent les faits déjà connus.)

Les résultats de cette scène désolante sont bien fâcheux (car c'est ici que nous avons besoin de remettre notre affaire sur l'Éternel et de l'invoquer avec ardeur); comme, de nouveaux actes d'intolérance toutefois moins cruels ont eu lieu à Lausanne le dimanche et le lundi, malgré la vigilance et la protection des autorités en faveur des opprimés, le gouvernement s'est décidé à faire fermer toutes les réunions religieuses, en remettant en vigueur la loi du 20 mai 1824, cette loi qu'on peut qualifier d'oppressive et d'impie.

Certainement on ne peut douter que les magistrats qui composent notre conseil d'État ne soient en majorité de zélés partisans de la liberté individuelle et de la liberté religieuse. Mais tous les soldats dont le Conseil d'État peut disposer étant des milices, l'on n'est point sûr de leur obéissance dans des cas de ce genre; c'est pourquoi le gouvernement veut s'appuyer sur la légalité pour être plus fidèlement obéi; puisqu'on ne pourra pas lui reprocher de violer les lois, tout en ordonnant à ses subordonnés de s'y soumettre. — Il exige donc l'observation de la loi du 20 mai, afin, dit-il, de pouvoir mieux réprimer les désordres qui surviendraient.

Maintenant, cher frère, que feront les ministres nationaux ou dissidents qui tenaient des assemblées religieuses?

Les suspendront-ils? mais comment les recommencer plus tard? Les continueront-ils? mais l'ordre du gouvernement (il n'a encore été proclamé qu'à Lausanne et à Vevey) et la populace sont là pour mettre opposition

En attendant prions, serrons-nous les uns contre les autres, et reconnais-sous avec humilité que Dieu nous châtie parce que nous n'avons pas profité, comme nous l'aurions dû des secours spirituels, qu'il nous fournissait en abondance.

Toutes choses concourent ensemble au bien de ceux qui aiment Dieu. Gloire à lui!


SITUATION RELIGIEUSE EXTÉRIEURE.

ABOLITION DE LA LOI DU 20 MAI 1824,

DANS LE CANTON DE VAUD


Le Grand Conseil du canton de Vaud a dû s'ouvrir dans le courant du mois de novembre, pour décider si la loi du 20 mai 824 sera maintenue on remplacée par une loi plus conforme aux principes de la liberté des cultes.

Tous les organes de la presse religieuse ont une tâche importante à remplir dans cette grave circonstance; ils doivent revendiquer pour leurs frères les droits dont on les a injustement privés.

Les chrétiens, en quelque lieu habitent, sont tous de la même patrie; ils sont plus que concitoyens, ils sont membres du même corps, et quand les uns sont frappés, les autres souffrent de leurs blessures. On ne nous demandera donc pas:

Quelle est votre mission pour intervenir dans une affaire qui ne concerne que le canton de Vaud?

Notre mission, elle est écrite dans nos principes religieux, elle est gravée dans notre coeur, elle nous est inspirée, commandée par cette charité chrétienne qui ne s'arrête pas à la frontière d'un royaume ni à la diversité des noms des peuples.

Le disciple de Jésus peut dire de l'Église, et avec plus de sincérité, ce qu'un ancien poète disait de l'espèce humaine:


JE SUIS CHRÉTIEN,

ET RIEN DE CE QUI INTÉRESSE LE CHRISTIANISME NE M'EST ÉTRANGER.


Nous savons que la cause de la liberté religieuse trouvera dans le Grand Conseil d'éloquents et habiles interprètes. Nous savons aussi que notre voix, qui s'élève de si loin, n'aura qu'un faible retentissement dans le canton de Vaud.

C'est à la tribune que l'intolérante loi du 20 mai doit être marquée d'une indélébile flétrissure! C'est là que les droits de la conscience doivent être proclamés et conquis par d'honorables citoyens, que les intrigues des coteries ni les clameurs de la populace ne rendront pas infidèles à leurs devoirs.

Mais fussions-nous même persuadés que nous n'aurons pas la plus faible part d'influence dans la mémorable discussion qui va s'ouvrir, nous n'en écririons pas moins cet article, pour donner à nos frères vaudois une nouvelle preuve de la sympathie qui nous unit depuis si longtemps à leurs peines comme à leurs joies, à leurs revers comme leurs triomphes.

Le but spécial que nous ne devons jamais perdre de vue dans les Archives du Christianisme ne nous permet pas d'examiner les différentes questions politiques qui se rattachent à l'abrogation de la loi du 20 mai; qu'il nous suffise de développer ici quelques considérations qui tiennent de plus près à nos principes religieux.

Quand cette loi d'intolérance a été promulguée et plus tard quand on a cru pouvoir la défendre contre les amis de la liberté des cultes, on a souvent parlé des excès commis par ceux qu'on appelle méthodistes ou momiers.

Nous lisons dans les considérons même de la loi ce qui suit. «Voulant réprimer les actes de cette secte qui trouble l'ordre public.»

Admettons pour un instant, et par une concession tout à fait gratuite, comme on le verra plus loin, que les personnes nouvellement converties aient commis quelques excès, le pouvoir législatif du canton de Vaud devait-il y trouver une raison suffisante pour prendre des mesures de rigueur et d'oppression?

Quel est le droit dont on n'a jamais fait un mauvais usage, la liberté qui n'a jamais donné lieu à aucun excès?

Est-il une constitution humaine si bien réglée, si habilement circonscrite dans de justes bornes, qui ne soit devenue quelquefois une arme dangereuse entre les mains des enthousiastes ou des factieux?

Si l'on se hâtait de détruire toute chose dont l'homme abuse ou peut abuser, que resterait-il clans le monde social?

Le système représentatif aurait été aboli en Angleterre, après les bassesses du long parlement; en France, après les effroyables saturnales de la Convention. La liberté de là presse ne subsisterait plus en aucun lieu du globe, car citerait-on un seul pays où elle n'ait souvent dégénéré en licence?

La liberté individuelle aurait également péri car il n'y rien de plus indocile, de plus turbulent, surtout à l'heure qu'il est, que la liberté individuelle.

La justice eût éprouvé le même sort; car les tribunaux ont maintes fois condamné des innocents et absous des coupables.

Il n'y aurait plus de républiques, à cause des excès du gouvernement républicain, plus de monarchies, à cause des excès du pouvoir royal.

En résumé, si l'on renversait tout ce qui dévie de la droite voie, si l'on tuait tout ce qui s'égare, que resterait-il donc?

Mais l'on a conservé le système représentatif, la liberté de la presse, la liberté individuelle, les tribunaux, le gouvernement républicain ou monarchique malgré leurs écarts et leurs excès; à quel titre, dès lors, se prévaudrait-on d'excès vrais ou faux commis par des citoyens vaudois sous le règne de la liberté religieuse, pour détruire cette liberté?

Il y a plus: l'histoire du genre humain tout entier prouve qu'en mettant l'arbitraire à la place du droit, sous prétexte d'en éviter les excès, le législateur produit infailliblement ces excès mêmes dont il se plaint.

Opprimez la presse chez un peuple habitué depuis longtemps à la voir libre, vous n'échapperez à quelques abus faciles à contenir par la crainte des lois que pour subir le plus terrible débordement de la licence; au lieu de quelques journaux dont les auteurs se montrent au grand jour, vous verrez paraître une multitude d'écrits clandestins, de pamphlets imprimés à huis clos, et qui garderont d'autant moins de mesure qu'ils auront été forcés de se cacher avec plus de soin.

Supprimez la liberté individuelle chez une nation accoutumée à en jouir; vous ne formerez pas des esclaves dociles, mais vous aurez de redoutables adversaires, qui s'enfermeront dans des clubs pour méditer d'affreuses vengeances, et qui aiguiseront leurs poignards dans des souterrains pour en frapper le despotisme.

Privez un pays du système représentatif; vous enlevez les orages de la tribune; mais ils seront remplacés par les conspirations.

C'est un axiome en philosophie et en histoire qu'une liberté de moins amène des excès de plus.

Appliquez maintenant ces remarques, en y faisant les restrictions convenables, à la circonstance actuelle. Vous détruisez la liberté religieuse: pourquoi? Parce qu'elle s'est quelquefois égarée, fourvoyée, parce qu'elle a commis des excès. Mais songez bien que la liberté religieuse est passée dans les moeurs de la portion éclairée des Vaudois, et qu'en la renversant vous ouvrirez la porte à des égarements de plus d'un genre.

Les chrétiens ne s'assembleront plus d'une manière ostensible; mais ils s'assembleront encore en secret, et ils se creuseront, s'il le faut, des catacombes pour y prier Dieu, à l'exemple des premiers disciples de Christ.

Croyez-vous qu'une décente publicité ne soit pas une garantie de sagesse et de modération, même quand il s'agit d'âmes converties au Seigneur?

La ferveur chrétienne, irritée par d'injustes persécutions, ne pourra-t-elle pas se changer, chez certaines personnes, en un enthousiasme ardent et irréfléchi?

L'histoire ecclésiastique est là pour le témoigner.

Pensez-vous que, si la populace poursuit de ses cris de mort quiconque sera soupçonné de piété, il n'y aura pas des esprits qui s'exalteront au-delà de toute mesure, et qui se laisseront égarer jusqu'à ce fanatisme dont vous les accusez à tort aujourd'hui?

Ce sont les dragons de Louis XIV qui ont suscité des prophètes et des prophétesses dans les Cévennes; les puritains n'ont eu de déplorables visions que dans leurs luttes contre la tyrannie des Stuarts.

Législateurs vaudois, si vous ne vous hâtez pas d'établir la liberté religieuse, vous aurez les excès de cette liberté; si vos concitoyens ne peuvent pas se réunir, quand ils le veulent, et s'édifier, comme ils l'entendent, vous en exposez plusieurs, par vos mesures tyranniques, à franchir les bornes auxquelles ils devraient s'arrêter, et leurs fautes retomberont sur vous.

Ce n'est pas ici une simple opinion individuelle, une assertion sans valeur; c'est un fait constaté par les annales de dix-huit siècles dans tous les pays chrétiens!

On ne citerait pas une seule époque de persécution ou d'esclavage religieux qui n'ait été accompagnée de fanatisme; l'iniquité de la loi produit l'égarement des passions.

Ainsi, en admettant même les accusations des partisans de la loi du 20 mai, en supposant avec eux que des excès ont été commis, nous croyons avoir prouvé, d'abord, que l'abus ne préjuge pas contre le droit; ensuite que le meilleur moyen d'accroître l'abus, c'est de renverser le droit.

À ces arguments il faut opposer de meilleures réponses que de vagues déclamations. Mais nous allons plus loin:

Les excès que l'on reproche aux chrétiens du canton de Vaud ont-ils réellement eu lieu?

Qu'il se soit passé, il y a dix ou douze ans, dans les commencements du réveil religieux, des scènes de famille plus ou moins fâcheuses, nous ne le contestons pas; qu'on ait vu, en quelques circonstances, des actes de prosélytisme peu réfléchis ou continués avec une obstination peu prudente, nous l'accordons encore, bien que nous réduisions ceci à des cas très rares; que, dans certaines localités, la piété se soit empreinte d'idées étroites ou superstitieuses, nous y souscrivons et le déplorons plus que personne; qu'enfin il ait paru, çà et là, des âmes ardentes jusqu'au fanatisme, des esprits exagérés et fougueux, qui n'ont su concevoir qu'une religion tracassière, ignorante, inflexiblement formaliste jusques dans les plus petites choses, nous croyons aussi pouvoir le concéder, sans manquer à la charité chrétienne.

Mais ces écarts, suite inévitable d'un réveil religieux, n'ont-ils pas été clairsemés et à peine sensibles dans la masse des convictions éclairées, sages et prudentes?

Nous affirmons, après y avoir mûrement réfléchi, et en tenant compte de la différence des populations respectives, que le réveil du canton de Vaud a produit moins d'excès que la réforme du seizième siècle.

Si nous sommes dans l'erreur, rien n'empêche de nous démentir.

Et puis, ces écarts mêmes, déjà si clairsemés à l'origine du réveil, ne sont-ils pas revenus peu à peu, sous l'influence de convictions plus approfondies et mieux dirigées par l'expérience, dans les limites qu'il convient de respecter?

N'a-t-on pas vu presque partout les âmes converties joindre la prudence à la charité, la science de la Parole à la foi chrétienne, et la douceur à la ferveur?

N'ont-elles pas avoué, par une humilité qui les rendait peut-être trop sévères à leur égard, qu'elles avaient dépassé le but dans les commencements, pour avoir voulu l'atteindre plus vite que ne le permettait l'état de choses actuel?

Les incrédules eux-mêmes n'ont-ils pas rendu témoignage à la pureté de leur prosélytisme et à la sagesse de leur conduite?

Il n'y a que les pharisaïstes, grands ou petits, qui n'ont pu leur pardonner le zèle dont ils font preuve, et l'on sait pourquoi.

Nous demandons à tous les hommes du pouvoir dans le canton de Vaud, aux membres du Conseil d'État, aux juges, aux préfets, aux syndics, si les chrétiens, ou pour parler avec toute la clarté possible, ceux qu'on désigne sous le nous de momiers, n'ont pas agi, dans leurs relations sociales, comme d'intègres et fidèles citoyens; s'ils n'ont pas donné l'exemple d'une consciencieuse obéissance aux lois du pays; s'ils n'ont pas rempli leurs devoirs politiques et civils avec un soin religieux?

A-t-on vu les chrétiens remuer les masses par d'imprudentes accusations contre les hommes du gouvernement, ou intriguer dans les élections en captant les votes par des moyens trop connus, ou se faire les avocats d'une politique effrénée?

Nous en appelons ici à des faits qui se sont passés à la clarté du soleil. Point de flatterie pour les chrétiens, mais du moins justice, équité, bonne foi: est-ce trop demander?

Non, certes, et nous avons trop de confiance dans le caractère probe et loyal des magistrats vaudois pour douter un seul instant qu'ils ne s'empressent de témoigner que les disciples de Christ ont généralement pris place dans les rangs des meilleurs citoyens.

Enfin, à Vevey même, qu'ont-ils fait?

Ils ont usé du droit qui appartient à tous, celui de s'abstenir, quand on le juge convenable.

Ce n'est pas d'un devoir civil qu'il s'agissait, mais d'une fête! Ils ont refusé d'y prendre part: pourquoi?

Il n'y a que les hommes de la terreur, et encore dans les jours les plus néfastes de 93, qui aient ordonné de s'amuser sous peine de mort.

Les chrétiens ont fermé leurs maisons: pourquoi pas?

Devaient-ils les laisser ouvertes, pendant que la ville était encombrée d'une multitude d'étrangers?

Plus tard, un ministre de l'Église nationale a dit dans un catéchisme que la participation à cette fête où figurent Noé et Bacchus n'était pas chose indifférente; eh bien! c'est là une vérité fort simple à laquelle on peut reprocher tout au plus d'avoir été inopportune.

Que ces actes si irréprochables en eux-mêmes aient fourni le prétexte d'une émeute de populace, on le conçoit; car pour commencer une émeute, que faut-il? Un homme de mauvaise humeur, trois individus ivres et quatre enfants criards!

Mais que les représentants du pays, gens sérieux, éclairés, appelés par leurs hautes fonctions à considérer les événements sous leurs différentes faces, trouvent dans la conduite des chrétiens de Vevey un motif suffisant pour les frapper d'ilotisme religieux, c'est ce qu'on ne saurait concevoir. Tant de haine ou tant d'aveuglement ne se présume pas.


En dernière analyse, les excès qu'on reproche aux personnes converties dans le canton de Vaud se réduisent à peu de chose, si l'on remonte à l'origine du réveil, et se réduisent à rien pour ces derniers temps: de sorte que le prétexte même sur lequel on s'appuierait pour maintenir une loi d'intolérance ne serait qu'une grande imposture.

Mais que parlez-vous d'intolérance et d'ilotisme religieux? répondra peut-être quelqu'un; empêchons-nous personne d'aller entendre la Parole de Dieu dans les temples, et les doctrines les plus orthodoxes n'y peuvent-elles pas être prêchées?

N'est-on pas libre de s'y réunir avec ses frères?

En vérité chrétiens vaudois, vous êtes libres; mais prenez-y garde, vous n'êtes libres qu'une ou deux fois par semaine, à telle heure et en tel lieu; dans vos maisons vous ne l'êtes plus, et malheur à vous si vous invitez quelques amis pour vous édifier avec eux sur les grandes vérités du salut!

Vous êtes libres, mais n'oubliez pas que cette liberté ne vous est octroyée que sous condition d'adopter telle manière de célébrer le service divin et telles formes de discipline.

Sans mentir, s'il y a quelque chose au monde qui ressemble à l'esclavage, c'est cette liberté-là.

De quel droit, d'ailleurs, s'établirait-on juge de ce qui suffit aux besoins religieux des citoyens vaudois? Vous trouvez que votre âme est satisfaite pour toute la semaine, quand elle a entendu, le dimanche, une ou deux prédications. À la bonne heure, mais toutes les âmes ne se nourrissent pas de si peu.

S'est-il jamais rencontré un législateur qui ait prétendu fixer la quantité d'aliments que chaque homme devait prendre? Eh bien! ce qu'il serait absurde et extravagant d'établir pour la nourriture du corps, qui vous autorise à l'imposer pour la nourriture de l'âme? Il y aurait en cela double extravagance et double absurdité.

Mais on insiste: si les prédications du dimanche ne suffisent pas, il est permis à chacun de lire la Bible et de prier avec sa famille; NOUS VOULONS SEULEMENT QU'ON S'ABSTIENNE DE RÉUNIR SES AMIS POUR CE CULTE DOMESTIQUE: soit; mais n'est-ce pas encore se faire juge des besoins religieux et des moyens d'édification, chose moralement impossible à l'homme, et par conséquent chose arbitraire et tyrannique?

Vous vous contentez, dans votre service religieux intérieur, de la seule présence de votre femme et de vos enfants; mais il est nécessaire à d'autres, pour s'édifier, d'entendre les explications et les avertissements de leur pasteur ou de leurs frères, et cette nécessité constitue pour eux un droit inviolable.

Qu'on ne s'y trompe pas: il ne s'agit nullement ici d'une prétention exorbitante, à laquelle des législateurs ne doivent accorder aucun égard; le besoin de se réunir est un effet naturel et constant du réveil de la foi religieuse.

Les premiers chrétiens s'assemblaient presque tous les jours.

Au temps de la réforme, il y eut de nombreuses réunions d'édification, et Calvin établit à Genève plusieurs services par semaine.

Quand la voix de Spener arracha l'orthodoxie de l'Allemagne au sommeil léthargique où elle s'était plongée, les piétistes formèrent partout des assemblées particulières.

Aujourd'hui, dans toutes les contrées où il se trouve des chrétiens, depuis l'Amérique du Nord jusqu'aux Iles Ioniennes, et depuis la Finlande jusqu'à la Polynésie, ces chrétiens se réunissent pour s'édifier ensemble.


Un fait si permanent, si universel, doit avoir ses racines dans la nature même de l'homme, et nous le prouverions facilement pour peu que nous eussions du temps et de l'espace.

Toute loi qui ôte aux chrétiens la liberté de se réunir est donc une loi d'intolérance et de tyrannie.

Vainement on se retrancherait derrière les prédications libres du dimanche; le maintien de la loi du 20 mai serait un indigne abus de la force contre le droit.

Nous espérons que le Grand Conseil du canton de Vaud saura remplir sa haute mission de justice et de liberté. Que si, par une supposition sur laquelle nous ne voulons pas nous appesantir, notre attente était déçue, nous serions affligés, mais non découragés.

Le Christianisme est plus fort que les hommes et plus durable que les persécutions.

Législateurs vaudois, écoutez une parole qui fut prononcée il y a dix-huit cents ans: «Ne poursuivez plus ces gens-là, mais laissez-les en repos; car si ce dessein est un ouvrage des hommes, il se détruira de lui-même; mais s'il vient de Dieu, vous ne pouvez le détruire, et prenez garde qu'il ne se trouve que vous ayez fait la guerre à Dieu».

Le Grand Conseil des Juifs adopta l'avis de Gamaliel et laissa les disciples de Jésus en repos: devons-nous moins attendre du Grand Conseil des Vaudois?



SITUATION RELIGIEUSE EXTÉRIEURE.

Affaires du canton de Vaud.

1834 (février)

Nous revenons sur des faits déjà connus de nos lecteurs pour y ajouter quelques courtes réflexions.

Lorsqu’un ministre de l’Évangile fut assailli, à Vevey, par des cris de mort d'une populace effrénée, il se rencontra des apologistes officieux qui prirent en main la cause, non du ministre, comme on le pourrait croire, mais de la populace!

On imagina des excuses, et presque des raisons pour cette ignoble et sanglante émeute. Les Momiers (puisqu'on les appelle ainsi) n'avaient-ils pas refusé, en effet, de participer aux amusements de la fête des vignerons?

N'étaient-ils pas sortis de la ville, après avoir fermé la porte de leur logis: deux ou trois mots de réprobation n’avaient-ils pas été prononcés dans une leçon de catéchisme?

N’était-ce point là, on vous le demande, provoquer le peuple à fouler aux pieds tous les droits et tous les devoirs, à violer l’auguste asile du foyer domestique, à briser portes et fenêtres, à s’armer de bâtons et de fourches pour en frapper un citoyen sans défense?

Les victimes seules avaient tort; mais ces pauvres persécuteurs, on les plaignait avec la plus touchante compassion.

Voici pourtant un nouveau fait qui donne un cruel démenti à ces bénévoles avocats. Que s’était-il passé à Romainmotiers, lorsqu’une centaine d’hommes masqués attaquèrent à coups de fusil la cure de M. Crinsoz? Rien.

Là, point de crime de lèse-majesté contre une fête nationale; point de désertion à la campagne; point de catéchisme provocateur; pas même de séparatisme. II n’y avait qu’un pasteur de l’Église nationale, homme d’un caractère doux et réservé, adversaire de la dissidence plutôt que son apologiste; qu’est-ce donc qui a pu exciter le peuple à commettre ces actes nocturnes de brigandage et d’assassinat?

Nous le demandons, à notre tour, aux défenseurs des assassins de Vevey.

La scène de Romainmotiers confirme, par une preuve malheureusement trop directe et trop frappante, une observation souvent reproduite dans notre feuille, C’EST QUE LE MONDE HAIT L’ÉVANGILE LUI-MÊME D’UNE HAINE ARDENTE ET INEXORABLE.

«Si le monde vous hait, disait Jésus-Christ, sachez qu’il m’a haï avant vous; si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui; mais parce que vous n’êtes pas du monde, et que je vous ai choisis dans le monde, c’est pour cela que le monde vous hait. Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite, que le serviteur n’est pas plus grand que son maître; s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi.»

(Jean XV, 18, 19, 20.)

Cette parole prophétique s’est accomplie, depuis dix-huit siècles, dans tous les lieux et dans tous les temps. L’Évangile n’a trouvé grâce devant le monde que lorsqu’il a revêtu le manteau du paganisme, comme dans la religion romaine, ou qu’il s’est accommodé à l’orgueil, aux erreurs et aux vices du siècle, comme dans toutes les branches du socinianisme.

Chaque fois que l’Évangile a paru seul, sans ornements étrangers, sans accommodation, dans toute sa pureté primitive, il a été haï et persécuté.

Cette haine se déclare par des assassinats, quand elle l’ose, et par des calomnies, quand elle craint la vindicte des lois; mais, ouverte ou cachée, elle existe, et n’attend qu’une occasion pour frapper l’Évangile, excepté peut-être chez les indifférents absolus, car les morts cessent de haïr.

On conçoit que les hommes qui prétendent annoncer fidèlement l’Évangile tout en obtenant l’approbation du siècle, apportent une ardeur infatigable à obscurcir les choses les plus claires, à dénaturer les faits les plus positifs; ils nieraient l’évidence, pour ne pas se condamner eux-mêmes.

Dès qu’un pasteur ou une congrégation est en butte à l'inimitié du monde, ils cherchent donc les causes de cette inimitié en dehors de la prédication et de la pratique de l’Évangile;

ici, on n’a pas voulu se divertir quand le monde se divertissait;

là, on a chanté des cantiques au lieu de chanter des psaumes;

ailleurs, on s’est réuni pour lire la Bible pendant que d’autres se réunissaient pour jouer aux cartes;

plus loin, on a émis des opinions téméraires sur les jugements de Dieu;

partout, on a heurté mal à propos les idées et les consciences, c’est-à-dire les préjugés et les passions. Il ne faut qu’un peu de mémoire pour répéter ces misères; et puis on vante l’impartialité, la sagesse, la modération et la parfaite tolérance de ses doctrines. Que répondre à cela?

Une feuille de la Suisse française a imaginé un moyen de rétablir la paix dans le canton de Vaud, c’est d’abroger la confession de foi, et d’accorder liberté pleine et entière à toutes les opinions.

L’expédient est admirable; nous voudrions seulement y ajouter deux mots sous forme d’amendement: Toutes les opinions sont libres, EXCEPTÉ LA VÉRITÉ; car si l’on continue à pouvoir prêcher l’Évangile, nous ne comprenons pas comment la paix serait établie par cela seul qu’on pourrait prêcher le socinianisme une demi-lieue plus loin. Le moyen de pacification proposé par la feuille suisse devrait donc être accompagné de quelques éclaircissements.

Peu de jours avant l'attentat de Romainmotiers, la classe de Lausanne, qu’on n’accusera pas de précipitation, ni de fanatisme, avait réhabilité, d’une manière éclatante, la conduite pastorale de M. le ministre Paul Burnier. Nous applaudissons à cet acte de justice, tout en déplorant que la situation religieuse du canton de Vaud soit telle que la justice y ressemble à du courage. Une fatale nécessité politique, ou, pour employer le mot propre, une raison d’État a dû peut-être faire éloigner M. Paul Burnier de la chaire de Vevey; mais une raison d’État ne prouve rien contre celui qui en est la victime; la cause des proscrits se juge toujours sans être plaidée.

Une espèce de défaveur s’était pourtant attachée à ce jeune ministre, parce qu’il y a beaucoup de gens qui ne savent apercevoir que les faits secondaires, et qui jugent un individu coupable dès qu’il a subi les rigueurs de l’autorité publique, sans réfléchir que l’autorité a pu avoir une raison d’État pour en agir ainsi.

La classe de Lausanne a donc rempli un noble devoir et satisfait aux lois immuables de l’équité, en justifiant M. Paul Burnier par une réhabilitation publique et solennelle.

Nos lecteurs ont appris que la loi du 20 mai 1824 a été abolie par le Grand Conseil du canton de Vaud. Gloire en soit à Dieu qui incline les sentiments et les volontés des hommes, pour leur faire accomplir ses desseins de miséricorde!

Honneur aux citoyens fermes et éclairés qui ont défendu le droit contre la force brutale, la liberté contre la tyrannie, les principes du dix-neuvième siècle contre les passions du seizième!

Le canton de Vaud s’est enfin lavé d’une loi infamante contre laquelle tous les peuples chrétiens s’étaient émus d’indignation, jusque dans les antiques forêts du Nouveau Monde et sous les neiges du Canada.

Mais en rendant hommage au progrès immense qui vient d’être fait vers un meilleur ordre de choses, il faut ajouter que tout n’est pas gagné dans le canton de Vaud pour la liberté des cultes. Les dissidents sont encore, en ce qui concerne leurs mariages, dans la position monstrueuse et intolérable où se trouvaient les protestants de France avant l’édit de Louis XVI; si leur union n’a pas été bénie par un pasteur de l'Église nationale, la loi les considère comme vivant dans un état de concubinage, bien qu’ils aient rempli toutes les autres formalités légales, et frappe leurs enfants de bâtardise.

Il est urgent de mettre un terme à cette grande iniquité de la loi civile, et nous croyons que ceux-là mêmes qui oui soutenu par des motifs politiques la loi du 20 mai, se joindront aux amis de la liberté des cultes pour obtenir des mesures qui puissent rendre valides les mariages des dissidents.

L'article dirigé contre le prosélytisme est une transaction, et l’on sait que les transactions de parti se consomment habituellement aux dépens d’un principe. Nous n’aborderons pas aujourd’hui l’importante question du prosélytisme, qui nous paraît être, non seulement un droit pour les chrétiens, mais encore et surtout un devoir sacré dont ils ne pourraient s’affranchir sans renier leur foi.

Tout disciple de Christ qui promettrait de ne plus chercher à faire de prosélytes serait coupable d’une lâche et méprisable apostasie;

les six cents francs d’amende et l’année de prison de la nouvelle loi vaudoise n’étoufferont pas plus le prosélytisme que n’ont réussi à le faire les lions du Cirque et les bûchers des proconsuls romains.

La pénalité humaine est impuissante à détourner du devoir les âmes qui craignent, avant tout, de désobéir à Dieu. Mais bornons-nous à remarquer en ce moment que cet article ne sera pas exécuté, parce qu'il est inexécutable.

En théorie, les adversaires de l’Évangile ont pu y voir un moyen de terreur; dans l’application, les juges vaudois seraient contraints de reculer, sauf des cas extraordinaires, devant le ridicule de la sentence et l’iniquité de la peine.


Figurez-vous, par exemple, qu’on me condamne à six cents francs d’amende ou à une année de prison, comme atteint et convaincu d’avoir fait du prosélytisme à l’insu du chef de famille, parce que j’aurai remis à un jeune homme, en passant dans la rue, un traité religieux qui aura été l’instrument de sa conversion! Il ne resterait plus qu’à faire lacérer le traité par la main du bourreau!


Le véritable moyen de pacifier le pays n’est pas dans une stérile menace, mais dans l’équité des lois. Justice pour tous! Que le chrétien puisse faire des prosélytes aussi bien que le déiste! Égale répression contre tous! que le misérable qui frappe un dissident soit puni comme tout autre assassin!

Hors de là, il ne saurait y avoir pour le canton de Vaud ni ordre, ni paix, ni liberté.

 


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