Tyr était la ville la plus célèbre de la Phénicie, et pendant
longtemps elle fut la première ville de commerce de l'univers. C'était
le théâtre d'un commerce et d'une navigation immense, dit Volney, le
berceau des arts et des sciences, et la patrie du peuple le plus
industrieux peut-être et le plus actif qui ait jamais existé (1).
Le royaume de Carthage, cette rivale de Rome, était
une des colonies de Tyr. Ce fut lorsque ce centre du commerce du monde
avait atteint son plus haut degré de puissance et d'opulence, et au
moins 125 ans avant la destruction de l'ancienne Tyr, que le prophète
Isaïe annonça sa chute irrévocable.
La nouvelle Tyr, bâtie sur une île, succéda à la ville
continentale ; elle fut habitée par le même peuple, conserva le
même nom, et son sort fut également compris dans les mêmes
prédictions. Le prophète assigne comme causes de la malédiction
prononcée contre elle son orgueil et sa méchanceté, la joie qu'elle
éprouva des malheurs des Juifs, et sa cruauté en les vendant comme
esclaves. Toute la destinée de Tyr fut prédite.
L'évêque Newton nous montre comment les prophéties suivantes ont été
aussi exactement accomplies qu'elles ont été clairement énoncées,
c'est-à-dire que Tyr devait être prise et détruite par les Chaldéens,
qui, à l'époque de la prophétie, n'étaient qu'un peuple obscur et peu
important, et que cette destruction devait se faire par le moyen de
Nabuchodonozor, roi de Babylone ; que les habitants de Tyr
s'enfuiraient sur l'île voisine et se répandraient dans les contrées
environnantes, mais qu'ils n'y trouveraient aucun lieu de repos ;
qu'après un intervalle de 70 ans la ville serait reconstruite, et que
le peuple retournerait à son commerce et à ses richesses ;
qu'après un certain temps le peuple renoncerait a l'idolâtrie et se
convertirait au culte du vrai Dieu, et qu'enfin la ville serait
entièrement détruite et qu'elle ne serait plus qu'un lieu pour étendre
les filets.
Mais au lieu de les passer toutes en revue, nous nous contenterons
d'en présenter au lecteur quelques-unes des plus remarquables, qui
furent accomplies après l'époque des derniers
prophètes de l'Ancien Testament, et dont l'accomplissement repose sur
des témoignages non équivoques.
Le siège de Tyr, par Alexandre-le-Grand, est un des plus singuliers
événements de l'histoire. Irrité de ce qu'une ville solitaire comme
Tyr pût aussi longtemps arrêter la marche de son armée victorieuse,
exaspéré par le meurtre de quelques-uns de ses soldats, et jaloux de
sa renommée, rien ne put faire consentir le jeune vainqueur à en lever
le siège.
La prise de Tyr fut encore plus étonnante que le plan d'attaque ne fut
audacieux, car la ville était entourée d'une muraille haute de 150
pieds, et sa position sur une île éloignée d'un demi-mille du rivage
semblait la rendre inaccessible.
On forma, pour ainsi dire, une chaussée qui s'étendait du rivage à
l'île, et les ruines de l'ancienne Tyr (2), détruite
depuis 250 ans, en fournirent les matériaux. Une entreprise aussi
gigantesque sembla pendant quelque temps au-dessus des efforts mêmes
d'un Alexandre. Les ouvrages commencés furent brûlés par l'ennemi, et
ensuite détruits par un orage ; mais leurs restes ensevelis sous
l'eau formèrent une barrière sur laquelle il recommença ses travaux.
Il fallut encore rassembler une immense quantité de matériaux ;
on ramassa la terre et jusqu'aux décombres ; et ce même
conquérant, qui ne parvint jamais à rebâtir les murailles de Babylone,
jeta celles de Tyr dans la mer et en enleva même la poudre de dessus
la place qu'elles occupaient (3). Il
ne laissa pas vestige d'une seule ruine, et
l'emplacement de l'ancienne Tyr est inconnu (4).
Qui est celui qui a enseigné au prophète à dire : « Elles
détruiront les murailles de Tyr, et démoliront tes tours, et jetteront
ton bois, tes pierres et ta poussière au milieu des eaux. »
« Je raclerai sa poussière hors d'elle, je ferai qu'on sera tout
éperdu à cause de toi, de ce que tu ne seras plus ; et. quand on
te cherchera, on ne te trouvera plus à jamais, dit l'Éternel (5). »
Après la prise de Tyr, le conquérant fit incendier la ville. Quinze
mille Tyriens s'échappèrent dans des vaisseaux ; mais une grande
partie des habitants furent massacrés, et 230,000 vendus comme
esclaves.
De tous ces faits, les plus saillants de l'histoire de Tyr, il n'y en
a pas un seul qui ne soit l'accomplissement d'une prophétie.
« Voici, le Seigneur l'appauvrira, et en la frappant il jettera
sa puissance dans la mer, et elle sera consumée par le feu (6). »
« Je ferai sortir du milieu de toi un feu qui te consumera, et je
te réduirai en cendre sur la terre (7). »
« Passe en Tarsis, lève-toi, traverse en Kittim (8). »
« Les îles qui sont dans la mer seront éperdues à cause de ton
issue (9). »
« Tu mourras au milieu de la mer, de la mort de ceux qui sont
tués (10). »
« Vous avez vendu les enfants de Juda et les enfants de
Jérusalem ; voici, je ferai retourner sur votre tête votre
salaire (11). »
Mais que dit encore le prophète de la première ville de commerce de
l'univers, dont les marchands étaient des princes, et les facteurs des
grands de la terre ? « Je te rendrai semblable
à une pierre sèche, un lieu pour étendre les filets (12) »
Il est encore répété ailleurs avec la même force et la même
vérité : « Je la rendrai semblable à une pierre sèche. Elle
servira à étendre les filets au milieu de la mer, car j'ai parlé (13). »
Cependant, quoique privée de ses anciens habitants, Tyr ne tarda pas à
redevenir une ville commerçante. Elle était populeuse et florissante
au commencement de l'ère chrétienne. On y trouvait du temps des
apôtres plusieurs disciples du Christ ; on y construisit plus
tard un temple élégant et plusieurs églises ; elle fut le siège
épiscopal du premier archevêque soumis au patriarche de Jérusalem.
Tyr fut prise par les Sarrazins au septième siècle, et au douzième par
les croisés, époque à laquelle elle était une ville de commerce riche
et importante. Les Mameloucks s'en rendirent maîtres plus tard, et
depuis 300 ans elle est demeurée au pouvoir des Turcs.
La cruauté et les spoliations continuelles des Turcs ne lui ont pas
permis d'échapper au sort qu'elle a du reste partagé avec une
multitude d'autres villes et avec plusieurs autres pays, et sa
désolation avait été prédite 2,000 ans avant l'existence du peuple qui
a été l'instrument de sa destruction et de sa ruine. Il est vrai que
dernièrement la ville a paru sortir un peu du milieu de ses ruines,
grâce à un court intervalle de repos ; cependant les dernières
punitions prononcées contre elle ont été parfaitement accomplies
d'après le témoignage que nous en rendent Maundrell, Shaw, Volney et
Bruce.
Il ne reste aucun vestige de son ancienne splendeur ; elle n'est
plus qu'une ville de murailles brisées, de colonnes tronquées et
détruites, et de caveaux. Toute sa population
consiste en quelques pauvres familles qui se logent dans les
souterrains, et dont la pêche est le principal moyen de
subsistance ; elles ne semblent y être que pour servir de
témoignage vivant à l'accomplissement de la parole de Dieu (14).
Le port de Tyr, déjà très petit, est tellement obstrué par le sable et
par les décombres que les bateaux de pêcheurs, qui de temps à autre
visitent ce marché jadis si renommé, et viennent sécher leurs filets
sur ses rochers et sur ses ruines, n'y pénètrent qu'avec beaucoup de
peine (15). Et Volney lui-même,
après avoir cité la magnifique description que fait Ezéchiel de
l'ancienne grandeur de Tyr, de la destruction de la ville et de son
commerce, reconnaît expressément : que les révolutions du sort ou
plutôt la barbarie des Grecs du Bas-Empire et des Mahométans ont
accompli ces oracles.
Au lieu de cette ancienne circulation si active et si vaste, Sour
(Tyr), réduit à l'état d'un misérable village, n'a plus pour tout
commerce qu'une exportation de quelques sacs de coton et laine, et
pour tout négociant qu'un facteur grec au service des Français de
Saïde, et qui gagne à peine de quoi soutenir sa famille. Ensuite, sans
remarquer dans ses détails l'accomplissement de la prophétie, il
ajoute cependant des faits plus précieux qu'aucune opinion, et qui
sont le témoignage le plus puissant de l'accomplissement des
prédictions. - Toute la population du village de Tyr consiste en 50 à
60 pauvres familles qui vivent obscurément de quelques cultures de
grains et d'un peu de pêche. Les maisons qu'elles occupent ne sont
plus, comme au temps de Strabon, des édifices à trois ou quatre
étages, mais de chétives huttes sur le point de
s'écrouler (16). Bruce parle de
Tyr comme d'un « rocher sur lequel des pêcheurs sèchent leurs
filets. »
Peu nous importe par quels moyens ces prophéties ont été
accomplies ; il était aussi impossible à l'homme de prévoir ces
moyens que de prévoir l'événement lui-même. Le fait est positif, les
prédictions ont été accomplies ; donc les prophètes ont annoncé
la vérité.
On peut les mépriser, mais on ne peut rien changer à leurs
paroles ; il n'y a jamais eu de faits plus frappants et moins
probables, et jamais il n'y a eu de prédictions plus précises et plus
claires.
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