Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

JEANNETTE-PHILIPPINE LECLERC

(1773)

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 Avec l'affaire Calas et l'affaire Sirven, l'intolérance a jeté sa dernière flamme. Voltaire a fait « crier » toute l'Europe. Dans notre pays, des esprits indépendants, des magistrats, travaillent, contre la Cour, à établir la tolérance. « En 1775, les deux derniers forçats huguenots sortirent du bagne.

Les protestants du Nord, de l'Est, du Centre, qui s'étaient conservés par le culte de famille, s'organisèrent en des « Sociétés » qui avaient leur budget, leur lieu de réunion, et un « lecteur », qui, le dimanche, célébrait le culte...

Le Midi et l'Ouest eurent des « maisons d'oraison », avec des bancs et une chaire, où les pasteurs prêchaient.

À Nîmes, aux portes de la ville, en 1774, le culte du dimanche réunissait plusieurs milliers de personnes qui s'y rendaient sans aucun trouble. » (Ch. Bost, Histoire des protestants de France, 1re éd., p. 177).

Les Nîmois disaient : « Anan a la ferigoulo, nous allons à la férigoule (au thym). » Ils allaient écouter Monsieur Paul. Plus de « crime d'assemblée », plus de persécution depuis dix ou onze ans. Marie Durand et ses compagnes avaient fini par vivre dans la Tour, entre ces murs de six mètres d'épaisseur, comme des protestantes, avec leur culte régulier.

Nos lecteurs aimeront le texte qui va suivre, croquis d'une assemblée tenue à Montauban, au mois de décembre 1773. Bien pris sur le vif. L'auteur ? Jeannette-Philippine Leclerc, fille de l'architecte Charles du Ry, émigré à la Révocation, soeur du célèbre Simon-Louis du Ry, qui bâtit les principaux monuments de Cassel et de la Hesse au XVIIIe siècle, et femme d'un fils de réfugiés montalbanais nommé Leclerc, « ingénieur au service de S. A. S. le landgrave de Hesse ». Elle séjourna en France, avec son mari, pendant trois ans, à Paris, à Montauban et à Mauvezin. Intelligente, fort avisée et observatrice, douée d'un sens très critique. Je ne sais rien de plus français que les lettres pleines de verve et d'alacrité de Jeannette-Philippine Leclerc.

 ÉDITION : Bull. LII, p. 65.

 À CONSULTER : N. Weiss dans Bull. LI, p. 563 sa.



 VERS LA LIBERTÉ RELIGIEUSE. UNE ASSEMBLÉE A MONTAUBAN EN DÉCEMBRE 1773.

 Montauban, ce 21 décembre 1773.

 Mon cher frère..., dimanche, nous fûmes enfin, pour la première fois, depuis notre séjour ici, à l'assemblée pastorale, comme on dit ici. Tu me diras peut-être : « Pourquoi avoir attendu si longtemps à y aller ? » À quoi je répondrai : Les ministres occupés, depuis la Saint-Michel, à visiter les villages et les bourgades des environs et à distribuer la communion dans ces lieux, n'étaient point ici, et avaient abandonné les Montalbanais à leur propre dévotion...

Cette assemblée se tient à l'extrémité du faubourg la Capelle. Nous entrâmes dans une maison d'aussi grande apparence que la lavanderie, qui est dans ta cour, et dont la porte étroite et basse m'obligea de me mettre en double. Une allée longue, étroite et obscure nous conduisit dans une portion de cour où est bâti un hangar qui sert de temple les dimanches et, dans l'occasion, de retraite aux marchands de volailles, pigeonniers, etc.

Ce bâtiment, qui peut avoir 150 pieds de long sur 30 de large, était déjà extrêmement plein. Force petit peuple et peu de beau monde. En qualité d'étrangers, nous fûmes placés dans le parquet déjà bien resserré, et le seul endroit cependant où l'on pût encore placer deux chaises. Je me trouvai au pied de la chaire, élevée de terre d'environ quatre pieds. Il était une heure après-midi.

Depuis midi, plusieurs étaient placés et il en arrivait encore à tout moment. Je fus scandalisée du peu de décence qui régnait dans cette assemblée. On y parlait tout haut ; malgré les censures de deux ou trois anciens, on ne pouvait faire taire ce peuple, peuple le plus babillard qu'il y ait au monde. Des vieilles se levaient pour embrasser d'autres vieilles qui arrivaient et, en se levant, marchaient sur les pieds des malheureux qui se trouvaient sur leur passage. Je les eus écrasés cinq ou six fois sans oser me plaindre...

Le service commença par la lecture d'un chapitre. Celui qui faisait l'office de lecteur était un jeune homme en habit gris, veste riche, gros bouquet de violettes à la boutonnière, bien frisé, en un mot fort propre. Son ton de voix n'avait rien de désagréable ; il s'arrêtait où il fallait, mais il disait le peuple d'Iraël, retranchant I's, et Jacarie, en parlant du père de saint Jean-Baptiste. Suivit, de la part du doyen des anciens, une censure très forte sur le peu de dévotion et la négligence à participer à la Sainte Cène, accompagnée d'une exhortation de mieux instruire la jeunesse, de n'être point adonné aux spectacles et au jeu, puis nouvelle défense de faire la belle conversation, ce sont ses termes.

Mais « ma mère me châtie, et moi je fouette la toupie », dit notre ami Sancho. Ces gens ne savent point observer le silence - babillards ils sont nés, babillards ils vivront, babillards ils mourront. La lecture et le chant des psaumes dura jusqu'à l'arrivée du ministre, jeune homme de vingt à vingt-trois ans, bien fait et d'un visage fort agréable, nommé M. Fonfrède, du comté de Foix. Je fus fort contente de son sermon, qui doit servir de préparation à la communion du jour de Noël. Le peu d'accent qu'il a conservé de son pays n'est pas absolument désagréable, il a la voix sonore et paraît avoir beaucoup de feu. Son collègue, M. Murat, est malade ; on croit qu'il aura la petite vérole.

J'ai oublié de te dire que les fenêtres du lieu de l'assemblée sont fermées de châssis de papier et que les chapeaux des anciens servent de cueillettes.

... Il y a des lieux d'assemblée dans tous les faubourgs, qui font des paroisses. Celui où nous avons été est proprement la paroisse de la ville...


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