Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

À MA MÈRE !

DÉDICACE

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 À loi, ma chère et bonne mère qui me racontait sur les genoux la belle histoire du Sauveur, en commençant dans la Genèse et en finissant à l'Apocalypse, je dédie ce livre.
J'ai essayé à mon tour de raconter celle histoire bénie et je demande à Dieu que ce modeste ouvrage lasse à le lire, un peu du bien qu'il m'a fait à l'écrire.

Court, avril 1913.

H. BESSON.




IL VIENDRA !


Première promesse.

 La postérité de la femme t'écrasera la tête, tu la blesseras au talon. Genèse III, 15.


À la manufacture de porcelaines de Sèvres, jamais on ne répare une pièce manquée ; on brise impitoyablement le vase superbe si infime que soit le défaut ; on n'entend produire que des chefs-d'oeuvre.

Dieu n'a point agi ainsi envers l'homme tombé. Le Créateur n'a pas détruit le premier couple humain et recommencé l'expérience ; c'eût été accepter la défaite, quand bien même un nouvel Adam aurait victorieusement surmonté l'épreuve. Il était plus digne du Tout-Puissant de donner à l'homme, créé libre et à l'image divine, le temps et les moyens de remporter sur l'adversaire la victoire réparatrice. Ce Dieu patient a l'éternité devant lui ; mille ans sont à ses yeux comme un jour ; l'humanité déroulera les lacets de son histoire, descendra aux bas-fonds des époques troublées, remontera sur les sommets des temps de réveil ; Dieu emploiera pour la faire triompher les remèdes les plus efficaces ; il ira jusqu'au don de son Fils, mais il faut qu'un jour quelqu'un d'entre les enfants des hommes pose un pied vainqueur sur la tête du serpent. Voilà le chef-d'oeuvre de Dieu, réparer le vase fêlé, réhabiliter et sauver l'homme perdu.

Tomber ! Déchoir ! Existe-t-il un mot et sous ce mot un fait plus navrant ? Qu'un méchant fasse aujourd'hui pis que hier, c'est tristement compréhensible, mais qu'un innocent s'avilisse c'est presque du sacrilège. Vous l'avez connue cette jeune fille, fleur de délicatesse qui faisait la joie de son entourage et que le Créateur s'était plu à parer de tous les dons ? La malheureuse ! elle s'est laissé prendre aux flatteries d'un séducteur et la voilà flétrie ! Vous l'avez sur les lèvres le nom de ce chrétien aux conseils écoutés, de ce chef de famille sans reproche qui, un jour néfaste, a compromis son honneur et son salut. Il a scandalisé ses frères et fait ricaner les adversaires. Quelle douleur au Ciel et dans l'Église !

Que Dieu nous garde, nous particulièrement les chrétiens, qui rendons publiquement témoignage de notre foi ! Quel mal nous ferions si nous nous laissions prendre aux pièges du malin !
O mon Dieu, donne-moi la défiance de moi-même et une humble confiance en Toi !

Un jour, au cours de son histoire, l'homme innocent est tombé. Il a perdu sa position de roi de la création. Il n'a pas su triompher de l'épreuve qui, l'initiant à la lutte, devait le rendre conscient de sa liberté, faire de lui une créature joyeusement soumise au Créateur et lui permettre de gravir le premier échelon vers la sainteté. L'homme, resté pur, serait devenu vraiment comme Dieu, non par la connaissance du mal mais par la pratique du bien ; le divin qui est en lui se serait affirmé supérieur à l'humain et le capital de force perfectible que Dieu avait mis en lui serait allé en augmentant de père en fils. Chaque génération fût montée plus haut que la précédente. La science et la foi se vivifiant l'une l'autre, l'homme aurait grandi dans l'harmonie et l'équilibre de ses facultés,

Hélas ! tout ce beau programme est venu s'échouer contre l'écueil de la chute. Ce premier péché que les uns envisagent comme la façon nécessaire de se déniaiser, que les autres nient en l'appelant « un reste de bestialité qui tend à disparaître », a eu des conséquences immédiates et effroyables.

C'est d'abord la honte, cette barrière que la mauvaise conscience élève entre l'homme et Dieu. Auparavant rien que de la joie dans le coeur de la créature à l'approche de son Créateur. Maintenant le malheureux couple humain se cache par pudeur, affirme-t-il, en réalité par peur.

Que de parents ont fait tout à coup la découverte de cette barrière dans l'âme de leur enfant ! Hier encore régnait la confiance réciproque, le fils parlait à coeur ouvert à sa mère ; aujourd'hui, rien n'est changé en apparence dans les rapports familiaux, en réalité un rideau s'est tiré, une honte a surgi. Ne serait-ce point qu'une faute morale s'est produite ?

L'autre jour, j'ai rencontré un de mes anciens catéchumènes. Habituellement il me cherchait du regard, s'approchait, me saluait cordialement ; à ma grande surprise, il a détourné la tête et s'est éclipsé dans la foule. Que s'est-il donc passé depuis notre dernière rencontre ?

Comme des points toujours plus nombreux finissent par former une ligne continue, ainsi la succession des péchés, sortis de la chute initiale, produit la corruption. L'homme n'est plus seulement un être qui tombe en faute par exception, c'est un malheureux qui vit et se plaît dans le mal. L'abcès s'est vidé dans le sang et le virus a envahi l'organisme. On dit du méchant : « Il pèche et il n'est pas puni ! » Oh ! il n'est pas puni !

La punition la plus terrible, n'est-ce pas d'empirer ? Le pécheur cherche en vain un point de son être où le mal n'ait pas mis l'anormal. Le corps est souillé dans ses besoins les plus légitimes ; la mémoire, l'imagination, l'intelligence, la volonté comme le tempérament et le caractère portent la tare du péché. Et cette tare se transmet par l'hérédité ; elle est fixée dans la race. Sans doute la civilisation, l'instruction en diminuent certaines manifestations telles que la sauvagerie, la cruauté ; au contraire d'autres subsistent et grandissent : l'égoïsme, la débauche, l'impiété, l'orgueil. Peut-être certaines natures d'élite, nées à cent coudées au-dessus des autres, paraissent-elles moins atteintes du péché initial et mieux dotées de conscience religieuse et de sens moral que le reste des humains. On connaît des gens qui ont une aversion naturelle pour le mal grossier, mais ceux-là, quand ils se convertissent, ils avouent aussi de singuliers déficits.

Une autre conséquence fatale du péché c'est la souffrance. Dans le regret déjà et plus encore dans le remords se cache une souffrance physiologique en même temps que morale, une perte de force vitale, source fréquente de neurasthénie. Par la jalousie sont entrés dans le monde le crime et la guerre ; par la convoitise impure, le viol, l'adultère, la prostitution, les crimes passionnels et les maladies honteuses ; ainsi de suite de tous les péchés et de toutes les souffrances, à perte de vue. Toute satisfaction mauvaise se paie en souffrance que le fauteur subit lui-même ou qu'il impose à autrui.

Évidemment la souffrance eût effleuré l'homme même resté pur. Le travail, la diversité des climats et des caractères, le fait d'être « semé corps animal » impliquaient des épreuves, mais le perfectionnement graduel de l'humanité, et surtout la présence et le secours du Dieu Père agissant sans obstacle dans la vie de sa créature fidèle, auraient suffi à porter l'homme de l'infirmité de la matière à la puissance de l'esprit.

Enfin la mort est venue avec ses formes multiples de destruction lente ou précipitée, de suicide, de salaire du péché, avec ses déchirements et ses épouvantes. Sans doute, même innocente, toute vie humaine aurait atteint son terme, mais le passage de la vie présente à la vie éternelle devait s'accomplir à un âge avancé et dans des conditions normales. L'homme serait entré dans les greniers de Dieu comme « une gerbe de blé mûr » par voie de maturation et non de dissolution.,

Le diable a réussi dans son dessein ; il torture, il tue et il perd l'humanité par sa tromperie ; il est « meurtrier » dès le commencement.
Mais grâce soit rendue à Dieu ! À côté de la première chute, L'Écriture apporte immédiatement une promesse de salut « afin de ne pas laisser un seul instant l'homme déchu sans secours et de lui apprendre non pas à reporter sans cesse des regards inutiles vers un passé perdu, mais à regarder en avant et à croire à l'accomplissement d'un salut futur ».

Dieu ne veut pas le désespoir de sa créature. Tout auprès de la déchéance, il met, par pur amour et pour sa gloire, la possibilité de la réhabilitation. Le serpent a voulu frapper Dieu en l'homme ; de l'homme naîtra le Rédempteur. Que de luttes, que de batailles, que de larmes, que de sang ! Mais on verra des victoires partout où l'esprit l'emportera sur la chair, et les plus belles aux yeux de Dieu, après celles de son Fils, seront remportées par d'humbles chrétiens, à genoux, secrètement, dans les suprêmes batailles de la conversion et de la prière d'intercession.

Sainte et divine promesse de salut qui brille là-bas au fond de l'histoire, nous te saisissons par la foi, nous croyons à ta réalisation intégrale ! Nous allumons à ta lumière le flambeau de nos espérances. La victoire nous l'aurons ! La victoire nous l'avons ! Dieu veuille, par les ressources de son amour infini et de sa sagesse merveilleusement variée, en faire bénéficier, un jour la grande masse des descendants d'Adam !




Le sacrifice d'Isaac.

 Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes.... Toutes les nations de la terre voudront être bénies en ta postérité. Gen. XXII, 1-18.


Ce n'est pas seulement par des paroles de promesse que l'Ancien Testament révèle le Messie futur, c'est aussi par des types qui en préfigurent les divers aspects. Ces types peuvent être des personnes ou des choses.

Le sang des animaux qui purifiait l'Israélite de ses péchés était un type ou un symbole de celui de l'Agneau sans tache qui devait nettoyer un jour l'humanité.

L'amour que la Sulamite témoigne à son berger dans le Cantique des Cantiques représente celui de l'Église pour son Époux divin.

Jérémie persécuté, accusé faussement, incompris, qui reste fidèle à la volonté de Dieu et qui meurt enfin à la tâche, sans comprendre le pourquoi de ses souffrances, est un type de Jésus-Christ.

Le plus ancien de ces types et un des plus caractéristiques c'est Isaac offert par son père en sacrifice à l'Éternel. Et il se trouve en même temps que l'obéissance du père et celle du fils sont récompensées par une magnifique promesse messianique.
Au moment où Abraham et Sara - j'ajoute le nom de Sara, car celle-ci a certainement partagé la foi de son mari, l'auteur de l'épître aux Hébreux l'affirme (XI, 11) - sont enfin sûrs de posséder ce fils de la promesse qui a échappé aux maladies de l'enfance, au moment où Isaac est devenu un adolescent robuste, le bâton de vieillesse, la joie et la couronne de ses parents, Dieu en exige le sacrifice en des termes qui excluent toute possibilité d'échapper à l'ordre divin : « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes.... »

Selon les théories d'aujourd'hui, Abraham aurait cherché à imiter les autres peuples qui sacrifiaient leurs enfants à Dagon, à Moloch, et dans son besoin d'être fidèle, il aurait pris les appels de sa conscience encore mal éclairée pour un ordre de la divinité. Dieu, en arrêtant son bras, lui aurait enseigné qu'il ne réclame pas de tels sacrifices. C'est tout juste le contraire du récit biblique.
Pourquoi ne pas prendre celui-ci dans sa grandiose simplicité et vouloir se montrer plus sage et plus saint que Dieu ?

À la demande de Jéhova, les parents auraient pu répondre : « Non, Seigneur, exige de nous tout ce que tu voudras, mais pas Isaac. Nos troupeaux sont à toi, jusqu'à la dernière tête de bétail. Notre or, notre argent, nos provisions, nos marchandises, les voilà ! Prends tout, Seigneur, mais laisse-nous notre enfant. N'est-il pas notre seule raison de vivre ? Lui parti, notre flambeau s'éteint, notre joie est morte, nous ne sommes plus que deux vieillards sans force, déçus et désespérés ! Prends-nous, nous les vieux, mais lui, laisse-le vivre ; il est le dépositaire de la promesse, il est l'avenir ! » Ils ne parlent point ainsi, ils donnent Isaac sans un mot de murmure.

Certains parents, exagérant l'esprit de famille, disent : « Tout, Seigneur, mais pas nos enfants ! » À leur fils, à leur fille qui désire devenir missionnaire, diaconesse, ils répondent : « Non, ta santé, ton avenir avant tout ! »
Souvenons-nous de cette parole du Seigneur qui doit régler nos relations de famille : « Celui qui aimera son père ou sa mère, son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi » (Matth. X, 37).

Si Dieu demandait un tel sacrifice à Abraham, c'est que lui-même en donnait l'exemple. Abraham ne s'en doutait pas ; nous, nous le savons. À la création de l'homme, alors que Dieu laissait courir à sa créature les risques de la liberté, il avait déjà par avance fait le sacrifice de son Fils, envisagé et prévu la réparation d'une chute possible de l'homme. « Si dans l'arrière-fond des siècles il n'y avait pas l'Agneau immolé, Dieu n'aurait pas créé le monde, » a dit M. O. Stockmayer. Ce qu'Abraham ressentit dans son coeur de père en donnant Isaac, Dieu l'éprouvait déjà, le don du Fils était virtuellement accompli. Dieu fournit à Abraham l'occasion glorieuse de lui ressembler et Abraham sans comprendre, par la seule intuition de la foi, honora Dieu devant les principautés et les puissances de l'univers moral. Et nous, nous refuserions à Dieu nos enfants quand il nous fait l'honneur et la grâce de nous les emprunter pour son service ?

Et l'obéissance d'Isaac ?
Les épaules chargées du bois du sacrifice, il demande ingénument à son père en gravissant la montagne : Où est l'agneau pour l'holocauste ?
Mon fils Dieu se pourvoira lui-même de la victime. Le jeune homme se contente de cette réponse. Un peu plus tard, quand la vérité se fait jour dans son esprit, quand il comprend que c'est lui l'agneau, quand son père le prend et le lie sur l'autel, il ne cherche point à fuir, ne s'insurge pas : « Père, veux-tu donc m'assassiner, n'as-tu point d'entrailles pour le fils de ta vieillesse ? » Il ne supplie pas non plus : « Père, grâce, demande à ton Dieu de changer son décret ! » Non, nul attendrissement inutile, mais un mâle courage ; quelque chose dans le coeur du jeune homme, sans paroles, répond à la volonté du vieillard. Isaac se laisse faire ; il ne comprend qu'une chose, c'est qu'il lui faut obéir. Vouloir obéir c'est l'héroïsme qui glorifie Dieu.

Deux mille ans plus tard un homme gravit cette même montagne de Morija sur laquelle les Juifs ont érigé leur temple. Il porte une croix ; on le conduit un peu plus loin que le temple, à Golgotha, qui sait ? peut-être à l'endroit même où Isaac avait accepté le sacrifice. Comme un agneau muet, sans ouvrir la bouche, cet homme aussi se laisse conduire au supplice. Il ne comprend pas :
- Père, pourquoi m'as-tu abandonné ?
Mais quand on lui dit : « Descends de la croix ! » il y reste suspendu parce que c'est la volonté du Père. Est-ce l'obéissance d'Abraham ou celle d'Isaac qui nous touche le plus ? Est-ce l'amour du Père donnant Jésus ou la soumission du Fils obéissant à son Père qu'il faut le plus adorer ?

Abraham, avec une foi profonde et magnifique, espérait contre toute espérance qu'il recouvrerait son fils, fût-ce par la résurrection (Hébreux XI, 19). Savait-il ce que c'était que la résurrection ? Non, probablement pas. Mais la foi et surtout la foi qui se double d'obéissance, possède des intuitions sur le monde invisible qui vont bien au delà des lumières naturelles.

Abraham a foi en Dieu, il est assuré que toutes choses sont possibles à Dieu, que Jéhova qui lui a donné ce fils par un premier miracle peut le lui rendre par un second. Les promesses faites en Isaac ne doivent-elles pas s'accomplir ?

Remarquez qu'il dit aux serviteurs qui sont restés au pied de la montagne : « Attendez jusqu'à ce que nous revenions. » Ce « nous » est-il un pieux mensonge ? Non, quelqu'un tout au fond de lui-même lui prédit qu'il ramènera son fils. Et quand le sacrifice est intérieurement consommé, quand le couteau est déjà levé, l'ange arrête le bras du père et celui-ci recouvre par une véritable résurrection celui qui avait effleuré l'au-delà.

Pour Dieu rien n'est irréparable, rien n'est désespéré ; la mort même ne lui fait pas obstacle ; l'amour est le premier comme le dernier mot de Dieu et la foi de l'homme qui met en mouvement le bras divin, participe de la toute-puissance. Mais quelle joie pour Abraham d'avoir recouvre son fils, plus encore, d'avoir obéi. Il possède le témoignage d'une bonne conscience et la bonne conscience soulève le coeur jusque dans la félicité du ciel. Si le remords est une perte sèche de force vitale et un rongement d'esprit, la joie intérieure est un renouveau de jeunesse, un puissant facteur de progrès, une récompense qui se répercute jusque dans les fonctions de l'être physique.

Quand Dieu donna son Fils, il prépara aussi la délivrance. Il savait, et Jésus le savait avec lui, que la résurrection suivrait le sacrifice et qu'au vendredi de la mort succéderait le radieux dimanche de Pâques. Mais il est probable que comme Abraham, Dieu éprouva une joie plus grande que de recouvrer son Fils, ce fut celle de l'avoir donné. Le Sauveur lui-même, dans la gloire du retour à la vie, goûta l'infinie douceur du sacrifice accompli. « Il a appris l'obéissance par les choses qu'il a souffertes. » Désormais son obéissance n'est plus seulement une possibilité certaine, c'est un fait d'histoire, elle a été mise à l'épreuve.

À la suite de cet acte d'obéissance, Dieu renouvelle ses promesses au patriarche. La postérité d'Abraham sera nombreuse comme les étoiles du ciel ou le sable de la mer ; elle possédera les portes de ses ennemis ; elle fera la conquête de Canaan et tous les peuples seront bénis par elle et se béniront en elle. Abraham, a-t-on dit, a donné sa postérité pour la retrouver au centuple.

Cette promesse est messianique. C'est dans la race d'Abraham que naîtra la « postérité de la femme qui écrasera la tête du serpent. » Entre toutes les races humaines c'est celle qui, par deux fois, est née de la foi qui donnera naissance au Réparateur. Et cette promesse est affirmée par serment : « Dieu ne pouvant jurer par un plus grand, jura par lui-même. »
Jésus plus tard la confirmera à la Samaritaine : « Le salut vient des Juifs ».

Nous qui bénéficions du salut dont les descendants d'Abraham sont les porteurs, rendons à ce peuple, aujourd'hui encore éloigné du Seigneur, la bénédiction qu'il nous a transmise. Les dons et les promesses de Dieu sont irrévocables ; il faut qu'un jour les Juifs reviennent à « celui qu'ils ont percé ». Devenons les sauveteurs de ceux par qui nous avons été sauvés.



La prophétie de Balaam.

 Je le vois, mais non maintenant, Je le contemple mais non de près. Un astre sort de Jacob, Un sceptre s'élève d'Israël. Nombres XXIV, 17.


Quelle étrange histoire que celle de Balaam !
Israël était arrivé aux frontières de Canaan. Il avait demandé à Sihon, roi des Amoréens, le droit de passage à travers son pays en s'engageant à ne commettre aucune déprédation le long du chemin. Les Amoréens avaient refusé, s'étaient rangés en bataille contre Israël mais avaient été complètement défaits. Og, roi de Basan, à son tour a été taillé en pièces, son pays est tombé aux mains du peuple envahisseur qui pénètre ainsi jusque dans les plaines de Moab, de l'autre côté du Jourdain, en face de Jéricho.

Balak, roi de Moab, consulte avec angoisse les anciens de Madian pour savoir comment il arrêtera l'invasion. Les conseillers du roi sont assez clairvoyants pour comprendre qu'une puissance surnaturelle protège Israël. Mais pour eux cette puissance n'est qu'un « charme » qu'un autre sortilège plus habile peut détruire. Or, près de l'Euphrate, vit un devin dont la renommée s'étend au loin, c'est Balaam. Si cet homme consentait à venir, peut-être romprait-il le charme qui protège Israël.

Les anciens de Moab et de Madian, chargés de présents, partent pour Pethor, la résidence du devin. Dans une vision, Dieu défend à Balaam de suivre ces messagers et de maudire Israël car ce peuple est béni. Le lendemain Balaam fait connaître à ses hôtes l'ordre de l'Éternel, sans leur dire cependant qu'Israël est l'objet de la bénédiction spéciale de Dieu. Il regrette dans son coeur de ne pouvoir se rendre auprès de Balak et il se ménage une possibilité d'esquiver l'ordre divin.

Le roi de Moab revient à la charge ; il lui dépêche des princes avec des promesses d'honneurs et de richesses. Balaam refuse de partir avec eux ; mais il se réserve de consulter encore une fois l'Éternel. L'ambition et la cupidité le tenaillent.

Cette misérable attitude de Balaam n'est-elle pas quelquefois la nôtre ? Nous connaissons l'alternative que Dieu, par notre conscience, nous impose, mais précisément cette alternative-là nous déplaît, l'autre a toutes nos préférences. Au lieu d'accepter simplement la volonté de Dieu et le sacrifice de la nôtre, nous nous ingénions à trouver un biais. On ne jouepas avec la vérité, ni avec sa conscience. « Oui, Seigneur, ta volonté et non la mienne ! » Voilà la réponse franche et lourde de bénédictions que nous ferons désormais au Père céleste qui nous montre notre devoir.

À Balaam qui revient à la charge, Dieu répond :
- Va, mais tu ne diras que ce que je te dirai.

Le devin se met en route ; c'est alors que se produit l'épisode singulier de l'ânesse qui emprunte le langage humain pour avertir son maître ; Balaam voit l'ange de l'Éternel lui barrer le chemin. Il persévère quand même dans ce qu'il sait être une rébellion contre Dieu.

Arrivé près de Balak et de ses princes, il sent instinctivement qu'il ne peut maudire Israël ; il essaie pourtant de le faire ; ce sont des bénédictions qui sortent de sa bouche :

Israël est un peuple à part.
................
Que je meure de la mort des justes
Et que ma fin soit semblable à la leur.

Balak est irrité. Ce n'est pas pour bénir qu'il a fait venir à grands frais ce devin. On change de place, on recommence l'incantation. De nouveau les bénédictions jaillissent :

Voici j'ai reçu l'ordre de bénir
................
L'enchantement ne peut rien contre Jacob
Ni la divination contre Israël.

Balak, de plus en plus mécontent, s'obstine à faire maudire le peuple de Dieu et Balaam se prête à ces tentatives impies. Mais un « charme » divin opère en sens contraire :

Qu'elles sont belles tes tentes, ô Jacob !
Tes demeures, ô Israël !
Béni soit quiconque te bénira
Et maudit soit quiconque te maudira !

Et dans la dernière tentative de maudire Israël qu'essaye encore le faux prophète, Dieu achève de se glorifier en imposant aux lèvres du devin ce magnifique oracle messianique :

Je le vois, mais non maintenant,
Je le contemple, mais non pas de près.
Un astre sort de Jacob,
Un sceptre s'élève d'Israël.

Troublant et énigmatique personnage que ce Balaam ! Il est Chaldéen comme la famille d'Abraham ; il est en relation avec le vrai Dieu, Jéhova. Mais il n'est pas l'obéissant serviteur de ce Dieu qu'il connaît, il n'en est que l'évocateur.
Il se sert de Dieu, il ne le sert pas.

Dieu aussi se servira de lui et le forcera à parler contre son gré. Il bénira Israël sans joie et sans obtenir le bénéfice du serviteur fidèle. Bien plus, persévérant dans sa rébellion, il soufflera aux Madianites le moyen honteux de venir à bout d'Israël. Les filles de Moab entraîneront le peuple à l'idolâtrie et à l'impureté. Lui-même périra dans la destruction des Moabites (Nombres XXXI, 8). Cet homme a quelque chose de démoniaque ; la parole de bénédiction qu'il prononce n'en vient que plus directement de Dieu même. Il semble que pour Balaam, comme pour Judas, s'est accomplie cette grave parole : « Un abîme appelle un autre abîme. » Un acte de rébellion contre Dieu, voulu, conscient, est la plus effroyable de toutes les fautes. Que le Seigneur nous en garde et nous donne le courage de mettre toujours franchement d'accord notre volonté avec notre conscience.

Revenons à l'oracle messianique de Balaam : « Un astre sort de Jacob, un sceptre est procédé d'Israël. »
Sans doute l'élévation de David au trône d'Israël constitue la réalisation prochaine, locale de cet oracle. Sa parole, ses écrits, sa piété, ses conquêtes restent dans l'histoire israélite comme un magnifique exemple de royauté. Mais l'oeuvre du fils d'Isaï, si lumineuse, si conquérante qu'elle soit, n'épuise pas le contenu de l'oracle. Celui-ci va plus loin, il monte jusqu'à l'apparition de « l'étoile du matin », du « Roi des rois ».

Une étoile, c'est le symbole de la lumière qui guide et qui rassure pendant l'obscurité de la nuit. Une étoile, en langage symbolique, c'est aussi un chef, un roi. Les mages ne disaient-ils pas au roi des Juifs : « Nous avons vu son étoile en Orient. » Et l'image d'un chef puissant, semblable à une étoile brillante, est allée en se précisant au cours de l'histoire israélite. Esaïe s'écriera : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière et la clarté a resplendi sur ceux qui marchaient dans l'ombre de la mort » (IX, 1). Puis, à mesure que l'accomplissement de la prophétie s'approche, la vérité se fait plus précise. Malachie, le dernier des prophètes, ne parle plus seulement d'une étoile perçant l'obscurité de sa faible clarté, c'est la forte lumière du plein midi. « Et sur vous qui craignez mon nom se lèvera le soleil de justice et la santé sera dans ses rayons » (IV, 2). Cette même pensée est exprimée dans le passage de la seconde de Pierre qui compare la parole prophétique à une « lampe brillant dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour arrive à paraître et que l'étoile du matin se lève dans vos coeurs » (I, 19).

Or saint Jean, parlant de l'apparition de Jésus sur la terre, dit de lui : « C'était la véritable lumière qui éclaire tous les hommes en venant au monde. » C'est lui le foyer lumineux qui jette de toutes parts ses rayons. Il a éclairé le ciel et montré le Père ; il s'est révélé lui-même le chemin vivant qui conduit au Père. Il a projeté ses rayons en bas, montrant aux siens l'infernale puissance du démon, il en a démasqué les manoeuvres et les projets. Il a éclairé le coeur de l'homme jusque dans ses profondeurs et par cette clarté même il le purifie ; la guérison est dans ses rayons. Il a éclairé l'Ancien Testament et montré sa silhouette dans la loi et les prophètes. Il a illuminé l'avenir et manifesté les triomphes futurs : « Prenez courage, j'ai vaincu le monde. » Comme le phare lumineux fait apparaître les roches dangereuses et projette ses clartés sur le chenal qui conduit au port, ainsi Jésus-Christ met en lumière les récifs sur lesquels le naufrageur attire ses victimes, et illumine d'un doux éclat le chemin, étroit mais sûr, qui mène à la vie.

Aujourd'hui encore cette lumière s'avance ton jours plus loin dans le monde païen, perçant de ses traits de feu le royaume des ténèbres qui va reculant d'année en année. Que de chemin parcouru depuis qu'un étrange sorcier, sur une montagne ignorée du pays de Moab, disait au roi Balak : « Une étoile est procédée de Jacob » !

Le sceptre est l'emblème de ce qu'il y a de dominateur dans la royauté. La parole de Balaam peut être rapprochée de la promesse de Jacob à Juda - « Le sceptre ne s'éloignera pas d'entre tes pieds jusqu'à ce que le repos vienne et que les peuples lui obéissent. » (Genèse XLIX, 10).

Comme nous le verrons ailleurs, David parlera de ce successeur glorieux qui lui a été promis, il précisera les caractères de cette royauté à la fois spirituelle et terrestre. Après lui la pensée prophétique en Israël, s'emparant de cette révélation d'un Messie-Roi, la développera magnifiquement.

Dans sa description d'Emmanuel, Esaïe dit de ce Roi à venir : « l'Empire a été posé sur son épaule. » Jésus remplira merveilleusement le contenu de cette prophétie et s'attribuera la dignité royale dans toute son ampleur. Même quand il sera vêtu de pourpre, couronné d'épines, un sceptre de roseau à la main, cette dérision ne sera-t-elle pas comme une sorte d'hommage royal quand même ? Il n'y a qu'un prétendant, a-t-on dit, dont ou puisse se moquer en le vêtant en roi. Et aujourd'hui, ils sont de plus en plus nombreux ceux qui, fuyant le bâton de l'exacteur, se placent en sécurité et en joie sous le sceptre « qui est sorti d'Israël ».

Seigneur, nous voulons te servir, nous voulons t'obéir, nous voulons que tu règnes sur nous et que chacun de nos coeurs devienne une petite province de ton royaume !

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