La tristesse du monde produit la mort.
Saint Paul parle ici de deux espèces de tristesse : la
première est selon Dieu, parce qu'elle est son ouvrage et
qu'elle a son approbation ; la seconde est la tristesse
naturelle, terrestre ou selon le monde. Ces deux états sont
entièrement différents l'un de l'autre, soit qu'on les envisage sous
le rapport de la source d'où ils proviennent, ou au point de vue des
résultats qu'ils amènent à leur suite.
La tristesse selon Dieu est la douleur qu'éprouvé une âme d'avoir
offensé Dieu et d'avoir rompu avec lui ; elle est selon Dieu,
parce qu'elle est selon sa volonté et qu'elle ramène à lui.
Personne ne se repentira d'avoir été triste de cette manière, parce
que c'est une tristesse qui change la volonté, qui purifie le coeur et
qui prépare au salut.
Il n'en est pas de même de la tristesse du monde. C'est l'état le plus
infructueux et en même temps le plus corrupteur. La source de cette
tristesse est l'éloignement de Dieu, et si rien ne l'arrête dans son
développement, elle mène inévitablement à la mort.
Elle est appelée tristesse du monde, parce qu'elle prend
naissance dans un coeur vendu au monde. Elle est produite tantôt par
la perte des biens terrestres, tantôt par une convoitise frustrée ou
par une espérance déçue qui s'est changée en un regret permanent.
L'homme qui s'abandonne à cette tristesse, s'éloigne toujours plus de
Dieu : à mesure qu'il s'enfonce dans les
souvenirs du monde, il s'enfonce dans le monde lui-même et dans son
inimitié ; et au lieu de trouver la paix dans cette vie, il
trouve finalement la mort. Oui, la mort, et de deux manières.
Dans son âme : par une séparation complète d'avec Dieu, par une
impossibilité de revenir à lui, par une impénitence, une condamnation
finale.
Et quant au corps, la tristesse du monde l'attaque, le consume, le
mine sourdement. Elle dessèche et tarit les deux sources de la
vie ; elle tue l'âme et son organe.
La tristesse du monde dévore sa victime de deux manières :
lentement et en s'attachant à elle comme un cancer ; ou
brusquement, en tranchant sa vie d'un seul coup, par un accès de
désespoir qui la pousse au suicide. Comme la tristesse du monde est
infiniment plus répandue que celle qui est selon Dieu, nous allons
nous en occuper ; et comme elle se manifeste assez ordinairement
sous un aspect particulier, c'est de ce caractère spécial que nous
voulons parler.
Quand la tristesse du monde prend de la fixité et qu'elle se met de
plus en plus en possession du moral de l'homme, elle porte le nom de mélancolie,
qui signifie, à la lettre, bile noire. Il y a des
villes et des pays où la mélancolie semble sévir avec plus d'intensité
qu'ailleurs, et les cas de suicide sont aussi beaucoup plus fréquents
dans ces endroits-là que partout ailleurs ; ce qui vient à
l'appui de l'assertion de saint Paul, que la tristesse du monde
produit la mort.
Puisque c'est là un mal, et un mal mortel, il ne sera pas sans
utilité de rechercher quel est le caractère particulier de la
mélancolie ; nous verrons ensuite différents degrés de ce
mal ; nous examinerons en troisième lieu les causes qui y
conduisent ; nous nous demanderons enfin si une maladie de cette
espèce peut être guérie.
Qu'est-ce que la mélancolie, et en quoi
diffère-t-elle de la tristesse ordinaire ? En ce que l'une est un
état pénible, douloureux, auquel on cherche à échapper, tandis que la
mélancolie est accompagnée d'une sorte de volupté qui fait qu'on s'y
complaît. L'homme mélancolique se plonge dans sa tristesse et ne veut
pas qu'on l'en délivre. Il erre dans un labyrinthe de souvenirs qui
enlacent ses sens, énervent sa volonté et empoisonnent son
avenir ; à ces souvenirs se joignent des rêves, des idées
lugubres, des projets criminels.
Le malheureux qui se tourmente ainsi, s'achemine vers la mort, se
servant lui-même de bourreau, et regardant comme un ennemi l'ami qui
veut lui arracher le poignard dont il se perce.
La mélancolie a divers degrés de développement et de
gravité ; nous allons en décrire quatre.
Le premier et le moins grave est celui qui porte le nom d'humeur
noire. C'est le mal à l'état de symptôme, et non pas encore à celui de
maladie déclarée. On voit des personnes atteintes parfois d'un vague
état de tristesse, sans qu'elles sachent elles-mêmes d'où leur vient
cette humeur sombre. Personne ne les contrarie, elles ne manquent de
rien, leur santé est excellente, mais quand leurs mauvais moments les
prennent, elles ne tiennent compte de rien de tout cela. C'est un
malaise indéfinissable qui les surprend, qui les submerge comme une
mer qui déborde. Cet état ne dure heureusement pas, il n'a pas encore
passé à l'état de disposition habituelle ; ce sont de gros nuages
noirs que le vent chasse, mais que le vent ramène aussi.
Le second degré de la mélancolie est celui qu'on appelle vulgairement
la monomanie, et qui consiste dans une préoccupation
anxieuse causée par toutes sortes d'idées fixes. On n'est plus dans le
vague alors, on est très positivement agité de telle ou telle manière,
mais les motifs de cette tristesse n'ont aucun fondement réel. Sous
l'impression de la monomanie telle personne s'imagine qu'on ne l'aime
pas, qu'on a quelque chose contre elle, qu'on voudrait la voir loin ou
morte, qu'elle est à charge à ceux qui l'entourent. Et quand ce n'est
pas un serrement de coeur, c'est quelquefois un soupçon qui poursuit.
On se méfie de quelqu'un en particulier, ou de tout le monde à peu
près. D'autres encore se persuadent que tout ce qu'ils font est mal,
ils croient fermement qu'ils portent malheur partout où ils se
montrent, qu'ils font échouer toutes les affaires dont ils se mêlent.
Dans ces divers cas on est l'esclave d'une idée fixe qui est devenue
une persuasion de l'esprit, un interdit du coeur et que, pour aucune
raison du monde, on ne veut abandonner. Alors on se
séquestre soi-même de la société de ses semblables, et si l'on ne
s'enfuit pas au désert, on sort du moins des rangs de la famille
humaine.
Parvenue à son troisième degré, la mélancolie est plus dangereuse
encore. On y arrive par des causes réelles qui enchaînent l'âme dans
la tristesse. On y est conduit tantôt par des pertes, tantôt par des
espérances trompées, ou par la honte dont une faute nous a couverts
devant les hommes : c'est ce troisième degré qui est tout
particulièrement le terrain des suicides.
Il a fallu se dessaisir d'un bien qu'on aurait voulu retenir des deux
mains ; ce sacrifice a fait de la vie une affreuse solitude. On
avait pendant longtemps caressé et nourri une pensée, un désir secret,
sur lequel on fondait l'édifice de son bonheur ; tout à coup il a
fallu renoncer à cet avenir idéal et suivre forcément une route toute
contraire. Ou bien l'on est tombé dans un péché qui a donné du
scandale ; la vie entière est flétrie, on est
perdu dans l'estime des hommes. Cet opprobre, quand il ne nous jette
pas dans les bras de la miséricorde de Dieu, nous livre au désespoir.
Ce fut le chemin qui conduisit Judas au suicide. Dans tous ces cas on
est victime d'une tristesse causée par l'entraînement d'un penchant
qui, après avoir subjugué l'homme tout entier, l'abandonne sans force
et sans ressource à une sombre douleur, qui le submerge comme le flot
montant submerge les rochers du bord.
La mélancolie subit enfin une dernière transformation en se mêlant
intimement à la méchanceté. C'était le mauvais esprit qui agitait Saül
quand, tourmenté par une sombre tristesse, il méditait et essayait le
meurtre de David, lorsqu'il jouait de la harpe devant lui. Les
démoniaques qui attaquaient les passants et qui infestaient les
grandes routes, étaient aussi de cette dangereuse espèce d'hommes que
l'on ne peut traiter comme des fous, car ils savent
très bien ce qu'ils font. Cette humeur farouche est souvent
accompagnée de la soif du sang : c'est elle qui fait les Nérons,
les Louis XI, véritables démons sous la pourpre.
Quelles sont les causes de la mélancolie ?
D'où viennent les humeurs noires, ce mal qu'on nomme ainsi parce qu'il
n'a pas encore de vrai nom ? Puisqu'il ne vient ni des
circonstances, ni de l'entourage dans lequel on vit, ni de la position
qu'on occupe, il vient uniquement d'un manque de paix. Il y a dans la
conscience une foule de péchés qui n'ont été ni haïs, ni délaissés, ni
confessés, et dont le jugement ne sommeille pas, quoiqu'il soit encore
couvert comme d'un brouillard. De là vient cette vague tristesse dont
on ne démêle pas la cause et qui s'évanouirait
subitement, si, faisant votre paix avec Dieu, vous reconnaissiez
devant lui non seulement que vous avez commis des péchés, ce qui n'est
que trop évident, mais que vous êtes dans un état de péché habituel.
Tant que cet état n'est pas reconnu et jugé, rien n'est jugé :
une iniquité vient d'une autre iniquité, et elles procèdent toutes
d'un fond envenimé.
Allez jusqu'à la racine du mal, ne cherchez pas à échapper à la
lumière ; elle luit dans les ténèbres, mais les ténèbres
ne la reçoivent pas, et c'est là le sujet de leur condamnation. Faites
mieux ; chassez l'esprit de fraude et croyez que le sang de
Jésus-Christ purifie de tout péché.
Les idées fixes et les tourments qu'on se crée sans raison, viennent
ordinairement d'une concentration d'égoïsme et d'un horizon fermé à
tout ce qui est intérêt général. On ne pense habituellement qu'à soi,
on ne craint que pour soi, on ne jouit que de soi. Cette manière de
vivre fait tout voir de travers ; elle fausse l'intelligence,
après avoir endurci le coeur. Ces caractères moroses, ombrageux, qui
ne savent se plier à rien, ni s'accommoder à personne, ne sont malades
que de la recherche d'eux-mêmes. Leur égoïsme les empêche de s'ouvrir,
d'être communicatifs. Cela perce dans une foule de détails, souvent
dans des bagatelles.
Dès qu'un tel homme se sent indisposé, il s'imagine être atteint de
toutes les fièvres imaginables ; lui fait-on une réception un peu
froide, il croit aussitôt à une rancune ; faut-il, dans une
affaire quelconque, faire le premier pas, il aime mieux ne pas bouger,
que de sortir de lui-même. De là les bizarreries, les vues louches et
les mécomptes. On pourrait être si heureux avec un peu d'abnégation et
de bienveillance ! Mais l'égoïsme marche d'ordinaire avec
l'entêtement ; on s'obstine à mettre une cloison entre soi et le
monde, et à force de se murer ainsi, on ne voit bientôt
plus ni le soleil ni les étoiles : tout devient sombre et triste.
Quant à la mélancolie qui vient de causes réelles, on peut dire que
les penchants dont l'entraînement expose le plus aune tristesse sans
remède, au désespoir et à la mort, sont l'ambition et la chair. Un
homme ambitieux dont les plans échouent, n'est pas de ceux qui se
consolent aisément. Il reste dévoré d'un chagrin qui devant Dieu n'est
que de l'orgueil. Il a voulu monter, et Dieu l'a fait descendre. Il
avait compté sur lui-même : Dieu le met dans la dépendance ;
il rêvait les honneurs : il est devenu la risée des autres. Il ne
pardonne cet affront ni à Dieu ni aux hommes, et comme un héros de
théâtre, il se dit :
Quand on a tout perdu, quand on n'a plus d'espoir,
La vie est un opprobre et la mort un devoir.
Tel qu'est le fruit de l'orgueil, tel est aussi celui de la
chair. Quand les convoitises qui font la guerre à l'âme ne
peuvent obtenir ce qu'elles désirent, ou quand, après s'être
satisfaites, elles perdent subitement ce qui les faisait vivre, elles
jettent l'âme dans une affreuse tristesse.
Plus d'une mélancolie vient d'une passion malheureuse, d'un mariage
manqué ou d'une infidélité conjugale qui a couvert de honte celui qui
s'en était rendu coupable. Il y a tant de coeurs qui ne sont que
chair, et dont la tristesse même n'est que chair !
Heureux ceux qui haïssent jusqu'au vêtement qui a été souillé par
la chair ! et heureux encore ceux qui après être tombés,
se sont relevés comme l'enfant prodigue ou comme Marie
Madeleine ! Jésus-Christ reçoit les plus indignes et ne met
point dehors ceux qui viennent à lui.
Avant d'examiner la mélancolie méchante et sanguinaire, je dois dire
qu'il a été bien loin de ma pensée de supposer que les trois états
dont je viens de parler, n'étaient à aucun égard mélangés de
méchanceté. Venant tous trois de la tristesse du
monde qui elle-même est une inimitié contre Dieu, comment ne la
contiendraient-ils pas en germe ? Mais elle y est plus ou moins
dissimulée, tandis que dans la mélancolie dont je vais parler, elle
est déclarée et se donne un libre cours.
Un état comme celui de Saül s'explique facilement. Quand un homme n'a
point de paix, quand Dieu s'est retiré de lui et qu'il est devenu son
ennemi, comme c'était le cas de ce malheureux roi d'Israël, il souffre
continuellement en lui-même, et du moment où il ne veut pas
s'humilier, tout ce qui l'entoure l'aigrit.
Son état habituel est une colère concentrée, un mauvais vouloir
universel qui s'attaque au premier venu et cherche à se venger des
malédictions qu'il trouve en lui-même.
Parce qu'il n'est pas heureux, il veut que personne ne le soit, et il
use de toute sa puissance pour tourmenter qui il peut et comme il le
peut. C'est l'état dans lequel vit Satan :
c'est ce qui fait de lui un meurtrier, un séducteur, un accusateur.
Quand l'amour ne porte pas à rendre les autres conformes à soi pour
leur bien, on veut du moins les rendre conformes à soi par haine et
pour leur malheur.
Tout ce que nous venons de dire est triste et serait profondément
lugubre si nous n'avions pas, en terminant, à indiquer le remède
infaillible à tant de maux. Heureusement il y en a un ; il y en a
même plusieurs.
Il faut souvent remonter jusqu'à la première éducation, pour trouver
les germes de la mélancolie. Il y a des parents qui, à force de faire
à leurs enfants une vie molle et facile, leur préparent eux-mêmes une
pente irrésistible à la tristesse du monde. En général, un enfant dont
on satisfait habituellement les goûts et les fantaisies, qu'on
n'habitue pas de bonne heure à sacrifier sa volonté, à renoncer, pour
le bien ou l'agrément d'autrui, même à des choses
permises, qu'on ne forme pas de bonne heure à une vie simple et
laborieuse ; un enfant à qui on épargne les difficultés, à qui on
aplanit le chemin en tout et pour tout, est préparé d'avance, par le
fait de cette éducation inintelligente, à devenir la victime de la
mélancolie. On lui donnera ainsi des prétentions à un bonheur qu'il ne
trouvera point ici-bas, et on l'exposera infailliblement à de
douloureuses déceptions.
Un vice d'éducation, non moins funeste, est d'exciter outre mesure le
point d'honneur ou l'imagination d'un enfant. Mieux vaut agir sur sa
conscience et sur ses facultés intellectuelles que sur des penchants
qui tournent si facilement au mal et qui peuvent, en prenant le
dessus, l'entourer plus tard d'une mer de tristesse. Souvent aussi la
mélancolie vient de la mollesse du caractère, d'une imagination
déréglée et d'un principe d'orgueil, contre lequel les parents
n'avaient pas assez travaillé.
Les remèdes ne suffisent pas toujours pour guérir une maladie ;
il est bien plus sage d'employer les préservatifs. Le mal, quand il
est déclaré, peut gagner rapidement : mieux vaut l'empêcher de
naître. Il y a telle maladie qui, une fois déclarée, est incurable.
Voici néanmoins une règle d'or que nous recommandons à chacun et qui
est d'une grande efficacité. Les anciens la connaissaient déjà. Ora
et labora, disaient-ils, prie et travaille.
Rien de meilleur en effet pour nous garantir des pièges d'une
mauvaise tristesse. La prière nous met sous le regard de Dieu et sous
l'influence de sa grâce ; et le travail, en nous obligeant à
sortir de nous-mêmes, donne une direction utile à nos facultés. Ces
deux remèdes nous préservent du vagabondage de la pensée et des
égarements du sentiment. Mais il faut l'un et l'autre : la prière
et le travail. Une vie de couvent ne nous sauverait pas de la
mélancolie, et un travail entrepris sans Dieu nous ramènerait à la
tristesse par un autre chemin.
Ayez soin en outre de ne point développer telle faculté au préjudice
de telle autre. Quand on donne trop à la pensée, on devient
rêveur ; quand on accorde trop à la volonté, on devient
facilement opiniâtre ; quand on se laisse trop aller au
sentiment, on perd la perspicacité de l'esprit et le goût des choses
ordinaires.
La mélancolie n'est qu'un trouble et un manque d'harmonie ; c'est
un état désordonné où les facteurs de la vie ne sont point à leur
place primitive. Laissez les choses à la place où Dieu les a
mises ; ce sera autant de fait pour votre repos.
Souvent, dans sa compassion, Dieu vient à notre secours ; et pour
chasser nos idées fixes, ou pour nous soustraire à de mauvais
souvenirs, il nous envoie quelque croix réelle, qui nous fait perdre
de vue les croix imaginaires. En nous mettant aux prises avec la
réalité, eu nous jetant dans quelque position
difficile, il amortit la force du passé et arrache aux souvenirs leurs
aiguillons. L'homme n'aime point à lutter ; il ne le fait que
lorsqu'il y est forcé par les circonstances : or, la mélancolie
vient souvent de l'absence des difficultés matérielles et d'une vie
trop unie. C'est plutôt la maladie des riches du monde que celle des
artisans et des pauvres. Mais Dieu a des croix pour les gens de tous
les états, et celle qu'il nous met sur l'épaule est souvent un joug
qui dans son intention est destiné à enlever un autre joug moins
profitable.
Mais le remède souverain à toutes nos mauvaises tristesses, c'est, je
l'ai déjà dit, une bonne conversion. Approchez-vous davantage de Dieu,
faites connaissance avec Jésus, ne laissez pas la tristesse vieillir
dans votre âme, soumettez-la avec votre coeur lui-même à l'invincible
puissance de sa grâce. Jésus est le Prince de la paix ; si
vous recueillez ses paroles, elles deviendront en vous des semences
de paix, plus agissantes que toutes vos tristesses. Installez-vous
près de lui ; il a pris sur lui vos péchés, ne prendra-t-il pas
vos humeurs sombres ?
L'Évangile ne nous convierait pas à être toujours joyeux, si
cette joie ne pouvait s'acquérir, et, ce qui est plus, s'acquérir
gratuitement. Priez, au lieu de rêver ; croyez, au lieu de vous
laisser abattre ; combattez, au lieu de vous plaindre. Le
Seigneur est riche, mais seulement pour ceux qui
l'invoquent ; il est tout-puissant, mais pour
ceux qui ont recours à lui ; il est le serviteur de
tous, mais pour ceux qui ne servent plus deux maîtres.
La tristesse du monde n'est rien pour le vainqueur du monde ;
montrez-lui vos chaînes, il les fera tomber. Comme les vapeurs font
place au soleil dès qu'il se montre, la joie reprend le dessus dès que
Jésus-Christ est reçu avec confiance et avec amour. Ce n'est point
pour vos vertus qu'il est Sauveur, c'est pour votre coeur serré, pour
votre âme ulcérée, pour tous vos états de tristesse.
S'il a pu affranchir les démoniaques, sera-t-il plus faible pour vous
affranchir vous-même ? Ses compassions ne sont-elles pas
par-dessus toutes ses oeuvres ? Tournez-vous vers sa
croix : nous ne la regardons jamais assez. C'est là qu'on se sent
lavé et affranchi pour toujours. Les larmes qu'elle fait couler sont
des larmes vivifiantes ; heureux qui les connaît !
Allez donc à lui tels que vous êtes, sans méfiance et sans
retard ; une bonne station près de lui en fait désirer une
seconde plus longue et plus soutenue encore. Vous puiserez près de
lui des eaux à la source de la délivrance, et quand vous en
aurez goûté, vous ne voudrez bientôt plus, ni dans la joie ni dans la
tristesse, aller à d'autres qu'à lui, car lui seul a les
paroles de la vie éternelle.
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