Vers la fin du XVIIe siècle, à
l'époque où les protestants
français étaient le plus cruellement
persécutés, d'étranges
phénomènes se manifestèrent
parmi eux. On vit des vieillards, des hommes et des
femmes de tout âge, des jeunes gens et des
jeunes filles, même des enfants à la
mamelle, saisis tout à coup par un puissant
esprit de prophétie, parler avec une
éloquence remarquable et
révéler les pensées de
Dieu.
Des paysans qui ne savaient pas lire et qui
n'avaient jamais parlé que le patois,
annonçaient dans un français correct
les choses magnifiques de Dieu et
dévoilaient les pensées
secrètes des coeurs.
Chose remarquable, les adversaires les plus
ardents des prophètes cévenols n'ont
pas songé à nier les faits
extraordinaires dont ils ont
été les témoins, mais ils les
attribuent à Satan. Dans son livre sur l'Inspiration des camisards,
Hippolyte Blanc
reconnaît que des phénomènes
prodigieux se sont manifestés chez les
protestants des Cévennes. « Ces
phénomènes sont certains, dit-il, la
médecine est impuissante à. les
expliquer ; ils sont dus, par
conséquent, à une cause
surnaturelle ; mais à coup sûr le
Saint-Esprit n'en est pas
l'auteur. »
En effet, répondons-nous, avec Ami
Bost : « les faits surnaturels de
cette histoire sont si bien constatés, que
si l'on ne veut pas y voir le doigt de Dieu, il
faudra y reconnaître l'agence de
Satan. »
En attribuant au pouvoir du prince des
ténèbres les faits extraordinaires
qui se passaient sous leurs yeux, les catholiques
ont agi comme les juifs qui accusaient notre
Sauveur de chasser les démons par la
puissance du prince des démons. La foi des
cévenols, leur fidélité
inébranlable à l'Évangile dans
les cachots, sur les galères, sur les
bûchers, leurs prédictions mêmes
sont une réfutation victorieuse des
accusations de leurs calomniateurs et de leurs
bourreaux.
En septembre 1706, quelques inspirés,
Elie Marion, Durand Fage et Jean Cavalier, de
Sauve, arrivèrent à Londres.
Accueillis d'abord avec bienveillance par le
gouvernement et le peuple anglais, ils ne
tardèrent pas à se voir violemment
attaqués par plusieurs pasteurs
français réfugiés depuis
longtemps à Londres. Maximilien Mission,
aidé d'un de ses amis, M. Lacy, voulut se
rendre compte du sérieux des trois
prophètes. Il les étudia en les
fréquentant et en les interrogeant pendant
un temps assez long. Voulant connaître toute
cette affaire à la fois dans son ensemble et
dans ses détails, il s'enquit soigneusement
de ce qui s'était passé dans les
Cévennes, en interrogeant un grand nombre de
personnes venues de ces provinces pour
échapper aux persécutions. Il observa
d'autres inspirés de tout âge et de
toute condition. Le résultat de ce long et
consciencieux examen, fut la publication d'un
ouvrage, le Théâtre sacré
des Cévennes qui renferme les
témoignages de quelques
inspirés.
« Ce curieux et terrible livre,
dit le grand historien Michelet, le seul
débris d'un monde, est
écrit dans la froide atmosphère de
Londres, sous la persécution...
Découragés, les témoins
véridiques déposent de ce qu'ils ont
vu, mais sèchement, tristement, sans
détail ; ils ne rougissent pas de la
vérité, mais sentent qu'elle ne sera
pas crue. Ils abrègent, suppriment ce qui
eût tant intéressé. Triste
punition d'un âge si dur ! d'un parti
refroidi qui ferma ses oreilles. Sa glorieuse
histoire aura péri pour lui, -
hélas ! aussi pour nous qui l'aurions
mieux comprise. »
Monsieur Maximilien Mission, savant
très respecté, nous raconte comment
il composa le Théâtre sacré
des Cévennes :
« Lorsque nous nous
appliquâmes, Monsieur Lacy et moi, à
recueillir tous les faits rares et admirables qui
composent ensemble cet excellent petit livre, nous
apportâmes toutes les précautions
convenables, afin de pouvoir faire paraître
en tous temps, notre exactitude et notre
fidélité. Les honnêtes gens qui
se présentèrent pour nous raconter
ces faits mémorables se produisirent
volontairement, sans aucun motif
d'intérêt, et nous exigeâmes
d'eux ces trois choses :
1° qu'ils ne nous disent rien qu'ils ne l'eussent vu ou entendu ;
2° qu'ils rapportassent scrupuleusement la vérité pure et simple, comme étant devant Dieu, en présence duquel ils faisaient un serment solennel ;
3° enfin, qu'ils ne nous parlassent que de choses dont ils se souvinssent bien distinctement.
« Quand les plus simples de ces
déposants avaient énoncé de
leur mieux ce qu'ils voulaient dire, on
réduisait le fait au moins de paroles qu'il
était possible, sans s'éloigner
beaucoup de leur style : c'est pour ainsi dire
le langage de pure nature. On leur lisait trois
fois, au lieu d'une, ce qu'on avait écrit,
pour s'assurer de leur approbation, et ils
paraissaient fort contents de ce qu'on exprimait
leurs pensées en aussi peu de paroles. On
donnait aux déposants le loisir de se
recueillir ; et en les sollicitant toujours
d'être bien attentifs, on relisait à
chacun sa déclaration entière. S'il
témoignait d'être satisfait, on le
faisait signer, et un nombre suffisant de
témoins mettaient aussi leur
seing. »
C'est dans ces conditions que fut
publié à Londres, en 1707, ce recueil
sous le titre de Théâtre
sacré des Cévennes. Ami Bost en a
publié une nouvelle édition en 1847.
Elle est épuisée
depuis plus de cinquante ans. Il y a pourtant dans
ce livre des choses glorieuses, des inspirations et
des révélations magnifiques.
Aussi l'avons-nous fait passer en
très grande partie dans ce volume. C'est
à ce livre que nous avons emprunté
tous les faits de révélations et de
prophéties que nous citons. Il n'y a pas
dans l'histoire de I'Eglise chrétienne
depuis le siècle apostolique, de pages plus
sacrées. Nous sommes sur une terre sainte
dans ces assemblées du Vivarais et des
Cévennes où la voix de Dieu se fait
entendre de façon si saisissante. À
des temps extraordinaires, Dieu répond par
des dons extraordinaires ; à une foi
patiente et héroïque, Dieu
répond par des grâces
surabondantes.
Qu'il y ait eu quelquefois un esprit charnel
chez les guerriers cévenols, qui pourrait
s'en étonner ? Mais la cause qu'ils
défendaient étaient la cause de Dieu.
Ils n'ont lutté contre leurs assassins que
pour obtenir la libération de leurs
prisonniers, de leurs forçats et pour
posséder la liberté de conscience.
Qu'il y ait eu parmi les prophètes
quelques faux prophètes, qui pourrait aussi
s'en étonner ? Le chef Jean Cavalier,
lui-même inspiré et prédicateur
éloquent, demandait à Dieu de le
délivrer des faux prophètes.
Cela dit, la parfaite bonne foi du grand
nombre quant à leur inspiration, est
au-dessus de toute contestation. Ils croyaient
fermement à l'esprit qui les animait, ils
lui obéissaient sans réserve,
prêts à tout souffrir sous sa conduite
dans les prisons, sur les galères et sur les
bûchers. C'est dans cet esprit qu'ils
attendaient, recevaient les pensées le
Dieu.
L'historien Rulhières rapporte que,
dans leurs derniers adieux en 1685, les pasteurs
expulsés de France avaient dit à
leurs troupeaux : « L'orage de la
colère nous arrache de votre sein pour nous
disperser dans l'exil ; mais en notre absence,
l'esprit du Seigneur demeurera parmi vous :
Jésus sera votre pasteur, ô brebis
désolées d'Israël !
Plutôt que de vous laisser sans consolation,
il vous parlera par la bouche des simples femmes et
des petits enfants ! »
Il est impossible de lire les
dépositions des
prophètes cévenols sans être
frappé de voir les fruits de sanctification
que produisaient l'Esprit de prophétie et
les grâces.
Ces persécutés pour la justice
nous donnent l'exemple d'une vie d'entière
fidélité et d'amour parfait. Ils nous
montrent que toute victoire est possible à
qui combat avec foi Satan, le monde et la chair.
Nous connaissons le coeur humain. Il y a dans ce
repaire des bêtes féroces qui y
dorment souvent ; mais quand de puissantes
tentations les brûlent et les
réveillent, on entend leurs cris. Dans le
coeur de beaucoup de martyrs en prison, aux
galères, en exil, ou dans leurs tristes
demeures habitées par les dragons, la
souffrance semble n'avoir jamais
réveillé qu'un amour toujours plus
intense pour Dieu et pour leurs bourreaux.
Après avoir lu leur vie, on doit
avoir les yeux ouverts sur la possibilité,
le devoir et le privilège d'une vie
sainte.
Si ce livre amenait ce résultat pour
beaucoup de lecteurs, nous ne l'aurions pas
publié en vain.
S. DELATTRE.
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