M. le Curé.
- Je suis triste... j'ai trop vécu... le
vide se fait autour de moi. Mon meilleur ami, le
curé de V.... a été
administré hier à la nuit tombante,
Son âme s'envolera
bientôt !...
M.
A. -
Nous remettrons à plus tard notre
entretien ; je ne voudrais pas qu'une nouvelle
discussion augmentât votre peine.
M.
le
Curé. - Il est toujours
pénible de soulever les voiles épais
qui dérobent la vérité aux
regards. Mais tant pour moi que pour vous il est
bon de le faire. Au reste, en causant de
l'extrême-onction je ne m'éloignerai
pas de ma douleur...
M.
A. -
Je tâcherai d'en ôter l'amertume ...
Par quelles paroles ce sacrement fut-il
institué ?
M.
le
Curé. - Le Paroissien ne les contient
pas, elles sont de l'épître de
Jacques :
« Quelqu'un
parmi vous
est-il malade ? Qu'il appelle les
prêtres de l'Eglise et qu'ils prient sur lui,
l'oignant d'huile au nom du Seigneur. Et la
prière de la foi sauvera le malade et le
Seigneur le soulagera, et
s'il
a des péchés ils lui seront remis
(1). »
M.
A. -
Un sacrement n'est-il pas un signe sensible
institué par Notre Seigneur
(2) ?
Pourquoi me dites-vous que l'institution du
sacrement de l'extrême-onction est de saint
Jacques ?
M.
le
Curé. (distraitement). - Je ne
sais... Monseigneur vous le dira...
M.
A. -
Monseigneur ! Il est plus embarrassé
que vous ! Il se contente de faire
naïvement une supposition :
« On croit, dit-il, que Notre
Seigneur a institué le Sacrement de
l'Extrême-Onction durant les quarante jours
qui s'écoulèrent entre sa
Résurrection et son Ascension ; mais
l'Évangile ne nous a pas transmis les
paroles dont Notre Seigneur se servit pour celle
institution
(3). »
M.
le
Curé. - Que voulez-vous que je
dise ! Le Concile de Trente affirme que
l'Évangile selon saint Marc insinue ce
sacrement par ces paroles :
« Ils
présentaient à boire à
Jésus du vin mêlé de myrrhe
(4). »
Jésus était mourant
sur la croix : la myrrhe servait à
l'embaumement des corps ; mais je confesse
qu'on n'en peut rien tirer en faveur de l'extrême-onction.
En
réalité, nous n'avons que le texte de
saint Jacques.
M.
A. -
Il reste donc acquis que ce Sacrement n'a pas
été institué
expressément par Notre Seigneur. En ce qui
concerne la déclaration de saint Jacques, je
fais une première remarque : il s'agit
de malades et non de mourants, l'onction
n'était donc point extrême,
c'est-à-dire administrée à la
dernière extrémité ou à
l'article de la mort... in extremis, in articulo
mortis...
M.
le
Curé. - Ce qui prouve que
c'était un Sacrement, c'est qu'il
était nécessaire de convoquer les
prêtres et de les rassembler autour du
malade.
M.
A. -
Nous savons que le mot presbuteros que vous
traduisez par prêtre signifie ancien ; l'abbé
Glaire en
convient (5). Donc, il ne faut pas
entendre
que
saint Jacques parle de prêtres
ordonnés, d'un clergé, mais de
chrétiens d'un âge respectable,
élus comme présidents de
l'église locale ; hommes pieux dont
l'autorité provenait de la foi et surtout
des dons du Saint-Esprit.
M.
le
Curé. - Je sais que vous avez raison,
mais je suis contraint de vous opposer
l'anathème du Concile :
« Si quelqu'un dit que
les
Prêtres de l'Eglise, que saint Jacques
exhorte qu'on les amène pour oindre le
malade, ne sont pas les Prêtres de l'Évêque, mais
ce
sont les plus anciens d'âge
(6) en
quelque
communauté que ce soit...
Anathème ! » Toutefois,
quelle que soit votre opinion sur le ministre du
Sacrement, il n'en demeure pas moins que l'Onction
existe, et qu'elle a une valeur propre,
matérielle.
M.
A. -
Je crois au contraire qu'elle n'a aucune valeur
matérielle, plusieurs malades ont
été guéris sans son secours...
Lisez le livre des Actes des
Apôtres.
M.
le
Curé. - Je vous l'accorde
volontiers ; mais il suffit qu'elle ait
été recommandée dans ce cas
spécial pour que nous la gardions
jalousement.
M.
A. -
Vous recherchez la fidélité !
Quelle heureuse disposition ! Alors, il faut
changer vos habitudes et obéir non pas
à saint Jacques, mais à Jésus
qui a dit :
« ceux qui
auront
cru... imposeront les mains sur les malades, et les
malades seront guéris.
(7) »
M.
le
Curé. - L'usage de
l'Extrême-Onction administrée par les
prêtres seuls, a prévalu sur
l'institution de l'imposition des mains
recommandée par Jésus, et
administrée par tous les
croyants.
Cela tient à ce que
l'Extrême-Onction d'huile mêlée
de Saint-Chrême, consacrée par
l'évêque le Jeudi-Saint, a des vertus
miraculeuses. Elle efface chez
les malades les restes du péché, elle
les fortifie contre les tentations, elle les aide
à mourir (8).
M.
A. -
Avez-vous lu tout cela dans saint
Jacques ?
M.
le
Curé. - Non, mais dans le
Catéchisme de notre
diocèse.
M.
A. -
Vous dites vrai, car saint Jacques accorde les
grands privilèges dont vous parlez non
à l'onction mais à la prière,
non à l'huile mêlée de
Saint-Chrême, mais au
Seigneur :
« La prière de
la foi sauvera le malade, le Seigneur le soulagera
et, s'il a des péchés, ils lui seront
remis. »
M.
le
Curé. Qui vous autorise à
interpréter ainsi ?
M.
A. -
Notre Seigneur lui-même !
« Tout ce que
vous
demanderez à mon Père, en mon nom, je
vous l'accorderai
(9). »
On comptait sur la vertu de
cette
promesse plutôt que sur l'onction.
M.
le
Curé. - Vous voulez faire d'un acte
sacré, d'une fonction nouvelle, une simple
solidarité dans la prière entre
chrétiens !
M.
A. -
Remarquez que dans saint Jacques il n'est pas
question d'un salut certain, d'une guérison
certaine, d'une rémission des
péchés certaine,
obtenus par l'onction elle-même ; mais
que les anciens ou prêtres réunis
demandent le salut de leur frère souffrant,
sollicitent sa guérison, implorent la
rémission de ses péchés.
C'est, dit saint Jacques, la prière de la
foi qui sauvera le malade.
M.
le
Curé. Les Pères de l'Eglise
ont plus d'autorité que
vous !
M.
A. -
C'est pourquoi je m'appuie sur eux. Saint
Irénée au IIIe siècle, saint
Épiphane au Ve siècle, parlent d'eau
lustrale et d'onction d'huile dans la secte hérétique des
gnostiques ; ils auraient sûrement
attaqué votre Extrême-Onction
(10).
M.
le
Curé. - Au Concile de Pavie (en 850),
on a particulièrement recommandé
l'Extrême-Onction.
M.
A. -
Oh ! pardon ! ce n'était pas
encore un sacrement, mais une simple et pieuse
pratique, comme dans saint Jacques.
M.
le
Curé. - Je vous l'accorde
malgré moi, car vous ne manqueriez pas de me
dire que c'est Hugo de Saint-Victor qui, vers l'an
1100, établit le Sacrement de
l'Extrême-Onction dans son Traité
systématique des Sacrements. Le premier,
il a enseigné que l'onction d'huile
renfermait et portait la grâce
(11).
M.
A. -
Et même ce fameux écrit ne faisait
qu'émettre une opinion ; c'était
une semence jetée dont la floraison devait
avoir lieu beaucoup plus tard. Ce n'est qu'en 1439
que l'Extrême-Onction comme Sacrement a
été définie
(12) ;
le
Concile de Trente a confirmé en
1551.
Avouez que si l'Eglise
chrétienne avait considéré
l'Extrême-Onction comme un Sacrement, elle
n'aurait pas attendu si longtemps avant de le
définir.
M.
le
Curé. - Vous me placez toujours dans
une fausse situation ! Vous m'avez
prouvé que notre Seigneur n'a pas
institué ce Sacrement et le Concile de
Trente crie : Anathème ! Vous
citez l'Écriture pour établir que la
prière et non l'onction sauve le malade, le
même Concile crie :
Anathème ! Vous invoquez toutes les
épîtres et même la saine raison
pour prouver que, dans une petite église
locale, il ne pouvait y avoir plusieurs prêtres, mais plutôt
des anciens qui accouraient au chevet du malade,
et le saint Concile maudit encore !
(13).
Que voulez-vous que je vous
dise,
moi, pauvre vieillard, moi pauvre prêtre
enchaîné par mes dogmes, la bouche
close par ordre supérieur !
M.
A. -
Vous avez des malades à visiter, allez
auprès d'eux pendant qu'ils sont malades et non
lorsqu'ils sont
agonisants.
Ne leur laissez pas entendre que le Baptême a
efface le péché originel, que la
Confirmation leur a donné le Saint-Esprit,
que l'absolution leur a remis tous leurs
péchés, que dans l'Eucharistie ils
ont reçu le corps et le sang de Notre
Seigneur, ce serait leur donner une fausse
sécurité ; mais
dites-leur :
Bienheureux sont ceux
qui meurent
dans le Seigneur. Qu'ils se reposent
désormais de leurs travaux, car leurs
oeuvres les accompagnent
(14).
M.
le
Curé. - Nous prononçons bien
ces paroles, mais un misérable
pécheur ne les reçoit pas pour
lui.
M.
A. -
Dites à celui qui se repent que l'Agneau de
Dieu a ôté le péché du
monde, que le sang de Jésus-Christ a
été versé pour la
rémission des péchés qu'il est
purifié de tout péché s'il
croit...
M.
le
Curé. C'est l'Évangile, et je
le connais ! Mais j'ai toujours auprès
d'un agonisant une pensée troublante. Toute
ma vie J'ai dit au confessionnal à toute
sorte de pécheurs : Moi, je vous
absous. Appelé à leur lit de
mort, je ne puis plus leur parler avec la
même assurance ; on m'oblige à
leur faire entendre qu'il n'y a rien de fait, que
toutes les absolutions données sont vaines, que le
défunt est
renvoyé devant Dieu qui le jugera ! Il
part muni d'un simple voeu que nous formons pour
lui !
M. A. - Savez-vous que votre
aveu
est effrayant ?
M. le Curé. -
Hélas ! Il me fait trembler ! En
fermant la paupière d'un mourant, nous lui
disons en lui faisant l'onction :
« Par celle sainte
onction
et sa très pieuse miséricorde, que
le Seigneur vous pardonne les fautes que vous avez
commises par la vue, l'ouïe, etc.
(15) ».
M. A. - Qu'est devenue la vertu
purificatrice de l'eau du Baptême ? Que
sont devenues les vertus miraculeuses de l'huile
mêlée de
Saint-Chrème ?
Pauvre malade ! Il a
été fidèle à tous les
commandements de l'Église et, à
l'heure de sa mort, on recule, on n'ose pas lui
donner l'assurance de son salut, on n'a plus la
hardiesse d'affirmer ceci :
« Par cette Sainte
Onction, le Seigneur te pardonne, tes
péchés sont effacés, ton
âme est aussi pure qu'après avoir
reçu le
Baptême ! »
Avec quelle angoisse vos
mourants
doivent-ils songer à
l'éternité !
M. le Curé. - Vous avez
raison... J'irai voir mes
malades dès les premières heures de
leur souffrance et non au moment de leur agonie...
Je leur parlerai de Jésus mort sur la croix
pour leur péché... Mais au moment de
l'onction extrême, je vais être fort
embarrassé !
M. A. - Vous auriez tort de la
supprimer ; les protestants devraient la
rétablir, mais en lui conservant son
caractère
évangélique.
Lorsqu'un membre de l'Église
sera étendu sur son lit de douleur, appelez
quelques chrétiens pour vous accompagner
à son chevet, oignez-le d'huile ordinaire
comme symbole de votre foi et priez avec ferveur.
La prière de la foi sauvera le malade, le
Seigneur le guérira s'il le juge bon, et ses
péchés pourront lui être remis
s'il est de coeur avec vous...
M. le Curé. - Merci !
Je
puis être encore en bénédiction
à plusieurs.
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