Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VI

Du Sacrement de l'Extrême-Onction

M. le Curé. - Je suis triste... j'ai trop vécu... le vide se fait autour de moi. Mon meilleur ami, le curé de V.... a été administré hier à la nuit tombante, Son âme s'envolera bientôt !...

M. A. - Nous remettrons à plus tard notre entretien ; je ne voudrais pas qu'une nouvelle discussion augmentât votre peine.

M. le Curé. - Il est toujours pénible de soulever les voiles épais qui dérobent la vérité aux regards. Mais tant pour moi que pour vous il est bon de le faire. Au reste, en causant de l'extrême-onction je ne m'éloignerai pas de ma douleur...

M. A. - Je tâcherai d'en ôter l'amertume ... Par quelles paroles ce sacrement fut-il institué ?

M. le Curé. - Le Paroissien ne les contient pas, elles sont de l'épître de Jacques :
« Quelqu'un parmi vous est-il malade ? Qu'il appelle les prêtres de l'Eglise et qu'ils prient sur lui, l'oignant d'huile au nom du Seigneur. Et la prière de la foi sauvera le malade et le Seigneur le soulagera, et s'il a des péchés ils lui seront remis (1). »

M. A. - Un sacrement n'est-il pas un signe sensible institué par Notre Seigneur (2) ? Pourquoi me dites-vous que l'institution du sacrement de l'extrême-onction est de saint Jacques ?

M. le Curé. (distraitement). - Je ne sais... Monseigneur vous le dira...

M. A. - Monseigneur ! Il est plus embarrassé que vous ! Il se contente de faire naïvement une supposition : « On croit, dit-il, que Notre Seigneur a institué le Sacrement de l'Extrême-Onction durant les quarante jours qui s'écoulèrent entre sa Résurrection et son Ascension ; mais l'Évangile ne nous a pas transmis les paroles dont Notre Seigneur se servit pour celle institution (3). »

M. le Curé. - Que voulez-vous que je dise ! Le Concile de Trente affirme que l'Évangile selon saint Marc insinue ce sacrement par ces paroles :
« Ils présentaient à boire à Jésus du vin mêlé de myrrhe (4). »
Jésus était mourant sur la croix : la myrrhe servait à l'embaumement des corps ; mais je confesse qu'on n'en peut rien tirer en faveur de l'extrême-onction. En réalité, nous n'avons que le texte de saint Jacques.

M. A. - Il reste donc acquis que ce Sacrement n'a pas été institué expressément par Notre Seigneur. En ce qui concerne la déclaration de saint Jacques, je fais une première remarque : il s'agit de malades et non de mourants, l'onction n'était donc point extrême, c'est-à-dire administrée à la dernière extrémité ou à l'article de la mort... in extremis, in articulo mortis...

M. le Curé. - Ce qui prouve que c'était un Sacrement, c'est qu'il était nécessaire de convoquer les prêtres et de les rassembler autour du malade.

M. A. - Nous savons que le mot presbuteros que vous traduisez par prêtre signifie ancien ; l'abbé Glaire en convient (5). Donc, il ne faut pas entendre que saint Jacques parle de prêtres ordonnés, d'un clergé, mais de chrétiens d'un âge respectable, élus comme présidents de l'église locale ; hommes pieux dont l'autorité provenait de la foi et surtout des dons du Saint-Esprit.

M. le Curé. - Je sais que vous avez raison, mais je suis contraint de vous opposer l'anathème du Concile :
« Si quelqu'un dit que les Prêtres de l'Eglise, que saint Jacques exhorte qu'on les amène pour oindre le malade, ne sont pas les Prêtres de l'Évêque, mais ce sont les plus anciens d'âge (6) en quelque communauté que ce soit... Anathème ! » Toutefois, quelle que soit votre opinion sur le ministre du Sacrement, il n'en demeure pas moins que l'Onction existe, et qu'elle a une valeur propre, matérielle.

M. A. - Je crois au contraire qu'elle n'a aucune valeur matérielle, plusieurs malades ont été guéris sans son secours... Lisez le livre des Actes des Apôtres.

M. le Curé. - Je vous l'accorde volontiers ; mais il suffit qu'elle ait été recommandée dans ce cas spécial pour que nous la gardions jalousement.

M. A. - Vous recherchez la fidélité ! Quelle heureuse disposition ! Alors, il faut changer vos habitudes et obéir non pas à saint Jacques, mais à Jésus qui a dit :
« ceux qui auront cru... imposeront les mains sur les malades, et les malades seront guéris. (7) »

M. le Curé. - L'usage de l'Extrême-Onction administrée par les prêtres seuls, a prévalu sur l'institution de l'imposition des mains recommandée par Jésus, et administrée par tous les croyants.
Cela tient à ce que l'Extrême-Onction d'huile mêlée de Saint-Chrême, consacrée par l'évêque le Jeudi-Saint, a des vertus miraculeuses. Elle efface chez les malades les restes du péché, elle les fortifie contre les tentations, elle les aide à mourir (8).

M. A. - Avez-vous lu tout cela dans saint Jacques ?

M. le Curé. - Non, mais dans le Catéchisme de notre diocèse.

M. A. - Vous dites vrai, car saint Jacques accorde les grands privilèges dont vous parlez non à l'onction mais à la prière, non à l'huile mêlée de Saint-Chrême, mais au Seigneur :
« La prière de la foi sauvera le malade, le Seigneur le soulagera et, s'il a des péchés, ils lui seront remis. »

M. le Curé. Qui vous autorise à interpréter ainsi ?

M. A. - Notre Seigneur lui-même !
« Tout ce que vous demanderez à mon Père, en mon nom, je vous l'accorderai (9). »
On comptait sur la vertu de cette promesse plutôt que sur l'onction.

M. le Curé. - Vous voulez faire d'un acte sacré, d'une fonction nouvelle, une simple solidarité dans la prière entre chrétiens !

M. A. - Remarquez que dans saint Jacques il n'est pas question d'un salut certain, d'une guérison certaine, d'une rémission des péchés certaine, obtenus par l'onction elle-même ; mais que les anciens ou prêtres réunis demandent le salut de leur frère souffrant, sollicitent sa guérison, implorent la rémission de ses péchés. C'est, dit saint Jacques, la prière de la foi qui sauvera le malade.

M. le Curé. Les Pères de l'Eglise ont plus d'autorité que vous !

M. A. - C'est pourquoi je m'appuie sur eux. Saint Irénée au IIIe siècle, saint Épiphane au Ve siècle, parlent d'eau lustrale et d'onction d'huile dans la secte hérétique des gnostiques ; ils auraient sûrement attaqué votre Extrême-Onction (10).

M. le Curé. - Au Concile de Pavie (en 850), on a particulièrement recommandé l'Extrême-Onction.

M. A. - Oh ! pardon ! ce n'était pas encore un sacrement, mais une simple et pieuse pratique, comme dans saint Jacques.

M. le Curé. - Je vous l'accorde malgré moi, car vous ne manqueriez pas de me dire que c'est Hugo de Saint-Victor qui, vers l'an 1100, établit le Sacrement de l'Extrême-Onction dans son Traité systématique des Sacrements. Le premier, il a enseigné que l'onction d'huile renfermait et portait la grâce (11).

M. A. - Et même ce fameux écrit ne faisait qu'émettre une opinion ; c'était une semence jetée dont la floraison devait avoir lieu beaucoup plus tard. Ce n'est qu'en 1439 que l'Extrême-Onction comme Sacrement a été définie (12; le Concile de Trente a confirmé en 1551.
Avouez que si l'Eglise chrétienne avait considéré l'Extrême-Onction comme un Sacrement, elle n'aurait pas attendu si longtemps avant de le définir.

M. le Curé. - Vous me placez toujours dans une fausse situation ! Vous m'avez prouvé que notre Seigneur n'a pas institué ce Sacrement et le Concile de Trente crie : Anathème ! Vous citez l'Écriture pour établir que la prière et non l'onction sauve le malade, le même Concile crie : Anathème ! Vous invoquez toutes les épîtres et même la saine raison pour prouver que, dans une petite église locale, il ne pouvait y avoir plusieurs prêtres, mais plutôt des anciens qui accouraient au chevet du malade, et le saint Concile maudit encore ! (13).
Que voulez-vous que je vous dise, moi, pauvre vieillard, moi pauvre prêtre enchaîné par mes dogmes, la bouche close par ordre supérieur !

M. A. - Vous avez des malades à visiter, allez auprès d'eux pendant qu'ils sont malades et non lorsqu'ils sont agonisants. Ne leur laissez pas entendre que le Baptême a efface le péché originel, que la Confirmation leur a donné le Saint-Esprit, que l'absolution leur a remis tous leurs péchés, que dans l'Eucharistie ils ont reçu le corps et le sang de Notre Seigneur, ce serait leur donner une fausse sécurité ; mais dites-leur :
Bienheureux sont ceux qui meurent dans le Seigneur. Qu'ils se reposent désormais de leurs travaux, car leurs oeuvres les accompagnent (14).

M. le Curé. - Nous prononçons bien ces paroles, mais un misérable pécheur ne les reçoit pas pour lui.

M. A. - Dites à celui qui se repent que l'Agneau de Dieu a ôté le péché du monde, que le sang de Jésus-Christ a été versé pour la rémission des péchés qu'il est purifié de tout péché s'il croit...

M. le Curé. C'est l'Évangile, et je le connais ! Mais j'ai toujours auprès d'un agonisant une pensée troublante. Toute ma vie J'ai dit au confessionnal à toute sorte de pécheurs : Moi, je vous absous. Appelé à leur lit de mort, je ne puis plus leur parler avec la même assurance ; on m'oblige à leur faire entendre qu'il n'y a rien de fait, que toutes les absolutions données sont vaines, que le défunt est renvoyé devant Dieu qui le jugera ! Il part muni d'un simple voeu que nous formons pour lui !

M. A. - Savez-vous que votre aveu est effrayant ?

M. le Curé. - Hélas ! Il me fait trembler ! En fermant la paupière d'un mourant, nous lui disons en lui faisant l'onction :
« Par celle sainte onction et sa très pieuse miséricorde, que le Seigneur vous pardonne les fautes que vous avez commises par la vue, l'ouïe, etc. (15) ».

M. A. - Qu'est devenue la vertu purificatrice de l'eau du Baptême ? Que sont devenues les vertus miraculeuses de l'huile mêlée de Saint-Chrème ?
Pauvre malade ! Il a été fidèle à tous les commandements de l'Église et, à l'heure de sa mort, on recule, on n'ose pas lui donner l'assurance de son salut, on n'a plus la hardiesse d'affirmer ceci :
« Par cette Sainte Onction, le Seigneur te pardonne, tes péchés sont effacés, ton âme est aussi pure qu'après avoir reçu le Baptême ! »
Avec quelle angoisse vos mourants doivent-ils songer à l'éternité !

M. le Curé. - Vous avez raison... J'irai voir mes malades dès les premières heures de leur souffrance et non au moment de leur agonie... Je leur parlerai de Jésus mort sur la croix pour leur péché... Mais au moment de l'onction extrême, je vais être fort embarrassé !

M. A. - Vous auriez tort de la supprimer ; les protestants devraient la rétablir, mais en lui conservant son caractère évangélique.
Lorsqu'un membre de l'Église sera étendu sur son lit de douleur, appelez quelques chrétiens pour vous accompagner à son chevet, oignez-le d'huile ordinaire comme symbole de votre foi et priez avec ferveur. La prière de la foi sauvera le malade, le Seigneur le guérira s'il le juge bon, et ses péchés pourront lui être remis s'il est de coeur avec vous...

M. le Curé. - Merci ! Je puis être encore en bénédiction à plusieurs.


(1) Jacques 5-14 à 15

(2) Exp. Cat. Clerm., p. 253.

(3) Exp. Cat. Clerm., p. 397.

(4) Marc 15-23. Conc. de Trente, IVe sess. sous Jules III, 25 novembre 1551, chap. 1. La doctrine du Sacrement de l'extrême-onction.

(5
) Note Actes 15-22, Aux anciens, c'est-à-dire aux prêtres.

(6) Sess. précitée, Canon 4.

(7) Marc 16, P. R. Ascension de Notre Seigneur Jésus-Christ. p. 382.

(8) Exp. cat. Clerm., p. 399. 

(9) Jean 14-13, P. R., 1er mai., Saint Philippe et saint Jacques, p. 699.

(10) Irénée, livre I, chap. XXI, 5 ; Epiph. hoeres. XXXVI. 

(11) Hugo de Saint-Victor, Oeuvres. Haureau, Paris, 1859.

(12) Au Concile de Florence. 

(13) Sess. précitée, Canons 1, 2, 4.

(14) Apocal. 14. P. R. Messe des Morts, p. 965.

(15) Exp. cat. Clerm., p. 398.
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