Monsieur le Curé,
La religion de la majorité des Français, le Catholicisme, est en
butte aux attaques réitérées des incrédules et aux accusations
d'infidélité et d'erreur que lui font les protestants.
Cette situation m'a ému et j'ai pensé que le
meilleur moyen était de vous proposer de justifier la foi catholique.
Je ne vous demande pas de prendre en
considération les propos des athées ; le roi David les a jugés
depuis longtemps : « L'insensé dit en son coeur : il
n'y a point de Dieu. »
Mais je vous invite à répondre avec foi et
vérité aux critiques des protestants.
Ce sont des chrétiens, ils affirment
hautement qu'ils s'inspirent de l'Écriture Sainte ; il est urgent
de savoir si leurs accusations d'erreur et d'infidélité sont fondées
ou non.
Nous ne sommes plus aux temps de Luther et de
Calvin, vous pouvez ne pas recourir à leurs écrits.
Ne vous défendez pas non plus en prenant vos
textes dans les Nouveaux Testaments que les protestants ont
traduits : on a si souvent dit qu'ils contenaient des erreurs -
ce dont je doute sérieusement - que la masse du peuple ne serait point
satisfaite.
Puisqu'il faut vous adresser aux fidèles,
servez-vous tout simplement du livre que vous mettez entre leurs
mains, du Paroissien Romain (1). Il
contient beaucoup de citations de l'Évangile et des Épîtres ;
elles doivent suffire soit à mettre au grand jour l'hérésie des
protestants et la vérité de vos dogmes, soit à vous convaincre
d'erreur et d'infidélité, comme ils disent, et, dans ce cas, assurer
la victoire définitive de la Vérité.
À la rigueur, dans un cas embarrassant, vous
consulterez la traduction du Nouveau Testament de M. l'abbé J.-B.
Glaire, approuvée le 22 janvier 1861, par décret de la Sainte
Congrégation de l'Index, et référée par le Secrétaire de la Sainte
Congrégation à « NOTRE TRÈS SAINT-PÈRE, LE PAPE PIE IX »,
dans l'audience du 25 janvier, appuyée enfin des
recommandations de quinze évêques ou archevêques.
Vous aurez ainsi poursuivi et peut-être
atteint, l'union entre les deux grandes branches divisées du
Christianisme : les catholiques et les protestants, vous vous
serez appliqué « à conserver l'unité d'esprit, par le lien de la
paix ». (Ep.
aux Ephés. 4-3).
Votre dévoué en N. S. J.-C.
L'AUTEUR.
M. A. - À l'ombre de ce bois de pins qui
cache les ruines de l'antique manoir des évêques de Clermont, assis
sur un tronc moussu, nous pourrons deviser tranquilles. Le ciel bleu,
le parfum des fleurs, le gazouillis des oiseaux, nous inspireront..
Pensez-vous que le livre de la nature doive seul
être ouvert devant nos yeux ? Voici la Sainte-Bible. Les
protestants vous accusent d'en interdire la lecture à tous les
fidèles, est-ce vrai ?
M. le Curé. Non, car
la Bible est répandue dans plusieurs de nos paroisses. Vous me
parliez, dans votre lettre, du Nouveau Testament de l'abbé
Glaire ; il en existe d'autres, cela prouve évidemment qu'on les
lit, ou du moins que nous les donnons à lire.
M. A. - Cela n'a pas
toujours été l'opinion de Rome, et votre réponse me surprend.
Le Synode de Tolède, en 675, a voulu que les Livres
saints ne fussent lus que par le Clergé, c'est au Clergé que
s'adressent vos traductions.
Cette opinion a même été confirmée par le Synode de
Toulouse en 4129.
M. le Curé. - Vous
oubliez que le pape Léon X, en 1515, a approuvé sans aucune
restriction la traduction d'Érasme.
M. A. - Je ne l'ignore
pas ; seulement, le Concile de Trente, convoqué en 1545, s'est
nettement opposé à ce que les fidèles aient la Bible entre leurs
mains.
M. le Curé. - La
restriction ne fut pas aussi sévère. Le pape Pie IV, dans son Catalogue
des Livres prohibés aux fidèles, déclare que nul catholique ne
pourra lire la Sainte Écriture sans avoir obtenu la permission de son
évêque, de son curé ou de son confesseur (2).
M. A. - Vous me
rassurez, car j'allais vous dire que, vingt ans après, un autre pape,
Clément VIII, en 1592, ne donnait pas cette latitude !
La fameuse bulle Unigenitus Dei filius de
Clément XI, parue en septembre, 1713, était encore bien sévère dans la
défense faite aux fidèles !
M. le Curé. - Pour
moi, je suis de l'opinion de Clément XI, j'estime que les fidèles ne
sont pas en état de comprendre l'Écriture Sainte. Les protestants ont
tort de dire que la Bible doive être mise entre les mains de tous les
chrétiens.
Nous avons fait un choix des principaux passages
que l'on peut lire, et nous l'avons placé dans le Paroissien
romain. Cela suffit.
M. A. - Je reconnais
que votre choix est assez bien fait. Il va nous renseigner sur la
question qui nous occupe. Ouvrons le Paroissien.
Voici un fragment du sermon prophétique de Notre
Seigneur :
« Le Ciel et la terre passeront, mais MES
PAROLES ne passeront point (3). »
Nous trouvons les paroles de Jésus-Christ non dans
une portion de l'Évangile, mais dans l'Évangile tout entier...
M. le Curé. - Oui,
mais ce qu'il importe le plus, c'est l'amour que Jésus réclame pour
lui ; son ordre c'est de l'aimer Lui plutôt.
que de lire ses paroles.
M. A.. - C'est l'un et
l'autre, car Notre Seigneur a dit : « Si quelqu'un
m'aime, IL GARDERA MA PAROLE (4). »
M. le Curé. - Nous
expliquons sa parole, nous, les prêtres, et nous conseillons aux
fidèles de la garder. Mais les paroles de Jésus sont souvent bien
difficiles, nos pauvres gens sont incapables de les comprendre.
M. A.. - Les apôtres
ont fait une autre expérience lorsque le Seigneur les envoya en
mission. Les docteurs de la Loi ne les avaient pas compris, tandis que
les simples paysans de la Galilée s'étaient enthousiasmés de la bonne
nouvelle du salut.
À leur retour, Jésus, transporté de joie, en a béni
son Père :
« Je vous rends gloire, mon Père, Seigneur
du Ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux
sages et aux prudents, et de ce que vous les avez révélées aux
petits (5). »
M. le Curé. - Vous
abondez dans mon sens il s'agit bien ici de la prédication de
l'Évangile et non de la distribution de l'Écriture Sainte. Quand Satan
rugit comme un lion autour d'une âme, ce n'est pas
en prenant sa Bible que le chrétien le chassera !
M. A. - Vous
croyez ! Notre Seigneur en a jugé autrement. Il a repoussé trois
fois le Tentateur en lui disant :
« IL EST ÉCRIT : L'homme ne vit pas
seulement de pain, MAIS DE TOUTE PAROLE QUI SORT DE LA BOUCHE DE
DIEU...
IL EST ÉCRIT AUSSI : Vous ne tenterez point
le Seigneur votre Dieu.
IL EST ÉCRIT : Vous adorerez le Seigneur
votre Dieu et vous ne servirez que lui seul (6). »
M. le Curé. - Vous
faites néanmoins une différence entre Jésus et ses disciples, entre
Notre Seigneur et les fidèles. Nous ne pouvons pas l'imiter en toutes
choses.
M. A. - Mais nous
devons lire et méditer sa parole pour qu'elle agisse en nous. Saint
Jean avait cette pensée lorsqu'il écrivit son Évangile :
« Jésus a fait, dit-il, en présence de ses
disciples, beaucoup d'autres miracles qui ne sont pas dans ce livre,
mais ceux-ci ont été rapportés dans ce livre, afin que vous croyiez
que Jésus est le Christ Fils de Dieu, et qu'en croyant vous ayez ta
vie en son nom (7). »
Donc, pour établir notre foi en la divinité de Notre
Seigneur, nous sommes invités à lire ce livre, c'est-à-dire, le
quatrième Évangile.
M. le Curé. - Eh bien,
je ne vois aucun inconvénient à ce que l'on mette l'Évangile selon
saint Mathieu, selon saint Marc, selon saint Luc, et selon saint Jean
entre les mains des fidèles.
N'est-ce point très raisonnable ?
M. A. - Je suis
heureux à la pensée que vos paroissiens pourront se nourrir des pages
sublimes qui racontent la vie de notre adorable Sauveur : ils y
puiseront des forces nouvelles pour leur vie chrétienne.
Il reste les Épîtres. Persistez-vous à les leur
interdire ?
M. le Curé. -
Formellement, en dehors des passages du Paroissien.
M. A. - Ne
croyez-vous pas que la lecture de ces quelques extraits les invitera à
lire les épîtres en entier ?
M. le Curé. - Qui donc
voulez-vous qui leur en donne la pensée ?
M. A. - L'apôtre saint
Paul. Il écrit sa lettre à Rome, non pas au Clergé seul, mais à tous
les membres de l'Eglise :
« À TOUS CEUX qui sont à Rome, aux chéris
de Dieu, appelés Saints (8). »
M. le Curé. - Personne
ne lira cela dans le Paroissien. On n'a pas cité ce passage parce
qu'il n'intéressait que l'Eglise de Rome.
M. A. - En voici un
autre qui s'y trouve cette fois. Il est pris dans la même
épître :
« La foi vient de ce qu'on a entendu, et ce
qu'on entendu est LA PAROLE DE JÉSUS-CHRIST. Mais peuvent-ils
objecter qu'ils n'ont point entendu ? « Non, assurément,
puisque la voix des envoyés célestes a retenti dans tout l'univers,
et que leurs paroles sont parvenues jusqu'aux extrémités de la terre
(9). »
Vous voyez que ceux qui n'ont pas la foi sont
précisément ceux qui n'ont pas obéi à l'Évangile, qui n'ont pas
entendu la parole de Jésus-Christ et qui ont fermé leurs oreilles à la
voix des envoyés célestes.
Toutes ces choses, l'Univers, les extrémités de la
terre, peuvent les connaître, car elles sont contenues dans la Parole
de Dieu écrite.
Nul n'a donc le droit de l'ignorer ou de la tenir
fermée.
M. le Curé. - Votre
logique vous égare. Rome n'avait reçu encore aucun écrit ; vous
abondez de nouveau dans mon sens : il s'agit uniquement de la
parole prêchée.
M. A. - J'ignore
exactement quels étaient les écrits que possédaient les chrétiens de
Rome, ce que je sais, c'est qu'ils en avaient de grande valeur,
puisque l'apôtre peut leur écrire ceci :
« TOUT CE Qui EST ÉCRIT l'a été pour notre
instruction, afin que par la patience et par la consolation QUE LES
ÉCRITURES nous donnent, nous vivions dans l'espérance (10). »
M. le Curé. - En
toutes choses, pour être impartial, il faut considérer l'époque, les
lieux, les circonstances. Convenez que Rome avait une situation très
spéciale. C'était la capitale du monde, elle avait de célèbres
rhéteurs, des savants, des philosophes que les discours seuls
n'eussent point convaincus.
La lecture de l'Écriture Sainte a donc constitué
pour Rome une exception : c'est une concession que saint Paul a
faite grâce aux circonstances. Mais l'exception confirme la règle.
M. A. - Je crains bien
que les protestants ne vous parlent d'Éphèse. Saint Paul écrivait à
cette église : « Prenez-en main le glaive spirituel qui
est LA PAROLE DE DIEU (11).
M. le Curé. - Éphèse
est aussi une exception à cause de son importance. Les autres églises
n'ont point joui des mêmes privilèges.
M. A. - Et
Corinthe ?
M. le Curé. - L'apôtre
dit seulement qu'il a prêché (12).
M. A. - Et
Thessalonique ?
M. le Curé. - Quatre
fois saint Paul répète qu'il a prêché (13).
M. A.. - Un passage me
revient en mémoire qui me paraît difficile à concilier avec votre
manière de voir. Il est dans l'épître aux Colossiens :
« Quand celle lettre aura ÉTÉ LUE parmi
vous, faites qu'elle soit LUE aussi dans l'église de Laodicée ;
et celle des Laodiciens, LISEZ-LA vous-mêmes (14). »
Vous voyez donc que les Églises lisaient les unes
les autres les lettres qui leur étaient respectivement adressées.
M. le Curé. - Oui, je
le sais, mais nos fidèles l'ignorent, car le passage que vous invoquez
n'est pas dans le Paroissien.
M. A. - Ils y
trouveront mieux cette paternelle exhortation de saint Paul à son cher
Timothée :
"Vous avez été nourri dès votre enfance DES
SAINTES LETTRES, qui peuvent vous instruire pour le salut par la foi
qui est en Jésus-Christ (15). »
M. le Curé. - J'en
demeure d'accord, mais convenez aussi que Timothée se préparait au
Saint Ministère, c'est pour cela que l'apôtre ajoute encore ces
instructions, que nous réservons aux prêtres :
« Toute l'Écriture étant inspirée de Dieu
est utile pour instruire, pour reprendre, pour corriger et pour
conduire à la justice... Je vous conjure devant Dieu et devant
Jésus-Christ, d'annoncer la parole... faites les fonctions
d'évangéliste (15b). »
M. A. - Est-ce à dire
que toute l'Écriture doive être enlevée aux fidèles ?
M. le Curé. - C'est
mon sentiment.
M. A. - Eh bien saint
Paul pense autrement que vous.
Au moment critique où il va couronner sa noble vie
par le martyre, il écrit au même disciple Timothée :
« LA PAROLE Du DIEU NE SAURAIT ÊTRE CAPTIVE
(16). »
M. le Curé. - Nous ne
pouvons pas exclusivement nous appuyer sur saint Paul, nous respectons
bien son autorité, mais nous donnons plus de valeur à l'opinion de
saint Pierre. Ce dernier seul doit résoudre la question.
M. A. - Consultons-le.
Si cet apôtre vous dit que vous vous mettrez en
garde contre les légendes et les hérésies avec la parole de Dieu,
serez-vous convaincu ?
M. le Curé. - Oui, je
le serai.... mais vous allez feuilleter en vain le Paroissien.
M. A. - Voici au
contraire ce qu'il me dit :
« Ce n'est point - dit saint Pierre - en
suivant des fables et des fictions ingénieuses que nous avons fait
connaître la puissance et l'avènement de Notre Seigneur
Jésus-Christ, mais nous avons d'ailleurs la PAROLE PROPHÉTIQUE dont
la certitude est plus affermie, à laquelle vous faites bien de vous
arrêter, comme à une lampe qui luit dans un lieu obscur, jusqu'à ce
que le jour commence à paraître, et que l'étoile du matin se lève
dans les coeurs (17). »
M. le Curé. - Vous
sortez de la question ; vous parlez de la parole prophétique,
c'est du Vieux Testament qu'il s'agit, et jusqu'ici nous ne nous
sommes occupés que du Nouveau.
M. A. - Si les écrits
des prophètes qui ont annoncé le Messie sont la lampe qui luit, qui
fait lever dans les coeurs l'étoile du matin, que dire des immortelles
pages qui nous parlent de la Sainteté, de la Puissance, de la Gloire
de Notre Sauveur bien-aimé ?
Elles seront la lumière du monde !
M. le Curé. - Cela est
vrai ! Je n'avais pas pensé à tout cela !... Eh bien, je
permettrai aussi la lecture des Épîtres de saint Paul et de saint
Pierre, mais je n'irai pas au delà.
M. A. - Vous pouvez
bien ajouter encore les petites épîtres de Jude, de Jean, et la belle
épître de Jacques qui dit :
« Mettez en pratique la divine Parole (18). »
M. le Curé. - Oui,
pour en finir, mais je réserve absolument l'Apocalypse, il est trop
mystérieux.
M. A. - Mystérieux, il
l'est en effet, néanmoins vous ne pouvez pas résister aux conseils du
disciple bien-aimé de Jésus qui dit à propos de son livre :
« Heureux celui qui LIT et écoute les
paroles DE CETTE PROPHÉTIE et garde les choses qui y sont écrites...
(19). »
M. le Curé. - Vous me
placez dans une situation difficile. Vous voulez que comme les
protestants je donne à mes paroissiens l'Écriture Sainte entière et
non fragmentée, que je leur en recommande la lecture alors que les
Conciles et les Papes en ont décidé autrement !
J'ai reçu cet ordre :
« Obéissez et soyez SOUMIS à vos pasteurs
(20).
M. A. - Il est écrit
aussi dans le même pas :
« Ne vous laissez pas séduire par les
doctrines diverses et étrangères à la foi (20b). »
Et saint Pierre a dit :
« Il faut plutôt obéir à Dieu qu'aux hommes
(21). »
M. le Curé. - Dieu n'a
point ordonné de faire lire la Bible.
M. A. - Jésus,
répondant à ses adversaires qui contestaient son origine et ses
pouvoirs, a dit :
« SCRUTEZ LES ÉCRITURES, puisque vous
pensez avoir en elles la vie éternelle, car ce sont elles qui
rendent témoignage de moi (22). »
Les ombres du soir enveloppaient les campagnes, la brise secouait les
branches des pins, et M. le Curé regagnait son modeste presbytère en
murmurant :
« Scrutez les Écritures ! Scrutez les
Écritures ! »
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