Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHRISTOPHE BLUMHARDT

1842-1919

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Christophe Blumhardt né à Moettlingen en juin 1842 (1) s'est éteint le 2 Août 1019 dans le calme de la retraite, dans sa maison de Jebenhausen, petit village situé entre Bad-Boll et la ville voisine de Goeppingen.

Cet homme de bien était très connu il y a une trentaine d'années non seulement en Allemagne mais en tous pays. Des milliers d'êtres ont fait appel à ses conseils et à son aide pour guérir leurs souffrances physiques et morales et lui ont gardé jusqu'à la fin un amour sincère et une fidélité reconnaissante.

Nous n'avons pas à décrire ni à apprécier ici le rôle qu'il joua dans les affaires religieuses et sociales de son temps. Nous laissons ce soin à l'écrivain futur, qui bien renseigné sur le mouvement des idées de notre époque, mais n'ayant pas à prendre parti comme nous, pourra lui rendre l'hommage qu'il mérite. Ce sont des sentiments personnels de reconnaissance que nous voulons exprimer ici.

La vie de Blumhardt s'est écoulée très simplement. Il passa sa jeunesse au presbytère paternel de Moettlingen, en pleine Forêt Noire de Souabe ; puis il se voua aux travaux habituels d'un jeune étudiant en théologie wurtembergeois. Il eût à l'Université de Tubingue des maîtres renommés, mais on ne peut dire que l'un d'eux ait eu une influence décisive sur lui. C'est au foyer paternel que son esprit fut formé. On sait que Jean Christophe Blumhardt son père avait été soutenu dans sa mission par des interventions divines extraordinaires grâce à la puissance et à l'efficacité desquelles il avait pu réveiller la vie religieuse dans sa paroisse et obtenir tant de guérisons corporelles. De très loin une foule de malades était venue lui demander le rétablissement moral ou physique. Dans le petit village perdu au fond des montagnes le gîte était devenu insuffisant pour tous les visiteurs.
Le pasteur s'était vu débordé par le travail que lui occasionnait sa fonction et par les soins moraux à donner aux sollicitants. C'est pourquoi il avait dû se décider, en 1852, à faire l'acquisition de Bad-Boll près de Goeppingen. De là il avait exercé son action soit en personne, soit par correspondance sur les cercles les plus étendus, conseillant les uns, guérissant les autres et dirigeant les âmes de tous. C'est au milieu de cette grande animation, au contact de cette vie riche en luttes, en efforts et en peines, mais féconde aussi en enseignements miraculeux, que grandirent Christophe et ses frères et soeurs. Là fut sa patrie, son champ d'action où le retenaient des racines profondes ; il n'aimait pas à la quitter parce qu'en dehors de ce monde qui était à lui, il se sentait dépaysé. Dès sa jeunesse il eut une rectitude d'esprit, une pureté de coeur native qui lui firent toujours sentir, comme l'eut fait une âme enfantine, ce qui était juste et raisonnable, dans les cas où d'autres personnes eussent été incertaines sur la conduite à tenir. C'est ainsi que pour lui, Dieu n'était pas une idée, mais sans contestation possible la plus évidente des réalités et que Jésus n'était pas une célébrité historique seulement, mais encore le Seigneur toujours vivant et présent.

Ses études terminées, Christophe Blumhardt entra au service de l'église protestante wurtembergeoise et fut vicaire dans plusieurs paroisses. Il n'a jamais eu de cure en propre, mais le consistoire lui conféra le titre et les droits d'un pasteur en fonctions, lorsqu'il prit la succession de son père à Bad-Boll. C'est là qu'il se fixa après sa vie active de vicaire. Il fit quelques voyages, puis, se retira dans sa paisible maison de Jebenhausen. Auprès de son père il avait eu d'abord une vie très effacée. Puis peu à peu il avait partagé avec lui la prédication et la direction des âmes. À la mort de son père il lui avait succédé dans l'accomplissement de la vaste tâche. Pour lui cette succession n'était pas une chose de droit.
Il l'accepta par obéissance pour son père et avec la confiance qu'il plaçait en Dieu. Il voyait dans la possibilité de cette mission le plus grand des miracles : Dieu lui permettait de continuer l'oeuvre paternelle.

Comment définir ce qu'était cette oeuvre prodigieuse !
Les visiteurs, les hôtes venaient de toutes les parties du monde. Le matin et le soir avaient lieu les méditations selon le rite piétiste, suivies de causeries appropriées pendant lesquelles on pouvait interroger le pasteur. Les réponses aux questions représentaient un travail intellectuel considérable. Le reste de la journée était pris par les audiences et délibérations. Il est impossible de dire le nombre de requêtes, la somme de souffrances qui furent présentées et de donner une idée du soulagement qui fut apporté à tous les coeurs : les âmes et les corps étaient guéris. Comme la correspondance était abondante le pasteur lui consacrait une partie de la nuit. Aux premières heures du jour, alors que tous les hôtes reposaient encore à Bad-Boll, il disait les prières du matin au milieu de son personnel. Riches ou pauvres, gens instruits ou non, avaient toujours libre accès auprès de lui et étaient assurés de recevoir un accueil bienveillant. Nous avons vu les habitants des campagnes venir assiéger l'appartement du pasteur après le culte du dimanche. Ce spectacle était extraordinaire et profondément émouvant. Ils étaient des milliers qui venaient entendre Blumhardt et le consulter.

Telle était la situation à Bad-Boll vers 1888. Ce fut l'apogée de la vie de Blumhardt. Mais tout cela ne suffisait pas à son âme qu'agitait une aspiration plus haute. Ce qui s'accomplissait autour de lui, lui paraissait grand et important ; mais ce n'était pas la chose principale pour les désirs de son coeur : il était dans l'attente du Règne de Dieu qui apporterait un état de choses où Dieu seul serait Seigneur et Maître, et Jésus, Roi et Seigneur. Dans ce royaume il n'y aurait plus de place pour le mal et le péché, mais toutes les voies y seraient ouvertes vers l'aide suprême et le salut. C'est l'espérance de tous les chrétiens. Mais, les chrétiens ont pensé depuis longtemps que ce bonheur n'était pas de ce monde parce que réservé à l'au-delà que nous ouvre la mort. Blumhardt confiant dans l'expérience acquise par son père et dans la sienne propre, affirma en toute conscience que les promesses divines faites aux croyants étaient « pour ce monde ». Dieu n'a-t-il pas créé ce monde pour la glorification de l'humanité et non pour sa perdition. Pour notre pasteur l'aide d'en haut, qui se manifestait dans les guérisons même corporelles, était le signe précieux, la preuve ineffable que Dieu veut nous sauver par Jésus et qu'il peut et veut être notre Seigneur et Maître. Le bienfait reçu était pour lui une lumière qui éclairait l'avenir et montrait les grandes intentions de Dieu. Une étape était gagnée mais le but n'était pas atteint. Il ne fallait pas s'arrêter, mais tout bienfait obtenu devait nous inciter à marcher sans trêve vers le but suprême.

Cependant Blumhardt avait constaté que beaucoup de chrétiens se déclaraient satisfaits du moment que leurs désirs personnels étaient comblés, c'est-à-dire aussitôt qu'ils étaient guéris. Ces personnes avaient tendance à s'enorgueillir du bienfait obtenu, elles ne le considéraient que par rapport à leur bien-être personnel et non comme un signe de la faveur divine qui devait les inciter à la recherche de la perfection. Aussi, pour elles, ce qui aurait dû être un aiguillon n'était plus qu'un frein. Il va sans dire que Blumhardt faisait ces réflexions en lui-même. Du reste, il ne s'agit pas ici de juger ses idées, mais sachant cela, nous pouvons comprendre l'homme et apprécier sa conduite. Il ne s'est pas ménagé, il a pris logiquement une détermination par laquelle il se dépouilla de ce qui avait été la gloire et l'honneur de sa vie : son désistement de l'Eglise fut le résultat d'un mouvement intérieur qu'il accomplit par principe. Quant ensuite, à l'occasion d'une maladie de sa femme, Blumhardt fit humblement, mais volontiers appel à l'aide de la chirurgie, le bruit couru qu'il avait perdu sa croyance et beaucoup de personnes se détournèrent de lui. Il ne s'en est pas plaint. Au sein de sa retraite, il a encore reçu maintes fois l'aide divine, mais on n'en a pas parlé au dehors.

Ainsi Blumhardt avait dû quitter la voie qu'il avait suivie après son père. Il n'avait perdu ni sa croyance ni sa foi. Il ne pensait qu'à trouver une nouvelle voie.
Ceux qui le comprirent le moins, ce furent les gens très pieux de l'Eglise régulière. Or, à présent, plusieurs de ses idées sont devenues le patrimoine commun de la communauté chrétienne alors qu'il y a trente ans on les combattait à outrance. Il en résulta que Blumhardt prit à l'égard de l'Eglise et des usages religieux une attitude de plus en plus indépendante. Mais il ne les attaqua jamais d'une façon inconvenante. Il lui fut donné au contraire de les défendre, de les montrer comme le giron maternel dont lui-même se réclamait. En même temps il promenait ses regards sur tout ce que le monde pensant offrait à ses méditations. Il trouva ainsi que notre époque avait produit beaucoup de bien et favorisé le progrès. Il en rapportait tout le mérite à l'action de Dieu. Il ne limitait pas ses recherches à un seul domaine, cela est compréhensible. Aussi est-ce à tort qu'on lui reprochait les idées nouvelles qu'il lançait soudainement. Certes il lui arrivait dans tel ou tel cas d'attacher trop d'importance à une de ses conceptions et de l'exprimer trop tôt, trop fortement et avec trop d'audace ; il fut desservi quelquefois par des amis trop récents ou trop zélés ; ce n'est pas contestable. Blumhardt avait beau répéter : laissez-moi dans mon cabinet de travail me livrer tranquillement à mes recherches et expériences. Toute cette période de sa vie est faite d'enquêtes et d'inquiétudes On a eu le tort d'en trop parler. Malgré tout cela, on peut affirmer qu'il a toujours aspiré au même but.

Ce fut un étonnement pour tous ceux qui ne connaissaient pas intimement Blumhardt quand il entra dans le parti social-démocrate. Depuis longtemps il avait exprimé son opinion au sujet de ce parti, et, c'est l'ancienneté de cette opinion qui en fait la valeur. Il avait reconnu de bonne heure que ce parti était dépositaire de vérités qu'il n'était pas possible d'exprimer on de mettre en valeur autre part, il pensait que le socialisme avait sa place marquée dans la société et, tenait sa mission de Dieu au profit de l'humanité, que l'homme ne devait plus être asservi à l'homme, mais qu'il avait le droit de voir son existence protégée. Pour arriver à cela beaucoup de moyens étaient indiqués, mais, la fin ne devait pas fortifier tous les moyens. Le but pouvait être le même mais les raisons agissantes très différentes. Les uns ne le considéraient que pour leur propre satisfaction les autres, par contre, étaient désintéressés. De ces derniers fut Blumhardt parce qu'il était pour la vérité évidente que représentait l'idéal socialiste, non par la volonté d'hommes désirant arriver à leurs fins, mais par la volonté de Dieu. Pour lui cet idéal ne pouvait être conquis qu'au nom de Dieu.

La Sociale démocratie manquait donc d'un élément de succès indispensable qu'elle ne pouvait trouver en elle-même. Il s'en rendait compte. Peut-être a-t-il eu l'espoir de pouvoir apporter l'étincelle divine dans ce parti en voie d'organisation pour l'éclairer et l'orienter vers le véritable but ? Blumhardt dans cette occurrence n'a pas agi selon un plan préconçu, mais s'est laissé guider par les circonstances. On petit dire que son adhésion au parti fut le résultat d'un événement fortuit. Une loi avait été promulguée contre les menées socialistes. Blumhardt ressentit l'émotion qui s'empara des masses populaires. Poussé par sa conscience il alla prendre la parole dans une réunion de socialistes. Ils écoutèrent celui qui, sans être des leurs par son rang social, savait parler à leurs coeurs. Son entrée au parti ne tarda pas et lui parut être une chose toute naturelle, un devoir même. Mais il a dit sévèrement à ses amis de se bien garder d'en faire autant. il était difficile en effet pour d'autres, d'accomplir le même geste. Il n'a pas agi en politicien de parti ou comme ecclésiastique, guidé par des intérêts particuliers, humainement utilitaires, mais en disciple du Maître qui appelle à lui les pauvres et les malheureux. C'était par élan de son coeur honnête et pour que la volonté de Dieu fût faite. Il n'a gagné ainsi qu'un labeur plus grand. Le parti socialiste l'envoya siéger à la chambre des députés wurtembergeoise ; mais Blumhardt n'abandonna pas pour cela la direction de Bad-Boll. Aussi a-t-il toujours dit que cette époque de sa vie a été la mieux remplie.

Mais, toute cette activité lui a-t-elle apporté de la satisfaction ou des déceptions ? Il n'est pas facile de répondre à cette question. Certes, il a eu de la satisfaction, si celle-ci doit résulter de la rectitude dans l'action, de la sincérité des intentions et de l'obéissance aux volontés de Dieu ; ce qui est certain c'est qu'il n'en a tiré aucun avantage. Il n'a pu élever le parti à la hauteur de son idéal. S'il vivait encore il renierait ce parti tel qu'il se présente maintenant sous ses divers aspects. Mais a-t-il nourri l'espoir de voir le parti le suivre ? je ne crois pas que l'on puisse l'affirmer.

La déception pour lui n'a pas été brutale car il avait peu à peu rompu les liens avec le parti ; il avait renoncé à la vie publique, mais sans rancune, sans être brisé. On ne peut avoir de déceptions que lorsque l'on ne s'occupe que des hommes. Mais vivre et agir pour Dieu c'est accepter d'avance que les hommes restent longtemps indifférents à la voix qui leur parle. Blumhardt appartenait à Dieu et non aux hommes. Du reste, pourquoi, en ces matières, parler de succès. Une bonne action peut ne pas être couronnée de succès, mais il y a toujours des effets, des effets lointains que l'on ne sait pas rattacher à leur cause. C'est un fait certain qu'aujourd'hui le socialisme religieux et chrétien tient une place importante. Quant aux socialistes non chrétiens, ils sont encore la majorité. D'autre part nous ne pouvons concevoir que des chrétiens puissent ne pas être socialistes et puissent ne pas reconnaître sincèrement le bien fondé des revendications socialistes. C'est une vérité qui court les rues. Il y a vingt-cinq ou trente ans, Blumhardt l'a dit devant un petit auditoire à Bad-Boll. Parmi eux il y en a qui sont devenus des chefs dans le parti ; ils ont gardé à l'ancien député un souvenir plein de reconnaissance et d'estime.

Bad-Boll est devenu un séjour silencieux et Blumhardt a préféré le silence pour lui-même. Apprécions à sa valeur la résolution qu'il avait prise avant sa mort. Ce n'est pas l'étoffe qui lui a manqué pour faire un grand chef religieux enthousiaste, agitateur des foules croyantes. Il n'a pas voulu être cela car il voulait qu'un seul fut grand : Jésus. Il a bien des fois annoncé qu'il n'y aurait plus de grands hommes à notre époque. Il ne croyait plus à la venue d'un grand homme, mais était dans l'attente du plus grand parmi les hommes, de Jésus, Seigneur sur terre et dans le ciel. Ce n'est pas lui qui se serait mis plein de présomption et d'orgueil en travers du chemin préparé pour le Seigneur. Fidèle à lui-même il a préféré offrir à ses amis et à ses hôtes une paisible hospitalité. Dans les derniers temps il avait dû s'adjoindre quelques collaborateurs plus jeunes pour la prédication et l'administration, car l'entreprise était immense ; mais il ne cessa de participer à la vie de Bad-Boll, annonçant de grandes choses, prenant la parole pendant la grande guerre pour opposer aux souffrances du moment la grande espérance de toute sa vie. Il rendit témoignage de la croyance qui était sa raison de vivre et chercha à élever ses auditeurs à la hauteur de cette croyance. À l'automne 1917 il eut une attaque d'apoplexie. Alors il attendit sa fin, paisiblement détaché des choses de ce monde. La vie s'est retirée de lui doucement, le serviteur a été rappelé du poste où il était resté patiemment et fidèlement pour l'amour de son Seigneur. Il ne nous sera pas donné à nous de voir les fruits d'une si belle vie. Il est certain cependant qu'ils viendront. Blumhardt a été un homme qui a personnifié l'attente du Royaume de Dieu pendant toute sa vie ; sur sa tombe rayonnent toujours : la Foi, l'Espérance et la Charité.


FIN

ÉTABLISSEMENT DE BAD-BOLL (WURT).

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