SIRE,
Les merveilles que Dieu. a faites par le
Ministère de Vôtre Majesté en
Angleterre et en Irlande, me font espérer
quelle aura pour agréable l'Histoire des
Vaudois, que je prends la liberté de lui
présenter. Elle y verra les merveilles que
Dieu a faites pour la conservation des
Églises de Piémont ; et le calme
dont elles ont joui depuis le temps des
Apôtres qu'elles remirent la Doctrine de
l'Évangile jusques à l'année 1488 que le Pape
Innocent
VIII fit
faire une Croisade contre les Vaudois.
Les Croisés au nombre de dix-huit mille
hommes de troupes réglées et
d'environ huit mille Volontaires de Piémont
furent par eux entièrement
défaits.
Depuis ce temps-là on n'a cessé de
les persécuter et de leur faire la guerre.
Mais comme ils combattaient pour la cause de Dieu
en défendant et soutenant sa
vérité, aussi on connaît
visiblement que le Dieu des batailles était
avec eux et combattait pour eux, sans quoi ils
n'auraient pas remporté tant de
signalées Victoires sur leurs ennemis, qui
étaient souvent vingt et trente et
quelquefois cent contre un.
Votre Majesté y verra aussi les cruelles
persécutions que les
ennemis de l'Évangile leur ont fait
souffrir, et la confiance avec laquelle leurs
Martyrs ont scellé de leur sang la
vérité céleste.
Si leurs ennemis ont eu quelque avantage sur eux,
ça été seulement en violant la
foi des Traités, qui doivent être
inviolables entre les hommes.
Enfin Votre Majesté s'étonnera
comment si peu de gens ont pu subsister dans les
Vallées de Piémont jusques en 1686,
environnés de tant d'ennemis puissants,
cruels, pleins de ruses et d'artifices diaboliques,
sans et sans loi.
Mais si leur subsistance est miraculeuse, leur
retour et leur rétablissement dans leur pays
ne l'est pas moins. On voit partout que c'est
l'ouvrage de Dieu et non celui des hommes.
Je ne pouvais, SIRE adresser mieux
ce petit ouvrage qu'à Vôtre
Majesté qui a vu l'Éternel des
armées marcher devant lui comme il marchait
autrefois devant son ancien Israël, et comme
il a marché et marche encore devant ceux qui
sont le sujet de cette Histoire. Vous soutenez
comme eux, Sire, la cause de Dieu et vous combattez
pour sa vérité. Et il ne faut pas
douter qu'il ne soit avec vous et qu'il combatte
avec vous et pour vous ; les heureux
succès de vos entreprises le font voir
à toute la terre.
Je prie Dieu de tout mon coeur, qu'il conserve
vôtre personne sacrée, qu'il vous
donne un règne florissant et heureux, qu'il
bénisse vos justes desseins et les fasse
réussir à sa grande gloire, c'est le souhait
ardent de
celui
qui est avec un profond respect.
SIRE
De Vôtre Majesté
Le très humble, très fidèle et
très obéissant Serviteur.
P. BOYER.
Le tous les peuples qui ont
été au monde depuis sa
création jusqu'à nos jours, il n'y en
a point, si on excepte l'ancien Peuple des Juifs,
dont l'histoire contienne tant de merveilles, que
celle des Vaudois de Piémont. Car soit qu'on
considère leur persévérance en
la profession de la saine doctrine des
Apôtres, soit qu'on regarde les guerres
qu'ils ont soutenues pendant prés de deux
cents ans pour conserver parmi eux la pureté
de la Religion Chrétienne, on y voit tant de
merveilles de la bonté, de la sagesse, et de
la puissance de Dieu, qu'il est impossible de ne
pas reconnaître, que Dieu s'était
déclaré ouvertement le Dieu de ce
Peuple, qu'il en était le Protecteur et le
Défenseur, aussi bien que de leur
Religion.
Nous apprenons de l'histoire sainte, que le Peuple
Juif, que Dieu avait choisi par dessus tous les
Peuples du monde, pour être son peuple, et en
faveur duquel, il avait fait tant de merveilles, en
Égypte, en la Mer Rouge et au Désert,
est souvent tombé dans l'idolâtrie et
s'est plusieurs fois souillé dans les
abominations des Nations Païennes, qui
habitaient autour de lui. Mais on ne trouve point
que les Vaudois aient jamais idolâtré,
depuis que Dieu les a appelés à la
connaissance de l'Évangile.
Nous voyons encore que plusieurs
hérésies se sont introduites dans la
primitive Église, par les ruses de Satan,
celles des Eutychiens et des Nestoriens, et surtout
celle des Ariens, mais on ne voit point que ces
hérésies se soient introduites dans
les Vallées de Piémont.
Et lorsque toute la terre courrait après la
Bête de l'Apocalypse, après cette
grande paillarde avec laquelle les Rois de la terre
ont paillardé, et du vin de laquelle ont
été enivrés les habitants de
la terre, (Apocalypse 13
& 17)les
seules Églises de
Piémont suivaient Jésus-Christ et se
tenaient inviolablement attachées à
sa sainte doctrine. Aussi les Vallées
avaient anciennement pour armes un flambeau
allumé, environné de
ténèbres avec cette devise :
LUX LUCET IN TENEBRIS. La lumière luit entre les ténèbres.
Et comme autrefois lors que toute
l'Égypte était couverte
d'épaisses ténèbres, le seul
terroir de Gosen était éclairé
d'une vive lumière. Ainsi tandis que le
monde Chrétien était plongé
dans les ténèbres grossières
de l'idolâtrie et de l'erreur, il n'y avait
que les seules Églises de Piémont qui
fussent éclairées de la
lumière de l'Évangile.
Or, comment est-ce que la vérité
céleste se serait conservée pure dans
ces Vallées jusqu'à nôtre
temps, si Dieu par sa puissance et par sa sagesse
adorable, n'eût empêché Satan de
semer son ivraie dans ce champ mystique de son
Église, pour y corrompre comme il avait fait
ailleurs la bonne semence de la parole, par le
mélange des dogmes et des
cérémonies du Paganisme, qui ont
corrompu la saine doctrine.
Et ce qui est étonnant, c'est que ces
Vallées sont situées dans l'Italie,
ou la grande paillarde a son siège, et que
les Princes de Piémont sont sujets de son
Empire !
Quant aux guerres que les Vaudois ont soutenues,
que leurs ennemis leur ont suscitées pour
les détruire, ou pour éteindre parmi
eux le flambeau de l'Évangile, elles sont
toutes pleines de miracles.
On voit une poignée de gens mal
armés, conduits par des Chefs qui n'avaient
nulle expérience de la guerre, battre et
mettre en fuite de grandes armées
commandées par des Capitaines vaillants et
consommés au métier de la guerre.
Leurs ennemis étaient ordinairement vingt ou
trente, et quelquefois cent contre un. Or comment
les auraient-ils tant de fois battus et mis en
fuite, comme ils ont fait, si le Dieu des batailles
n'eût été avec eux, et
n'eût combattu pour eux ? Comment
auraient-ils remporté tant de glorieuses et
de signalées victoires sur leurs ennemis, si
Dieu ne leur eût donné de la force et
du courage, et n'eut mis l'effroi et la confusion
parmi leurs ennemis?
Et ce qui est plein de merveilles, et qui doit
causer l'étonnement de tout le monde, c'est
que ni tant de guerres que leurs ennemis leur ont
suscitées pendant deux cents ans, ni tant de
combats qu'ils ont essuyés durant ces
longues et sanglantes guerres, ni les cruelles
persécutions qu'ils ont endurées, ni
les artifices Diaboliques des Émissaires de
l'Antéchrist, n'ont pu détruire ces
pauvres Églises jusques en l'année
1686 que la perfidie et la trahison
triomphèrent de l'innocence de ceux qui les
composaient.
Si la subsistance des Vaudois dans les
Vallées, pendant un si long espace de temps,
et parmi tant d'obstacles, est pleine de miracles,
leur retour et leur rétablissement n'est pas
moins miraculeux.
Le Roi de France et le Duc de Savoie, qui
s'étaient joints pour les perdre, ou pour
les chasser des Vallées, se joignirent
encore ensemble pour s'opposer à leur retour
et à leur rétablissement.
Neuf cents Vaudois, ou Réfugiés de
France passent le lac de Genève, entrent
dans la Savoie, traversent un pays ennemi, de 14 ou
quinze journées de chemin, forcent plusieurs
passages et défilés qui
étaient gardés par leurs ennemis avec
des forces plus grandes que les leurs, et
malgré tous les obstacles qu'on leur oppose,
ils se rendent dans leur pays et en chassent leurs
ennemis.
Et lorsque ces deux Princes sont le plus
acharnés et envenimés contre les
Vaudois, et ne respirent que leur extirpation et
leur ruine totale, et qu'ils joignent leurs armes
pour exécuter ce qu'ils ont projeté,
Dieu souffle sur leurs desseins et les
réduit en fumée. Il sème la
division entre eux ; de grands amis, ils
deviennent de passionnés ennemis, et ils
tournent leurs armes l'un contre l'autre.
Enfin, malgré qu'ils en aient (malgré
eux),
Dieu rétablit les Vaudois dans leur Patrie,
même par ordonnance de leur Prince, qui
s'excusa envers eux du mauvais traitement qu'ils
avaient souffert, et en imputa la cause au Roi de
France.
Et de ceux que le Duc de Savoie voulait perdre, il
en fait dans un instant ses défenseurs, son
rempart et son principal appui.
Les grandes merveilles que Dieu a fait pour les
Vaudois, et les changements surprenants qui leur
sont arrivés, sont représentés
brièvement et naïvement dans ce livre,
dans lequel nous parlons :
Premièrement. De leur origine.
II. De leur Religion, qu'ils ont
conservée pure depuis le temps des
Apôtres, jusques à nôtre
temps.
III. Du calme dont ils ont joui pendant
plusieurs siècles, à savoir depuis
qu'ils eurent embrassé la Doctrine des
Apôtres jusques vers la fin du
quinzième siècle.
IV. De la Croisade que le Pape Innocent VIII
fit pour les détruire en 1488.
V. Des guerres que les Ducs de Savoie
Princes du Piémont leur ont fait depuis
Philippe jusques a Charles Emanuel II.
VI. Du massacre qu'on fit par surprise de
ces pauvres gens, en 1655 et de la guerre qui s'en
suivit.
VII. De la guerre de 1663 et 1664.
VIII. De la guerre de 1686 et des suites
funestes de cette guerre. Des massacres qu'on fit
alors d'une partie de ces Innocents, et de
l'emprisonnement des autres contre la foi
promise.
IX. Du rigoureux traitement qu'ils
reçurent dans les prisons.
X. De leur retour et de leur
rétablissement contre toute
espérance.
XI. Et enfin nous ferons voir que deux
prophéties de l'écriture ont
été accomplies à leur
égard, l'une est contenue au Chap. XI. et l'autre au Chap.
XII. de
l'Apocalypse.
- | Table des matières | Chapitre suivant |