Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

AVANT-PROPOS

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« Silence and Secrecy », disait Carlyle... et Meterlinck a écrit une page magnifique sur la vertu du silence. Les vies des hommes de Dieu ont leur zone de silence où nul ne peut pénétrer. Le secret de leur fécondité, leur radioactivité spirituelle a sa source dans cette zone. Elles sont, ces vies, souvent actives, débordantes d'activité, mais c'est une apparence. Elles recouvrent tout un champ de silence qui seul est grand. J'aurais Préféré me taire. Mais si la grande douleur humaine est toujours muette, si la possession de la joie ne peut s'exprimer, l'hymne de la foi jaillit spontanément d'une vie grande et belle. Malgré la signification tragique de certaines heures, l' exemple d'une telle vie stimule, enrichit et sublimise nos efforts. C'est pourquoi j'ai accepté de prendre la plume.

Ceux qui ont connu Henri-Alexandre Junod trouveront ici un témoignage, insuffisant, mais un témoignage de bonne foi. Ils y verront peut-être une peinture trop belle (comment en pourrait-il être autrement quand un fils doit peindre l'image d'un père vénéré ?) ; qu'ils soient assurés que le tableau est aussi ressemblant que possible pour celui qui l'a peint.

Ceux qui ont aimé cet homme si complet, ceux qui ont admiré l'exemple tonique et vivifiant de celui pour qui l'âme était le principal, l'essentiel, ceux qui ont vécu dans l'intimité d'Henri-Alexandre Junod trouveront beaucoup à reprendre à cette trop courte description de sa vie. Ils voudront sans doute y ajouter plusieurs détails qui leur paraissent de première importance. - Ce petit livre a été écrit dans la solitude, loin de la patrie aimée, sans possibilité de chercher conseils ou appuis. - Il a été écrit en Afrique, cette seconde patrie de mon père, et j'aime à croire que certains y retrouveront quelques traits de sa figure vénérable, une figure qui grandit à mesure que l'on s'éloigne d'elle, digne de la plus grande tradition missionnaire. J'aime à placer ici en exergue cette admirable parole d'Antigone :


Je ne suis pas née pour haïr, mais pour aimer.

Prétoria, août 1934.

H.-Ph. Junod.




INTRODUCTION

HENRI -A. JUNOD
Dr ès lettres.
(1863-1934)

Lignières ! Un vieux bourg perché sur les contreforts du Chasseral, le village des « Rebollas », toujours en bisbille avec les « Niollas » de Nods ; rempart romand contre la pénétration de Berne. Le clan des Junod était resté fidèle à ce coin de pays où il arriva avant la Réformation. Paysans trapus, aux mains noueuses, déformées par la bêche, la hache ou la charrue, ils peinaient, génération après génération, attachés à la glèbe et fiers de leurs terres. La vieille maison patriarcale des Broues s'élève, une des dernières, sur la route de Nods, comme un avant-poste du village. Les Junod s'intéressaient aux affaires de la commune, ils avaient créé, avec les Bonjour, une combourgeoisie, ils vaquaient aux mille et une besognes de la paysannerie. Leur race solide de Celtes aux yeux bleus s'était peu à peu implantée dans ce coin de terre romande.

La vie de la commune coulait tranquille. Commune paysanne, où la piété n'était pas une simple tradition, puisque c'est de Lignières que partit le missionnaire Lacroix.

La famille du père d'Henri-Alexandre Junod était établie à Saint-Imier, au fond du vallon resserré du Jura bernois, quand Henri Junod père naquit, le 28 septembre 1825. Mais elle revint à Lignières en 1834. Henri Junod père montra dès son enfance des dispositions particulières pour l'étude ; il se prépara à entrer dans l'enseignement.

Enfant, il avait vécu sur ce beau plateau qui regarde vers Prêles, et s'était mêlé à la vie agricole. L'attachement à son sol natal le tenait lui aussi, mais le plateau de Lignières regarde plus loin que Prêles. Sis au pied de la colline d'Enges, premier contrefort du Chasseral, on y arrive de Neuchâtel et Saint-Blaise par la grande forêt de l'Eter, où s'épanouissent les cyclamens roses à l'odeur pénétrante, et quand on sort de la grande étendue d'ombre, on voit tout à coup l'immense horizon. Le regard vole d'un coup d'aile sur tout le plateau suisse et s'arrête aux Alpes, ces grandes dames de chez nous qui dessinent sur le ciel leurs admirables dentelles... Il suffisait à Henri Junod père de monter un peu sur le coteau pour voir se déployer à ses pieds toute cette féerie. « Les beautés de la nature faisaient sur lui une grande impression. Souvent, dit son biographe, en face des scènes magnifiques qui se déroulaient devant lui, ses yeux se remplissaient de larmes et de son coeur ému jaillissait un cantique d'adoration. Ayant dû interrompre ses études pour cause de santé, il retourna à Lignières, où il partagea son temps entre le travail des champs et la lecture. C'est alors qu'il lut et relut les « Lettres spirituelles » de Fénelon, une partie des oeuvres de Mme Guyon. plusieurs ouvrages ascétiques et mystiques, entre autres ceux de Saint-Martin. » De ce temps date sa vocation au pastorat.

Consacré au saint ministère le 13 août 1851, il commença son activité pastorale à Neuchâtel, où il se consacra spécialement aux jeunes. Il fut pasteur à Rochefort de 1852 à 1861. Pendant cette période, il épousa Marie Dubied, de Couvet.

En 1861, il fut appelé comme pasteur à Chézard-Saint-Martin. Il eut d'abord trois filles. Aussi est-il facile d'imaginer quelle joie régna au presbytère de Chézard-Saint-Martin quand on vit enfin apparaître le premier continuateur du clan Junod !

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